lundi, 17 octobre 2011
Malchanceux
13 octobre 2011
Nous en avons vu, des oiseaux pliés en plein vol. Icare encore. Gouache, aquarelle, brûlure et cendre, le regard des marcheurs se tournait du côté du moulin -- du moulin sur la rivière Floss, au moins, et au mois d'avril (le plus cruel mois). Sa manie de clore des phrases emberlificotées par des parenthèses ne l'a pas quitté, je renonce, dit la correctrice, à ce que je crois savoir. Au moins, et au mois d'avril. Avril, le plus cruel mois, je me rengorge, moulin, battre des ailes ce n'est pas rien... phrases brutes, emberlificotées, je m'embrouille, n'avance à rien. Oiseaux, donc, et vagues.
Oiseaux imprécis, écrasés, au vol brisé brutalement, oiseaux pliés en plein élan. On revoit le volatile plus tard, toujours de façon fugitive, au bord de la Loire, et même plus à l'abri du vent, en échappant aux bourrasques, se réfugier dans les salles vastes du Château de Tours (que l'on a saisi combien de fois par une imagination mécanique ?), bref se réfugier et revoir là aussi le volatile... mais plié en plein élan, pilé. Elle, donc, elle (pas Christelle, Anne, encore une nouvelle figure, encore un énième ectoplasme (qu'est devenu Bernard ?)) revoit, après avoir cherché à effacer de sa mémoire, et même de son passé, les explosions, les événements traumatisants, elle revoit le volatile, capté en miroir, prisé en relief, pris dans son regard, c'est terrible. Phrases embrouillées. Qu'est devenu Bernard ? Qu'est devenu Bernard ?
Anne (ce n'est que la première partie de son prénom composé, elle a le regard sûr, elle a marché longtemps avec les autres, leur périple le long du fleuve n'est pas rien, on pourrait s'y perdre, s'égarer (qu'est devenu Bernard ?)) revoit, car elle vit une longue file d'oiseaux qui volaient haut dans le ciel, en un vol rassemblés, un vol d'oiseaux traversant le ciel. Oiseaux, donc, regard sûr, vision précise, aucun flou, et vagues. Près de ce gouffre qui s'ouvre dans le sol (et qui ne rappelle pas le moulin sur la Floss, plutôt une bouche de métro - Charing Cross ?), elle voit cette file d'oiseaux, qui lui rappelle encore le mythe d'Icare. Icare encore. Elle évoque Bernard, et s'aperçoit qu'il est près d'elle, était-il aussi dans le château, près de la bouche de métro ? Bernard ne sourit pas, il a l'air figé dans son élan, et, comme il n'a pas levé le regard, il devient progressivement évident (pour Anne, pour personne d'autre) que c'est le colonel Sanders qu'il remarque.
Oiseaux pliés en plein élan. Revoir le volatile. Il sauta par la fenêtre au risque de se rompre les os. Au tableau noir (vert sombre, en fait, comme tous les tableaux noirs), la main a tracé les mots Icarus et Icarean, ainsi que les mots Zero at the bone et, plus mystérieusement : OS > OISEAU. Anne ajoute, dans ses notes : What's in a bird ?. Sachez-le, le tableau n'était pas noir, c'était un tableau blanc, et les mots avaient été, non tracés, mais inscrits au feutre rouge. (J'avais même plaisanté : out of the blue écrit en rouge.) Icare, tombé du ciel, out of the blue, écrasé par une bagnole. Remythification ? Qu'est devenu Bernard ? Il a disparu, encore, de sorte qu'Anne se demande si ce n'était pas une hallucination. Elle revoit le volatile, sa rétine le porte. Peut-être s'est-il brûlé à votre rétine, il faudrait ajouter les mots oeuf et oeil, toujours en rouge, puis effacer le tableau, et avec les inscriptions effacer le passé, les événements traumatisants, les tragédies, les incendies, les explosions. Faire qu'Icare atterrisse. (Utopie.) Faire qu'Icare vole. Icare, Icare. Icare encore. Icare (son vol achevé, ailes pas brûlées, intactes) est seul sans être à l'écart. Oh, arrête...
Oh, arrête. Oh, arrête ? Non, reprenons, plutôt. Reprenons mieux, de plus haut. De plus haut ? De haut ? (Au moment où Icare, splosh, flop, plouf, n'atterrit pas, amerrit, trouve sa tombe.) Anne se dit qu'elle a failli tomber de haut en voyant le diptyque dérangeant de Sacha Ketoff. Un malaise larvé. Tout a failli tomber à l'eau, dit-elle à Bernard qui la regarde, plus près qu'elle de la sorte de gouffre, bouche de métro, croix sans partage. Une angoisse larvée. Avec le nom de Sacha Ketoff, se dit Bernard (ectoplasme, nouveau masque du scripteur ?, s'interroge en marge la correctrice lassée de corriger les agaçantes parenthèses emboîtées et passant à l'ennemi (à la place du tableau noir gras de sueur il faudra fixer des couleurs, tel mot en rouge par exemple), participant elle-même de l'embrouillamini (phrases emberlificotées)), on pourrait commencer une série de poèmes acrostiches, 11 vers pour 11 lettres à l'initiale. Et si c'était des hendécasyllabes... Comme si elle lisait dans ses pensées, pense-t-il, Anne lui parle alors de carrés. Il comprend vite qu'il s'agit des oiseaux de Ketoff, pas de son projet. La chute dans la mer, dit-elle, ajoute-t-elle, entend-il, est comme une petite carie douloureuse mais marginale, dans le coin inférieur droit du tableau.
Reprenons (en avril, mois cruel, prends la file). Elle a une dent contre moi, pense Bernard. Reprenons de plus haut. Le volatile fugitif n'est pas l'oiseau plié en plein élan et fixé par Sacha Ketoff, qui n'est pas non plus Icare. D'Icare, il faudrait (acrostiche ou pas) étendre, s'interroger sur les prophéties, le labyrinthe. La bouche de métro n'est pas la bouche d'ombre n'est pas l'écume des vagues (ni des jours). L'un des onze styles (le onzième) est même qualifié de « sibyllin ». Oiseaux, et vagues. Vision précise, regard sûr, etc. (qu'est devenu Bernard, pense Bernard). La correctrice n'en peut plus. Anne, désorientée, constate que les oiseaux meurent, sont écrasés (on entend le craquement atroce de leurs os), pliés en plein élan, fouettés en plein vol (et pour la danse, j'ai mis «pirouettes» (c'est mauvais)), que l'homme-oiseau, l'enfant-oiseau, s'est brûlé les ailes trop près du soleil, que l'utopie est impossible, le retour en arrière illusoire. Meredith (qui doit son prénom à un autre George romancier de l'ère victorienne, un homme-plume) ne sera pas the highest high flier, l'apogée, la prunelle de leurs yeux, l'échelon le plus abouti de la reproduction des élites.
Bernard s'intéresse beaucoup au théâtre et nous recommande vivement une première de Gilles Bouillon. Il faut être fou. Anne passe outre. Envoie un pigeon ou un SMS. Anne s'intéresse beaucoup au théâtre et nous recommande vivement une première de Claire Diterzi. Pourquoi pas. Mais le message n'est pas passé, la Sibylle était aphone, le pigeon n'était rien d'autre, finalement, qu'un oiseau urbain malchanceux.
13:25 Publié dans Entre Baule et Courbouzon | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
J'ignore qui vous êtes, votre blog m'est tombé sous les yeux alors que je vérifiais les incongruités et autres sottises circulant sur mon dos via le Net. Affinités électives ; vous aimez TS Eliot et le jazz, ce qui me parait absolument compatible, normal, j'ajouterais. On dirait aussi que vous avez fureté du côté de chez Saatchi, pour débusquer ce Dédale & Icare auquel vous faites allusion . Merci pour ces divagations réjouissantes. Consolantes, abonderais-je, sur cette terre plate, amplement peuplée de personnages pas plus épais.
PS il y a un pauvre hère, chanteur de variétés, dont la dégaine s'apparente à celle d'un vendeur de falafels à date de péremption dépassée, lequel s'est intitulé Ycare. Avec un Y, pour faire plus mieux ou par méconnaissance de l'orthographe ?
Have a nice day
Écrit par : Sacha Ketoff | vendredi, 28 octobre 2011
Eh bien, je SUIS ce blog, entre autres choses. Et ne savais pas pour cet Ycare varyéteux.
Recevez, plus limpidement que par le texte ci-dessous, le témoignage de mona dmiration.
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Où exposez-vous ces temps-ci ?
Écrit par : Guillaume Cingal | vendredi, 04 novembre 2011
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