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jeudi, 05 janvier 2012

Ecorces

Le Jouet enragé de Roberto Arlt est l’un des derniers livres – le dernier roman – que j’ai lu en 2011.

Ecorces de Georges Didi-Huberman est le premier livre que j’aie achevé en 2012. (J’ai commencé L’Aimant de Ramon Sender le jour de la Saint-Sylvestre et ai laissé son protagoniste principal en suspens à Melilla, à trois chapitres de la fin. J’ai commencé Springer’s Progress de David Markson avant-hier et l’ai bientôt fini.)

 

 

Ecorces est un livre bref, dans lequel Didi-Huberman raconte, à partir de photographies numériques prises lors de sa visite d’Auschwitz-Birkenau, les points de vue qui se sont imposés à lui au cours de cette « déambulation ». Ce qu’il écrit de la muséification, pour Auschwitz, m’a rappelé, mutatis mutandis, ce que Renaud Camus reproche, à juste titre, aux demeures d’artistes qui se dénaturent entièrement par des ravalements, des aménagements en vue d’être visitables/visitées. Dans le cas d’Auschwitz, cela semble particulièrement douloureux, scandaleux.

Plus subtilement, Didi-Huberman remarque, avant d’élaborer, que seules trois des quatre photos prises en état de danger absolu par l’un des membres du Sonderkommando ont été élevées au rang d’artefact mémoriel par les autorités chargées de la gestion du site de Birkenau. Il a consacré il y a quelques années un essai entier, Images malgré tout, à ces quatre photos ; on ne peut que le suivre quand il écrit que, si la quatrième photographie ne représente rien des opérations de gazage, cette incapacité à représenter témoigne admirablement de la précarité de la situation du photographe : « elle témoigne du danger lui-même, du vital danger de voir ce qui se passait à Birkenau » (p. 49). Pour ce qui est des trois autres images, elles ont été recadrées, simplifiées, ce qui pousse Didi-Huberman à poser la question : « faut-il mentir pour dire la vérité ? » (p. 47)

Ce qu’il écrit, plus tôt, de la « moderne vis cruciforme » (p. 16) apposée sur la pancarte à tête de mort annonce ce qu’il écrit, vers la fin de l’ouvrage, de l’impératif de « voir malgré tout » (p. 61). Si le fil conducteur de ce bref texte d’une grande force est l’écorce de bouleau – arbre qui donne son nom à Birkenau – je n’ai pu m’empêcher de relier cette image de l’écorce-peau à la croûte de neige glacée des Récits de la Kolyma, au bûcheronnage aussi intensif qu’inexpert du Voyage au pays des Ze-Ka ou aux légumes pourris qu’évoquait Charlotte Delbo dans le tome 2 d’Auschwitz et après. Même (surtout ?) lorsqu’il n’y a rien à voir, en apparence, on imagine la matière avec une autre densité.

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