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mercredi, 02 décembre 2015

Rencontre avec Raharimanana (salle Thélème, 1er décembre 2015)

Hier soir, très belle rencontre avec Jean-Luc Raharimanana, salle Thélème, dans le cadre du foisonnant festival Plumes d'Afrique, et avec le concours du Service Culturel de l'Université.

smartphone 2011-15 902.jpg[Edit de 23 h 40 : Captation audio de Mélissa Plet-Wyckhuyse]

 

Raharimanana, seul en scène, a interprété trois textes inédits en s'accompagnant de sa valiha (harpe malgache dont il a expliqué aussi la structure et les techniques d'accordage). Après le premier texte, deux étudiants sénégalais — qu'Élodie Pelette, la master of ceremony du jour, parfaite, avait sollicités — ont lu des extraits d'Empreintes, le texte tout récemment paru aux éditions Vents d'ailleurs et qui est le pendant du spectacle élaboré au fil des années avec Miguel Nosibor, et dont j'avais pu voir une étape intermédiaire en janvier 2013 à La Riche.

La discussion fut passionnante. Raharimanana a raconté comment il est venu à la parole, au récit, à l'écriture — comment il a été influencé, jeune enfant, par la manière dont sa grand-mère faisait parler les esprits en proférant soudain des voix sans rapport avec la sienne, ou par les émeutes à l'Université et leur répression brutale, comment il a écrit d'abord des textes en marge de ses cahiers (de sciences) avant que sa mère ne lui offre un cahier vierge pour qu'il y écrive “pour de bon”, comment il s'installait dans un arbre pour lire au calme et comment de ce même arbre il a assisté, enfant, aux premières répressions de manifestations.

 

Depuis que j'ai découvert son travail, en 1998 je crois, j'ai toujours été sensible à la manière dont ses textes portent, de façon véritablement forte et singulière, la marque d'un corps, d'une voix qui se parle et nous parle ainsi par le truchement de ce soliloque en chambre d'échos. Très tôt, j'ai ressenti le besoin d'écrire à son sujet (un article ancien dans Mots pluriels, et des bribes ou résurgences éparses), puis je n'ai cessé de différer une confrontation plus profonde avec son œuvre. Pourtant, un texte comme Za (éditions Ph. Rey, 2008 — à lire absolument) m'a incité régulièrement à m'y replonger, m'y retremper. À ma demande, il en a lu quelques pages, moment très fort car c'est un texte à la fois très marqué et presque impossible à lire à haute voix. [Il y a eu, il y a quelques années à Tours, une lecture complète de Za par l'auteur et Karin Romer. I hadn't known... my loss...]

 

D'où l'on revient au texte porteur de voix, d'où que dès le début j'ai senti combien la question des genres était vaine pour lire Raharimanana : les “nouvelles” du début sont aussi poèmes en prose et monologues dramatiques, épîtres aussi et préfaces ; des textes plus récents comme Obscena ou Empreintes, explicitement désignés dans leur rapport avec la danse ou la dramaturgie, se lisent admirablement comme suite de fragments lyriques. Hier soir, il a dit qu'avant de monter, à vingt ans, sa première pièce, Le Prophète et le Président (pièce finalement interdite de représentation, épisode qui a accéléré l'exil de Raharimanana en France à la fin des années 80), il avait eu dans l'idée de monter En attendant Godot, “parce que je n'y comprenais rien”. Cela n'a rien d'une coïncidence, car je me faisais hier la réflexion que l'évolution de son travail depuis quelques années rejoint les deux dernières décennies de Beckett, avec des formes film/monologue/texte à habiter (je veux dire : que le lecteur doit réincarner).

Za, de même, est très proche, au fond, de la trilogie de Beckett (de L'Innommable notamment). Au sujet de Za, Raharimanana a dit qu'il avait beaucoup travaillé par l'écriture, en croisant syntaxe française et syntaxe malgache, mais aussi en s'inspirant beaucoup de textes en “vieux français”. C'était là une piste que je n'avais jamais décelée : à ma question, il a répondu que c'était principalement Rabelais, Louise Labé et les farces du Moyen-Âge.

Ressorti de cette soirée plus que jamais impressionné par la densité, la maîtrise, l'extraordinaire fragilité aussi de ce que cette écriture nous propose... désireux de lire l'ensemble des textes encore inédits dont il nous a donné, avec sa valiha, un aperçu frappant... frustré, plus que jamais, de ne pas avoir accès à son roman Revenir, qui devait paraître fin 2014 et qui, suite à des embrouilles éditoriales, reste en suspens... plus que jamais titillé de l'envie de reprendre Za, peut-être par le versant (ardu — annapurnien ?) de la traduction en anglais. [Après tout, j'avais fait traduire à des étudiants de deuxième année, à Nanterre, des pages de Rêves sous le linceul, le passage des ‘Fahavalo’...]

 

J'ai appris — et je le signale à l'attention de mes amis parisiens notamment — qu'il met en scène dans un mois, à Bagnolet, une sorte de suite de son Madagascar 1947, avec, une nouvelle fois, une collaboration avec Pierrot Men. Ce sera du 8 au 10 janvier.

(Rano Rano)

 

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