jeudi, 02 janvier 2025
02012025
Levé à 5 h. Pluie, et vent assez fort.
Fini de lire la réédition française de 2024 de Leben ? oder Theater ? de Charlotte Salomon (Vie ? ou Théâtre ? traduction Anne-Hélène Hoog et Michel Roubinet, Le Tripode [2015], 2024). Il s’agit d’une œuvre (livre et bien davantage que cela) absolument capitale, majeure, comme on en lit quelques dizaines au cours d’une vie. Il me semble qu’il doit être difficile d’apprécier parfaitement cela en français, car les textes, leur placement sur les feuillets peints (par calque ou directement sur la gouache) est très souvent signifiant. Que le geste pictural de Salomon s’inscrive dans l’histoire de l’expressionnisme, c’est évident, et cela participe beaucoup de la grande beauté des gouaches, mais ce n’est presque qu’un épiphénomène, car le génie est ailleurs : dans le projet, dans sa réalisation, dans la structure même de cette « opérette » tragique, dans la complexité générique, dans la reprise des mêmes événements sous deux ou trois points de vue différents, dans le récit du trauma… Il faudrait relire ce volume colossal, et lire autour. Ce qui m’a frappé, c’est la filiation/parenté entre les gouaches consacrées à l’œuvre et aux discours de Daberlohn et, d’une part Dostoïevski, d’autre part Hans Henny Jahnn : Salomon a-t-elle pu lire Perrudja ? ou y a-t-il, comme avec Musil, une communauté de création propre à l’époque ?
En faisant de rapides recherches, j’ai vu que le modèle d’Amadeus Daberlohn était Alfred Wolfsohn, dont je n’avais jamais entendu parler. Même si la fameuse lettre donnée en annexe et plusieurs gouaches même témoignent du fait qu’amoureuse de Wolfsohn, Charlotte Salomon en avait fait une sorte de modèle existentiel et même esthétique, Vie ? ou Théâtre ? raconte également la façon dont Amadeus Daberlohn abuse de la naïveté de la jeune Charlotte : c’est aussi un récit d’emprise, et les diverses manigances de Daberlohn font de lui un personnage complexe, avec une face toxique. Cela n’est pas même évoqué/envisagé dans la plupart des articles ou notices que j’ai parcourues, comme celle du colloque de 2007 organisé au centre Roy-Hart en 2007 à Malérargues.
Cela n’est qu’un des nombreux points qui font de cette œuvre capitale un ensemble d’une si grande richesse et d’une telle profondeur. Il faut lire Vie ? ou Théâtre ?
Afin d’éviter tout risque d’abandon ou d’effilochement du projet visant à consigner tout ce que j’aurai lu/vu (cf l’échec de Livres 2024 et plus encore de Musiques 2024), j’ai décidé de m’en tenir, pour l’année qui commence, à trois répertoires simples (tous (anti)datés du 1er janvier) : un pour les livres, un pour les films et séries, un pour les disques et œuvres musicales.
Hier soir, une voisine qui s’occupe des courses de notre voisine d’en face (et qui vit au 3 de l’impasse) est venue nous donner des nouvelles : à la clinique, Mme P* n’avait pas encore passé de scanner, était consciente mais incapable de parler. (Pourtant, hier, quand elle était encore étendue par terre, elle a répondu « nulle part » quand je lui ai demandé si elle avait mal.) La télé allumée avec le son à fond, les mules abandonnées en vrac dans le couloir, tout cela donne à penser – en dépit des apparences – qu’elle n’est pas tombée en se levant de son lit : aurait-elle fait un malaise ou un AVC dans sa chambre après s’y être rendue car elle se sentait mal ? Difficile d’envisager des hypothèses pour quelqu’un qui vit dans une telle confusion, et un tel bazar : à titre d’exemple de sa confusion, son lit est aux deux-tiers recouvert de numéros de la NR… La voisine du 3 de l’impasse nous a dit (mais d’où a-t-elle tiré cela ? j’étais là tout le temps de l’intervention des pompiers) que le capitaine des pompiers avait indiqué « logement insalubre » sur la fiche de prise en charge et que, même sans parvenir à contacter des proches, l’hôpital ne la renverrait plus chez elle. En tout cas, j’atteste que « logement insalubre » est un euphémisme.
07:50 Publié dans 2025, BoozArtz, Lect(o)ures, Moments de Tours | Lien permanent | Commentaires (0)
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