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samedi, 22 février 2025

22022025 (une phrase de Pessoa ?)

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Suite à une publication de l’écrivain camerounais Timba Bema, qui faisait remarquer le caractère incompréhensible d’une phrase lue dans un livre de Pessoa, j’ai mené une petite enquête sur cette étrangeté, tout en admettant que l’étrangeté est familière, avec Pessoa. Ne connaissant pas ce texte de Pessoa publié chez Cambourakis, et titillé par les remarques de Timba Bema, j’ai voulu aller vérifier le texte original.

Il se trouve que le texte ici traduit fait partie de ceux que Pessoa a écrits en anglais, sous l’hétéronyme Alexander Search, en 1907. Le texte original a donc pour titre A Very Original Dinner, comme le confirme ce site :

Clearly under the influence of Edgar Allen Poe and the nascent field of degenerate psychology, "A Very Original Dinner" was written in English by Fernando Pessoa under his proto-heteronym Alexander Search in June of 1907. It was never published during his lifetime, and only came to light in 1978 when photocopies of the typescript were reproduced in Maria Leonor Machado de Sousa’s book Fernando Pessoa e a Literatura de Ficção.

 

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D’ailleurs, c’est cette information que donne également le SUDOC. Vérification faite, la nouvelle dont est extraite la phrase en question, “The Door”, est également référencée comme écrite en anglais par Pessoa sous l’hétéronyme Alexander Search. Oui... mais Dominique Nédellec est connu pour être traducteur du portugais vers le français (je le connais surtout via les nombreux romans de Lobo Antunes lus dans ses traductions).

 

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De plus, le site de l’éditeur précise donc que la traduction a été faite du portugais vers le français. L’article de la Wikipédia lusophone ne mentionne nulle part ce texte, ni d’ailleurs l’hétéronyme Alexander Search. Le texte anglais est impossible à trouver, du moins pour le moment, en version “rippable”...

 

Une première trouvaille, tout de même : une traduction intégrale, en portugais, de la nouvelle “The Door”. Cette traduction (richement commentée et contextualisée) est l’œuvre de Maria de Lurdes Sampaio et de Marta Mascarenhas, ce qui confirme que Dominique Nédellec n’a pas pu traduire un texte portugais de Pessoa pour ces deux nouvelles ; on doit en conclure, a priori, à une erreur des éditions Cambourakis sur leur site Web (et que D. Nédellec est également traducteur de l’anglais vers le français). Dans cette traduction en portugais, la phrase qui avait fait tiquer Timba Bema (“À peine eut-elle achevé sa question que je sentis la folie gagner mon cerveau”) est ainsi formulée : “Mal ela me fez esta questão senti-me enlouquecer.” — Certes, nous comparons ici deux traductions, vu que le texte original anglais est introuvable, mais en tout cas le texte portugais est nettement moins étrange que le texte français (enlouquecer est un verbe qui signifie devenir fou, avec une préfixation fonctionnant, d’un point de vue morphologique, comme le verbe s’affoler en français). On imagine assez aisément, comme je le suggérais hier matin sur le mur de Timba Bema, que la tournure étrange est due au traducteur français, pas au texte anglais de Pessoa (qui doit donner quelques chose comme “I felt myself becoming crazy” ou, plus littéraire, “I felt myself maddening”).

 

L’enquête devra donc se poursuivre. Ce qu’il faudrait, c’est pouvoir mettre la main sur le livre de 1978 dans lequel Maria Leonor Machado de Sousa publia pour la première fois le texte anglais inédit des deux nouvelles. Et au passage, je tiens à signaler que dans l’édition Penguin de 2002 du Livre de l’intranquillité [The Book of Disquiet, traduction Richard Zenith (ça ne s’invente pas)], il y a très précisément 63 occurrences du lexème “door”.

 Comme le disaient les ordinateurs dans les années 80 : still Search-ing...

 

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