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lundi, 15 août 2005

Un beau vers (3)

La technique seule ne permet pas d’expliquer pourquoi un vers nous touche, ni pourquoi on le trouve beau. C’est d’ailleurs ce qui rend le sujet Qu’est-ce qu’un beau vers? difficile ou pernicieux. La beauté d’un vers peut naître du moment où je le lis, où je l’ai lu, où il m’a été lu ; elle peut dépendre du don, si tel recueil m’a été offert par une personne que j’aime et qu’à chaque phrase, au détour de toute métaphore se glisse opportunément le regard de cette personne, ou sa voix, ou l’odeur de sa peau.

Ce peut-être un ensemble de vers, une suite que l’on ne peut interrompre, qui a son rythme propre. Il en fut ainsi, longtemps, pour moi, du distique qui ouvre le premier poème de René Char, dans l’édition de la Pléiade :

Brûlé l’enclos en quarantaine

Toi nuage passe devant

 

Pourtant, après de longues ruminations de ce distique, je me trouvai un jour à isoler le second vers, qui vint à désigner pour moi (et je le lui disais, parfois sérieusement, parfois en plaisantant) la femme aimée, que je ne rencontrai que longtemps après ma fréquentation de Char.

Ce qui est embarrassant dans cet argument-là, c’est qu’on ne voit pas très bien en quoi il s’applique spécifiquement à la poésie, et en particulier au vers. Par exemple, une jeune fille que j’aimais beaucoup (et qui me le rendait) m’offrit, à notre séparation, Aurélien d’Aragon. Je lus le roman dans les semaines qui suivirent, conservant mes facultés critiques, mais lisant, malgré tout, malgré moi, cette belle histoire d’amour au reflet de la nôtre. Aurélien, pour autant, pour être un superbe récit, n’est pas un beau vers !

La poésie a peut-être, plus que le roman, le don de me hanter (et ne dirai-je pas ici, en lieu de me, “nous”?). Enfant, un bref poème de Bruno Dey me taraudait. Je peux encore le citer de mémoire, sans y pouvoir isoler un beau vers:

rideaux de tergal blanc

conscients du vent du soir

reviendras-tu un jour

des mots donner les sens

 

Tout au plus est-ce un beau quatrain, dont le rythme devait me préparer à la fréquentation et l’amour immodéré de Guillevic, poète remarquable dans l’œuvre de qui se trouvent fort peu de beaux vers, car le vers n’est pas, pour lui, le centre de l’expression. Peut-être une unité de mesure, un battement, un éclat de silex qui n’a de sens, de son, de stupeur, qu’au contact des autres pierrailles. (A foolish figure, peut-être, mais Guillevic est un poète étonnamment minéral, donc j’assume.)

Où en étais-je ? (Ah, qu’il est agréable, sur un sujet de dissertation, de pouvoir divaguer, prendre méandres, à tel endroit prendre racine, puis s’envoler… Peut-être mes ruminations de la décennie passée sur ce sujet (Qu’est-ce qu’un beau vers?) n’attendaient que la cristallisation de ces pages de carnétoile…)

Commentaires

Au-dehors l'arbre est là, et c'est bon qu'il soit là,
signe constant des choses qui plongent dans l'argile

Écrit par : orlando | dimanche, 19 avril 2009

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