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mercredi, 12 octobre 2005

Beaux vers… : de deux décasyllabes de Dominique Fourcade, et de l’obsession métrique

Jeudi dernier, André Markowicz parlait, dans sa conférence inaugurale à deux voix, de métrique (sa compagne, Françoise Morvan, disait qu’il est difficile de vivre avec un obsédé de la métrique, ce que je sais fort bien car je dois moi-même vivre avec un obsédé de la métrique, qui porte mon nom), et a notamment livré un développement point trop original sur le malentendu qui consiste, pour de nombreux traducteurs, à transposer les pentamètres iambiques en alexandrins, alors que, selon lui, ce vers est le décasyllabe que l’on retrouve dans la poésie de Dante, ou l’endécasyllabe du siècle d’or espagnol, etc. Il a fait remarquer que le vrai décasyllabe classique avait pour structure classique l’hémistiche après la quatrième syllabe (4-6) et non au milieu, sur quoi j’ai glissé à l’oreille de ma voisine « il n’aime pas le tarantatara » (c’est le nom péjoratif donné aux décasyllabes de forme 5-5).

Moins puriste que Markowicz, dois-je l’avouer, il m’arrive de trouver fort beaux des décasyllabes de structure symétrique 5-5. Ainsi, dans Le Sujet monotype de Dominique Fourcade, que j’ai lu le mois dernier, il y a, dans le poème intitulé “Un string, et la sorbetière”, un très beau décasyllabe de ce type :

intense besoin d’ombre sur le Net (p. 141)

Ce vers me semble beau en raison de sa structure métrique, mais aussi en raison du redoublement de la dentale [t] entre le début (intense) et la fin du vers (net) en passant par le [d] qui ouvre le second hémistiche, du jeu sur le sens français du mot net, adjectif qui perce sous le néologisme de dérivation anglaise (le net s’oppose à l’ombre, et l’“insecte net” de Valéry se glisse, du coup, sous l’“intense besoin”), enfin en raison du sens même du vers, évidemment, qui ne peut que réjouir et inquiéter d’un même mouvement l’auteur frénétique ou forcené de ce carnet de toile.

Qu’est-ce qu’un beau vers ? ne cessé-je de me demander. L’analyse que je viens de proposer de ce beau taratantara donne pour réponse : un beau vers est beau par le chatoiement des sons, la complexité des sens, l’allusion à d’autres vers, d’autres mots, et enfin par l’appel à un lecteur censé s’approprier le vers.

Un autre taratantara ouvre la section intitulée “Gingivite” :

d’énormes flocons saisissent l’espace

 

Celui-là me rappelle, par la métrique et la forme même de la description métaphorique, le vers de Saint-Pol Roux

                        Les coups de ciseaux gravissent l’air

dans lequel il décrit le vol vertical des alouettes, qu’elles accompagnent de leur chant bref et métallique.

Plus bas, à la même page (Le Sujet monotype, P.O.L., 1997, p. 123), on trouve le vers suivant :

je ne peux relier ces flocons à aucune saison

qui pose, justement, de redoutables difficultés métriques, et donc de diction. En effet, s’il y a synérèse au verbe relier, ce vers compte 14 syllabes avec une structure de type 8-6. (Le vers de quatorze syllabes, très couru par les poètes de la seconde moitié du XXème siècle, en particulier Philippe Jaccottet ou Jacques Réda, implique souvent le retour à des unités plus classiques : 10-4, 12-2, 6-8 – ou, sur le mode impair mais plus rarement, me semble-t-il : 7-7, 9-5). Mais si l’on choisit de prononcer relier en trois syllabes, la tentation est grande de distinguer tout d’abord un hexamètre (je ne peux relier) puis l’objet (ces flocons), et enfin l’objet indirect (à aucune saison), ce qui donne une structure ternaire et symétrique 6-3-6, très séduisante également, et plus conforme peut-être à la structure grammaticale de la langue française.

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