Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 04 janvier 2006

Double coup double

Je cherche une citation précise de Hervé Guibert, dans L'Image fantôme, et je tombe sur celle-ci, plus belle encore :

Mon désir va vers les personnages qui entrent intrusément dans le cadre familial. ("Photo animée", p. 50)

 

Je le parcours. Le pré reverdit de son encre noire, encore. Il faudrait citer chaque phrase de ce livre. Voilà, enfin, celle que je promis de recopier dans ce carnet de toile :

Les photos que je trouve bonnes, moi, sont toujours les photos loupées, floues ou mal cadrées, prises par des enfants, et qui rejoignent ainsi, malgré elles, le code vicié d'une esthétique photographique décalée du réel. ("Inventaire du carton à photos", p. 40)

 

Voilà une citation, qui, outre réparer un oubli, devrait contribuer à un débat.

Le pouvoir immanent des livres

Peut-être je ne les ouvrirai pas, mais peut-être aussi leur présence (petit entassement à mes pieds) s'insufflera-t-elle dans mon imagination. Je crois à ce pouvoir immanent des livres, il faut parfois les laisser clos pour qu'ils disent leurs secrets.

(Hervé Guibert. Voyage avec deux enfants. Paris : Minuit, 1983, p. 27)

Croisement / croisades

Je doute que la blogosphère - et même cette infime partie que constitue mon maigre lectorat - soit principalement composée de personnes qui connaissent le bulletin municipal de ma cité, originalement baptisé Tours.infos. Toutefois, je ne résiste pas à l'envie qui me tenaille de vous faire part des titres respectifs de deux "brèves" situées l'une à la suite de l'autre dans le n° 71 de cet étonnant canard :

La galette des rois des aînés

Obésité infantile : le dépistage

 

*************************************

Par ailleurs, j'ai reçu récemment, par le service des livres d'occasion du site américain de la Fière Amazon(e), un exemplaire d'After Theory de Terry Eagleton, et le dernier roman paru d'Abdulrazak Gurnah, Desertion (que j'ai commencé de lire et qui est superbe). Il s'agit de deux vendeurs différents, qui m'ont tous deux "refourgué", sans aucun scrupule, semble-t-il, des ouvrages portant, de manière patente, la mention suivante :

This is an uncorrected bound proof. It is not for sale and should not be quoted without comparison with the finished book.

 

Autrement dit :

Ce livre constitue le jeu d'épreuves finales sous forme reliée. Sa commercialisation est interdite. Pour le citer, il faut se référer à l'édition définitive.

 

Cela ne me gêne pas tellement, en soi, que les libraires fraudent, d'autant moins que ces éditions seront peut-être un jour recherchées et qu'elles auraient alors une valeur bibliophilique (je n'y connais rien et j'en doute). Mais, outre la question de principe, il se trouve que je suis, de par ma profession, appelé à avoir besoin de citer ces ouvrages : le dernier point, qui est mis en relief dans la troisième phrase de ma traduction, marque à quel point le fait que j'aie acheté (assez cher, car le montant exorbitant des frais de port compense intégralement le prix dérisoire du livre d'occasion) ces éditions ne me permet pas de travailler dans de bonnes conditions. Je tiens à signaler que c'est la première fois que cela m'arrive, mais deux fois coup sur coup, c'est violent.

Pour clore sur cette anecdote, je tiens à signaler que la page 54 de l'ouvrage de Terry Eagleton est entièrement blanche, ce qui, à lire la fin de la page 53 ("this downtrodden, long-despised class of men and women") et le début de la page 55 ("set of beliefs as a whole.") , n'est pas délibéré ! Si j'étais d'humeur oulipienne, je pourrais me lancer à essayer d'inventer la page manquante. Mais je crois que je vais tout simplement photocopier le passage dans un exemplaire de bibliothèque... si la pagination n'en est pas trop différente !

In the mood for translation (Lost in love)

A deux jours d’intervalle, le 30 décembre et le 1er janvier, nous avons vu deux films, qui, en leur temps, il n’y a guère, firent grand bruit et que nous n’avions jamais vus : In the mood for love de Wong Kar-wai, sorti en 2000, et Lost in translation, de Sofia Coppola, sorti en 2003. Ces deux films ont soulevé l’enthousiasme de nombreux cinéphiles, et de plusieurs de nos proches : il semblerait d’ailleurs que les amateurs du premier aient également « craqué » pour l’autre. De fait, ces deux films sont voisins, au moins dans leur refus de filmer la passion assouvie. Ce sont, de manière assez différente, des films qui ont pour sujet la rencontre de deux êtres qui se prennent, l’un pour l’autre, d’une passion progressive, forte et brûlante, mais à laquelle ils ne succombent pas.

Chacun de ces deux films a ses réussites, incontestables, mais il m’a semblé qu’il était exagéré de les avoir pareillement porté aux nues. Ce sont, en un sens, de petits films. J’entends par là, non des films de deuxième zone ou dénués de talent(s), mais des films qui manquent d’ambition : une histoire simple, traitée de manière extrêmement académique, voire conformiste (pour Lost in translation), ou précieuse (pour In the mood for love). Dans l’un et l’autre, la fin est ratée : conventionnelle et banalement « romantique » pour le film américain ; d’un mysticisme new age bien pénible dans le film taïwanais. Célébrer ce genre de films moyens montre bien combien notre époque se méfie de l’ambition, de l’élévation : rien de sublime là-dedans. Bien entendu, le sublime court le risque de l’emphase, du ridicule, ou du ratage ; mais, à tout le moins, les artistes qui choisissent de telles voies prennent des risques. Rien de risqué dans Lost in translation ; pas la moindre corne de taureau à l’horizon ; c’est gentillet.

Là s’arrête la comparaison entre ces deux films, d’ailleurs : l’un des deux est nettement meilleur que l’autre, parce que Wong Kar-wai, même avec ses excès, est un véritable artiste, un cinéaste qui donne un sens profond à chaque cadrage, alors que la fille Coppola n’a guère hérité de la vista paternelle : cadrages fades, plans ternes, direction d’acteurs très inégale. Je pourrais ajouter   – pour ne rien celer de ma réaction –   un certain agacement, de ma part, à regarder ce film qui se moque, pas si gentiment que cela, des Japonais : il semble que la passion ne puisse naître, dans cet hôtel, qu’entre deux Américains, parce que les Japonais sont minuscules et ridicules. Jamais la morgue ou l’ignorance culturelle des Américains ne fait l’objet d’une semblable satire. Que la critique française se soit montrée, dans mon souvenir, aussi unanime sur ce film aux relents xénophobes montre bien que l’antiracisme est, en notre pays, bien sélectif : tout film qui se livrerait à de semblables clichés sur les Israéliens, les nord-africains, voire, plus généralement, les Juifs ou les musulmans, serait descendu à boulets rouges. Être mesquin ou ignorant vis-à-vis des Japonais, voyons, ce n’est pas du racisme, me dira-t-on… Il y a quelques années, le succès du roman d’Amélie Nothomb, Stupeur et tremblement, avait manifesté la même absence de gêne des critiques et des lecteurs vis-à-vis de ce recueil ambulant de clichés et de lourdeurs xénophobes. Vous me direz peut-être que le vrai crime d’Amélie Nothomb, c’est d’écrire comme un pied gangréné, et là, je vous donne raison.

Pour en revenir aux deux petits films, je ne pourrais clore cette note ô combien lacunaire et subjective sans dire que, par un autre hasard tout aussi frappant, j’avais en tête, pendant ces journées, la chanson de Moby, We’re all made of stars. Il se trouve que, par ses paroles mais aussi son esthétique, cette chanson ferait, pour ces deux films, une illustration sonore très pertinente. C’est peut-être, les cimentant ensemble, cette chanson qui relèvera, dans mon souvenir, ces deux œuvres, si décevantes par ailleurs. In the mood for love et Lost in translation sont des films sur le désir amoureux – or, sans triangulation, pas de désir !

Ajout du 6 janvier : après discussion avec Arbor, je tiens à rapporter son interprétation, qui souligne combien les clichés ethnocentristes émanent surtout du personnage principal, désorienté et presque incapable de faire un pas vers les autres, lui-même cliché ambulant de l'Américain buveur de whisky. Il me semble toutefois que les clichés évidents liés à l'identité américaine font l'objet d'une distanciation ironique de la part de la cinéaste, notamment dans les scènes de filmage ou de photographie des publicités pour le whisky, justement. En revanche, les Japonais restent des étrangers sans profondeur, massés en vrac, indistincts, sans individuation. Il est possible de voir, comme Arbor, cette indistinction comme le fait du personnage principal, incarné par Bill Murray - mais je me demande si ce n'est pas là un moyen assez commode de "sauver" le film en lui refusant par principe tout dérapage idéologique. Enfin, peu importe... je ne suis pas pour qu'on relance la chasse aux sorcières, même contre les xénophobes.

(Arbor, tu as le droit de formuler ton interprétation mieux que je ne l'ai ici résumée et trahie, certainement.)

11:35 Publié dans Tographe | Lien permanent | Commentaires (4)

Valentin Conrart, deuxième

Délirant, il y a quelques jours, sur le nom fascinant du brave Valentin Conrart, j'étais loin de penser qu'il me serait impossible de trouver, sur la Toile, des textes de cet écrivain  - certes méconnu -  du XVIIème siècle. En revanche, on trouve aisément plusieurs liens vers la biographie critique et historique de Nicolas Schapira.

10:45 Publié dans Ex abrupto | Lien permanent | Commentaires (1)

Deux sourcillements

Deux motifs d'étonnement aujourd'hui : l'inepte Driout qui réécrit un sonnet de Mallarmé, Salut, parce qu'il n'a pas compris (entre autres) l'image finale ; et Google, qui apparaît en braille. Ce doit être la journée mondiale des aveugles.

Pour Driout, c'est dommage : pour la première fois de sa petite existence de minable, il avait écrit un paragraphe entier qui était assez bien vu (celui qui commence par "Jean d'Ormesson est un anti-anti-sémite"). Bien sûr, le paragraphe en question est, comme d'ordinaire, truffé de fautes de français et de fautes de style, mais la verve satirique y est assez convenablement dosée. Tout cela pour retomber, aussitôt après, dans la mégalomanie prétentieuse de bac à sable... quelle pitié !

Réveillon apollinien, et après... ?

La nuit du Réveillon, je l'ai passée dans des débuts d'insomnie, avec pour compagnie le tome I des Œuvres en prose de Guillaume Apollinaire, relisant certaines pages  - qui m'ont paru toujours aussi fortes -  de L'Enchanteur pourrissant, lisant  - pour la première fois -  le décevant et si vieilli Poète assassiné, lisant plusieurs contes (intéressants) de L'Hérésiarque & Cie, parcourant deux des Trois Don Juan que je n'avais pas lus, et qui ne sont rien d'autre qu'une pochade compilée... d'où il ressort que, malgré les efforts rhétoriques des spécialistes, et de l'auteur de l'édition en Pléiade, Apollinaire était, dans l'ensemble, un assez piètre prosateur, comme il est, d'ailleurs, des pages manquées dans ses poèmes.

La nuit qui vient de s'écouler, étouffant d'un mal de gorge renouvelé, et hanté par des musiques, des visions, des souvenirs, je l'ai passée sur le canapé, ne pouvant m'endormir, lisant certains des textes épars rassemblés par Caio Fernando Abreu dans ses Brebis galeuses (traduites posthumément aux éditions Corti). Etrange écrivain, que je ne connaissais pas. Parfois, je me demande si ses bizarreries sont liées à la traduction, ou à de réelles idiosyncrasies de style.

(La traductrice est Claire Cayron, dont il a déjà été question sur ce carnétoile, au cours d'un échange avec Alina. D'ailleurs, l'éditeur mentionne en début d'ouvrage la liste des "traductions de Claire Cayron", mais nullement les autres œuvres d'Abreu, ce qui me semble aller un peu loin, tout de même, dans la préférence accordée au traducteur. Le plus amusant est que l'on comprend fort vite, par les notes de bas de page, que de nombreux textes et romans d'Abreu sont traduits chez d'autres éditeurs ; c'est d'autant plus amusant que c'est la traductrice qui est l'auteur des notes, d'où le soupçon qui se porte alors sur l'éditeur, qui ne semble pas vouloir faire de publicité pour ses concurrents. Rien de commun, indeed...!)

Il y a, dans l'un des premiers textes, la merveilleuse image de la grand-mère tricotant un chandail qui finit par recouvrir le sol de la maison. Dans le fragment intitulé "Introduction à Passo de Guanxuma", l'image qui sert de description originelle est celle des quatre points cardinaux qui servent à distinguer les quatre points d'entrée (ou de sortie) de cette ville imaginée par Abreu et qui, à ce que je comprends, sert de décor à plusieurs de ses romans. Les quatre points cardinaux sont représentés par les quatre pattes d'une araignée fabuleuse : là encore, l'erreur entomologique, grossière, est-elle délibérée ou non ? J'en suis réduit à supposer que oui.

Halcomanie, 1

medium_halco_4.jpg
Hervé Guibert écrit, dans L'Image fantôme, quelque chose comme [je promets de retrouver la citation exacte] :
"Ce que je préfère, ce sont les photos ratées, mal cadrées ou prises par des enfants, etc."
Et ça m'arrange...