Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

dimanche, 31 mars 2013

Laps et synthèse mêmorielle

Conserver les laps, écrivait hier Valérie.

Ce qui me préoccupe le plus, dans toute l’optique d’ « archivage » propre à ce genre de sites, comme à l’existence, c’est la capacité de la mémoire à réduire des moments différents à une scène identique – le contraire de la fulgurance, l’inverse aussi (peut-être) de l’épiphanie.

Par exemple, je n’arrive pas à me rappeler si c’est Patrick McGuinness ou Gilles Ortlieb qui déclarait, il y a dix jours à peine, qu’il n’était pas intéressé par l’épiphanie, plus par la durée (et certainement par l’oubli) : cette confusion des figures relève de cet aplatissement, de cette identification que j’avais choisi de nommer, il y a déjà plusieurs années, mêmoire – concept qui donne d’ailleurs son titre à cette rubrique.

La scène identique (ou faudrait-il dire identifiée, mêmifiée, cristallisée ?) n’est pas l’objet, de ma part, d’un rejet. Si j’ai consacré de si nombreux billets, déjà, à ce phénomène de mêmoire (en ne m’en expliquant vraiment qu’aujourd’hui), c’est qu’il me semble créatif, il m’intrigue. Trop d’écrivains et même de philosophes se sont intéressés, soit au rapport (contrastif, complémentaire) entre mémoire ou oubli, ou encore à la mémoire sélective – peu, en revanche, à cet aplatissement qui me semble être, au fond, la caractéristique fondamentale de tout souvenir individuel (par souvenir, j’entends souvenance, action de se rappeler (et encore y inclus-je ce qui n’est pas action, le souvenir qui revient, la revenance)).

On le comprend, ma théorisation demeure confuse.

Pourquoi « blême », alors ? pas seulement par jeu sémiotique, pas seulement pour proposer un autre accent circonflexe sur un autre e. Il me semble que la mêmoire a justement pour fin (ni but ni conséquence, et les deux à la fois), en aplatissant et « mêmifiant » des éléments irréductibles du passé, de rendre plus pâles les souvenirs isolés, établissant à leur place un seul souvenir (fusion, synthèse ou fission). Le paradoxe, bien sûr, est que, si plusieurs souvenirs isolés ont blêmi au terme de ce processus mêmoriel, c’est pour permettre à un seul souvenir synthétique d’émerger de manière particulièrement vivace, loin de toute pâleur imaginative.

Commentaires

N'est-ce pas le principe de montage du journal de Claude Mauriac? Le rapprochement de moments identiques à travers le temps? (quoiqu'à la lecture, il me semble qu'il procède plutôt par association d'idées, une idée en appelant une autre à travers le temps).

Ce qui me permet (association d'idée!) de parler de ma propre définition de "l'aplatissement de la mémoire", qui ne serait pas une réduction de plusieurs événements à un seul, une assimilation, mais la disparition de la perspective, le fait que ce qui a eu lieu il y a vingt ans et hier est présent au même niveau dans mon esprit, mobilisable de la même façon: "un homme qui dort tient en cercle..." Mais il n'est pas nécessaire de dormir. (Là aussi, Claude Mauriac).

M'intéresse aussi la grande précision de ma mémoire (l'incapacité à oublier) mais aussi sa confusion (le transfert des détails, à la manière de ce que tu décris en écrivant " je n’arrive pas à me rappeler si c’est Patrick McGuinness ou Gilles Ortlieb qui déclarait), et l'incapacité radicale à démêler le vrai du faux, ou plutôt le réel du rêve.
Mais comment peut-on appeler "réel" quelque chose qui n'est plus? Si je me souviens avec une grande précision de quelque chose de faux (je veux dire: qui ne s'est pas passé dans tous les détails comme je m'en souviens), la précision de ce souvenir n'en fait-elle pas quelque chose de vrai en soi?
Autrement dit, n'y a-t-il pas une raison au détail faux, raison qui retrace une certaine vérité, une autre vérité? (Il y aurait cette citation de Brodsky à utiliser, aussi http://vehesse.free.fr/dotclear/index.php?2010/12/20/1898-les-ragots )

Je te mets ce lien, qui s'éloigne de ton billet mais qui aborde un aspect fascinant de l'esprit humain:
http://www.plosone.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0032998

Écrit par : VS | dimanche, 31 mars 2013

Merci beaucoup, Valérie — de l'eau à mon moulin et des mascarets !

Je ne partage pas ton expérience de "l'incapacité à oublier", et pense que Mauriac (que j'ai peu lu) a fait délibérément œuvre (façonnage) de ce que je décris comme un processus, non de rapprochement délibéré, mais de réduction inconsciente.

Merci pour les liens ; la discussion sur "mêmoire et réel" nous emmènerait trop loin pour aujourd'hui.

Écrit par : Guillaume | lundi, 01 avril 2013

Les commentaires sont fermés.