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samedi, 10 février 2007

Rhubarbe et séné, 1

Ayant malencontreusement fait une petite faute d'orthographe dans un récent commentaire sur le blog de Tinou, je me suis lancé dans quelques recherches qui m'ont fait découvrir des sites inconnus, voire insoupçonnés. En effet, j'ai écrit : "Ah, ça fait du bien, de se passer rhubarbe et senné..." Or, une rapide vérification dans n'importe quel dictionnaire m'aurait permis de corriger : "Ah, ça fait du bien, de se passer rhubarbe et séné..."

Mon erreur vient du fait que, comme d'autres, cette expression m'est connue de source orale, et principalement par la chanson de Brassens, Lèche-cocu. Petit tour par les plates bandes de Dame Google. Première stupéfaction : la plupart des sites, et notamment les plus populaires (Paroles.net, Paroles Mania), donnent une version incomplète de la chanson, où la strophe en question n'apparaît pas. J'ai fini par trouver le texte complet, que je connais (deux années d'immersion de Brassens, entre 91 et 93, ont suffi pour que je connaisse la quasi totalité des chansons sur le bout des dents), sur un site russe "consacré à la musique française" (mais, en fait, à la chanson française, ce qui n'est pas la même chose). Merci, amis russes, plus que jamais j'ai l'âme slave ! (Parenthèse à l'intérieur de la parenthèse : le site russe est peut-être le seul à donner le texte intégral de 90 chansons de Gérard Manset, car ce dernier a fait fermer tous les sites qui s'étaient arrogés ce droit.)

Détour par mon sacro-saint Robert culturel. Pour résumer, le terme séné désigne soit la pulpe des gousses de la casse, soit la plante légumineuse elle-même (du genre cassia ou casse). On m'indique aussi le séné d'Europe ou faux séné, qui appelle l'entrée baguenaudier. (C'est trop beau, on se croirait dans les textes du Mimosa de Ponge.) Le Robert culturel de citer vaillamment un bref extrait de La Cousine Bette (Balzac, toujours lui) : "Je vous passe la casse, passez-moi le séné." Cette locution littéraire serait apparue pour la première fois sous la plume de Marmontel, en 1761.

Retour aux vertes prairies de la gueuse Google. Je livre en vrac, mais moins que la satanée googleuse.

" Quoi? vous ne croyez pas au séné, ni à la casse, ni au vin émétique? " (Don Juan, III, 1).

CASSE. n. f. XIVe siècle. De l'ancien provençal cassa, « grande cuillère », « récipient, casserole », du latin médiéval cattia, « creuset, cuiller à pot ». Récipient, plat. Une casse en terre allant au four. TECHN. Instrument allant au four, en forme de bassin, de poêlon, utilisé dans les savonneries, les fonderies, etc. Casse de verrier, sorte de cuiller qui sert à enlever les impuretés à la surface du verre en fusion. (source : site du Patrimoine de France)

" On m'a pris occupant dans une affaire pour les deux parties. C'est un peu léger ; mais, dans certains cas, la chose se fait à Paris, les avoués s'y passent la casse et le séné. Cela ne se fait pas à Mantes. M. Bouyonnet, à qui j'avais rendu déjà ce petit service, poussé par ses confrères, et stimulé par le procureur du Roi, m'a trahi... Vous voyez que je ne vous cache rien. Ce fut un tollé général. J'étais un fripon, l'on m' a fait plus noir que Marat. On m'a forcé de vendre ; j'ai tout perdu." (Balzac. Le Cousin Pons, VII.)

"Nourrice de mon cœur, je suis ravi de cette rencontre, et votre vue est la rhubarbe, la casse, et le sené qui purgent toute la mélancolie de mon âme." (Le Médecin malgré lui. III, 3.)

 

On pourra également lire, avec profit, une épigramme de M. de Voltaire à Frédéric II, une explication détaillée des diverses références de Lèche-cocu sur le site Analyse Brassens. Dans une note ajoutée à L'Epidémie française, satire anonyme de 1790, on trouve une citation qui mêle le sens littéral, herboriste, et le sens figuré : "Il abandonna la casse et le séné pour faire une révolution par ses phrases."

Ce tour d'horizon ne serait pas complet si je ne citais pas une consoeur blogueuse, Animula Vagula, qui employa, il y a bientôt deux mois, l'expression se passer rhubarbe et séné (sans faute d'orthographe, elle) dans un commentaire à sa note Du côté du Salon d'Automne.

Bien... avec tout ça, je n'ai pas même commencé d'explorer les potentialités sémantiques et les richesses étymologiques de ces expressions. Ce n'est pas bien grave. Je pourrai toujours y revenir (d'où le "1" qui clôt le titre de ce billet). Ce que je peux expliquer, en revanche, c'est pourquoi j'avais imaginé d'orthographier ce terme, séné, avec deux n : sans aucun doute par analogie avec le henné.

 

Scène 1

Un salon bourgeois. Le mari est au téléphone, la femme commence tout juste à se maquiller. 

MARI - Allô, Casse-Auto 2000 ? Oui, je vous téléphone pour savoir si vous avez des rétroviseurs de R19 et des appuie-têtes de Peugeot 304 ?

(Borborygmes incompréhensibles à l'autre bout du fil.)

Comment ? Oui ? Il vaut mieux que je vous passe ma femme. C'est elle qui sait ça. (À sa femme) Oh, chérie, je te passe la casse, passe-moi le henné.

 

Tout ça pour ça ? Non, quand même pas...

mercredi, 22 novembre 2006

Le Misanthrope, revu par Martin Crimp

Deux collègues m'ayant recommandé de découvrir le dramaturge contemporain britannique Martin Crimp, je me suis (volontiers, ma curiosité étant grande) exécuté. Eh bien, ce n'est rien de rare. Si je m'arrête, pour aujourd'hui, à son adaptation du Misanthrope, on peut trouver cela rafraîchissant, bien fait, parfois astucieux. Mais enfin, cela n'invente pas grand chose, d'un point de vue strictement théâtral. Quant à la comparaison entre l'original et la copie, mieux vaut ne pas s'engager sur ce terrain glissant, car le moins que l'on puisse dire, c'est que Molière peut dormir tranquille...

La pièce a été créée en 1996 à Londres. On peut discuter et disputer à l'envi de la transposition dans le milieu contemporain des acteurs et des critiques de cinéma, comme, d'ailleurs, d'une Célimène américaine rebaptisée Jennifer et devenue star du porno soft... Il s'agit là d'un parti pris qui n'a rien de condamnable en soi. Ce qui me paraît, dans cette pièce, d'une grande pauvreté, c'est l'indigence de la langue. Crimp veut versifier, mais,  comme il ne connaît pas le b.a.-ba de la prosodie de langue anglaise, le lecteur (et je suppute que ce doit être cent fois pire pour le spectateur, et pour les acteurs censés se dépêtrer de cette glu informe) n'y voit bientôt plus qu'une suite de rimes fausses et de vers sans rythme ni raison.

Par ailleurs, Crimp choisit de simplifier les relations de pouvoir et de séduction entre personnages, et en un sens qui me semble appauvrir les ambiguïtés de la pièce de Molière : ainsi, au bilan, Alceste n'est qu'une sorte de fou dérangeant, voire de bouc émissaire qui, tout en suscitant un certain malaise chez certaines des figures qu'il côtoie, s'échappe au grand soulagement de tous. Comme c'est du théâtre, fort heureusement, on imagine que cette pièce peut être nettement améliorée par les prestations d'acteurs. À lire, en tout cas, ce n'est pas folichon, d'autant que Crimp ne résiste pas à certains clins d'oeil vraiment appuyés et qui regardent plus du côté de l'autoparodie postmoderne la plus creuse que de l'intertextualité bien sentie. Ainsi, John (le Philinte de Crimp) lance, dès la première scène, au cas où le spectateur mettrait du temps à s'éveiller de sa torpeur :

I have to say that this so-called rage

would make more sense on the seventeenth-century stage.

And surely as a playwright you're aware

of sounding like something straight out of Molière.

(Plays, 2. faber & faber, p. 109)

 

My goodness, what a light-footed gait !