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lundi, 04 février 2008

Petite nuit I

L’expression qui donne son titre au texte complexe de Marianne Alphant évoque l’insomnie, mais aussi la petite mort, que l’on n’est pas surpris de retrouver, vers les deux tiers du récit. Autant l’avouer : si j’ai choisi, en voyant l’ouvrage sur les présentoirs de la librairie Le Livre, d’acheter Petite nuit, c’est surtout parce que le nom de son auteur revient régulièrement sous la plume de Renaud Camus, en particulier dans les journaux.

J’ai créé, il y a quelques semaines, ou peut-être deux mois, une rubrique, Corps, elle absente, dans laquelle je comptais rassembler diverses remarques que suscitait la lecture du journal 2004 de Renaud Camus (Corée l’absente). Le jeu de mots homophonique est un peu « facile », et n’est pas sans rappeler tel jeu oulipien qui consiste à traduire les grands poèmes de la littérature anglaise par homophonie, le vers célèbre de Keats, ‘A thing of beauty is a joy forever’ devenant alors, sous la plume de François Le Lionnais, « Un singe débotté est une joie pour l’hiver ».


Toutefois, si je compte, dès le principe, attacher ce billet – aux préambules et circonlocutions liminaires trop longs (Wälse ! Wälse ! s’époumone Siegmund (James King sous la baguette de Karl Böhm, 1967)) – à cette rubrique, il y a de multiples raisons. Dans Petite nuit, il est question d corps de l’analysée, mais aussi du silence obsédant/tourmentant de l’analyste lacanien, seulement ponctué de « Oui ? », à la façon d’un Inquisitoire de Pinget inversé (« Oui ou non répondez »). Ce silence est d’ailleurs décrit, dans le texte même, comme la présence paradoxale d’un corps absent, au titre d’un double rapprochement audacieux entre, d’une part, l’analysée et Victor Hugo, d’autre part, le psychanalyste et l’esprit muet ou têtu de Léopoldine (Petite nuit. P.O.L., 2008, p. 192).



 

Ce qui place la question de la présence du corps au centre du texte, c’est le sujet même du récit : la lecture, et les souvenirs, souvent lointains, de lectures marquantes. Ainsi, Marianne Alphant s’interroge, au sujet des souvenirs très précis qu’elle retient de sa lecture de Villette :

« Est-ce pour ces raisons physiques – la petite fièvre, l’arrachage délicieux puis douloureux de l’épiderme durci des talons – que tout s’est à ce point gravé ? Le corps doit-il être à ce point présent – ne serait-ce que par un pied déchaussé – pour que la lecture s’inscrive à tout jamais dans la mémoire ? » (Petite nuit, p. 108)

 


Corps : well, enough said.

Elle : la troisième personne (la lectrice qui croit parler aux murs dans le cabinet du psychanalyste) a des contours fortement autobiographiques. (J'écris cela sans connaître particulièrement le "passé" de Marianne Alphant...)

Absente : l’adjectif se nourrit de l’un des paradoxes les plus puissants du texte. La lecture, mode possible de l’absence au monde par la présence aux mots, est, de toute évidence, éminemment, vécue comme une manière de se représenter le monde, ou de le peupler. Certes, la mort est ce qui met fin à l’activité de lecture, mais l’interruption est aussi ouverture, saisie de l’imaginaire :

 

« La neige, cette idée fixe, un lit mortel, une tombe : un livre – le corps engourdi, paralysé, les yeux comme absents dans la blancheur de la page, la lecture arrêtée, l’esprit ailleurs s’évadant et zigzaguant pour penser ses pensées... » (Petite nuit, pp. 207-8)

 


Reprenons au commencement (Wes Herd dies auch sei...) : quand, vendredi soir, j’ai lu les premières pages de Petite nuit, il était impossible de ne pas songer, au moins par métonymie à Est-ce que tu me souviens ? de Renaud Camus, génial centon de cinq cents pages dans lequel « aucune phrase n’est de son auteur » (et que j’ai trouvé, pour ma part, très savoureusement cocasse). En effet, l’incipit de Petite nuit est une suite de citations d’œuvres lues, de phrases fétiches retenues, à la récurrence obsessionnelle, qui font appel à la culture du lecteur : certaines appartiennent au « bagage commun » de l’écrivain et du lecteur, et d’autres non. Lecture, collage, mémoire, récurrence : comment ne pas songer, en effet, à Est-ce que tu me souviens ? (dont la version en ligne est disponible sur le site de Renaud Camus, à sa juste place dans les Vaisseaux brûlés) ?

Autre conflagration plus ou moins involontaire : j’avais lu, deux jours avant de m’attaquer à Petite nuit, les pages que Butor consacre à son bref séjour en Corée (Où. Le Génie du lieu 2), ce qui m’avait incité à me replonger dans les pages printanières de Corée l’absente. (Il m’est impossible de m’étendre à présent sur le vrai titre de Butor, sur sa typographie particulière : en effet, le u est surmonté de deux accents superposés, un aigu et un grave, ce qui forme une sorte de croix. Ce caractère n’existe dans aucun alphabet connu.)

 



Il se pourrait, à ce stade, que je donne l’impression de lambiner, de me perdre aux marges de Petite nuit ; toutefois, il se trouve que ce genre de « conflagrations », comme je viens de les nommer (ailleurs, je parle d’unissons), est aussi le sujet du livre de Marianne Alphant... comme d’ailleurs de L’Epuisant désir de ces choses, roman de Renaud Camus dont la citation ci-dessous pourrait aussi avoir été tirée :

« Lire aussi Baour-Lormian ? Acheter les œuvres de Guiraud ? Chaque livre en appelle d’autres, ouvre une piste, un désir, elle n’en finit pas de se perdre et de bifurquer – Et où irez-vous ? Ce sont les mauvais livres qui nous en apprennent le plus, lui disait Paul. » (Petite nuit, p. 139).

 


Quelques pages en deçà, il y a une citation que je voulais absolument extraire, tant elle constitue, ici, une double mise en abyme :

« Feuilleter encore ce soir Stendhal, Bougeault, la comtesse : on ne sait jamais ce qu’on prend en lisant, ce qu’on note au vol sans le savoir, les traces, l’empreinte, les inscripcions d’une vie comme dans la pierre des parapets que Rétif rayait avec sa clé. » (Petite nuit, p. 130)

 


Double mise en abyme, car Marianne Alphant y désigne le processus d’association de la lectrice par le recours à une allusion littéraire (les griffures, rayures de Restif de la Bretonne), mais aussi en raison de mon intervention dans tout cela, mon propre geste d’extirper, d’extraire, de citer des inscripcions tirées de Petite nuit.

Tant qu’à évoquer le démon de l’analogie, la façon dont une citation en appelle une autre, dont une allusion ouvre une brèche au milieu de tant d’autres pages possibles, déjà lues ou encore à découvrir, ces parapets m’évoquent « l’Europe aux anciens parapets » : la formule de Rimbaud, et son remploi par Pierre-Yves Pétillon pour l’un de ses premiers livres sur la littérature américaine. Ces « parapets » sont des parasites, oui ; mais, comme le montre magistralement Marianne Alphant, dans la remémoration des lectures, tout parasite tout. La littérature n’est qu’un vaste champ de palimpsestes, de superscriptions parasites.

(De surcroît, l’invention du Web n’a rien arrangé, comme une simple consultation de la première page de résultats de Google à la requête parapets Rétif suffira à le démontrer.)



 

Bien... Tout cela pour quoi... ? pour justifier l’absence complète de structure de ce billet ? non, cette absence est injustifiable, et n’a d’autre motif que le manque de temps (ou la paresse, qui en est le nom secret). Ce billet n’a pas de structure : aussi faut-il, pour le moment, attendre de plus amples développements (que le « I », grand Un, du titre, promet), c’est-à-dire la reprise, une à une, de toutes les citations qui ont donné lieu, sur la feuille de papier qui accompagne le petit volume des éditions P.O.L., à quelque rapide griffonnage.

(Depuis Deleuze et Guattari, aussi, le « rhizome » est l’autre nom (possible) de la paresse.)

 

Commentaires

En effet, ce billet, malgré son absence de structure (ou à cause d'elle ?) me donne bien envie de lire "Petite nuit". Et d'attendre l'opus II (I mean, "Petite nuit II" chez Tourain Serein).
La question de la présence du corps au centre du texte, qui conduit à se poser la question de la présence du texte au centre du corps.
As-tu remarqué, Guillaume, que Butor peut avoir comme anagramme "turbo" ? Et ne me dis pas que c'est rapide.
Quant à "des virgules pour Gulliver", j'ai envie de l'écrire "pour gull l'hiver"...

Écrit par : fuligineuse | lundi, 04 février 2008

Bon, bon, bon... Jez ne suis pas tout à fait certain qu'il s'agisse d'un livre pour moi, ça. Surtout en ce moment. Enfin, on verra...

(Et pour le double "Wälse !" de Siegmund, essayez donc Lauritz Melchior sous la baguette de Bruno Walter, en 1935 (je vous ferai une copie CD, si vous voulez)...)

Écrit par : Didier Goux | lundi, 04 février 2008

Amusant... quand vous avez écrit un commentaire demandant plus de détails sur ce livre, j'étais à deux doigts de vous répondre : "Ce n'est pas un livre pour vous."

Écrit par : Guillaume * | lundi, 04 février 2008

Dans ce cas, si vous confirmez... joker !

Écrit par : Didier Goux | mardi, 05 février 2008

Pour Wagner et Mechior, je ne dis pas non ;-)

Écrit par : Guillaume * | mardi, 05 février 2008

Oh et il est tout content de son petit speech le guillaume! Je suis tombé par hasard sur ce blog et ce que je peux dire c'est que trop d'analyse tue la littérature. Il faut d'abord penser aux leçons de vie, se remettre en question... chose que les enseignants ne prennent pas la peine de faire.

Écrit par : Yaël (mailto:yaelsini@yahoo.fr) | mardi, 05 février 2008

Tiens ! vous avez un p'tit Troll ! Je vous copie le CD (je pense avoir toujours votre adresse, si vous n'en avez point changé).

Écrit par : Didier Goux | mardi, 05 février 2008

Mais enfin pourquoi tout de suite cet automatisme du troll?? Savez-vous au moins exactement ce que ça désigne à l'origine?? Je ne prends pas du tout la défense de Yaël mais cette tendance un peu facile à recourir à ce terme on ne peut plus banalisé est vraiment ridicule... Certes ce commentaire présente une certaine "amertume" et je ne serais pas surpris que son auteur ait été en première ligne lors des blocages de novembre (et donc ennemi naturel de Mr Cingal), seulement cette facilité qui consiste à catégoriser en "troll" tout ce qui dépasse un peu du cadre est vraiment renversante.. La citation de C.S. Lewis me paraît une réponse bien plus appropriée que le simple mépris dont vous faites preuve..

Si ce commentaire avait été posté par un anonyme et qu'il s'était agi uniquement d'insultes débridées, là d'accord pas la peine de répondre.. Seulement, en plus de laisser une adresse, l'auteur a aussi un propos, et bien qu'il soit relativement échevelé et maladroit, il mérite peut-être mieux que ce genre de réponse, à moins que vous ne cherchiez à conforter l'auteur dans ses impressions (manifestement fausses, là-dessus nous sommes d'accord j'imagine).

Bref je m'emporte pour rien mais c'est bien le dernier endroit où je m'attendais à trouver ce genre de réaction, qui encourage au contraire la critique peu constructive, l'attaque injustifiée et sans but...

Écrit par : Jim Barris | mercredi, 06 février 2008

J'avoue que dans mes propos impulsifs il y a bien là quelques maladresses. Cela dit, étant déjà une quinquagénaire rabourgrie, me qualifier de 'petit troll' est plutôt flatteur! Cela signifie bien que ma matière grise est bien loin d'être complètement étendue, qu'il ne me reste qu'à combler mes lacunes, ce qui fort heureusement m'occupera encore un moment! En tout cas, non, je n'ai pas été en première ligne lors des blocages de novembre car je n'ai strictement rien à voir avec François Rabelais mais plutôt avec l'EHESS et je ne prends pas parti dans ce genre de mouvements. On me reconnait un côté excentrique et ecervelé, je l'avoue, mais mon côté Troll serait très amusant à développer. Je ne m'étais encore jamais imaginée dans le monde de Narnia, il n'est pas plus ad hoc de m'inventer dans le disque-monde... j'en toucherai deux trois mots à mes pairs pour qu'ils me tirent un portrait!

Écrit par : Yaël | mercredi, 06 février 2008

>Jim Barris : parce que vous, vous savez exactement ce que ça désigne à l'origine?

>Guillaume : je pense avoir déjà linké ça, mais ça me fait toujours rire : http://padawan.info/fr/politique/test_2_le_blogeois_est_une_tete_de_noeud.html
(A l'origine, comme dirait l'autre, l'appeau à troll (la pratique avant la théorie:
http://padawan.info/fr/humour/le_troll_vu_par_maester.html )

Écrit par : Zette | jeudi, 07 février 2008

Zette > Je n'ai pas cette prétention non (je doute d'ailleurs qu'il y ait UNE définition), mais ça ne désigne en tout cas certainement pas ce genre de commentateurs. Pour moi un troll est quelqu'un qui insulte bêtement et de façon répétitive, dans le seul but d'énerver et de provoquer, sous couvert de l'anonymat (en se servant la plupart du temps de pseudos multiples).

La définition de wikipedia est à peu près dans cette optique : "un troll est un internaute ou un usenaute qui poste des messages polémiques, provocants, insultants et souvent répétitifs sur des sites communautaires, comme les forums de discussion, pour susciter la colère des autres internautes ou usenautes. Les trolls utilisent souvent de nombreux pseudonymes appelés faux-nez."

Loin de moi l'idée de prendre les définitions de wikipedia pour argent comptant, mais elle me semble à peu près convenir pour la définition initiale, or on a là un commentateur amer et provocant je vous l'accorde, mais certainement pas anonyme, insultant et sans autre but que la provocation pure et simple. C'est un peu facile de dire "oh un troll" et de plier la discussion (enfin c'est mon point de vue) et ça donne vraiment l'impression à la personne en question que vous êtes exactement comme elle vous avait imaginé(e), c'est-à-dire bien trop imbu(e) de vous-même pour vous remettre en question ou vous abaisser à répondre.

Si je m'emporte un peu sur le sujet c'est parce que j'ai remarqué la facilité avec laquelle certains bloggeurs (en particulier dans la blogosphère BD) qualifient n'importe quel commentaire un peu déplacé de "troll" ce qui inclut parfois la simple critique (même quand elle est constructive). On en arrive à une sorte de diktat du commentaire qui doit rentrer dans un certain moule sous peine de se voir mis au ban par la horde des commentateurs criant "haro sur le troll"...

Bref c'est une tempête dans un verre d'eau, mais ça m'évoque un peu le comportement de certains intellectuels parisiens bien-pensants qui n'envisagent pas une seconde la possibilité d'une autre façon de penser que la leur.

Bien à vous

Écrit par : Jim Barris | jeudi, 07 février 2008

D'accord avec vous sur l'ensemble, cher Jim, mais vous concèderez sans peine, sur cet exemple précis, que, dans la mesure où
1) la soi-disant Yaël prétend avoir assisté à un séminaire qui n'a jamais existé
2) il s'agit en fait d'une personne nommée Bénédicte Zimmermann, qui invente divers griefs pour se venger de mauvaises notes que j'aurais mises à sa fille (?!)

... si ce n'est pas un troll, c'est tout de même une fieffée menteuse doublée d'une sacrée manipulatrice.

Écrit par : Guillaume Cingal, cassant et sarcastique | jeudi, 07 février 2008

Oui, après lecture de ses autres interventions et explication finale de l'"affaire", je reconnais qu'en l'occurrence le but était tout de même plus qu'autre chose la provocation gratuite, mea culpa.

Toutefois, le débat s'est montré productif puisqu'il a permis non seulement d'identifier la personne comme effectivement uniquement motivée par une rancune personnelle et partiellement affabulatrice, mais vous pouvez en plus de cela vous enorgueillir maintenant de deux nouvelles lectrices..

Bonne continuation!

Écrit par : Jim Barris | vendredi, 08 février 2008

>Jim Barris: "après lecture de ses autres interventions" : c'est souvent ça le problème.

Il y a les trolls (ceux qui viennent délibérément faire de la provocation, qui sont désagréables, impertinents, mal élevés, qui sont protégés par l'écran, qui d'ailleurs ne se comporteraient sans doute pas ainsi s'ils rencontraient les blogueurs qu'ils pestifèrent (je pense par exemple que Didier Goux ne se permettrait pas dans la réalité d'être aussi mal élevé avec les blogueuses qu'il envahit régulièrement), et puis il y a ceux qui commentent très vite, qui jugent et font de la morale sans prendre de lire un peu autour, évaluer, soupeser, lire les commentaires pour voir à quel niveau tout cela se situe.

Dans le cas présent, ce qui m'a paru extraordinairement hors de propos, c'est le commentaire de Yaël sur la "tête" de GC sur une de ses photos, la psychologie à la petite semaine, les allusions à sa famille... : cela n'avait rien d'une contradiction pesée et argumentée, que GC, Dieu sait (je dis ça parce que souvent à sa place je ne prendrais pas la peine qu'il prend), ne refuse jamais.

Écrit par : Zette | samedi, 09 février 2008

Mazette! Quelle histoire! Dès fois je vais sur votre blog et celui mister Guilbert car vous êtes bien les deux seuls profs que je connais à avoir des blogs, donc autant se tenir informé! Franchement, vous m'avez flanqué un 1/20 pour une traduction quand j'étais en licence à Tours, ça ne m'a pas empêché d'avoir mon diplôme avec mention Bien. Faut pas se plaindre c'est tout. Maintenant, je continue mes études à Toulouse en Master et j'accumule les 15 en traduction! Preuve qu'il faut pas se laisser désarmer par une sale note ou se laisser submerger par la rancoeur. J'en ai parlé à ma dirlo de mémoire quand je lui ai évoqué mon parcours, et comme elle dit, c'est un mal pour un bien! Donc Yaël, je ne sais pas si votre fille a réussi, mais souvent des notes comme celles-ci ne sont pas vraiment significatives. Il est vrai que Mr Cingal est sévère, un peu trop apparemment, mais on ne peut pas lui repprocher de faire son boulot, et puis ça devrait donner l'envie de se prouver que l'on vaut mieux que ça!

Écrit par : -M- | lundi, 18 février 2008

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