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mercredi, 12 octobre 2005

Comment je me suis senti revivre

Hier, à quatre heures et demie, après une journée déjà fatigante, six heures de cours, un aller-retour Tanneurs-Fromont avec un cartable fort lourd, sans compter plusieurs mauvaises nuits avant, il me restait une heure et demie de cours à donner, et, installé à la terrasse du Vieux Mûrier, place Plumereau, avec deux collègues, dont Irène, je me suis senti revivre, à peine la douce blondeur du demi eut franchi mes lèvres. Ma voisine m’a fait remarquer que la bière risquait de m’endormir, alors que ce verre m’a fait le plus grand bien, m’a désaltéré, relaxé, délié la langue, j’ai ensuite été d’une grande lucidité pendant ce difficile cours d’analyse de textes littéraires, tous sons et accents toniques bien à leur place, attentif ô combien aux suggestions des étudiants, j’ai rarement été aussi content du déroulement d’un cours. De retour chez moi, le soir, j’ai eu envie d’une autre bière, je me suis descendu une 1664, qui m’a également rafraîchi le gosier, aéré le cerveau. J’aurais pu repartir à la fac faire cours de neuf heures du soir à minuit !

J’ai déjà fait remarquer à plusieurs collègues qu’un ou deux verres de vin au déjeuner me mettaient dans les conditions idéales pour enseigner l’après-midi. Hypothèse non confirmée par mes interlocuteurs qui doivent voir en moi, du coup, un véritable alcoolique, alors que, chez moi, j’ouvre une bouteille de vin tous les quinze jours en moyenne, je ne prends jamais ni apéritif ni digestif, parfois une bière, mais généralement en compagnie. Donc, ce dont j’ai besoin, c’est du verre d’alcool (vin ou bière) du déjeuner avant de faire cours. Je ne suis donc pas guetté par la cirrhose !

Château du Rivau

Dimanche, après un tour au vide-greniers de Saint-Etienne de Chigny (où, en guise de marché gourmand, il n’y avait qu’une pauvre marchande de gaufres et une charcutière spécialisée dans les saucissons divers), nous avons voulu visiter la vieille église de Cravant, très belle, mais qui est fermée pour cause de travaux, puis la Sainte-Chapelle et les communs en U de Champigny-sur-Veude, qui laissent deviner combien le château du XVIème devait être grandiose. Mais ce site également était fermé, celui-là pour cause de fermeture annuelle du 1er octobre au 30 avril… Nous attendrons donc mai.

 

En revanche, le très beau et méconnu château du Rivau, au sud de Chinon, nous a ouvert ses portes. Le mieux est de citer le prospectus, fort concis et précis :

La récente réunification des communs (pédiluve, pressoir, écuries Renaissance, fontaine à bec de canette et grange dîmière) au château permet à cet ensemble architectural unique du XVe et du XVIe siècle de revivre. Les jardins du château, re-créés d’après les documents recueillis dans les archives du Rivau, évoquent les gravures du Moyen Âge et les contes de fées qui s’en sont inspirés.

 

Comme la veille, pour le château de Cinq-Mars la Pile, nous avons été bien inspirés, car le tour des jardins constitue, par un temps doux et ensoleillé, un but idéal de promenade. Toutefois, l’inspiration soi-disant médiévale signifie que les propriétaires, aidés en cela, à ce que j’ai compris, par la DRAC et le Ministère de la Culture, ont fait appel à des artistes ou artisans qui ont mis en place des installations plus ou moins astucieuses, plus ou moins jolies aussi, et dont l’une consiste en une série de nains de jardin… Tout n’est pas très beau, autant dire, quoique l’échiquier avec la famille des pots de fleurs soit assez réussi, et quoique le labyrinthe d’Alice reste fort sobre. Mais l’essentiel, sans doute, est que cela plaise aux enfants, ce qui s’est vérifié avec notre fils.

 

Sinon, la visite du château se restreint à quatre grandes salles dans le corps de logis principal. Outre les trophées, inévitables dans cette région où la tradition de la chasse à courre ne se dément pas, il y a un très bel autel en bois du XVIIème siècle. Le plafond peint de la salle dite « du festin de Balthazar » est très beau. La salle des dames est également d’une belle unité, et restaurée avec goût et finesse historique.

Beaux vers… : de deux décasyllabes de Dominique Fourcade, et de l’obsession métrique

Jeudi dernier, André Markowicz parlait, dans sa conférence inaugurale à deux voix, de métrique (sa compagne, Françoise Morvan, disait qu’il est difficile de vivre avec un obsédé de la métrique, ce que je sais fort bien car je dois moi-même vivre avec un obsédé de la métrique, qui porte mon nom), et a notamment livré un développement point trop original sur le malentendu qui consiste, pour de nombreux traducteurs, à transposer les pentamètres iambiques en alexandrins, alors que, selon lui, ce vers est le décasyllabe que l’on retrouve dans la poésie de Dante, ou l’endécasyllabe du siècle d’or espagnol, etc. Il a fait remarquer que le vrai décasyllabe classique avait pour structure classique l’hémistiche après la quatrième syllabe (4-6) et non au milieu, sur quoi j’ai glissé à l’oreille de ma voisine « il n’aime pas le tarantatara » (c’est le nom péjoratif donné aux décasyllabes de forme 5-5).

Moins puriste que Markowicz, dois-je l’avouer, il m’arrive de trouver fort beaux des décasyllabes de structure symétrique 5-5. Ainsi, dans Le Sujet monotype de Dominique Fourcade, que j’ai lu le mois dernier, il y a, dans le poème intitulé “Un string, et la sorbetière”, un très beau décasyllabe de ce type :

intense besoin d’ombre sur le Net (p. 141)

Ce vers me semble beau en raison de sa structure métrique, mais aussi en raison du redoublement de la dentale [t] entre le début (intense) et la fin du vers (net) en passant par le [d] qui ouvre le second hémistiche, du jeu sur le sens français du mot net, adjectif qui perce sous le néologisme de dérivation anglaise (le net s’oppose à l’ombre, et l’“insecte net” de Valéry se glisse, du coup, sous l’“intense besoin”), enfin en raison du sens même du vers, évidemment, qui ne peut que réjouir et inquiéter d’un même mouvement l’auteur frénétique ou forcené de ce carnet de toile.

Qu’est-ce qu’un beau vers ? ne cessé-je de me demander. L’analyse que je viens de proposer de ce beau taratantara donne pour réponse : un beau vers est beau par le chatoiement des sons, la complexité des sens, l’allusion à d’autres vers, d’autres mots, et enfin par l’appel à un lecteur censé s’approprier le vers.

Un autre taratantara ouvre la section intitulée “Gingivite” :

d’énormes flocons saisissent l’espace

 

Celui-là me rappelle, par la métrique et la forme même de la description métaphorique, le vers de Saint-Pol Roux

                        Les coups de ciseaux gravissent l’air

dans lequel il décrit le vol vertical des alouettes, qu’elles accompagnent de leur chant bref et métallique.

Plus bas, à la même page (Le Sujet monotype, P.O.L., 1997, p. 123), on trouve le vers suivant :

je ne peux relier ces flocons à aucune saison

qui pose, justement, de redoutables difficultés métriques, et donc de diction. En effet, s’il y a synérèse au verbe relier, ce vers compte 14 syllabes avec une structure de type 8-6. (Le vers de quatorze syllabes, très couru par les poètes de la seconde moitié du XXème siècle, en particulier Philippe Jaccottet ou Jacques Réda, implique souvent le retour à des unités plus classiques : 10-4, 12-2, 6-8 – ou, sur le mode impair mais plus rarement, me semble-t-il : 7-7, 9-5). Mais si l’on choisit de prononcer relier en trois syllabes, la tentation est grande de distinguer tout d’abord un hexamètre (je ne peux relier) puis l’objet (ces flocons), et enfin l’objet indirect (à aucune saison), ce qui donne une structure ternaire et symétrique 6-3-6, très séduisante également, et plus conforme peut-être à la structure grammaticale de la langue française.

La sous-littérature ? Une non-réponse.

Irène m’a demandé, sur ce blog, se jetant à l’eau, ce qu’était la sous-littérature. Elle relevait ainsi une formule pas très heureuse que j’avais employée dans mes réponses à l’un des questionnaires de Livy. J’ai beaucoup tourné, dans ma caboche, cette formule et ce que je pourrais répondre pour défendre un point de vue, qui est, d’une certaine manière, indéfendable, car il est déjà si difficile de définir la littérature que la sous-littérature semble vouloir échapper toute tentative de rationalisation objective.

Ce qui m’attriste le plus, c’est qu’Irène a enfin pris, timidement, la parole, que cela m’a fait grand plaisir, et que justement c’est à son commentaire que je peine à répondre. Bref, les lecteurs de ce carnétoile auront compris que j’ai des goûts littéraires, sinon exigeants, du moins très particuliers, ou très prononcés. Par exemple, et ce n’est pas un secret, je n’aime pas la littérature que l’on nomme « de genre » (roman policier, science-fiction, etc.). Mais ce n’est pas cela que je nomme sous-littérature.

Ce que j’ai voulu dire, c’est qu’il y a des livres, des auteurs, etc., qui ne créent rien de nouveau, qui se contentent de répéter les mêmes vieilles recettes, sans s’interroger ni sur la langue employée, ni sur la tradition dans laquelle ils s’inscrivent (ou dont ils se démarquent). C’est surtout cet aspect-là : il y a les créateurs et les épigones. Cela n’équivaut pas, stricto sensu, à mes goûts, d’ailleurs. Ainsi, je peux ne pas aimer une œuvre qui émane d’un vrai créateur et qui relève, à l’aune de ma définition, de la littérature, alors que je pourrais prendre du plaisir et lire jusqu’au bout un texte qui n’invente rien de fondamental. C’est aussi qu’il y a toute une variété de degrés, d’échelons, il n’y a évidemment pas la littérature et la sous-littérature, mais tout un entrelacs, une longue théorie d’œuvres qui peuvent, suivant le contexte, l’habileté de l’écrivain, l’intérêt du lecteur pour le sujet du livre, se situer plutôt de l’un ou de l’autre côté.

Si je cherche d’autres formules, d’autres manières d’exprimer mon point de vue, je pourrais faire remarquer que je suis à l’opposé extrême des lecteurs qui disent lire pour se divertir, ne plus réfléchir, pour s’oublier ou oublier le monde. Voilà aussi peut-être ce qui me pousse à dire que je ne veux pas perdre mon temps à lire de la sous-littérature : si je me rends compte que le livre que je lis ne m’apporte rien, ne change pas ma vision du monde, ne me fait réfléchir ni à l’art ni à la langue, alors oui, je serai tenté, sottement sans doute, de classer ce livre dans la sous-littérature…

La Pléiade de La Riche & Coco Texèdre aux Bons-Enfants

Sous un soleil toujours magnifique, je me suis rendu, pour la première fois, en ce début d’après-midi radieux, à la Pléiade, la salle de concerts de La Riche, qui est très mal fléchée et devant laquelle, sans être pourtant aveugle ni inattentif, je suis passé deux fois sans la voir : au troisième passage, ayant été renseigné par un piéton, le seul indice fut l’arrêt de bus, qui porte la mention « La Pléiade ».

Revenu à Tours, je me suis arrêté près de la place de Châteauneuf, et j’ai visité, rue des Bons-Enfants, l’exposition Coco Texèdre, dont j’avais annoncé, en fin de semaine dernière, le vernissage. C’est, de fait, une artiste digne d’intérêt. Je n’aime pas tellement les petits formats et les livres accordéons, mais les séries de tableaux de dimensions plus larges sont très convaincantes. J’ai surtout en tête les trois 38 x 58 qui se trouvent sur le pilier de gauche en entrant, les deux 38 x 108 tout à droite près de la fenêtre, la série des huit 26,2 x 75 sur le mur de gauche en allant vers le fond de la salle d’exposition, et enfin, last but not least, les trois remarquables compositions en 26,2 x 75 qui se trouvent sur le mur à droite en face de l’entrée. Je trouve que les plus grands formats offrent à l’artiste un espace plus créatif, une page plus étendue, une plage d’expression qui la contraint à des compositions plus astucieuses, plus complexes, et de cette belle hétérogénéité naît un effet visuel piquant. Ainsi, une seule de ces grandes toiles se subdivise en un cadre empli de calligraphies creusées, une barre de couleur noire, une inscription peinte deux autres cadres plus petits, etc.

Les formats moindres, plus homogènes, donnent une idée plus simpliste du projet esthétique de Coco Texèdre. Le galeriste, très gentil, avec qui j’avais déjà conversé il y a fort longtemps et qui se souvenait très bien de moi (faible fréquentation de la galerie ou excellente mémoire ? les deux, disons), m’a montré le petit catalogue qu’avait édité, lors de son inauguration, la médiathèque de La Riche autour des œuvres de l’artiste.

Il y a aussi une petite commode en bois, avec seize tiroirs cubiques en carton blanc ; chaque tiroir est affecté d’un numéro imprimé à la façon des meubles d’internat de jadis (de naguère ? de maintenant ?) et d’un bouton original (pierres, galets, morceau de bois, etc.). Il s’agit, m’a expliqué le galeriste, d’une variation autour du cabinet de curiosités. De près, pourtant, l’effet du carton blanc n’est pas terrible…

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En écoute : « Keyornew » (Mathieu Boogaerts. Michel, 2005)