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mardi, 08 décembre 2015

« Voter ne sert à rien »

J'ai la grande chance de n'avoir AUCUN contact pro-FN et de ne rien voir passer de tel, même par “amis d'amis” etc. En revanche, je vois passer tout un tas de photomontages tous plus débiles les uns que les autres, par exemple avec la tronche de Coluche : ‘si voter servait à quelque chose, ça fait longtemps que ce serait interdit’ — ce genre d'INEPTIES !!

Que les abstentionnistes qui, non contents de ne pas se terrer de honte, donnent des leçons de démocratie aient l'humilité de la fermer. Peut-être que ceux qui, comme moi, votent malgré tout sont des cons... mais au moins je ne suis pas un salaud.

Voter ne sert à rien ? c'est sûr, ça ?

Tiens, juste un exemple. Comment une fille ou une femme peut-elle écrire ça ou "liker" un post qui dit ça au lendemain des 42% de la Maréchal ? La Maréchal, je le rappelle, vote systématiquement contre les droits des femmes et a annoncé qu'elle supprimerait les aides au Planning familial. Ah bon ? on peut être une femme en 2015 et penser qu'aller voter CONTRE un parti qui veut faire replonger notre pays dans l'ère des avorteuses clandestines et des aiguilles à tricoter ne sert à rien ?

Voter ne sert à rien ? peut-être... Mais la preuve en a déjà été faite, à plus soif : ne pas voter sert à donner le pouvoir à des salauds ennemis de la liberté.

 

Ce texte, publié lundi sur Facebook, a été “liké” par 28 de mes amis, et partagé par deux ou trois. (C'est, à ma modeste échelle, un retentissement phénoménal ;) )

Quelques précisions.

Il me semble aller sans dire (mais, visiblement, rien ne doit être laissé, sur les réseaux sociaux, à l'implicite) qu'on peut être femme et désirer le retour aux avortements clandestins. Le point de départ de mon billet, c'est que j'ai vu fleurir ces espèces d'apologies décérébrées de l'abstention grâce au fait que des amies ou amies d'amies le likaient à tour d'index, et que ces amies ou amies d'amies sont de notoires fumeuses de cannabis, partisanes de l'amour libre, ferventes militantes (ou du moins derrière leur écran) du mariage pour tous, etc. 

De même, on peut être homme et tenter de penser les problèmes du monde qui nous entoure d'une manière féministe. (Je sais que c'est une position que rejette toute une frange du mouvement féministe, mais bon, peu importe, c'est la mienne : je préfère faire partie de ceux qui considèrent qu'on doit briser les plafonds de verre, lutter contre les pubs sexistes, assurer une rémunération égale aux femmes et aux hommes... que de mettre la main au paquet des gonzesses  ou gueuler “la mort au tournant” en doublant une conductrice sous prétexte que je suis un homme et qu'un homme ne peut pas être féministe.)

Pour en revenir au sujet initial du billet, j'ai lu depuis plusieurs billets très circonstanciés et argumentés expliquant en quoi l'abstention  est le seul choix laissé aux vrais démocrates. Si habiles soient-ils (et certains le sont), ils partent toujours d'une prémisse qui me semble tout bonnement fausse : les élus sont tous corrompus et ne travaillent pas au bien commun. En d'autres termes : nos représentants élus ne nous représenteraient pas. Cela est faux, tout simplement. Il y a de nombreux élus, locaux mais aussi nationaux, qui font leur travail, qui œuvrent à régler les problèmes des citoyens et, pour le dire net, assument pleinement leur mandat. Au plus haut niveau, et pour prendre l'exemple de quelqu'un que tout le monde connaît : Christiane Taubira. Si je continue, malgré tout (malgré Valls et Macron, malgré NDDL et l'état d'urgence, malgré les bonnets rouges), de ne pas regretter mon vote pour Hollande en 2012, c'est en grande partie grâce à elle, qui aurait pu, depuis longtemps, au vu des attaques ahurissantes dont elle a été l'objet, renoncer, jeter l'éponge, et qui est toujours là, au gouvernail, faisant un travail responsable, utile, progressiste.

C'est aussi — et beaucoup — pour cela que voter ne sert pas à rien.

lundi, 07 décembre 2015

« Il faut comprendre » — Non.

« Il faut comprendre les électeurs du Front National. »

Non. Ou plutôt, entendons-nous sur ce que signifie comprendre : s'il s'agit de comprendre que ce sont, au mieux, des incultes dupés, au pire des salauds, d'accord. S'il s'agit de “comprendre leur colère”, ou je ne sais quoi, non.

Non. Je refuse de “comprendre” qu'on puisse voter, en 2015, pour un parti qui fait le jeu du fanatisme religieux en rejetant les idéaux de laïcité et de fraternité.

Je refuse de “comprendre” qu'on puisse voter, en 2015, pour un parti qui vote systématiquement, depuis des années, contre tous les droits des femmes, & qui stigmatise les homosexuels.

Je refuse de “comprendre” qu'on puisse voter, en 2015, pour un parti dont le seul programme, pour faire baisser le chômage, consiste à vouloir encourager les femmes à devenir des mères de famille salariées.

Je refuse de “comprendre” qu'on puisse voter, en 2015, pour un parti qui souhaite supprimer, partout où il le peut, le budget des théâtres et des associations culturelles, pour ne rien dire des éditeurs qui publient des traductions d'auteurs étrangers.

Je refuse de “comprendre” qu'on puisse voter, en 2015 — et surtout si on est pauvre, endetté, démuni — pour un parti qui appartient à une famille de multimillionnaires multipliant manigances et fraudes fiscales.

Je refuse de “comprendre” qu'on puisse voter, en 2015 — et surtout si on est lassé de la corruption dans certains partis “traditionnels” — pour un parti dont les élus sont, proportionnellement, les plus touchés par des enquêtes relatives à des faits de corruption.

dimanche, 06 décembre 2015

13 novembre — 13 décembre

Ainsi, le 13 décembre au soir, la moitié des régions de France seront peut-être gouvernées par un exécutif Front National, par la scandaleuse ignorance et la bêtise crasse de millions de Français, mais aussi par la veulerie des appareils politiques (de droite notamment).

Ainsi, le 13 décembre au soir, un mois après les tueries de Paris, les alliés objectifs des islamistes finiront de triompher, et de préparer peut-être leur conquête du pays entier.

En effet, n'est-il pas frappant que les islamistes, qu'ils assassinent en France ou ailleurs, s'en prennent aux musulmans dits modérés, aux Juifs, aux dessinateurs anarchistes, aux amateurs de hard rock ou des discussions entre amis, mais jamais, jamais au grand jamais, aux “identitaires”, à ceux qui distribuent de la soupe au cochon aux SDF, etc. ?

Les haines, si opposées puissent-elles sembler, ont besoin l'une de l'autre pour s'entrenourrir.

Le Front National et les islamistes rejettent la liberté de pensée et d'expression, les droits des femmes, la culture au sens le plus riche et le plus complexe de ce mot. Quelle ironie — malheureusement sans surprise — que les quelques centaines de milliers d'électeurs supplémentaires du FN se soient jetés dans les bras du fanatisme anti-démocratique du FN par peur contextuelle du fanatisme religieux !

 

Ce soir, le dernier roman de Michel Houellebecq ne m'a jamais paru plus vrai, dans sa vision de notre pays et du déclin de notre civilisation.

Soumission, texte qui a été globalement incompris et dénoncé chimériquement pour son islamophobie, raconte la manière dont, pour échapper au FN, la France se soumet à une forme d'islamisme modéré. Quelque chose d'assez évident n'a pas été vu : son protagoniste est spécialiste de Huysmans, dont le grand classique s'intitule À rebours. Or, ce qui se passe en 2022 dans la France dystopique de Soumission, c'est le rebours de ce qui nous pend au nez : les Français renonçant à leurs valeurs, à leur liberté, à l'idéal d'égalité, par peur de l'islamisme et au profit des chantres (au sourire désormais propret et à la rhétorique plus aseptisée qu'auparavant) de l'exclusion, de la peur et des inégalités entre citoyens.

Soumission, comme je l'expliquais encore vendredi à des étudiants de première année (pour leur expliquer la différence entre structure narrative et point de vue d'auteur), est un roman qui ne dénonce pas, mais qui énonce, de manière très subtile et très détaillée, la démission des élites politiques et intellectuelles. En France, aujourd'hui, les universitaires ou les journalistes sont, dans leur grande majorité, prêts à pactiser avec n'importe quel régime du moment que leur petite carrière et leur vie privée ne sont pas directement affectées. Nous le verrons dès le mois prochain, quand le FN pourra influer directement, très entre autres, dans l'enseignement supérieur.

 

Jour d'urne

Hier, j'ai écrit un quinzain.

Il y avait du soleil, et puis il s'est planqué.

Ce matin, grisaille — grisaille de ce qui nous attend, et pourtant il faut s'efforcer de créer toujours la joie, l'envie. Ainsi, lire cinq livres à la fois, c'est vivre.

Écouter les chorals de Bach par Marie-Claire Alain tout en se dépatouillant tant bien que mal d'une page de Tail of the Blue Bird pour son cours de L3, c'est vivre.

Avec un mal curieux à la pomme d'Adam (ça revient de temps à autre, depuis déjà un moment), se la massant, lire dès l'aube dans la maison muette les textes de Zochtchenko traduits par André Markowicz, c'est, rencogné dans un Régence, vivre.

Et puis il faut aller voter.

Mouais.

Hier, j'ai écrit. Aujourd'hui aussi. Et j'aurai bientôt voté.

samedi, 05 décembre 2015

Petit poème überurbain

Ce n'est pas rien, hein, les amin-

Ches de se trim-

Baler un sapin

(Un Nordmann, je l'énonce bien)

À bout de bras 

De l'auvent sale et gla-

Cé à chez soi

Le gant droit de jardin

Oublié par ce con de Cin-

Gal à l'atelier, mâtin !

Après midi, pas le matin —

Rues grises, rongez le frein

D'appétits froids

Sur d'autres (encore) trottoi-

Rs.

 

 

vendredi, 04 décembre 2015

Gib's auf

Un très beau texte publié ce matin par François Bon me remet en mémoire — ou sur le chemin du — bref texte de Kafka, Gib's auf (dont voici la version allemande et, grâce à une autre partie du site de François, la version française).

 

Pour le plaisir de retrouver inactifs (“cassés”), dans quelques années, la quasi totalité de ces liens intégrés, je mets en ligne ci-dessous quelques films inspirés de cette micro-nouvelle, et dans lesquels on peut aussi (pas toujours) entendre le texte allemand.

 

...

(Il n'existe pas de coïncidence : aujourd'hui, dans l'un de mes cinq cours, celui de traductologie pour les étudiants de troisième année, nous allons plancher sur trois traductions anglaises de Matinée d'ivresse.)

 

jeudi, 03 décembre 2015

Géographie

« Ma salle préférée à La Bibliothèque de Droit est la salle de géographie car elle est vraiment silencieuse et je travaille mieux dans un petit espace. »

Ce doit être la trentième étudiante de Droit-Langues qui écrit ça, alors soit ils mentent, soit la salle de géographie n'est pas si petite que ça, soit ils sont 30 à en connaître l'existence, soit c'est par comparaison avec les salles de droit, et je ne veux pas imaginer.

09:03 Publié dans WAW | Lien permanent | Commentaires (0)

mercredi, 02 décembre 2015

Rencontre avec Raharimanana (salle Thélème, 1er décembre 2015)

Hier soir, très belle rencontre avec Jean-Luc Raharimanana, salle Thélème, dans le cadre du foisonnant festival Plumes d'Afrique, et avec le concours du Service Culturel de l'Université.

smartphone 2011-15 902.jpg[Edit de 23 h 40 : Captation audio de Mélissa Plet-Wyckhuyse]

 

Raharimanana, seul en scène, a interprété trois textes inédits en s'accompagnant de sa valiha (harpe malgache dont il a expliqué aussi la structure et les techniques d'accordage). Après le premier texte, deux étudiants sénégalais — qu'Élodie Pelette, la master of ceremony du jour, parfaite, avait sollicités — ont lu des extraits d'Empreintes, le texte tout récemment paru aux éditions Vents d'ailleurs et qui est le pendant du spectacle élaboré au fil des années avec Miguel Nosibor, et dont j'avais pu voir une étape intermédiaire en janvier 2013 à La Riche.

La discussion fut passionnante. Raharimanana a raconté comment il est venu à la parole, au récit, à l'écriture — comment il a été influencé, jeune enfant, par la manière dont sa grand-mère faisait parler les esprits en proférant soudain des voix sans rapport avec la sienne, ou par les émeutes à l'Université et leur répression brutale, comment il a écrit d'abord des textes en marge de ses cahiers (de sciences) avant que sa mère ne lui offre un cahier vierge pour qu'il y écrive “pour de bon”, comment il s'installait dans un arbre pour lire au calme et comment de ce même arbre il a assisté, enfant, aux premières répressions de manifestations.

 

Depuis que j'ai découvert son travail, en 1998 je crois, j'ai toujours été sensible à la manière dont ses textes portent, de façon véritablement forte et singulière, la marque d'un corps, d'une voix qui se parle et nous parle ainsi par le truchement de ce soliloque en chambre d'échos. Très tôt, j'ai ressenti le besoin d'écrire à son sujet (un article ancien dans Mots pluriels, et des bribes ou résurgences éparses), puis je n'ai cessé de différer une confrontation plus profonde avec son œuvre. Pourtant, un texte comme Za (éditions Ph. Rey, 2008 — à lire absolument) m'a incité régulièrement à m'y replonger, m'y retremper. À ma demande, il en a lu quelques pages, moment très fort car c'est un texte à la fois très marqué et presque impossible à lire à haute voix. [Il y a eu, il y a quelques années à Tours, une lecture complète de Za par l'auteur et Karin Romer. I hadn't known... my loss...]

 

D'où l'on revient au texte porteur de voix, d'où que dès le début j'ai senti combien la question des genres était vaine pour lire Raharimanana : les “nouvelles” du début sont aussi poèmes en prose et monologues dramatiques, épîtres aussi et préfaces ; des textes plus récents comme Obscena ou Empreintes, explicitement désignés dans leur rapport avec la danse ou la dramaturgie, se lisent admirablement comme suite de fragments lyriques. Hier soir, il a dit qu'avant de monter, à vingt ans, sa première pièce, Le Prophète et le Président (pièce finalement interdite de représentation, épisode qui a accéléré l'exil de Raharimanana en France à la fin des années 80), il avait eu dans l'idée de monter En attendant Godot, “parce que je n'y comprenais rien”. Cela n'a rien d'une coïncidence, car je me faisais hier la réflexion que l'évolution de son travail depuis quelques années rejoint les deux dernières décennies de Beckett, avec des formes film/monologue/texte à habiter (je veux dire : que le lecteur doit réincarner).

Za, de même, est très proche, au fond, de la trilogie de Beckett (de L'Innommable notamment). Au sujet de Za, Raharimanana a dit qu'il avait beaucoup travaillé par l'écriture, en croisant syntaxe française et syntaxe malgache, mais aussi en s'inspirant beaucoup de textes en “vieux français”. C'était là une piste que je n'avais jamais décelée : à ma question, il a répondu que c'était principalement Rabelais, Louise Labé et les farces du Moyen-Âge.

Ressorti de cette soirée plus que jamais impressionné par la densité, la maîtrise, l'extraordinaire fragilité aussi de ce que cette écriture nous propose... désireux de lire l'ensemble des textes encore inédits dont il nous a donné, avec sa valiha, un aperçu frappant... frustré, plus que jamais, de ne pas avoir accès à son roman Revenir, qui devait paraître fin 2014 et qui, suite à des embrouilles éditoriales, reste en suspens... plus que jamais titillé de l'envie de reprendre Za, peut-être par le versant (ardu — annapurnien ?) de la traduction en anglais. [Après tout, j'avais fait traduire à des étudiants de deuxième année, à Nanterre, des pages de Rêves sous le linceul, le passage des ‘Fahavalo’...]

 

J'ai appris — et je le signale à l'attention de mes amis parisiens notamment — qu'il met en scène dans un mois, à Bagnolet, une sorte de suite de son Madagascar 1947, avec, une nouvelle fois, une collaboration avec Pierrot Men. Ce sera du 8 au 10 janvier.

(Rano Rano)

 

mardi, 01 décembre 2015

Par les lettres, 3

La voix de Sidsel Endresen, grave et souple, presque trop belle.

“Here the Moon” —belle lurette que je n’avais pas écouté cet album, Exile.

Ce matin, on l’aura deviné, choix aléatoire arrêté à la lettre E, sur les étagères consacrées au jazz.

Je me rappelle en hypokhâgne, avoir lu ou parcouru – au C.D.I. où sévissait une cerbère – un article au sujet de Saint-John-Perse ; cet article s’intitulait ‘Trop de beauté ?’ ou quelque chose d’approchant. Il me semble que l’auteur en était un poète connu, quoique inconnue de moi alors : Jaccottet ? Steinmetz ? —— Cela m’a beaucoup marqué, m’a rendu sensible, non pas à une sorte de modération ou de tiédeur de principe, mais à la question de l’emphase poétique, de l’exagération formelle.

D’un trop-plein de beauté peut naître une forme de déséquilibre, d’inharmonie, qui rompt le lien entre le texte et son lecteur. Cette question se repose, comme parfois, avec cet album de Sidsel Endresen, que je connais très bien. (Parenthèse, encore : hier soir, écoutant fourbu au retour de l’université le tout premier album de Julien Jacob, mon fils cadet m’a demandé si c’était un nouveau disque. Il ne le connaît pas car, comme je le connais par cœur, je ne l’écoute presque plus jamais.) Il me semble, pour en revenir à Exile, que la voix de Sidsel Endresen ne m’a jamais vraiment ému, contrairement à sa presque jumelle (si différente pourtant) Susan Abbuehl. En revanche, les harmoniques de Django Bates (sur “Stages” par exemple) ou le violoncelle de David Darling (à la fin de “Quest”) sont très prenants, sans oublier la radiance irrésistible du trompettiste Nils Petter Molvær – cf le final de “Dust”, en dialogue avec l’orgue de Bugge Wesseltoft.

“Waiting Train”, plus électrique et déjanté, offrant un havre de (très relative) approximation, il en ressort que, comme l’auteur de l’article lu en 91 ou 92, je suis plus sensible à des œuvres majeures quand il y a des petits quelques choses qui dépassent.

Autre remarque, histoire de dire aussi que ce choix de la lettre E n’a peut-être pas été entièrement guidé par le hasard. Hier soir, devant l’émission préférée d’Alpha (…), Le Petit Journal, je faisais remarquer à mon épouse, tandis que vocalisait quelque pop singer danoise : tiens, tu devrais aimer, non, c’est un clone d’Agnes Obel… Boutade, évidemment, d’autant que j’aime plutôt l’univers musical soporifique fouillé d’Agnes Obel. Il n’en demeure pas moins qu’il existe une sorte, sinon d’école, du moins de forme particulière de modulation dans le chant en anglais des Scandinaves : Abbuehl, Endresen, Nina Persson (des Cardigans), Obel…

 

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Pour faire suite (ou pièce) à Exile, j’ai choisi, le jouxtant, The Individualism of Gil Evans : absolument aucun rapport… et signe encore et toujours que sur les étagères de « jazz » se trouvent des essais si dissemblables que le jazz, comme le “roman” ou le “baroque” — à des degrés divers — sont des étiquettes dissimulant de bien incommodes baggy monsters.

Ici aussi, album que je n’avais pas écouté depuis des années.

“Time of the Barracudas” : arrangement très beau, solos et volutes hallucinées de Wayne Shorter avec répons de flûtes et clarinettes, tandis qu’à certains instants on finit par n’entendre que le toucher baraqué d’Elvin Jones sur cymbales. En revanche, aucun souvenir d’avoir prêté attention à Kenny Burrell sur ce morceau (on m’aurait demandé ce que je connaissais de Burrell, j’aurais cité les trois disques que j’ai d elui en leader ou co-leader, mais pas ceci).

“The Barbara Song” : aucun souvenir, là encore. Jamais dû écouter cet album attentivement ; or, il demande une attention soutenue. Atmosphère déliée, suffocante, endormante, tour à tour lascive et poivrée.

“Las Vegas Tango”. Ce titre me paraît familier. L'aurais-je entendu ailleurs, autrement ? Le solo de trombone est extraordinaire. Le saxophoniste soprano (sans doute Steve Lacy – il y a quatre “reeds & woodwinds” répertoriés, mais qui d'autre cela pourrait-il être ?) reprend le flambeau, et ça arrache (à l'intérieur). Comment travailler, sinon s'arrêter et rester saisi ?

“Flute Song / Hotel Me”. On nage en plein cinéma des années cinquante. Gangsters, séductrices über-gaulées dans leurs jupes droites. Le piano ironise, les flûtes tentent de roucouler, on s'amuse. Parade sauvage, non.

“Nothing Like You” : machin classique de big band, gaieté factice façon West Coast, générique d'émission de radio, à oublier.

“Concorde” : arrangement qui tourne entièrement autour du “violon ténor” (?) et des solos de tuba. Épatant, si je peux risquer un anachronisme lexical (mais l'album sonne tellement sixties, it's in keeping).

“Spoonful”. — Étonnant, ce que devient le blues beau et râpeux de Willie Dixon. Kenny Burrell, à la guitare, est, il me semble, à côté de la plaque : dilettante, détaché, doucement diurne. Vous m'offrez du brouet quand j'attendais des crèmes. [Ça marche dans les deux sens. D'ailleurs, dans Les Poulpes, les collages de citations sont déroutants : on n'est même pas sûr de reconnaître ce qui est citation, et ce qui est parole inventée rapportée de tel prisonnier.] Avec la trompette, on reprend un territoire plus crevassé, on se crame les pieds à fouler des arpents dangereux. Mais enfin, le salut ne passe pas par les lettres !

Nescience

De retour de l'école, traversant ces rues, contre-allées et ronds-points de gravier sale, papiers gras ou morceaux de caddies démantibulés, j'ai observé le manège d'un jeune type sur son VTT trop petit : longeant les grandes poubelles et les conteneurs de Blue Box et Easy Cash, jetant un œil à l'intérieur... Je ne l'ai pas vu fouiller, ni en sortir quoi que ce soit, mais il m'a ensuite dépassé avant de s'enfoncer dans l'allée de gazon brunâtre jonchée de détritus et d'emballages de McDo lavés par la pluie, lui, avec son VTT, dans son survêt usé et un peu craspec, dont je ne sais pas s'il cherchait à glaner pour quelque misérable revente, ou dans l'espoir de trouver quoi pour chez lui ? du contreplaqué pour un poêle ?

Nescio.