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vendredi, 29 février 2008

Né un 29 février, il y a 100 ans

Balthus, Autoportrait (1940)

01:10 Publié dans BoozArtz | Lien permanent | Commentaires (2)

jeudi, 28 février 2008

"Trois jours sans écrire..."

   Trois jours sans écrire, je pense. Non, ce ne sont pas les belles phrases de Sankt-Petri-Schnee, dont la lecture est terminée depuis ce matin (six heures et demie), ni les mémoires de Soyinka – oh, le portrait vitriolé des époux Mitterrand ! – qui me poussent à reprendre le fil de ces billets, mais l’odeur des fleurs de mimosa. Février, fleurs de mimosa : l’odeur des pâques, l’odeur des premières journées d’avant-printemps, l’odeur du soleil en boules fleurs, l’odeur minutieuse des fibrilles jaunes que l’on peut contempler des heures durant, l’odeur landaise par excellence, l’odeur d’avant-printemps, février au mimosa. C’est l’odeur des fleurs de mimosa qui me ramène vers l’écriture, cette odeur landaise insurrectionnelle du printemps qui se rebelle pour rire contre un hiver jamais vif – à peine des nuits à moins deux ou moins trois, mais les boules jaunes du mimosa en rigolent tout le jour, tout le midi, tout le mitan du soir, février fiévreux au mimosa qui embaume.

   En ramenant ce février fiévreux jaune mimosa à l’écriture, ce sont aussi des souvenirs de lecture qui émergent, évidemment la série de poèmes que Ponge a consacrée au mimosa : ne s’y trouve-t-il pas l’adjectif floribonds ? (La bibliothèque, comme la mémoire, fait défaut.)

   Gestuelles sobres et dansantes des fleurs de mimosa qu’alanguit la brise : souples, liés, ces mouvements entièrement silencieux comme sur la scène d’un cabaret. Pas même une mouche n’ose effleurer le jeté subtil des artistes, les fleurs de mimosa. Alors, sur le visage des spectateurs se lit l’euphorie que procure, face à de tels chatoiements, un art consommé semblable à la danse des marionnettes de chair, et dont aucun trait encore n’a jailli d’un hiver de pacotille (l’odeur d’avant-printemps, février au mimosa).

 

[ 17 février ]

mardi, 26 février 2008

L'Haleine heureuse

266210561.jpgDans Les Soldats de Salamine, Javier Cercas évoque les réunions des poètes phalangistes qui se tenaient "dans les caves du café Lyon, rue Alcala, dans un endroit connu sous le nom de La Baleine joyeuse" (Actes Sud, "Babel", p. 95). Intrigué par ce nom, j'ai trouvé, dans une page Web consacrée à Fernando Sesma Manzano, une reproduction de la fresque qui a donné son nom au sous-sol du café, La Ballena Alegre en V.O.

La Ballena alegre est aussi le titre d'une émission de radio diffusée sur Radio Inter Continental, et le nom d'un camping sis sur la Costa Brava. 

710273174.jpg

 

Plus étrange, il y a une Baleine joyeuse à Villefranche-sur-Mer, dans les Alpes-Maritimes.

Mais il semble que le motif de la baleine heureuse (happy whale) soit universel.

 

Et puis... on finit par en revenir, à force de recherches, à la "Phalange authentique" (!), qui a publié, pendant plusieurs années, une revue portant encore et toujours ce même titre. Le nom de la revue conviendrait mieux, au premier abord, à un cénacle de poètes surréalistes sud-américains qu'à la version madrilène des chemises brunes, mais enfin, ne soyons pas trop cratyliens. (D'ailleurs, le titre du roman de Cercas, passablement déceptif lui aussi, nous décourage du cratylisme.)

Il est difficile de savoir si le "récit réel" de Javier Cercas participe de la réhabilitation des écrivains phalangistes, et singulièrement de Rafael Sanchez Mazas. Ce qui est un peu agaçant, aussi, c'est l'accumulation de faits et d'arguments d'autorité dont, autofiction oblige, Cercas se pense dispensé de préciser les sources : d'un certain point de vue, ce "récit réel" est trop proche des événements historiques dont il tire sa substance pour se permettre le flou du romanesque...

lundi, 25 février 2008

Moires

Dans les montagnes du Minangkabau, où sont les grandes gigantesques huttes pour femmes mariées, l’Islam traditionnel était matriarcal ; mais aura-t-il résisté, dites-nous, à la radicalisation de ces dernières années ?

 

[ 13 février 2008 ]

Quatre vies, palettes... quatre violons

« Autrefois, on disait octante, mot plus régulier que quatre-vingt, qui est une expression barbare. » (Maurice Lachâtre. Nouveau Dictionnaire Universel [1881]. p. 1190)



 

Tout comme je suis sûr d’avoir déjà lu, dans un autre livre, évoquer le Trille du diable de Giuseppe Tartini – que joue le jeune Federico au cinquième chapitre de Sankt-Petri-Schnee – , je pense n’avoir jamais entendu jouer cette œuvre. Curieusement, le Robert des noms propres (édition 1983, dernier tome, p. 3057) cite plusieurs œuvres de musique de chambre du même compositeur, mais c’est ce Trille du diable, apparemment son coup d’essai, qui est passé à la postérité.

La même édition du Robert des noms propres ignore tout de Leo Perutz, qui fut, de fait, (re)découvert en France dans les années 1980. J’ai grandi près de Tartas ; un dimanche sur deux, quand nous allions en famille voir mes grands-parents à Saint-Pierre du Mont, nous passions près de la papeterie en nous bouchant le nez. Le seul Perutz qui ait droit à une entrée du prestigieux dictionnaire est Max Ferdinand Perutz, Prix Nobel de Chimie 1962. Toujours sur la même double page 3056-7, est reproduite une scène érotique de la Tombe des Taureaux, à Tarquinia : ici même, il y a de cela quelques étés, je lisais Les Petits chevaux de Tarquinia.


 

Brefs feuilletages : je connaissais Tapiès, Tao Chi et Tanguy, mais pas Rufino Tamayo (né en 1899 à Oaxaca). Son guitariste rouge (« Le Chanteur », 1951, Musée National d’Art Moderne, Paris) ressemble à une contrebasse – ses dents à un râtelier de piano – sa main à la pince de Belzébuth.



Michel-Ange et Henry Miller ont tous deux vécu quatre-vingt-neuf ans. Cela, je l’ai appris ce matin.

 

 


[ 13 février 2008 ] 

Sankt-Petri-Schnee, premières impressions

Cela me fait plaisir de prendre le temps de lire un roman de Leo Perutz en allemand. Trop paresseux, je ne pratique pas assez souvent le latin, ni l’allemand. Ce sont plutôt des occasions.

Sankt-Petri-Schnee, que je lis, du coup, plus lentement que les précédents opus de Perutz lus en janvier, me plaît beaucoup. Les tâtonnements lexicaux auxquels je suis confronté sont surtout d’ordre adjectival. Pour le reste – et même les phrases dont la syntaxe est particulièrement alambiquée – je me laisse porter par le flot de la langue.

C’est un roman faussement simple. (Je n’en suis qu’au chapitre 6, sur les vingt-cinq que compte le roman.)

Comme souvent dans l’œuvre de Perutz, le premier chapitre situe le récit en orientant la lecture ; s’il s’agit d’une manipulation, d’une orientation trompeuse, il est permis de le supposer, mais sans certitude. Le plus admirable, pour l’instant, c’est la description de la promenade dans la vieille ville d’Osnabrück, à l’heure de midi, et de la double épiphanie du narrateur à la contemplation de la vitrine de l’antiquaire.

[ 13 février ]

Pas du tout indigeste

Nicolas Sarkozy, l'idole de Juan Asensio, dégringole dans les sondages d'opinion.

Comme un malheur n'arrive jamais seul, le malheureux Stalker, qui s'imagine sans doute que ses accumulations d'adjectifs comminatoires et caniveliers ne suffisent pas à lasser ses (rares) lecteurs, a décidé de publier tous ses billets sans jamais aller à la ligne.

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Edit de 15 h 05 : les paragraphes sont revenus comme par enchantement. Curieusement, c'est toujours aussi pesant. Trop fort, ce Stalker !

dimanche, 24 février 2008

Jardin privé exclusivement réservé à l’immeuble

Jardin privé exclusivement réservé à l'immeuble

       Si tu ne sais à quelle source puiser l’inspiration, il te suffit d’ouvrir ton dossier de photographies, et la moindre image banale d’un site entrevu quotidiennement ou presque suffit à raviver l’envie d’écrire. Ainsi, prends cette image dont le centre névralgique – le punctum aurait dit Barthes – est un panneau à lettres blanches sur fond rouge vif : combien de peupliers dénombres-tu ? combien de branches affaissées à faire des cheveux au saule ? Quel est cet arbre dépenaillé et dégingandé qui occupe le premier plan, à gauche du panneau ? Et, au fond, est-ce un épicéa ?

Récemment, tu t’es mis à photographier des saules. Rien, d’ailleurs, n’est plus difficile que de photographier un arbre – ou un groupe d’arbres – sans être ennuyeux. Les arbres, que l’on peut contempler des heures durant en tournant autour, ou en les scrutant depuis un banc, requièrent, dans le passage à l’image, une sorte de mise en scène qui les dramatise, qui accentue leur présence. Ils crèvent le ciel, ils épuisent le regard, mais ils ne crèvent pas l’écran, ne débordent pas du cadre. C’est curieux.

D’ailleurs, comment savoir si l’avertissement ne vaut pas aussi pour les photographes, et s’il n’est pas interdit aussi de prendre des clichés de ce jardin exclusivement réservé ? Photographier un sens interdit, c’est déjà s’engager sur la pente glissante.

Jardin privé

samedi, 23 février 2008

Un genre mineur

Faire mine : creuser.

Depuis deux ans, il s’est contenté de donner de petits coups de pioche à la surface de la terre dure et rocheuse. Ce n’est pas ainsi qu’il fera jaillir des pépites !

Bien entendu, à chacune de ses lectures, il remarque telle ou telle occurrence du verbe faire mine de, ou de l’expression figurée une mine de, notamment – pour sa plus grande confusion – dans les textes traduits d’une langue étrangère. Qu’il ait été question, dans le projet initial, de possession, ou de l’art des troubadours, cela ne semble même plus lui effleurer l’esprit.

Dans une existence idéale – mais malheureuse, peut-être bien – qu’il pourrait consacrer entière à l’écriture, il aurait pu prendre ses aises et aller vivre, pendant quelques mois, en Anjou, histoire d’arpenter, de sillonner les moindres recoins des territoires significatifs. Peine perdue que de rêver.

Le livre éparpillé reste un genre mineur.

[ 13 février 2008 ]

mardi, 19 février 2008

De dos

Tournedos à la forestière

Stalles de l'abbatiale de la Trinité, Vendôme.

dimanche, 17 février 2008

Sens aigu de la propriété

Refus de partager


Il n'y a pas si longtemps, pour pouvoir accéder aux magnifiques stalles de la cathédrale d'Amiens, il fallait attendre qu'un vieux fou ouvre le lourd portail avec la clef qu'il était seul à détenir, puis subir sa "visite guidée", toute en approximations et en imbécilités dignes de figurer dans les meilleures anthologies. Un jour, nous l'entendîmes, un ami et moi, décrire comme suit la sculpture, très belle et sobre, représentant Joseph et la femme de Putiphar : "elle ressent ce que les femmes ressentent dans ces cas là... pire que les fumerolles du Kamchatka... vous voyez, c'est plus chaud qu'un film X, il y a des godasses dans tous les sens..."
Une autre fois, quand je m'y trouvai avec mes parents, il avait lancé au public déconcerté : "quand vous aurez admiré notre belle cathédrale d'Amiens, vous pourrez aller voir la catastrophe de Beauvais".
Une autre fois encore, comme, selon notre ordinaire, nous refusions délibérément d'écouter ses sornettes et préférions admirer les détails des stalles, nous nous entendîmes semoncer de la belle façon : "on n'ouvre pas les stalles pour flâner mais pour écouter quelqu'un".

J'espère que ce vieux schnock ne sévit plus à la cathédrale d'Amiens, et qu'il n'a pas trop dégoûté de touristes dans sa carrière de mufle professionnel.


Le détail ci-dessus représente, en une légère discrépance ici encore hommage à Isou, une miséricorde de l'abbatiale de la Trinité (Vendôme, Loir-et-Cher).

vendredi, 15 février 2008

De la cornemuse...

Cornemusier


Yet to give some light into the business, I'll e'en tell you what had been anciently foretold in the matter by a venerable doctor, who, being moved by the spirit in a prophetic vein, wrote a book ycleped the Prelatical Bagpipe.  What d'ye think the old fornicator saith?  Hearken, you old noddies, hearken now or never.
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D'où ces trois phrases sortent-elles ? Non ?!? Si ! De la traduction du Cinquième Livre de Rabelais publiée en 1653, et signée par Sir Thomas Urquhart of Cromarty et Peter Antony Motteux.
Aussi, dans ce fil : "Les vezes, bousines et cornemuses sonnèrent harmonieusement." (Le Quart Livre, 1552)

La miséricorde, elle, provient (toujours) des stalles de l'abbatiale de la Trinité, à Vendôme.

mercredi, 13 février 2008

Vendanges tardives

Foulon tenté

Stalles de l'abbatiale de la Trinité (Vendôme, Loir-et-Cher).

lundi, 11 février 2008

Petite nuit III : l'aplatie

À la suite de la longue litanie des symptômes caractérisés par le "a privatif", la protagoniste de Petite nuit est ainsi qualifiée : "Aplatie sur le divan, gisante, inerte, prostrée, muette..." (p. 31). L'aplatie est-elle aussi un symptôme substantif ?

Au jeu de mots possible répond, tout près de la fin du livre, le lien métaphorique entre l'inertie passive (clouée) et l'impossibilité d'agir (enchaîner) :

"Il est donc capable de réconforter, calmer, parler, il peut étreindre ? Elle reste là, clouée. Il revient.

Oui ? dit-il en se rasseyant.

Impossible d'enchaîner. " (p. 227)

 

 

samedi, 09 février 2008

Petite nuit II : sac-à-papier

" Maman, que veut dire schismatique, sac-à-papier, schlague ? qu'est-ce qu'un zouave ? le knout ? un jaunet ? des brodequins ? Elle suspend un instant la lecture, lève les yeux vers les petites filles, le knout est un fouet, finissez ce que vous avez dans l'assiette sinon je ferme le livre. "

(Marianne Alphant. Petite nuit. P.O.L., 2008, pp. 35-6)

 

Dans les souvenirs des premières lectures, les mots sur lesquels on bute, qui demeurent obstinèment opaques, ressortent de manière particulièrement vive. Ainsi, je me rappelle être resté pantois devant un Pouah ! tout à fait incompréhensible, au beau milieu de l'une des premières pages du premier "vrai" livre que je lus seul, Les Aventures de Jojo Lapin.

Pouah !


Sinon, ce passage du livre tout récemment paru de Marianne Alphant m'évoque, par son style, certains textes de Robert Pinget, en particulier les romans "monologiques" (Le Fiston), à moins qu'on n'y retrouve la voix toute en diaprures de Monsieur Songe (Du nerf). La piste Alphant-Pinget ne semble guère briller par son évidence, à moins qu'on ne pense au truchement de Beckett : après tout, Marianne Alphant fut, l'an passé, avec Nathalie Léger, commissaire de l'exposition Objet Beckett.

L'expression sac-à-papier est aussi, si l'on en croit Olivier, l'une des interjections distinctives de Tryphon Tournesol.

Saule pleureur, farouche de février

Bords de Loire 096

Tours, bords de Loire, jeudi 7 février.

jeudi, 07 février 2008

Saules pleureurs, jaunes de janvier

Il y a huit jours, un mercredi de grisaille et de bourrasques, je photographiai les saules pleureurs des bords de Loire, ceux dont les branchages sont à la hauteur des promeneurs de la rue des Tanneurs et de la place Anatole-France.

Aujourd'hui, il faisait un grand soleil, un ciel bleu magnifique, et il faisait même bien chaud, au soleil.

Moi qui, pour de sombres histoires de voiture laissée chez le garagiste, ai marché, entre deux travaux, pas loin de deux heures, je n'ai pas eu, débordé, le temps de "développer" les photographies ensoleillées de ce jeudi de février, et encore moins d'écrire quoi que ce soit d'un peu construit, d'un peu constant.

Saules pleureurs de la place Anatole Fance, 30 janvier 2008

mercredi, 06 février 2008

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12cd4ee7f6530fbe29f2e7618207b2a1.jpgComme Renaud Camus a publié hier, sur son site de photographies, une vue de la tombe de Cecil Day Lewis, plus connu sous son nom de plume (et de Poète Lauréat), C.S. Lewis, en précisant que "Cecil Day Lewis avait demandé à être enterré à proximité de Thomas Hardy, qu'il admirait frénétiquement", je me suis replongé, non sans l'avoir cherché dans les rayonnages de la bibliothèque-placard où se trouvent la plupart de mes ouvrages de langue anglaise, dans le volume bleu lagon des Poems que ma mère m'avait ramené il y a une dizaine d'années d'un de ses séjours à Bristol. Outre que la poésie de C.S. Lewis ne m'avait laissé à peu près aucun souvenir, j'étais tout de même rassuré de voir que jamais C.S. Lewis ne semble mentionner le nom de Thomas Hardy, ni faire la moindre allusion au grand écrivain des Wessex Tales. De façon assez caractéristique, la lecture de ce volume m'a donné, rétrospectivement et donc trop tard, un nombre non négligeable d'arguments pour contrer l'idée, formulée par Eric en marge du colloque Poets & Theory que nous organisions ensemble il y a une dizaine de jours, selon laquelle les poètes américains contemporains se posaient nettement plus de questions théoriques que leurs collègues britanniques. Toutefois, cette lecture ne remet pas en cause le constat relatif au conservatisme à peine imaginable des poètes "reconnus" de l'aire insulaire.

Mais enfin, pour ce qui est de Thomas Hardy, pas l'ombre d'une allusion, m'a-t-il semblé. C.S. Lewis a donc dû exprimer son admiration dans d'autres textes, en prose, ou lors de discours, ou encore, si cela se trouve, dans des poèmes qui ne sont pas rassemblés dans ce volume bleu lagon. Pourtant, les références ne manquent pas : Milton, Donne, Marvell, Hugo, Roy Campbell et tant d'autres, sans qu'il s'agisse toujours d'admirations unanimes, d'ailleurs.

Ce matin, je lisais un peu au hasard des poèmes de Wallace Stevens. Le simple titre Asides on the Oboe ("Apartés pour hautbois") a suffi à me ramener à Oxford, où je découvris vraiment la poésie de Wallace Stevens, en 1995-96, mais où je lus beaucoup aussi l'épais volume des Poèmes complets de Norge, emprunté (me semble-t-il me souvenir (mais c'est curieux car je pillais surtout les rayonnages de St Anne's et de Lady Margaret Hall)) à la bibliothèque de la Maison française. Je me revois, dans la semi-obscurité douce et feutrée, penché au-dessus de l'une des somptueuses tables de bois verni de la bibliothèque de LMH (qui restait ouverte sept jours sur sept et toute la nuit), lire des poètes de la Renaissance française (Mellin de Saint-Gelais) et de la Renaissance anglaise (Spenser), avant d'aller me promener longuement dans les University Parks, où, dès le printemps, les matchs de cricket commencèrent de refleurir, ou d'errer dans les pubs, à découvrir les centaines de bitter différentes, longues errances aussi de cloître en cloître, de college en college, de quad en quad.

Ce que Soyinka écrit, dans You Must Set Forth at Dawn, de sa première année passée en Angleterre (et de la fadeur de la nourriture anglaise), et que j'ai lu hier soir avant de monter me coucher, ne doit pas être étranger à cet afflux d'images du passé, sans oublier combien la lecture récente de Petite nuit a remis en branle l'analogie entre le souvenir du livre lu et le chronotope de la lecture, le moment même où l'on se revoit face à tel livre, à telle heure précise, dans telle lumière.

Enfin, pour ceux qui ne comprennent pas que cultiver son jardin n'est pas nécessairement synonyme de "mégalomanie", je laisse justement le mot de la fin à C.S. Lewis :

All this is flashy rhetoric about loving you.

I never had a selfless thought since I was born.

mardi, 05 février 2008

Les trois traits noirs du souci

N'ayant pas eu le temps de retourner visiter l'exposition "Julio Gonzalez en famille", n'ayant pas eu le temps de poursuivre mes forages dans l'univers sombre et livresque de Petite nuit, je me contente (les yeux crépitant de petits signes gris anthracite (pages de Soyinka)) de reproduire un dessin de l'artiste espagnol, un dessin de 1936 :

Julio Gonzalez, Dessin de 1936.

lundi, 04 février 2008

Petite nuit I

L’expression qui donne son titre au texte complexe de Marianne Alphant évoque l’insomnie, mais aussi la petite mort, que l’on n’est pas surpris de retrouver, vers les deux tiers du récit. Autant l’avouer : si j’ai choisi, en voyant l’ouvrage sur les présentoirs de la librairie Le Livre, d’acheter Petite nuit, c’est surtout parce que le nom de son auteur revient régulièrement sous la plume de Renaud Camus, en particulier dans les journaux.

J’ai créé, il y a quelques semaines, ou peut-être deux mois, une rubrique, Corps, elle absente, dans laquelle je comptais rassembler diverses remarques que suscitait la lecture du journal 2004 de Renaud Camus (Corée l’absente). Le jeu de mots homophonique est un peu « facile », et n’est pas sans rappeler tel jeu oulipien qui consiste à traduire les grands poèmes de la littérature anglaise par homophonie, le vers célèbre de Keats, ‘A thing of beauty is a joy forever’ devenant alors, sous la plume de François Le Lionnais, « Un singe débotté est une joie pour l’hiver ».


Toutefois, si je compte, dès le principe, attacher ce billet – aux préambules et circonlocutions liminaires trop longs (Wälse ! Wälse ! s’époumone Siegmund (James King sous la baguette de Karl Böhm, 1967)) – à cette rubrique, il y a de multiples raisons. Dans Petite nuit, il est question d corps de l’analysée, mais aussi du silence obsédant/tourmentant de l’analyste lacanien, seulement ponctué de « Oui ? », à la façon d’un Inquisitoire de Pinget inversé (« Oui ou non répondez »). Ce silence est d’ailleurs décrit, dans le texte même, comme la présence paradoxale d’un corps absent, au titre d’un double rapprochement audacieux entre, d’une part, l’analysée et Victor Hugo, d’autre part, le psychanalyste et l’esprit muet ou têtu de Léopoldine (Petite nuit. P.O.L., 2008, p. 192).



 

Ce qui place la question de la présence du corps au centre du texte, c’est le sujet même du récit : la lecture, et les souvenirs, souvent lointains, de lectures marquantes. Ainsi, Marianne Alphant s’interroge, au sujet des souvenirs très précis qu’elle retient de sa lecture de Villette :

« Est-ce pour ces raisons physiques – la petite fièvre, l’arrachage délicieux puis douloureux de l’épiderme durci des talons – que tout s’est à ce point gravé ? Le corps doit-il être à ce point présent – ne serait-ce que par un pied déchaussé – pour que la lecture s’inscrive à tout jamais dans la mémoire ? » (Petite nuit, p. 108)

 


Corps : well, enough said.

Elle : la troisième personne (la lectrice qui croit parler aux murs dans le cabinet du psychanalyste) a des contours fortement autobiographiques. (J'écris cela sans connaître particulièrement le "passé" de Marianne Alphant...)

Absente : l’adjectif se nourrit de l’un des paradoxes les plus puissants du texte. La lecture, mode possible de l’absence au monde par la présence aux mots, est, de toute évidence, éminemment, vécue comme une manière de se représenter le monde, ou de le peupler. Certes, la mort est ce qui met fin à l’activité de lecture, mais l’interruption est aussi ouverture, saisie de l’imaginaire :

 

« La neige, cette idée fixe, un lit mortel, une tombe : un livre – le corps engourdi, paralysé, les yeux comme absents dans la blancheur de la page, la lecture arrêtée, l’esprit ailleurs s’évadant et zigzaguant pour penser ses pensées... » (Petite nuit, pp. 207-8)

 


Reprenons au commencement (Wes Herd dies auch sei...) : quand, vendredi soir, j’ai lu les premières pages de Petite nuit, il était impossible de ne pas songer, au moins par métonymie à Est-ce que tu me souviens ? de Renaud Camus, génial centon de cinq cents pages dans lequel « aucune phrase n’est de son auteur » (et que j’ai trouvé, pour ma part, très savoureusement cocasse). En effet, l’incipit de Petite nuit est une suite de citations d’œuvres lues, de phrases fétiches retenues, à la récurrence obsessionnelle, qui font appel à la culture du lecteur : certaines appartiennent au « bagage commun » de l’écrivain et du lecteur, et d’autres non. Lecture, collage, mémoire, récurrence : comment ne pas songer, en effet, à Est-ce que tu me souviens ? (dont la version en ligne est disponible sur le site de Renaud Camus, à sa juste place dans les Vaisseaux brûlés) ?

Autre conflagration plus ou moins involontaire : j’avais lu, deux jours avant de m’attaquer à Petite nuit, les pages que Butor consacre à son bref séjour en Corée (Où. Le Génie du lieu 2), ce qui m’avait incité à me replonger dans les pages printanières de Corée l’absente. (Il m’est impossible de m’étendre à présent sur le vrai titre de Butor, sur sa typographie particulière : en effet, le u est surmonté de deux accents superposés, un aigu et un grave, ce qui forme une sorte de croix. Ce caractère n’existe dans aucun alphabet connu.)

 



Il se pourrait, à ce stade, que je donne l’impression de lambiner, de me perdre aux marges de Petite nuit ; toutefois, il se trouve que ce genre de « conflagrations », comme je viens de les nommer (ailleurs, je parle d’unissons), est aussi le sujet du livre de Marianne Alphant... comme d’ailleurs de L’Epuisant désir de ces choses, roman de Renaud Camus dont la citation ci-dessous pourrait aussi avoir été tirée :

« Lire aussi Baour-Lormian ? Acheter les œuvres de Guiraud ? Chaque livre en appelle d’autres, ouvre une piste, un désir, elle n’en finit pas de se perdre et de bifurquer – Et où irez-vous ? Ce sont les mauvais livres qui nous en apprennent le plus, lui disait Paul. » (Petite nuit, p. 139).

 


Quelques pages en deçà, il y a une citation que je voulais absolument extraire, tant elle constitue, ici, une double mise en abyme :

« Feuilleter encore ce soir Stendhal, Bougeault, la comtesse : on ne sait jamais ce qu’on prend en lisant, ce qu’on note au vol sans le savoir, les traces, l’empreinte, les inscripcions d’une vie comme dans la pierre des parapets que Rétif rayait avec sa clé. » (Petite nuit, p. 130)

 


Double mise en abyme, car Marianne Alphant y désigne le processus d’association de la lectrice par le recours à une allusion littéraire (les griffures, rayures de Restif de la Bretonne), mais aussi en raison de mon intervention dans tout cela, mon propre geste d’extirper, d’extraire, de citer des inscripcions tirées de Petite nuit.

Tant qu’à évoquer le démon de l’analogie, la façon dont une citation en appelle une autre, dont une allusion ouvre une brèche au milieu de tant d’autres pages possibles, déjà lues ou encore à découvrir, ces parapets m’évoquent « l’Europe aux anciens parapets » : la formule de Rimbaud, et son remploi par Pierre-Yves Pétillon pour l’un de ses premiers livres sur la littérature américaine. Ces « parapets » sont des parasites, oui ; mais, comme le montre magistralement Marianne Alphant, dans la remémoration des lectures, tout parasite tout. La littérature n’est qu’un vaste champ de palimpsestes, de superscriptions parasites.

(De surcroît, l’invention du Web n’a rien arrangé, comme une simple consultation de la première page de résultats de Google à la requête parapets Rétif suffira à le démontrer.)



 

Bien... Tout cela pour quoi... ? pour justifier l’absence complète de structure de ce billet ? non, cette absence est injustifiable, et n’a d’autre motif que le manque de temps (ou la paresse, qui en est le nom secret). Ce billet n’a pas de structure : aussi faut-il, pour le moment, attendre de plus amples développements (que le « I », grand Un, du titre, promet), c’est-à-dire la reprise, une à une, de toutes les citations qui ont donné lieu, sur la feuille de papier qui accompagne le petit volume des éditions P.O.L., à quelque rapide griffonnage.

(Depuis Deleuze et Guattari, aussi, le « rhizome » est l’autre nom (possible) de la paresse.)

 

Perutz, Poitiers, saules, lentes dédicaces

Comme je voulais aborder l'écriture du (long, peut-être) texte que je veux consacrer à Petite nuit de Marianne Alphant, j'ai ouvert le document Word où j'écris certains textes avant de les publier dans l'un ou l'autre de mes carnétoiles, et j'y retrouve ces bribes, datées du 19 janvier dernier et jamais publiées / franchement oubliées :

19 janvier, déjà, minuit quinze, je ne m’endors pas du tout.

 

        Le seizième chapitre de Turlupin est parfaitement hilarant. Leo Perutz, dont le goût du roman historique – même déconstruit – me semblait un peu fade, sur les premiers chapitres, est maître dans l’art de faire dérailler progressivement, mais non sans une violence jubilatoire, un récit de prime abord anodin. (Il y a aussi la façon dont, subrepticement, « la danse de Toulouse », p. 104, me rappelle « la jambe de Poitiers », octobre 2003.)

        Autour du titre. D’emblée : Je crache des gauloiseries. Avant, il y eut turlupiner, dont je crus lire que l’expression française était « ça me turlupiline » (j’avais sept ans, mettons, ou huit). Turlupin était, nous apprennent les dictionnaires, un auteur de comédies vite populaire pour l’inanité de ses calembours en dessous de la ceinture (ou, en adaptant à la mode du dix-septième siècle, ses mots proches du haut-de-chausses). Le nom de Tirelupin, dans Gargantua, a fait couler beaucoup d’encre : les auteurs du Robert culturel y consacrent d’ailleurs un encart instructif.

        (Accessoirement, le lecteur vagabond finit par apprendre qu’en français du Québec et d’Acadie, la turlutte n’est pas ce qu’on pense. Cela dit, il n’est pas indifférent que le substantif turlupin soit encadré par turgescence et turlute.) Ça, c’était autour du titre. De pleines bouchées de mots crus...


 

Julio Gonzalez, Les saules (1925).


Pour tout compliquer, j'illustre ce billet au moyen d'une photographie de l'exposition "Julio Gonzalez en famille" [Julio Gonzalez. Les saules, 1925. (Ils n'ont pas l'air de saules, mais bon... la pâte prend l'ascendant...)].

samedi, 02 février 2008

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Me suis ébouillanthé, mais le russe fort a des atouts, côté migraine.

Rêve de C., la nuit dernière : des pentathlètes doivent traverser à la nage une mare pleine de crocodiles toutes dents dehors, mais, en vue de faire diversion et de permettre aux sportifs de ne pas se faire dévorer, un organisateur marche au bord du rivage avec, en guise de chaussures, de fausses pattes de dinosaure.

Julio Gonzalez, rose/rouge & Petite nuit (version allongée)

Courrier international : il ne me reste, à lire, que le long article sur Sucre. (Je suis en avance sur mon organisation habituelle.) Le match de rugby ne m'intéresse pas ; surtout, le canapé n'est pas, contrairement à la table de la salle à manger où je procède à mes recherches sur Julio Gonzalez (dans L'Art au XXe siècle des éditions Taschen, en deux volumes, que j'ai accoutumé de nommer "le Rose/Rouge"), et où se trouve cet ordinateur, situé derrière les vitres que chauffe le soleil.

(Oui, je lis (aussi) Petite nuit de Marianne Alphant.)

Pour les auteurs du "Rose/Rouge", Julio Gonzalez est ni plus ni moins que "le père fondateur de la sculpture en fer" (p. 470). Lors de mon parcours trop rapide de l'exposition du Château de Tours, hier après-midi, j'avais été séduit par les dessins du rez-de-chaussée, puis tout à fait impressionné par la masse imposante des ouvrages, monographies et catalogues raisonnés exposés dans les vitrines du premier étage. Un retour s'impose, comme je le pressentais.

Brunehaut, notre voisine, qui joue de plus belle, et depuis des heures, des mélodies pas vraiment solaires : est-ce Schumann ou Debussy ? (Pas de Gnossienne aujourd'hui.)

Julio Gonzalez au Château de Tours I

Ce sont peut-être trente ou quarante billets que j'aurais voulu écrire, dans les pages de ce carnétoile, au cours de ces jours de vaches maigres. Une migraine atroce me martèle aux tempes. Avant de visiter, en coup de vent (et en passant entre les averses), l'exposition Julio Gonzalez en famille au Château de Tours, je n'avais (shame on me) jamais entendu parler de Julio Gonzalez, et encore moins, bien évidemment, de son frère Joan, mort jeune (à quarante ans), ou de sa fille, Roberta, huiliste, dont les toiles occupent tout le deuxième étage du Château. On est toujours l'inculte de quelqu'un. De retour à la maison, après un cours de thème dans une salle surchauffée qui a achevé de me plonger dans les bras de la sinusite (a foolish figure), j'ai pu vérifier, dans mon bon vieux L'Aventure de l'Art au XXe siècle (sous la direction de Jean-Louis Ferrier. Chêne/Hachette, 1990), l'étendue des dégâts : Julio Gonzalez y est cité pas moins de sept fois, dont deux petits articles à lui seul consacrés, avec deux reproductions de ses sculptures (la Tête aiguë de 1927 et le Masque de Montserrat criant de 1941).

Si tu as si mal que ça à la tête, je ne comprends pas que tu puisses rester comme ça devant l'ordinateur...

Feuilletant L'Aventure de l'Art au XXe siècle, je me suis retrouvé à méditer sur La Patience de Braque, sur mon rapport ancien mais conflictuel avec la peinture de Baranoff-Rossiné, et, enfin, à découvrir l'histoire savoureuse du Coucher de soleil sur l'Adriatique de Joachim -Raphaël Boronali. C'est d'ailleurs cette anecdote qui m'a conduit (en chantonnant in petto la chanson de Jean Ferrat ("Il est au milieu d' la route / Le stupide aliboron / On dirait qu'il nous écoute / Avec sa têt' de cochon")) à vérifier l'étymologie du substantif/sobriquet aliboron, d'où la citation qui va clore ce modeste et foutraque billet et qui peut renvoyer tant au Livre des mines quà mes lectures récentes d'Orhan Pamuk (encore que, dans Istanbul, Gautier ne soit guère évoqué) :

" Ces ânes étaient harnachés de bâts, de tétières et de croupières agrémentés de dessins en petits coquillages de différentes couleurs et n'avaient pas la mine piteuse de nos pauvres aliborons qui se sentent plaisantés. "

(Théophile Gautier. Constantinople. 1854.)

 

Si tu as si mal que ça à la tête, je ne comprends pas que tu puisses rester comme ça devant l'ordinateur...

[The story of my life.]