lundi, 31 octobre 2016
Du bled d'Alfred, village mondial.
J'ai découvert Tierno Monénembo en 1995, un peu par hasard, je m'en souviens fort bien : j'avais acheté Pelourinho pour 10 francs chez le bouquiniste du haut de la rue d'Ulm. Depuis, j'ai presque tout lu de lui. Seules exceptions : Les écailles du ciel, Peuls (pas réussi à le finir), Le roi de Kahel (toujours en attente quelque part sur une pile de livres à lire).
Pelourinho est le premier roman de Monénembo dans lequel il raconte la diaspora africaine – ou, plus exactement : dans lequel il fonde un récit complexe sur les allers-retours entre communautés africaines et communautés issues de la diaspora. À l'époque, un certain nombre de choses avaient dû m'échapper, aussi parce que je ne connaissais rien (et ce n'est guère mieux aujourd'hui) aux rites religieux animistes tels qu'ils ont été « acclimatés » au Brésil.
Depuis, il semblerait que Monénembo ait choisi de dresser, roman après roman, une cartographie de la présence africaine dans le monde : Cuba dans le précédent roman, la France de 39-45 dans Le terroriste noir… et donc l'Algérie des années 60 aux années 90 dans ce nouveau livre, sobrement (sobrement ? ça reste à démontrer) intitulé Bled.
Dans Bled, on retrouve un récit à la première personne (avec une narratrice, ce qui n'est pas si fréquent chez Monénembo), et ce style faussement familier, faussement relâché, qui est caractéristique de l'écrivain, et qui ressortit, selon moi, d'une forme de maniérisme du je-m'en-foutisme : Monénembo veut absolument donner l'impression qu'il écrit ou qu'il compose par-dessus la jambe. Or, la composition, par exemple, est aussi savante que subtile. Ainsi, le récit de Zoubida commence – au présent – alors qu'elle est encore cloîtrée chez la vieille Karla, ce qui donne l'illusion que toute l'histoire est racontée rétrospectivement depuis ce point temporel ; pourtant, Zoubida est arrêtée à la fin de la IIe partie, et les six chapitres de la IIIe partie racontent son incarcération, puis sa libération et sa vie loin de tout, dans une oasis, avec son libérateur, Arsane Benkirane. Ce parti pris donne un dynamisme supplémentaire au récit : implicitement, le lecteur perçoit que Zoubida raconte son histoire au fur et à mesure qu'elle la vit, mais au passé.
Autre élément qui renforce l'impression de foutoir tout au long des deux premières parties : l'alternance, d'un chapitre à l'autre, non entre deux voix narratives, mais entre deux moments différents de l'histoire (la vie de Zoubida adolescente à Aïn Guesma et l'histoire de sa fuite et de son enfermement dans le bordel-prison de Mounir). Ce dispositif, qui n'a rien de très original mais qui achève de confondre les différentes personae de la narratrice, est tout à fait efficace.
Enfin, et ce point est sans doute le plus énigmatique, le destinataire. En effet, Zoubida Mesbahi s'adresse, dès le début et sans jamais changer d'interlocuteur, à Alfred le Camerounais. Or, plus on avance dans le roman, plus le rôle réel d'Alfred dans ce qui est arrivé à Zoubida paraît marginal. Elle affirme que son arrivée à Aïn Guesma – et l'amitié improbable qui est née entre Papa Hassan et lui – a tout déclenché, mais le lecteur tiers (nous, donc) ne peut s'empêcher d'y voir soit une fixation (une lubie) de la narratrice, soit un effet de discours émanant de Monénembo lui-même : il fallait que cette histoire algérienne s'adressât à un Camerounais. En effet, le récit de Zoubida ne fait pas mystère du fait qu'il y avait bien d'autres destinataires possibles que ce Camerounais coincé à Aïn Guesma (« Un gros oued Rhiou te sépare du Cameroun, définitivement. », p. 182) : son père, Papa Hassan, ou sa mère ; Loïc, le père de son premier enfant et la cause de sa fuite (« mon géologue de Quimper », p. 191) ; Arsane, le visiteur de prison qui lui fait découvrir la littérature et finit par lui permettre de recouvrer la liberté après l'avoir épousée ; Salma, « la fofolle de Bourgoin-Jallieu » (p. 81)…
Pourquoi donc un Camerounais, que tous les habitants d'Aïn Guesma prennent d'abord pour un Congolais (par exemple p. 32) ? Une des hypothèses les plus évidentes est que Monénembo cherche à montrer par là la réalité de la mondialisation et des échanges culturels : il faut que Zoubida s'adresse au Camerounais et que ce soit lui, le plus « étranger » peut-être à la situation de l'Algérie depuis les années 50, qui serve, symboliquement, de point de départ, de détonateur de l'histoire. C'est là une des antiennes de l'œuvre de Monénembo, et on la retrouve formulée de différentes façons, à divers points du récit. C'est le personnage d'Arsane Benkirane qui s'en fait notamment l'écho : « Il est temps, dit-il, de réconcilier les différents organes de notre corps : notre sang arabe, nos veines berbères, notre langue française, nos lèvres de nègre, notre front de Turc, notre pif de Juif... » (p. 189)
Cette apologie systématique autant que systémique du métissage et de l'interculturalité a tendance à paraître plaquée. Sans doute l'écrivain a-t-il raison de penser qu'il faut sans cesse reprendre ce fil et montrer en quoi les cultures ne sont pas des isolats, mais l'idéologie se trouve ainsi forcée de déclamer à l'avant-scène. Ce défaut – qui n'en est pas vraiment un, disons que, et c'est un avis tout à fait personnel, je trouve ça lourdingue – n'est pas nouveau dans la prose de Monénembo.
Pour en revenir à l'énigme du destinataire, il y a une autre hypothèse, moins idéologique, moins explicite, et plus séduisante au fond : que Zoubida, sans jamais le dire, soit tombée profondément amoureuse d'Alfred le soir où il a surgi dans sa vie après s'être embourbé dans la neige et avoir été secouru par Papa Hassan. Pourquoi continuer d'écrire ce livre possible (p. 199) et de s'adresser à Alfred ? Elle qui a été initiée par Arsane à la littérature, à une multiplicité d'auteurs de continents si différents, sait très bien ce qu'elle fait ; c'est elle qui donne, avec l'écrivain, l'impression de raconter pêle-mêle, sans véritable objectif. Pourtant, ce qui ne peut manquer de ressortir de la lecture de Bled, c'est que le titre même du roman est une abréviation du nom de son destinataire, du personnage le plus important pour Zoubida : Bamikilé Alfred. Longue lettre ouverte d'un amour dissimulé ?
Le fourre-tout apparent du récit, de la déconstruction dynamique des récits, sert donc de contrepoint au « délicieux fourre-tout » que constitue, selon Arsane, la littérature :
« Lis-les comme ils arrivent ! N'obéis qu'à ton appétit ! Ne t'occupe point de ranger. Surtout pas rayonnages dans ta jolie petite tête ! Laisse ça aux ébénistes et aux érudits ! Dis-toi que la littérature est un extraordinaire festin, un délicieux fourre-tout. Goûte à tous les plats, pêle-mêle selon tes goûts, selon tes envies ! » (p. 170)
Cette injonction joyeuse reprend d'ailleurs la leçon autant culinaire qu'esthétique du livre de Monénembo qui m'a le plus marqué, Un attiéké pour Elgass.
Tierno Monénembo. Bled. Seuil, 2016.
11:28 Publié dans Affres extatiques | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 21 octobre 2016
allongés dans le lierre doux...
Hagetmau, 21.10.2015.
allongés dans le lierre doux
dont je nous ai fait une couche
à boire de ce bourret roux
servi au flingue et à la louche
nos mains repassent sur le houx
puis s'abreuvent à cette bouche
la peau reprise par la toux
sous le vergne du pré de l'Ouche
était-ce un rêve mon regard
happé à plaquer ton rencard
artifice de la démence
des cadences pour le pavois
& ce moment en rien grivois
barbouiller l'ombre m'ensemence
07:11 Publié dans Sonnets de janvier et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 20 octobre 2016
Vallée des singes, Romagne
Dans la Vienne, chaque année, souvent à l'automne d'ailleurs, y revenir.
La Vallée des singes, zoo atypique au charme fou, il nous faut tout de même plus d'une heure et demie pour y aller (et pour en revenir). Alpha, certes, qui a désormais quinze ans, ne nous épargnerait pas cette visite annuelle, mais nous n'avons pas trop à nous forcer.
Toujours quelque chose de neuf : hier, par exemple, l'observation des atèles à face rouge dans leur nouveau territoire, ou des varis à ceinture blanche — puis, même le groupe de mandrills joue toujours une pièce de théâtre différente. Nous avons aussi vu, lors du deuxième passage, les bonobos dehors, en quatre groupes différents (la fameuse fission-fusion)... dont un groupe de quatre au faîte des arbres, fort haut.
Notre première visite remonte au 11 juillet 2005, et je n'en avais pas parlé ici. Alpha nous disait hier à table qu'il se rappelait du nourrissage des gorilles (mémorable Yaoundé) et du territoire des saïmiris (à l'époque, il n'y en avait qu'un, il me semble). Entre 2005 et 2011, nous n'y sommes pas retournés, mais, depuis le 11 novembre 2011, c'est comme un pèlerinage — je l'ai dit, Alpha ne nous en ferait pas grâce.
Hier, il y avait beaucoup de Néerlandais, tout un car même.
En 2011, je ne saurais dire, mais nous étions restés deux jours dans le Poitou, en louant une petite maison dans un joli village dont le nom m'échappe. (Je ne retrouve même pas avec les photos ; il faudrait une archéologie informatique plus poussée.)
23:48 Publié dans Blême mêmoire, Hors Touraine | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 19 octobre 2016
Sonnet en émoticônes, VI
09:00 Publié dans Sonnets de janvier et d'après | Lien permanent | Commentaires (1)
mardi, 18 octobre 2016
Binturongs & fossas
Lorsque je joue au ping-pong
Ça ruine ma permanente.
La toute jeune binturong
Est enfin sortie, près de Nantes.
************
Faire des selfies hideux
Est malaisé sous un dolmen.
Deux fossas viennent de
22:20 Publié dans Quatrains conversationnels | Lien permanent | Commentaires (0)
Traduire “fembot”
Un bon exemple, pour renouveler mon stock pour le cours magistral que je consacrerai fin novembre, dans le cadre du cours de première année de Documentation*, à la question des ressources lexicographiques en ligne (monolingues, bilingues, multilingues), c'est le nom composé amalgamé fembot**.
En effet, si les dictionnaires bilingues Larousse en ligne ne connaissent pas le terme, c'est le cas de la plupart des ressources habituelles (Collins ou IATE). Wordreference reste pareillement muet, à l'exception d'une discussion très marginale sur le forum, et Linguee ne répertorie quasiment aucune occurrence (ce qui est plus étonnant).
Le site le plus disert reste Reverso, surtout dans son interface contextuelle. Toutefois, les nombreuses phrases en contexte n'ont, en regard, que des traductions manquantes, fausses ou peu convaincantes : tout au plus serais-je tenté d'emprunter cybernana et de le moderniser en cybermeuf. Finalement, des traductions “sèches” proposées en haut de page, femmebote et robote, seule la seconde peut sembler convenir. Cela requiert, toutefois, un certain discernement : rien de tout cuit ici.
L'aller-retour entre la version francophone et la version anglophone de la Wikipédia suggère une équivalence trop restrictive ou trop technique (gynoïde).
À qui voudrait traduire le titre de la chanson de Zappa, “Fembot in A Wet T-Shirt”, que conseiller ? L'anglicisme (une fembot en t-shirt mouillé) ? Robote dans un t-shirt mouillé ? Une cybermeuf ?
* Triple génitif, I know.
** Oui, je suis en train de réécouter Joe's Garage de Frank Zappa.
19:16 Publié dans Pynchoniana, Translatology Snippets, WAW | Lien permanent | Commentaires (4)
Onze saints rares (18 octobre)
Le très saint et très pieux Acuce
Aime énormément qu'on le suce.
Qu'attendiez-vous, amis, c-
Omme rime à ce limerick ?
Qu'il se fît défoncer l'anuce ?
♠♣♦♥♥♦♣♠
Mon autruchon se nomme Amable,
Et je le trouve très affable.
L'autre jour à Autrèche
Il a trouvé la brèche
Et s'est enfoui enfin la tête dans le sable.
♠♣♦♥♥♦♣♠
Un jeune athlète, Asclépiade,
Participant aux Usépiades,
Après avoir bataillé
N'a pas fini médaillé :
Désormais, nous devons subir ses jérémiades.
♠♣♦♥♥♦♣♠
Disciple de Socrate, Eutyque
Est à fond pour la maïeutyque.
Son ami Hermès
— Le fait-il exprès ? —
Goûte plutôt l'herméneutyque.
♠♣♦♥♥♦♣♠
Enrhumé, Kermidolis
Se gave de propolis.
Contre les boutons de moustyque,
Son professeur, Eutyque,
Lui aura conseillé plutôt les rossolis.
♠♣♦♥♥♦♣♠
Un peintre, Marynos,
Étant né albynos,
Un jour a dit « Je n'ose
Évoquer ma cyanose —
D'ailleurs je dois faire pleurer le mérynos. »
♠♣♦♥♥♦♣♠
Un vieux libidineux, Monon,
Trouve ma femme trop canon.
Ne t'en approche pas,
Ou ton panier-repas
Je te le fais avaler, avec ton lorgnon !
♠♣♦♥♥♦♣♠
Photographe très doué, Procule
Aime saisir le crépuscule.
Qui trouve donc cucu
Et n'est pas convaincu
Par mon limerick ? que je le désarticule !
♠♣♦♥♥♦♣♠
Un zoophile nommé Taxe
A le désir qui se désaxe.
Il atteint son climax
En matant les addax,
Et en dépeçant les spalax au scramasaxe.
♠♣♦♥♥♦♣♠
Une fleuriste, Tryphonia,
Est spécialiste en mahonia.
« Je suis toujours déçue
Car les clients, pauvres, cossus,
Veulent des géraniums ou bien des bégonias. »
11:24 Publié dans Limericks du martyrologe | Lien permanent | Commentaires (4)
Sonnet en émoticônes, V
05:46 Publié dans Sonnets de janvier et d'après | Lien permanent | Commentaires (2)
lundi, 17 octobre 2016
Deux distiques ribéryens anciens (retrouvés & abstrus)
On a trouvu bien gras des canards le gavage
Et über-dégueu la mitaine de lavage.
*******
Il a craspec son boléro Nico Mesplède
Du négoce bestiaux et transport palmipèdes.
14:54 Publié dans Distiques ribéryens | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 16 octobre 2016
Changement de bannière
Il est temps de dire adieu à l'épigraphe qui accompagne ces carnets verts depuis quelques mois, pour en saluer une nouvelle (que vous apercevrez donc à partir de ce 16 octobre au soir sous le titre Touraine sereine), et, ce faisant, copier une dernière fois, pour archivage, cette belle phrase de Bergounioux :
« Nous ne serons pas éternellement les otages des ténèbres. »
23:21 Publié dans Ex abrupto | Lien permanent | Commentaires (1)
Cinq saints rares du 16 octobre
16 octobre 2013.
Un naïf du nom de Bercaire
Aime beaucoup Cora Vaucaire.
Il sait qu'on dit en teuton
Gesang pour la chanson
— Et le trafic se dit fercaire.
╝╗║╣╣║╗╝
Un néo-iznogoud, Eliphe,
Voudrait être caliphe en place du caliphe.
Afin que stressé il soit moins,
On lui a conseillé le joint
Car rien ne vaut, pour se relaxer, un bon spliphe.
╝╗║╣╣║╗╝
Un étudiant de lettres, Konogan,
Ne se lave pas trop le catogan.
Il y a plus de jooing
Chez lui que de shampooing —
Il ne passe jamais son korogan.
╝╗║╣╣║╗╝
Un chanteur prénommé Momble
Fait, à tous les coups, salle comble.
(Un de ses amis, Lull,
Le trouve pourtant null,
Ce qui n'est pas l'avis des fans de Momble.)
╝╗║╣╣║╗╝
Un vieux chasseur, Saturien,
Qui n'avait jamais lu Le Voyage d'Urien,
Lança « Cornegidouille !
Toujours, je reviens bredouille :
Vraiment, ce fusil, ça tue rien ! »
10:22 Publié dans Chèvre, aucun risque, Limericks du martyrologe | Lien permanent | Commentaires (0)
De rouille & d'os Sur mes lèvres
Hier soir, nous avons regardé en famille — ou presque : Oméga ayant neuf ans, il est encore un peu jeune — De rouille et d'os. Il se trouve que, plus tôt dans la semaine, C* et moi avions regardé Sur mes lèvres, du même Audiard, et que nous ne connaissions pas non plus.
Une première chose m'avait frappé avec Sur mes lèvres : deuxième partie longuette, scénario tirant trop vers l'histoire criminelle poussive (au lieu d'exploiter toute la relation des deux protagonistes au travail, qui donne les meilleures scènes du film). Bien aimé quand même, mais je me suis fait la réflexion que, alors que j'avais beaucoup aimé Regarde les hommes tomber, adoré De battre mon cœur s'est arrêté, et été très impressionné par Un prophète, ce film d'Audiard ne me faisait, au fond, ni chaud ni froid.
Hier soir, plus âpre déception encore. De rouille et d'os succombe, non seulement à l'incapacité de son auteur à faire court, à couper au montage afin que son film ne s'englue pas dans des considérations de deuxième ordre, mais aussi à un story-telling tout à fait hollywoodien : tout, dans la façon dont les itinéraires de Marie et d'Ali se déroulent en parallèle avant de se croiser, puis leurs aventures (et surtout leurs mésaventures), est raconté de façon conventionnelle, conformiste. On sait à chaque instant ce qu'il va se passer ensuite : ils vont baiser, le gosse va se noyer etc. Et du coup, bien sûr, on s'en contrefout. Ajoutez à cela l'invraisemblance totale des trois scènes d'accident (dans la scène de l'accident qui vaut à Marie d'être amputée, les orques auraient attaqué la dresseuse et elle serait carrément morte (fin du film)) ; dans la scène où Ali dérouille* salement, il ne peut suffire que Marie se pointe avec ses jambes en métal pour qu'il prenne le dessus et achève la scène sans même une plaie ; dans la scène de la noyade, eh bien, le temps seulement que le père coure jusqu'au trou d'eau dans la glace, l'enfant est déjà mort normalement, donc NON, il ne peut pas être à peine vaguement mal en point le lendemain...), et comprenez pourquoi on ne s'interroge même plus : on regarde passer le temps en regardant un film...
Si j'écris ce billet, c'est surtout parce que je ne sais pas, compte tenu de ce que je viens de noter, si mes enthousiasmes passés pour les films d'Audiard viennent d'une différence réelle dans la qualité de ces différentes œuvres, ou si c'est moi qui me suis blasé, ou si j'avais surévalué De battre mon cœur... à l'époque — je me rappelle l'avoir vu au cinéma, et, en en discutant après, un ami m'avait dit qu'il trouvait ça trop long, tirant sur la corde, hystérique.
Donc, seule façon de clore ce billet ——— ?
* Ah tiens, je n'avais pas compris le titre du film, qu'Alpha a dû m'expliquer (oui, ça s'arrange tous les jours...)... mais en écrivant cette phrase, je me demande si le jeu de mots n'est pas sous-entendu par Audiard. (Après tout, c'est quand même le fils Audiard** !)
** Faut pas confondre les Michel Audiard (avec des canards sauvages).
08:43 Publié dans Questions, parenthèses, omissions, Tographe | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 15 octobre 2016
Huit saints rares du 15 octobre
Un adolescent, Barsès,
Voudrait devenir Yann Barthès.
Ce n'est pas seulement
Son humour, son talent,
Mais sa coiffure et son faciès !
ÞÞÞÞÞÞÞÞÞÞÞ
Je connais un type, Cannat,
Qui chaque jour un pan bagnat
Engloutit.
L'agouti
N'est pas plus goulu que Cannat.
ÞÞÞÞÞÞÞÞÞÞÞ
Notre plombier, le bel Épain,
Ne sait pas faire le pain.
« Suis-je donc boulanger ?
Il n'y a pas de danger ! »
Pourtant, avec le boulanger il est copain !
ÞÞÞÞÞÞÞÞÞÞÞ
Il paraît que le vieil Euthyme
Est un alcoolique anonyme.
Être né à Mélitène
Lui donnerait des phlyctènes...
Virez-moi ce vieux cacochyme !
ÞÞÞÞÞÞÞÞÞÞÞ
Un vieux pêcheur nommé Gonsalve
Fait ses délices des bivalves.
Un beau jour que son oncle
Lui prenait un pétoncle,
Il saisit son pétard et lança une salve.
ÞÞÞÞÞÞÞÞÞÞÞ
S'il se mire dans l'eau, Narcisse,
C'est qu'il a un teint de saucisse,
Et ça lui donne faim.
« Allons donc chez Épain ! »
« Je suis plombier ! Qu'on en finisse !!! »
ÞÞÞÞÞÞÞÞÞÞÞ
Un écrivain ronchon, Sévère,
Depuis avant-hier persévère
À vociférer : « Bob ?
Poète ??? Peau de zob ! »
Quid des aèdes, des trouvères ?
ÞÞÞÞÞÞÞÞÞÞÞ
Le digne, fier, illustre Thècle
Dit souffrir de ce nouveau siècle.
« La sixième extinction ? Chicane !
Mais le prix Nobel à Dylane ?
Rien de pire qui me débècle ! »
16:42 Publié dans Limericks du martyrologe | Lien permanent | Commentaires (1)
D'un rapport de jury, et d'un corrigé.
Neuf mois après les épreuves écrites, le jury d'agrégation interne d'anglais vient enfin de publier son rapport sur la session 2016. Ce document est toujours très instructif pour les candidats, et pour les universitaires qui assurent les cours.
Il s'agit d'un document public, consultable ici.
Je viens de passer un certain temps à lire les parties qui me concernent le plus, et notamment les pages 43 à 50, sur l'explication des choix de traduction.
Toutefois, je me contenterai de reproduire ici le texte du sujet de version, et la proposition de traduction à laquelle finit par aboutir le jury.
Texte à traduire (extrait de Freedom de J. Franzen)
Walter had never liked cats. They'd seemed to him the sociopaths of the pet world, a species domesticated as an evil necessary for the control of rodents and subsequently fetishized the way unhappy countries fetishize their militaries, saluting the uniforms of killers as cat owners stroke their animals' lovely fur and forgive their claws and fangs. He'd never seen anything in a cat's face but simpering incuriosity and self-interest; you only had to tease one with a mouse-toy to see where its true heart lay. Until he came to live in his mother's house, however, he'd had many worse evils to contend against. Only now, when he was responsible for the feral cat populations wreaking havoc on the properties he managed for the Nature Conservancy, and when the injury that Canterbridge Estates had inflicted on his lake was compounded by the insult of its residents' free-roaming pets, did his old anti-feline prejudice swell into the kind of bludgeoning daily misery and grievance that depressive male Berglunds evidently needed to lend meaning and substance to their lives. The grievance that had served him for the previous two years —the misery of chainsaws and earthmovers and small-scale blasting and erosion, of hammers and tile cutters and boom-boxed classic rock— was over now, and he needed something new.
Some cats are lazy or inept as killers, but the white-footed black Bobby wasn't one of them. Bobby was shrewd enough to retreat to the Hoffbauer house at dusk, when raccoons and coyotes became a danger, but every morning in the snowless months he could be seen sallying freshly forth along the lake's denuded shore and entering Walter's property to kill things.
Proposition de traduction
Walter n'avait jamais aimé les chats. Il lui avait semblé que c'étaient les sociopathes du monde des animaux de compagnie, une espèce domestiquée comme un mal nécessaire à l'élimination des rongeurs et fétichisée ensuite comme les pays malheureux fétichisent leurs militaires, saluant l'uniforme de tueurs comme les propriétaires de chat caressent la jolie fourrure de leur animal et lui pardonnent ses griffes et ses dents pointues. Il n'avait jamais rien lu dans l'expression d'un chat si ce n'est une absence de curiosité et un égocentrisme de façade ; il suffisait d'en taquiner un avec une fausse souris pour voir quelle était sa véritable nature. Jusqu'à ce qu'il vînt habiter dans la maison de sa mère, il avait eu quantité de maux plus graves à affronter. C'est seulement maintenant, comme il avait la charge des populations de chats harets causant des ravages dans les terres que lui avait confiées The Nature Conservancy et qu'à la blessure infligée à son lac par les lotissements Canterbridge s'ajoutait l'affront des animaux de compagnie que les résidents laissaient vagabonder, que son vieux préjugé contre les félins avait grossi jusqu'à devenir cette espèce de grief, de tourment matraqué journellement dont les hommes dépressifs de la famille Berglund avaient manifestement besoin afin de donner sens et épaisseur à leur existence. Le grief qui lui avait servi ces deux dernières années —le tourment des tronçonneuses, des bouteurs, des petits dynamitages et des terrassements, des marteaux, des coupe-carreaux et du vieux rock à pleins tubes—avait cessé et il avait besoin d'autre chose.
Certains chats sont fainéants ou inaptes à tuer mais ce Bobby, noir, aux pattes blanches, n'était pas de ceux-là. Bobby était suffisamment rusé pour se replier dans la maison des Hoffbauer à la tombée de la nuit, à l'heure où les ratons laveurs et les coyotes devenaient un danger, mais tous les matins des mois sans neige on le voyait repartir à l'aventure sur la rive sud dénudée du lac et pénétrer le domaine de Walter pour y tuer.
Ma seule réaction, après avoir noté à la hâte toutes les erreurs de traduction (en rouge ci-dessus), fut, paraphrasant Coluche : ils s'y sont mis à plusieurs pour faire ça ???
16:10 Publié dans Translatology Snippets, WAW | Lien permanent | Commentaires (1)
Coings écrasés. — Un sonnet retrouvé.
tous ces coings écrasés
c'est pas de la gnognote
ça fait de la compote
en plein sur la chaussée
par le clavier glacé
j'écoute un vieux Blue Note
on me dira mon pote
au futur au passé
ma mémoire est un torque
& j'ai l'œil furibard
d'une ligne épurée :
le combat contre l'orque
dans la rue en slibard
glissant dans la purée
Écrit le 15 octobre 2015, jamais publié ici, ce sonnet ne figure pas dans le recueil qu'on peut toujours, cinq semaines après sa sortie, acheter ici.
09:02 Publié dans Sonnets de janvier et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 14 octobre 2016
Varia (ne varietur)
Action contre la faim beaucoup me débectèrent
Qu'ils me sont envoyé un gros stylo-cuillère.
*
On est vraiment très peur qu'on est beaucoup la trouille
Le binturong comme il dépèçut la citrouille.
*
Les Mayas leur milieu n'avait pas très aqueux
Si qu'ils s'ont fait des tout petits trous dans la queue.
23:00 Publié dans Distiques ribéryens | Lien permanent | Commentaires (0)
Frankie Lee & Judas Priest
Mon métier d'universitaire et d'enseignant-chercheur, c'est aussi de former à la traduction, et — à partir de la troisième année, seulement, hélas — à la réflexion sur les questions de traduction.
Dans le cadre de mes T.D. de traductologie, je vais faire travailler les étudiants sur un “texte” de Bob Dylan, et sur une traduction française de ce texte. Pour ceux que cela intéresse, voici le document de cours sous PDF.
Comme je l'écrivais hier, la singularité de l'œuvre de Dylan, c'est qu'elle en grande partie non traductible, à savoir qu'elle n'a pas besoin d'être traduite pour être comprise ou saisissable (comme les grandes œuvres de théâtre, dans lesquelles tant de ce qui se produit n'est pas lié strictement à la langue).
12:20 Publié dans Translatology Snippets, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
Quatre saints rares du 14 octobre
14 octobre 2013 & 2015
Un poissonnier, Angadrême,
Avait, pour fiancée, une brème.
« Athos, Portos sont mes amis,
Mais bien moins qu'Abramis. »
(Enfoncés, musiciens de Brême !)
Un adolescent, Calix,
Lit et relit tous les Alix.
« Il est vrai que je tique
Quand c'est homo-érotique,
Mais pas de quoi me jeter dans le Stix ! »
Un vieux boulanger, Lupulus,
Souffre atrocement du lupus.
« Quand je fais des friands au fromage
J'ai la tête dans les nuages,
Et même dans les cumulus. »
Un quadragénaire, Rothad,
Traita sa femme de pintad.
Pour toute réponche
Elle lui mit sur la tronche
Le clavier de son vieil Amstrad.
10:12 Publié dans Limericks du martyrologe | Lien permanent | Commentaires (0)
La société du spectacle de la surface de l'écume
Au fond, le problème, c'est que presque toutes les personnes qui affirment des avis de façon catégorique le font en méconnaissance de cause.
1) On met Soumission de Houellebecq dans le même panier que Zemmour parce qu'on ne l'a pas lu, ou parce qu'on ne comprend pas ce qu'est un roman.
2) On s'offusque d'un Prix Nobel de Littérature parce qu'on a entendu trois “chansons” de son récipiendaire et qu'à partir de ça (et, il faut bien le dire au risque de déplaire, d'une connaissance souvent médiocre de la langue anglaise et quasiment nulle de la culture américaine et de son rapport à la Bible) on s'est fait une opinion.
3) On s'apprête (et on appelle) à voter Juppé alors qu'on se dit de gauche (cf la bloqueuse-qui-débloque Anna de Sandre), et en ne sachant apparemment pas que Juppé a annoncé la baisse du RSA, la fin de l'ISF, la poursuite des dérégulations et qu'il est soutenu par Mariton et les ultra-cathos...
09:23 Publié dans Indignations | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 13 octobre 2016
Dylan & le Nobel. De quelques fausses évidences.
Ainsi, Bob Dylan se voit décerner le Prix Nobel de Littérature 2016.
Je m'attendais à des réactions épidermiques, ronchonnes, réactionnaires dira-t-on, mais pas à ce concert d'avis péremptoires de la part de gens qui, de toute évidence, parlent de ce qu'ils ne connaissent pas. Sur les réseaux sociaux fleurissent les bons mots annonçant la remise du prochain Prix Nobel à C. Jérôme ou Bézu...
Une discussion sur la littérature, et sur la valeur littéraire, doit s'appuyer sur des arguments solides, et, notamment (il paraît délirant d'avoir à le souligner) sur la connaissance de ce dont on parle.
Bob Dylan ne doit pas être “jugé” sur ses seuls textes, mais sur l'ensemble de son œuvre de créateur, qui inclut la performance, la mise en scène de ses chansons et leur musique, évidemment. Déjà, en 1997, pour Dario Fo, j'avais été étonné de tous ces prétendus experts qui jugeaient d'un auteur dramatique sans prendre en compte la dimension théâtrale (le jeu, la performance). Il est décidément bien ironique que l'un soit mort le jour où l'autre reçoit à son tour le Nobel.
On peut donc ergoter, et discuter du mérite supérieur de tel ou tel poète mondial, d'Adonis par exemple, dont le nom, d'ailleurs, est toujours associé à l'argument selon lequel, vu le contexte, “il aurait fallu récompenser un Syrien”. Voilà une belle connaissance de ce qu'est la littérature : le Nobel à un Syrien parce qu'Alep est noyée sous un tapis de bombes... (Adonis mérite, méritait le Nobel, mais pas sur de tels arguments : c'est insulter son œuvre et montrer qu'on ne connaît que son nom.)
Toutefois, il faut juger de l'œuvre de Dylan sur pièces, et, pour ne prendre qu'un exemple, moi qui ai tenté de traduire de très nombreux poètes contemporains de langue anglaise, américains notamment, je peux témoigner que certains textes de Dylan sont plus difficiles à traduire que bien de ceux de poètes dont le nom n'aurait pas fait se lever le moindre sourcil. (Sur Facebook, j'ai écrit, à propos de la complexité et de l'opacité de certains textes de Dylan : René Char, à côté, c'est de la gnognote. J'exagère, mais à peine.)
Donc, il doit y avoir débat, d'autant plus à partir du moment où tant de personnes qui se constituent en autorités littéraires parlent de gag à propos de ce Prix Nobel.
La vraie question, selon moi, est plus large : le Prix Nobel a-t-il valeur de prescription ? Si on répond oui, on aura tôt fait de décrier la remise de ce prix à Bob Dylan en disant que « tout le monde connaît déjà ». Contrer un tel argument est aisé. Ainsi, cédant moi aussi aux jugements péremptoires, j'écris aujourd'hui (et je pense, dans une certaine mesure) que Bob Dylan est un “auteur” (un “poète”) cent fois inférieur à Derek Walcott. Or, Walcott a eu le Nobel il y a plus de vingt ans, et il doit y avoir 200 personnes en France qui le lisent ou l'ont lu. Je grognasserais donc volontiers en disant que Nganang, Ngugi ou Raharimanana auraient mérité le Nobel cent fois davantage que Dylan (ce que je pense), mais la vérité est que ça n'aurait presque rien changé à la vraie popularité effective ( = qui les lit ou les lira) de ces auteurs. On ne peut donc en vouloir aux membres du comité Nobel de choisir sans tenir compte de la popularité ou de l'obscurité d'un auteur, mais sur des questions plus intemporelles de valeur et d'apport à la littérature mondiale.
Il y a un autre point : c'est, à ma connaissance, la première fois qu'un Nobel est décerné à un auteur que beaucoup connaissent directement sans le truchement des traductions. Et donc aussi sans le truchement de l'écrit. Bien sûr, absolument personne ne signale ça dans les premières réactions entendues ou lues ici et là. En revanche, ce qui ressort, c'est que cette décision du Nobel semble illégitime car la littérature, ce sont (ce seraient) des textes. Voilà bien le problème : la littérature n'est pas seulement dans les textes, mais aussi dans leur performance : par exemple, dans le genre dramatique, analyser un texte sans le rattacher à sa théâtralité, c'est un contresens que seuls commettent encore les étudiants de première année.
Si Ngũgĩ wa Thiong'o avait eu le Prix Nobel, je me serais plu à souligner qu'une partie essentielle de son œuvre, ce sont les pièces de théâtre en gĩkũyũ qu'il a créées et montées avec des troupes de paysans analphabètes, et la portée tant esthétique que politique qu'elles ont eue au Kenya.
Nuruddin Farah fait dire à un de ses personnages — dans Sardines — que Coltrane était un immense poète (such a great poet). Or, Farah vient d'une culture où la poésie était entièrement orale, et fameusement complexe d'ailleurs. La poésie orale somalie, extraordinairement codifiée, n'a commencé d'être transcrite que dans les années 60, et tous les Somaliens disent que ces transcriptions n'ont que peu de sens en elles-mêmes. Ainsi, vouloir compartimenter la littérature, mettre d'un côté les poètes et d'autre les paroliers, à ma droite les romanciers à ma gauche les vidéastes etc., n'a plus aucun sens.
Ce qui conserve tout son sens, c'est la discussion de la valeur littéraire. On peut tout à fait démontrer, sur des critères de valeur (mais en poussant vraiment l'analyse), que Dylan ne méritait pas le Nobel. Tout autre argument fleure bon le quant-à-soi et la poussière balayée sous le tapis.
16:11 Publié dans Autres gammes, Nathantipastoral (Z.), Words Words Words | Lien permanent | Commentaires (3)
mercredi, 12 octobre 2016
▓ a common everyday chador ▓
Toujours dans ma réexploration de Knots, je livre, sans commentaires pour une fois, et en raison de mon précédent billet, le magnifique début du chapitre 3 :
Cambara enters the living room, half of which is bathed in amber light, the other curtained away and covered in the somber darkness of a black cloth, similar in color and texture to that of a common everyday chador.
As she walks in, her hand instinctively inches toward and eventually touches her head, which is swathed in a head scarf. She is self-conscious that she did not ease the tangles in her matted hair, considering that she did not succeed in running a comb through its massy thickness before coming down.
(Knots, ch. 3 — Riverhead, 2007, p. 36)
14:00 Publié dans Seventy-One NonFlowers by/for Nuruddin Farah | Lien permanent | Commentaires (0)
Le niqab & les mensonges
Déjà de méchante humeur, je découvre un article publié sur Slate.fr et intitulé « Le niqab, une revanche des femmes ? ». Son auteure, Agnès de Féo, a peut-être, dans ses autres textes et documentaires, affiné sa position, mais cet article est d'une fausseté aussi dangereuse que débectante, d'un bout à l'autre.
En effet, sous couvert de sociologie et à grands renforts de concepts sartriens et lacaniens mal digérés, cet article participe de la fascination incompréhensible d'une frange grandissante des “intellectuels” dits de gauche pour l'idéologie islamiste. (Ne nous étonnons pas, après ce genre de coup, que, jetant le bébé avec l'eau du bain, d'aucuns, mal intentionnés, argumentent que les sciences sociales légitiment le terrorisme.)
Qu'il me soit seulement permis de dire deux choses :
1) Si le voile est une “castration symbolique des hommes” qui permet aux femmes de retrouver une forme de pouvoir, alors comment se fait-il que dans les pays où il est devenu quasiment obligatoire, comme la Somalie par exemple, les droits des femmes aient simultanément reculé de plusieurs décennies ? C'est sans doute parce que le niqab est une “revanche des femmes” que ces mêmes femmes « libérées par le voile » sont généralement privées du droit de vote, du droit de conduire, du droit à la propriété immobilière, du droit de décider équitablement avec leur mari d'une éventuelle séparation, et j'en passe.
2) Si les porte-voix de l'islamisme comme Mme de Féo lisaient les nombreux articles de musulmanes expliquant pourquoi elles militent contre le niqab (et même parfois contre le hijab (lire celui-ci par exemple)), ou encore des textes littéraires d'une grande profondeur sur le sujet, comme Knots de Nuruddin Farah, ils s'apercevraient qu'ils sont pris dans un jeu de dupes.
12:08 Publié dans Indignations | Lien permanent | Commentaires (6)
mardi, 11 octobre 2016
L'homme au treuil
Au tout début de The Many, le roman de Wyl Menmuir dont je parlais ce week-end dans une vidéo, le personnage de Clem est d'abord décrit comme celui qui tient le câble du treuil (“holding the winch cable”), puis, dans un dédoublement de l'homme et de la fonction renforcé par une syntaxe qui cherche à marquer la rapidité d'exécution, comme — en calquant le fonctionnement de la langue anglaise — le treuilhomme : “By the time it has fallen into Clem's hands, the winchman has secured it to the cable in a fluid motion and is climbing up out of the water towards the machinery.”
La plupart des ressources lexicographiques, en ligne ou non, proposent ‘grutier’, ce qui serait faux ici, ‘treuilliste’, ‘opérateur treuil’ (qui a l'inconvénient majeur d'être trop technique, surtout avec l'effacement contemporain si agaçant de la préposition) ou ‘sauveteur’, sur lequel je ne me suis guère appesanti car il n'aurait aucun sens dans le contexte : en effet, il n'y a aucun danger, et Clem n'est pas, ne peut pas être un sauveteur. Même si ce dernier mot a un sens technique précis, il ne serait pas du tout identifié en tant que tel par un lecteur français : en anglais, ce terme de winchman dérive très évidemment de la première phrase (“holding the winch cable”).
Ainsi, seul treuilliste semblerait convenir, mais j'ai bien envie de traduire ce nom par homme au treuil. Cette traduction n'est attestée dans aucune ressource, et même la requête restreinte Google ne sert guère d'instance de légitimation. Ma raison principale en serait l'écho d'un roman de Thomas Hardy, The Return of the Native, dans lequel le nom du personnage central du reddleman a été traduit par « l'homme au rouge » (je me rappelle avoir demandé ça à C* quand elle lisait ce roman, il y a bien longtemps, dans sa traduction française).
18:22 Publié dans Translatology Snippets | Lien permanent | Commentaires (0)
De la nécessité d'un (faux) service après-vente
Tout en écoutant une belle conférence d'André Markowicz, je fais le point ici sur ma présence en ligne, et donc, surtout, sur mes blogs.
En effet, j'ai fini par créer il y a trois jours une sorte de répertoire, un métablog si on veut, que j'ai appelé, avec la lourdinguerie qui me caractérise, le Sévice Âpre-Vent des blogs de Guillaume Cingal.
Pourquoi ?
La raison principale en est qu'outre la reprise — après l'habituel sommeil estival — des deux principaux blogs, j'en ai créé trois autres depuis le début de septembre. Le primum mobile, ce fut suite à la sollicitation amicale de Patrick et Valérie, dans le cadre d'un projet de publication quotidienne d'une seule photographie : comme je n'avais pas alors d'autre moyen de prendre des photos que mon immonde smartphone, j'ai baptisé cette chose, par défi, 365 photographies pourries. Puis, plus récemment, j'ai créé son envers, un album de photographies de meilleure qualité (technique au moins) mais vieilles d'un an, de deux ans, de trois ans...
Toujours en septembre, il y a un mois très exactement, je me suis lancé un autre défi, un recueil d'élégies. La septième vient d'être écrite et publiée — autant dire que je suis très loin de l'objectif de 2 à 3 élégies par semaine...
Pour toutes ces raisons (mais aussi parce que je publie des traductions improvisées sous forme vidéo et de faux aphorismes anglais), il fallait tenter d'y voir clair, d'où l'idée du S.A.-V.
Maintenant, on va voir où tout cela nous mène.
La référence à Markowicz, l'a-t-on vu, n'était pas totalement incidente.
14:27 Publié dans Flèche inversée vers les carnétoiles | Lien permanent | Commentaires (3)
▓ tetchily ▓
La deuxième — ou troisième ? — phrase de Knots constitue la première description de Cambara, un des personnages de femmes les plus forts, les plus subtils et les plus méconnus de Nuruddin Farah. (D'ailleurs, les derniers romans sont globalement peu étudiés.)
“Blame?” Cambara asks tetchily, as she goes ahead of him taking the lead, although she has no idea where to go.
(Knots, Riverhead, 2007, p. 1)
Cette phrase ne sert pas seulement à donner un premier aperçu du personnage : une femme qui agit avec détermination, même dans l'incertitude, et qui refuse de se laisser dicter sa conduite. Il s'agit aussi de mettre en place, au sein du texte, c'est-à-dire au sein même de la syntaxe ternaire (proposition principale brève/abrupte, suivie de deux subordonnées enchâssées), le motif de l'inversion des valeurs entre ceux qui guident et ceux qui doivent suivre. Dans une Mogadiscio autant ravagée par les années de guerre civile qu'envahie par les codes nouveaux du fondamentalisme musulman, une femme doit suivre quelques pas derrière l'homme, qu'il s'agisse ou non de son époux.
Davantage encore que l'adverbe tetchily, qui marque la hargne ou la susceptibilité, l'énergie que met Cambara à prendre la tête est signe du refus de se soumettre. Le roman dans son entier, si je m'en souviens bien (je ne l'ai pas relu depuis sa sortie en 2007), tourne autour de cette question de la valeur des codes.
09:18 Publié dans Seventy-One NonFlowers by/for Nuruddin Farah | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 10 octobre 2016
15 saints rares du 10 octobre, vers retrouvés de 2013.
Un vieil érotomane, Aldric,
A, été comme hiver, latric —
Soir, midi, matin,
Femme, fille ou gamin,
Et même quand Giroud a raté le hatric.
Un bourgeois du nom d'Amphiloque
Se vêt toujours comme une loque.
Quoi, toujours nous raillons
L'état de ses haillons,
Nous qui n'avons jamais pondu une symploque ?
Qui fêtions-nous hier ? Cassius.
Quel nom n'est plus donné ? Cassius.
Mon limerick a des cloques
Avec ces symploques
Et sur youTube je vais écouter Cassius.
A gentleman called Cerbonius
Was fond of listening to thenius,
Especially at ten o'clock,
Which wasn't to Archilock
'S taste : “If you're on air, you're nohius."
Mon voisin de palier, Clair,
A vraiment un très gros blair.
Un jour, dans son tarin,
Il stocka du gaz sarin
Et s'envola dans un éclair.
Un Picard très ronchon, Eulampe,
Dit un soir « Éteins-mouâ c'teu lampe ! »
À son épouse, qui, teutonne,
À son tour bougonne
„ Sprich nicht mit mir wie einer Schlampe ! “
Une amie FB, Eulampie,
Vient de m'écrire : « Tampie,
Cingal, je te défrinde,
Car je ne suis pas une dinde
Et tes limericks vont de malampie. »
Un vieux spectre acariâtre, Foulques,
Se prend pour l'incroyable Houlques
Et dit : “Qu'on me nomme Néra
Et qui vivra véra ! ”
(Croit-il qu'il fera peur au capitaine Coulques ? )
Le patriarche Géréon
Tout en jouant de l'orphéon
S'endort doucement,
Et ses gentils enfants
Éteignent alors le néon.
Un fin cuistot, prénommé Loth,
Réussit mieux que tout la queue de loth.
Pourtant, ses marmitons
Disent préférer le thon —
« Ça sent beaucoup moins la culoth ! »
A French rhymer called Mallosus
Thought he was as mighty as Mosus.
“If I strike the rock
I'll never have writer's block
And I'll even find rhymes in -osus ! ”
Un paysan landais, Pinyte,
Aime cueillir les amanyte,
Mais ce qui le ronge,
S'il se trompe d'oronge,
Est pis qu'une péritonyte.
La très sémillante Salsa
Met, en tous mets, la harisa.
Tout le monde feule
« Ça arrache la gueule ! »
Salsa s'y connaît en cuspis dolorosa.
Une vieille femme, Tanche,
La nuit, n'est plus très étanche.
« Il me faut, incontinent,
Un vers moins enquiquinant ! »
S'exclame le poète, un peu tanche.
En Champenois, sainte Telchide
Élève faisans de Colchide
Dans les prés en chantonnant,
Puis elle va mitonnant
Quelques plats savoureux à l'huile d'arachide.
23:07 Publié dans Limericks du martyrologe | Lien permanent | Commentaires (1)