vendredi, 27 juin 2025
27062025
Lire en traduction, c’est, toujours davantage, se poser plein de questions que seule résoudrait la connaissance de la langue-source, ou – même sans cela – la consultation du texte-source. Dire cela, c’est un truisme, mais je me demande si cela a été, tant que ça, étudié.
Hier soir j’ai commencé la lecture du roman de Jón Kalman Stefánsson, Ásta, qui fait partie des dizaines de livres entassés sur mes piles à lire depuis des années (celui-là, je me rappelle l’avoir acheté au Bibliovore il y a un ou deux ans). D’emblée, un des narrateurs cite le célèbre poème de Brecht, An die Nachgeborenen, mais sous un titre français, tout en précisant que le narrateur l’avait connu dans la traduction en islandais de Sigfús Daðason. Le texte français (remarquable – la traduction d’Eric Boury semble vraiment excellente, je le précise à ce stade, pour lever toute ambiguïté sur la suite de mon propos [j'ai déjà lu plusieurs traductions de lui, et c'est toujours très bon]) est ainsi cité (Folio, p. 43) :
Se tenir à l’écart des querelles du monde, et sans crainte,
passer son peu de temps sur terre.
Les deux vers du poème de Brecht sont :
Sich aus dem Streit der Welt halten und die kurze Zeit
Ohne Furcht verbringen.
Le « sur terre » est donc ajouté… mais est-ce que c’est Éric Boury qui l’ajoute ? cite-t-il une traduction française identifiable ? ou cet étoffement (conséquent, étant donné qu’il vient créer un redoublement monde/terre qui n’est pas présent dans le poème allemand) provient-il de la traduction de Sigfús Daðason, justement ?
Plus loin, la narratrice évoque une chanson de Nick Cave qu’elle entend chez ses voisins. De façon très plurilingue, une fois encore, le texte de la chanson est cité en anglais puis en français. On suppose que cela reproduit le dispositif du texte-source et que, dans le roman de Stefánsson, la traduction en islandais est accolée au texte anglais. La question de la traduction se pose donc de la même manière que pour Brecht :
And babe, you turn me on…
Mais chérie, tu m’émoustilles…
La traduction turn on > émoustiller (p. 120) n’est pas très bonne, ni du point de vue du registre, ni du point de vue du contexte. (Et d’ailleurs, c’est peut-être aussi un faux-sens : exciter ou chauffer n’ont pas le même sens qu’émoustiller.) Je me suis demandé si cette petite erreur venait du traducteur du roman, ou s’il avait voulu restituer une disparité de la traduction islandaise accolée au texte de Nick Cave.
Tout cela n’empêche aucunement d’apprécier le roman, et même, serais-je tenté de dire, ce genre de questionnement enrichit la lecture. Mais c’est, en soi, un sujet d’étude.
08:51 Publié dans 2025, Lect(o)ures, Translatology Snippets | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 26 juin 2025
26062025
Claire m’a réveillé – et fort justement – à 5 h 20 en entendant la pluie s’abattre en trombes : j’avais mis à aérer à l’étage, et, même volets baissés, l’eau avait commencé à pénétrer, pas que par les velux. Idem à la cuisine, avec pourtant seulement 25 centimètres laissés par le volet. J’attends que la pluie se calme définitivement pour rouvrir.
Je me suis dit que j’allais essayer d’avancer sur mes dossiers, mais depuis une demi-heure, en sirotant un café que j’ai raté (pas assez fort – il restait moins de poudre que je pensais dans le paquet presque fini, et/ou j’ai mis trop d’eau dans la cafetière à piston), je glandouille en lisant la presse, en me déprimant chaque jour davantage : effondrement du Gulf Stream, compagnonnage entre les fascistes Netanyahu et Trump, assèchement des rivières, enlèvements massifs d’enfants au Mozambique (par al-Shabab), dômes de chaleur, gouvernement français vendu au lobbying des agro-industriels et des milliardaires, etc.
Allez, il faut s’y mettre, non sans avoir perdu encore dix ou quinze minutes à mettre ce blog à jour.
06:01 Publié dans 2025 | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 25 juin 2025
25062025
Il paraît qu’on n’entend pas du tout parler du génocide palestinien (377.000 personnes tuées depuis octobre 2023 – j’ai l’impression que tout le monde en parle, mais aussi, je ne regarde jamais la télé).
Si on ne parle « jamais » de ce qui se passe à Gaza, que dire alors du Soudan ?
Deux remarques sur cet article d'AfricaNews évoquant la mort de 40 patient·es et praticien·nes dans un hôpital du Kordofan Occidental :
1) Il est étrange de dire que la guerre civile a débuté en avril 2023. En tout cas, une telle affirmation demanderait une véritable mise en contexte.
2) Il est étrange, même si son appel à cesser immédiatement de cesser de cibler les hôpitaux partout est primordial, de centrer tout l’article autour de Tedros : dans cet article, les Soudanais·es n’existent pas, on ne leur donne pas la parole, ce sont des déjà-mort·es sous les bombes.
06:07 Publié dans 2025, Affres extatiques | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 24 juin 2025
24062025
Je lis enfin Arno Schmidt : la trilogie des Enfants de Nobodaddy, rééditée cette année en un seul volume par les éditions Tristram.
(Je lis enfin Arno Schmidt. Et si notre monde ne s’est pas entièrement effondré dans cinquante ans, vous me verrez écrivant ici, le 24 juin 2065, à l’âge de quatre-vingt-dix ans : je lis enfin Malcolm Lowry. Ou : je lis enfin Deledda. Bref…)
Là n’est pas le propos (sauf que cet anéantissement du monde est justement le sujet du troisième volet de la trilogie, Schwarze Spiegel / Miroirs noirs, publié en 1951, devançant donc mon cher Wittgenstein’s Mistress de plus d’un tiers de siècle).
Le propos, c’est :
En lisant Miroirs noirs (en traduction donc – je lis trop lentement en allemand pour me lancer dans Schmidt d’emblée en allemand – traduction Claude Riehl), je tombe hier sur ce paragraphe :
Et bien sûr me voilà cherchant quelle peut être la contrepèterie ainsi traduite, tout en la trouvant totalement gratuite (et c’est bizarre, la prose de Schmidt est joueuse et baroque mais jamais gratuite). Je pense à ça :
Kein Raus müsste davon hot werden
dans laquelle l’inversion des consonnes se trouve dans Raus/hot (Haus/rot). L’idée du mélange des langues s’accommode assez bien de l’écriture de Schmidt.
J’envoie ça à mon amie Elvire, grande germaniste, qui se met aussitôt à phosphorer (cherche avec Maus, cherche avec Kot, cherche avec Wein). Je lui dis de laisser tomber, que je vais chercher le texte original. Puis je fais autre chose, regarde deux épisodes d’une série divertissante et qui ne vole pas haut, tombe de sommeil. Ce matin, aux aurores, me voici farfouillant et trouvant le passage correspondant :
Où il s’avère donc que la contrepèterie n’était pas gratuite, vu qu’elle relie la fierté de la maison (stolzes Haus) à la propreté de l’écriteau indiquant le numéro, et dont le narrateur vient d’essuyer le bois (Holz).
Au demeurant, la contrepèterie originale était impossible à retrouver.
06:40 Publié dans 2025, Gertrude oder Wilhelm, Translatology Snippets | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 23 juin 2025
23062025 (ILMC, saison 1)
Dans l’émission La Méridienne de ce matin sur Radio Campus Tours, mon collègue Arnaud Loustalot a expliqué, en réponse à l’excellente question de Mélissa Wyckhuyse (« en quoi une radio associative peut-elle être un vecteur d’émancipation et un lieu d’éducation populaire ? »), que, pour lui, toutes les radios associatives d’Indre-et-Loire ne relevaient pas de l’éducation populaire, car (et je le cite), pour répondre positivement à la question posée il faut :
- donner la parole aux personnes qui ne l’ont pas
- offrir un angle différent d’analyse de la société et des politiques publiques
- ouvrir à des expressions culturelles nouvelles, alternatives et différentes de ce qu’on entend sur les radios mainstream
Me demandant si l’émission que j’anime depuis janvier, I Love Mes Cheveux, répond à ces trois critères, je peux assez facilement démontrer qu’elle « coche » les critères 2 et 3. Il suffit d’aller regarder même rapidement les playlists sur les pages des 16 émissions déjà enregistrées pour voir que les choix sont très différents de ce qu’on entend sur les radios mainstream. Pour l’ « angle différent », qu’il s’agisse de littératures autochtones nord-américaines ou invitant au décentrement, qu’il s’agisse de penser la diversité des langues comme une force, de réfléchir à l’insécurité linguistique, de perspectivisme animaliste, de parler de l’apprentissage des langues au sein même des cultures, de comprendre ce qu’a pu signifier la tentative d’effacement de langues non-européennes en contexte colonial ou de s’intéresser à un corpus de bandes dessinées dont la majorité ne sont même pas traduites en français (et je pourrais citer d’autres émissions), c’est évidemment ce que je cherche à faire.
Pour le point 1) je suis moins convaincu. Quand j’ai créé l’émission je voulais absolument que ce ne soit pas une émission connivente, entre traducteur·ices et/ou entre universitaires. J’ai donc pu faire venir au micro des étudiant·es de master et de Licence : en cela, l’émission avec les trois étudiantes allophones comme celle avec les deux étudiantes de LEA anglais/chinois ont permis d’entendre et d’écouter le point de vue et les parcours de vie de personnes qui constituent le cœur vivant de l’université mais ne sont pas toujours très écoutées. De même, il était primordial pour moi d’enregistrer des émissions avec des collègues non universitaires : de ce point de vue, l’émission avec mes collègues du CUEFEE et du Pôle R.I. Tanneurs est un premier pas, mais insuffisant ; j’accueillerai lundi prochain trois collègues qui viendront parler des missions à l’étranger et du partenariat NEOLAiA, mais à l’issue de la saison 1 je n’aurai organisé que deux émissions sur 18 avec cette autre catégorie de personnel trop souvent marginalisée, voire – si je risque ce mot – encline à pratiquer l’autocensure.
Pour le dire autrement : I Love Mes Cheveux n'est pas une émission « réservée aux linguistes », et encore moins aux enseignant·es.
Sur le point 1) l’émission « peut mieux faire ».
Le 7 juillet, normalement, je clos la saison 1 avec une émission spéciale Étonnants Voyageurs, en donnant la parole notamment à des maisons d'édition indépendantes.
12:22 Publié dans 2025, ILMC | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 22 juin 2025
22062025
Une des choses suprêmement agaçantes avec Facebook, quand on consulte le réseau social sur téléphone, est qu’on ne peut pas désactiver la traduction automatique. Cette évolution désastreuse, qui risque de me pousser à ne plus consulter FB que sur ordinateur, a tout de même fait apparaître aujourd’hui un fail particulièrement savoureux.
En effet, outre le fait que le logiciel de traduction automatique (mauvais : est-ce Bing ou Reverso ? je ne crois pas que Google Translate ou DeepL ferait ce genre d’erreurs) n’arrive pas à traduire différemment les dyades fireman/firefighter et fisherman/fisherfighter (or, c’est là toute la blague), il se vautre allègrement pour les deux autres… et surtout, chose qui pourrait passer inaperçue, il traduit « gender neutral guide » par guide neutre pour le sexe.
19:00 Publié dans 2025, Translatology Snippets | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 21 juin 2025
21062025
Il va encore faire une très forte chaleur aujourd’hui.
D’un point de vue politique, la situation devient si catastrophique, jour après jour, que je vais me contenter de relayer ce billet du député écologiste Charles Fournier :
On nage en plein délire climatosceptique !
L’Assemblée nationale a pris ces dernières semaines le chemin d’un véritable voyage en absurdie, où se succèdent des textes de loi tous plus dangereux et irrationnels les uns que les autres pour nos protections environnementales, sociales, et démocratiques.
Projet de loi de simplification de la vie économique, proposition de loi Duplomb visant à lever les contraintes au métier d’agriculteur, proposition de loi portant programmation nationale dans le secteur de l’énergie : derrière l’ambition affichée se trouvent en réalité des textes dévoyés, de véritables bombes à retardement contre la science, contre notre santé, contre la biodiversité, contre notre sécurité alimentaire, contre notre sécurité énergétique.
Alors que les scientifiques nous alertent de manière incessante sur l’amplification des catastrophes naturelles à venir, sur l’effondrement de la biodiversité, sur la nécessité de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C pour préserver l’habitabilité de la planète ; les députés de droite et d’extrême droite rivalisent de propositions dogmatiques, carbofascistes, entraînant des reculs pour nos droits et notre avenir.
A l’initiative du RN, du groupe UDR et de la Droite Républicaine, appuyés par un bloc central qui porte une lourde responsabilité dans les régressions adoptées tant par son absence que sa complaisance, l’Assemblée nationale a adopté une accumulation d’horreurs. Moratoire sur toute nouvelle production d’énergies renouvelables en France, réouverture de la centrale de Fessenheim, réintroduction des néonicotinoïdes - poison pour les pollinisateurs et la santé des Français·es, suppression des zones à faibles émissions au détriment des exigences de qualité de l’air, recul sur les objectifs de zéro artificialisation nette…
La droite et l’extrême droite sacrifient sciemment notre santé sur l’autel des intérêts économiques des industriels, des lobbys des fossiles, de l’agrochimie. Cette mascarade climatique et énergétique doit urgemment cesser.
Relayez ce post autour de vous, parlez-en, indignons-nous ! Ce sont nos vies et celles des générations futures qui sont en jeu.
08:23 Publié dans 2025, Indignations | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 20 juin 2025
20062025
Nicolas, le libraire de l’excellente librairie Les Temps sauvages, m’a montré une phrase extraite de la traduction de Mila 18 de Leon Uris aux Belles Lettres, et dans laquelle il est question d’une « insurrection-bébé ». Voici la phrase dans son entier :
Aujourd'hui, nous avons infligé aux Allemands leur plus humiliante défaite depuis le début de notre insurrection-bébé.
Cette expression n’a aucun sens, et ne se situe pas non plus dans le contexte d’une écriture expérimentale (à la Stein) ou délirante / rigolote (à la Sharpe). Nicolas a retrouvé la phrase originale : “Today we administered to the Germans their most humiliating defeat of our infant rebellion.” Il va donc de soi qu’il aurait fallu traduire par « révolte naissante » ou « début de rébellion » si vraiment on veut recatégoriser à tout-va.
Il s’agit de la traduction de Jean Nioux, d’abord parue chez Robert Laffont en 1962 et rééditée (telle quelle, il faut croire) aux Belles Lettres. Cela montre tout d’abord qu’on pouvait tout à fait traduire n’importe comment et publier n’importe quoi longtemps avant l’ère du « les jeunes ne connaissent plus le passé simple » et des IA génératives. Cela montre surtout que certains éditeurs se contentent d’envoyer des documents que personne n’a relus aux imprimeurs et d’encaisser le pognon. On sait que les Belles Lettres sont une maison fumeuse depuis un bon bout de temps ; en voici la confirmation.
Cela me rappelle que j’ai écrit il y a maintenant quatre semaines à la responsable de la littérature étrangère des éditions Denoël, et que je n’ai toujours pas eu de réponse, même pas un vague accusé de réception pour me dire qu'une réponse de fond suivra. Voici comment commençait (ou presque) mon mail, à propos de la traduction française de Paradise d’Abdulrazak Gurnah : « J’ai pris connaissance de la traduction d'Anne-Cécile Padoux, publiée en 1995, mais dans la version rééditée en décembre 2021. Il se trouve que cette traduction pose un certain nombre de problèmes, et j'aimerais, avant de peaufiner l'article de recherche que je vais consacrer à cette question, savoir si les erreurs constatées viennent de choix éditoriaux ou de la traductrice elle-même. »
Et je l’achevais ainsi, après une longue série d’exemples démontrant que tout un réseau métaphorique du roman de Gurnah était globalement effacé ou marginalisé dans la traduction française, et ce avant les formules rituelles :
« Comme vous le voyez (et j'ai d'autres exemples sur lesquels je suis en train de travailler), on peut assez aisément argumenter que le texte français de Paradis n'est pas conforme, au moins en partie, au texte du roman original en anglais. J'espère que vous pourrez m'aider dans mes recherches en m'apportant les éclaircissements nécessaires. »
Mon mail vise réellement à m’aider à comprendre, et à intégrer les informations dont dispose l’éditrice à mon travail de recherche. Bien entendu, je sous-entends fortement qu’un tel torchon ne devrait jamais avoir été réédité (mais la manne du Nobel excuse tout, n’est-ce pas), let alone published. Je l’ai sous-entendu, mais je ne l’ai pas écrit. Et dans l'article de recherche que j'écrirai à ce sujet, pas davantage.
En tout cas, je l'écris ici : si vous lisez Paradis aux éditions Denoël, vous lirez un roman, mais ce ne sera pas le roman d'Abdulrazak Gurnah.
20:15 Publié dans 2025, Questions, parenthèses, omissions, Translatology Snippets | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 19 juin 2025
19062025
Levé depuis 4 h 50, suite à un cauchemar vraiment pénible, j’ai pas mal travaillé : des bricoles, mais qu’il fallait faire. Ce matin, je dois enregistrer une vidéo, la plus sommaire et la plus expéditive possible, afin de pouvoir dégager une partie des piles qui encombrent mon bureau. C’est un de ces moments où plein de choses se décantent en même temps, tout en semblant engluées dans le ça-ne-finira-jamais : impression de submersion.
Il faut dire que quand je me pose deux minutes pour tenter d’appréhender mon programme de travail des deux prochaines années (et pire, des six prochains mois), je me dis que je suis dingue.
07:55 Publié dans 2025 | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 18 juin 2025
18062025 (Kneecap)
Nous avons assisté à la première projection – suivie d’un bref débat avec, notamment, mon collègue Erick Falc’her-Poyroux – de Kneecap, film de Rich Peppiatt autour (et avec les trois membres) du groupe de rap d’Irlande du nord Kneecap.
On ne s’ennuie pas une seconde, le film est très riche en allusions et références culturelles et historiques au conflit nord-irlandais, les questions politiques liées aux diverses assignations du gaélique sont assez bien abordées, et enfin la musique même du groupe (que je ne connaissais pas et qui chante un peu beaucoup en anglais quand même) est très bonne, très énergique. Et pourtant, le problème est que ce n’est pas tant un film qu’une suite de bribes de clips articulées autour d’un mauvais scénario de série télévisée dans lequel tous les personnages sont stéréotypés et toutes les situations sont d’une incroyable lourdinguerie ; j’ai vraiment serré les dents face à des répliques et des cadrages tellement rebattus que le franglais cringe est le seul mot qui s’impose. Le virilisme – qui est un vrai sujet de débat au sein du rap, même dans ses dimensions contestataires – n’est jamais discuté : les trois personnages féminins sont simplement en pâmoison devant ces « vrais mecs ». Protestants ou catholiques, on s’entendra toujours, visiblement, sur la structure hétéropatriarcale…
Or, le rap est devenu, de facto, et s’est affirmé – dans la durée – comme le mouvement musical transnational qui permet des expressions contestataires de qualité en mettant en avant, notamment, des langues minoritaires ou minorisées. L’ignorance (et la volonté délibérée de marginaliser le rap) était encore très évidente hier soir, y compris dans le public. J’étais un peu sidéré de voir que l’intervenant présenté comme spécialiste du rap n’avait pas d’autre réponse, à la question posée de l’existence de groupes de rap chantant en breton, que de citer La Tribu de Dana de Manau... Quitte à citer Manau, qui ne chante qu’en français, il aurait mieux valu citer Panique celtique. Et, même sans connaître Plouz et Floen (un duo qui a percé vraiment tout récemment), il me semble que citer Krismenn eût été la moindre des choses : cela fait quand même quinze ans qu’il est très présent sur la scène du rap en Bretagne (et donc en breton).
Sur cette question du rapport entre le breton et les langues minorisées, ça m’a amusé que mon voisin, un vieil ami, me glisse à un moment donné « y a-t-il du rap en ouïghour ? », car, de fait, j’en diffuse, sur la recommandation de mon invité Norbert Danysz, dans l’émission qui sera diffusée lundi prochain. J’en ai profité pour faire le point et noter qu’en quinze émissions j’ai diffusé, soit de mon fait soit – plus souvent – grâce à mes invité·es, des morceaux de rap en occitan, en turc, en quechua, en yoruba et pidgin nigérian, en afrikaans, sans parler de Baby Volcano qui mélange l’espagnol, le français et l’anglais dans la moitié de ses chansons.
22:55 Publié dans 2025, Autres gammes, ILMC, Tographe | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 17 juin 2025
17062025 (Ayi Kwei Armah)
Ayi Kwei Armah, un des écrivains majeurs de la première génération post-Indépendances, est aussi un de ceux qui sont le moins connus en France, faute (là encore) de traductions.
Il faut dire qu’Armah a décidé, à partir des années 1980, de ne plus publier ses livres "qu’au pays", et que même au Ghana il n’était guère apprécié (euphémisme), de sorte que ses derniers romans, un par décennie, sont à peu près introuvables. Il faut avoir de la volonté, vraiment beaucoup, pour mettre la main sur le texte original d’Osiris Rising (1995), de KMT : In the House of Life (2002) ou de The Resolutionaries (2013).
Je me rappelle qu’à mes débuts à l’université de Tours je travaillais régulièrement avec mon collègue et ami Philip Whyte, spécialiste notamment de l’œuvre d’Armah (j’ai relu une bonne partie de la version livre de sa thèse en trois volumes, publiée chez L’Harmattan à cette époque-là), et qu’il cherchait vainement à se procurer un exemplaire de KMT. C’était avant les sites de téléchargement illégaux, mais Amazon, African Books Collective et autres existaient déjà. J’avais fini, si mes souvenirs sont bons, par passer commande auprès de la maison d’édition d’Armah, de deux exemplaires – tant qu’à faire : le montant avait bien été prélevé mais nous n’avons jamais reçu les livres.
Cela pour expliquer pourquoi ces textes d’un auteur pourtant primordial ont cessé de circuler il y a déjà longtemps. J’y repense en lisant le mémoire de M2 d’un étudiant qui travaille notamment sur le premier roman d’Armah, The Beautyful Ones Are Not Yet Born. J’ai l’impression, en consultant le SUDOC, que c’est le seul de ses romans à avoir été traduit en français, sous le titre L’âge d’or n’est pas pour demain (traduction Josette et Robert Mané, Présence Africaine, 1976).
Or, les quatre romans suivants ont été publiés chez Heinemann et sont tout à fait disponibles, faciles à trouver :
Fragments (1969)
Why are we so blest? (1972)
Two Thousand Seasons (1973)
The Healers (1978)
___________
Illustration : édition russe de The Healers (1980).
18:05 Publié dans 2025, Affres extatiques, Chèvre, aucun risque | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 16 juin 2025
16062025 (Le conservatisme d'extrême-droite en toute décontraction)
Voici, sans beaucoup de commentaires, quatre captures d'écran prises dans les post publics d'un collègue professeur de lettres en lycée. J'ai caché son nom (encore que la dimension publique des posts en question ne m'y oblige pas) ; on peut lire plus distinctement les messages et les images en cliquant dessus, mais j'ai préféré ne pas afficher ces torchons de façon trop visible.
Voici comment fonctionne l'extrême-droite : par le conservatisme culturel qui restreint l'art à la figuration (qui daube encore sur l'art abstrait d'un Pierre Soulages en 2025 ?) ; par la transphobie la plus crasse (je ne dis rien de la nullité du dessin en tant que dessin) ; par la confusion (volontaire ou pas, qu'importe) entre misandrie et féminisme ; enfin, en prônant le prétendu "féminisme" d'un des ouvrages les plus symptomatiques du backlash d'extrême-droite de la dernière décennie.
17:24 Publié dans 2025, Indignations | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 15 juin 2025
15062025
Aujourd’hui, fête des pères.
Comme pour la fête des mères (et comme beaucoup de gens, je crois), je suis toujours gêné aux entournures par ces fêtes, qu’on fête quand même mais qui n’ont guère d’importance mais qu’on fête mais pour lesquelles on n’a pas trop d’idée mais…
Si A* et O* pensent à m’envoyer un mot gentil ou s’ils sont là et qu’on mange un bon gâteau, c’est bien ; je n’attends pas de cadeau, ce qui veut dire que je ne suis vraiment pas déçu si je n’en reçois pas.
Cette année, mon père attendra son cadeau, sous forme de repas au restaurant avec nous à Jersey.
05:08 Publié dans 2025 | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 14 juin 2025
14062024
Jeunes mères des frères Dardenne. – Bouleversant. Peut-être suis-je un inconditionnel de leurs films, puisqu’ils avaient même réussi à me faire aimer le jeu de Marion Cotillard (est-ce parce qu’ils avaient réussi à lui faire abandonner sa petite moue permanente ?). En tout cas, même si je suppose que certains critiques auront dit que celui-ci versait un peu dans le pathos, je trouve ça magnifique : ils tiennent la ligne des quatre histoires parallèles qui ne se croisent que dans la maison maternelle, et le scénario a permis d’explorer quatre histoires de filiation très différentes, ainsi que de représenter l’absence – pas systématique – des pères. Toujours à petites touches, comme par leurs cadrages si reconnaissables, les frères Dardenne évoquent aussi les addictions, la difficile réinsertion par le travail, et même – timidement – le racisme. Les actrices sont excellentes, aussi car elles sont magnifiquement dirigées ; j’ai envie d’écrire que même les bébés jouent bien…
20:55 Publié dans 2025, Tographe | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 13 juin 2025
13062025
Hier, dénué d’énergie, j’ai seulement pu enregistrer l’émission de radio qui sera diffusée le 23 juin, passer au garage faire réparer le rétroviseur que j’avais pété comme un gros bouffon, et ensuite traînailler sans rien pouvoir faire : pas pu faire la sieste, pas pu avancer dans mon travail, et je n’ai fini par réussir à lire qu’en fin de journée. — Je lis beaucoup de livres brefs, tout en me disant que cela me motiverait davantage de me lancer dans un gros pavé.
Ce matin, j’ai enfin écrit ma recension du Cantonnement de Ronelda S. Kamfer. La nuit a été (un peu) réparatrice. Je vais enchaîner.
Il fait chaud ; encore deux lessives.
10:46 Publié dans 2025 | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 12 juin 2025
12062025
19:55 Publié dans 2025, Aphorismes (Ex-exabrupto), Autoportraiture | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 11 juin 2025
11062025
Cela faisait dix-neuf ans que je n’avais pas vu Nuruddin Farah, et en fait pendant dix-huit ans le contact avait été rompu même par mail. C’est moi qui l’ai recontacté il y a trois mois, et le hasard ayant fait qu’il soit de passage à Paris, j’ai sauté dans le premier train du matin et ai passé deux petites heures avec lui dans un café d’Asnières.
Nous avons parlé de beaucoup de choses, notamment de son insistance toujours plus catégorique à ne pas se mêler de ce qui n’est pas l’écriture de son œuvre : il ne lit pas la presse, il ne lit pas les travaux universitaires, ne lit pas les traductions dans les langues qu’il connaît. Je me rappelle qu’à l’époque où j’ai écrit ma thèse et traduit Yesterday, Tomorrow ce côté était extrêmement rassurant. Je ne comprends pas les traducteurices ou les universitaires qui pensent que quelque chose leur manque s’iels ne peuvent pas échanger avec l’auteurice. Bien sûr, échanger avec Nuruddin Farah m’a apporté beaucoup, mais il était très important aussi que cela se fît après ma thèse ; j’ai échangé quelques mails avec lui en 2000, et je l’ai rencontré deux fois alors que j’étais déjà maître de conférences.
Je veux croire à l’importance de certaines coïncidences. Ce matin, juste avant d’arriver à la gare d’Austerlitz, j’ai lu – dans le roman d’Eliana Alves Cruz que j’aime beaucoup mais que j’avais un peu laissé traîner – la phrase suivante : « Le meilleur endroit pour se cacher c’est sous le nez de celui qui cherche. » (p. 184). Or, j’ai beaucoup réfléchi, depuis trois mois, aux derniers romans de Nuruddin Farah, ces fameux romans qui n’ont pas trouvé d’éditeur en France, et notamment à Hiding in Plain Sight, dont je me demande depuis onze ans comment on pourrait traduire son titre. La phrase de Zé Savalu, dans le roman traduit par Daniel Matias, fait écho à ce titre.
L’essentiel de ce que Nuruddin m’a confié a trait aux deux livres de lui qui paraîtront bientôt. Je n’en dis donc rien ici.
15:16 Publié dans 2025, Affres extatiques | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 10 juin 2025
10062025
Claire et moi avons renoué avec l’exercice – déjà tenté en 2024 – de l’unboxing au retour de Saint-Malo. Ça ne fait pas encore une série, mais enfin…
18:17 Publié dans 2025, Flèche inversée vers les carnétoiles, Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 09 juin 2025
09062025
Il faisait (enfin) un peu moins froid à Saint-Malo aujourd’hui. Pas la force ni le temps de faire un bilan de ces trois jours fort riches (et assez fatigants). Quelques belles découvertes, des retrouvailles amicales, trois beaux films, des rencontres souvent décevantes, et un logement dans un quartier de la ville que nous ne connaissions pas.
21:14 Publié dans 2025 | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 07 juin 2025
07062025
Au cours de cette journée passée au festival Etonnants voyageurs, j’ai été frappé par ce qui n’est pas une coïncidence. Lors d’une table ronde réunissant Ananda Devi, Vidya Narine et la romancière brésilienne Eliana Alves Cruz dont j’ai commencé à lire le seul roman traduit hier, Ananda Devi a évoqué Mahé de la Bourdonnais, dont plusieurs toponymes soulignent l’héritage (extrêmement douteux pourtant) sur l’île Maurice. Or, le matin même nous étions passés, en nous rendant de l’appartement que nous louons à la cité intra muros, près de la statue de Mahé de la Bourdonnais. Ananda Devi a insisté sur le fait que les esclavisés, les engagés, tous les opprimés du système colonialiste étaient absents des toponymes, qu’ils n’avaient pas de nom.
J’ai repensé au fait que, dans les toutes premières pages du roman d’Eliana Alves Cruz, elle évoque le rôle de Duguay-Trouin dans les luttes entre forces coloniales à Rio de Janeiro : de façon tout à fait ironique, le Palais du Grand Large, où se déroulait la rencontre, se trouve quai Duguay-Trouin. Le grand écrivain malgache Johary Ravaloson, assis à côté de moi – et qui a passé un mois et demi en Inde ce printemps, à l’invitation des Alliances françaises – m’a soufflé que cet amiral avait également joué un rôle important à Pondichéry.
Il n’y a pas de coïncidence : Saint-Malo est un port, et comme tous les grands ports historiques, chaque rue, chaque place célèbre des figures de l’expansionnisme européen, en effaçant les crimes contre l’humanité auxquels ces figures ont participé.
Olivette Otele a annoncé cette semaine qu’elle avait achevé d’écrire son livre Doorways to Empires. 15 Ports that Made Empires through Slavery, qui devrait être publié en 2026 et qu’il me tarde de lire.
21:32 Publié dans 2025, Hors Touraine | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 06 juin 2025
06062025 : vingt ans après un débarquement
M’y voici donc : ceci est le 5.476e billet d’un blog né il y a tout juste vingt ans.
Cela fait plusieurs semaines que je me demande comment marquer le coup, et je n’ai pas tellement de meilleure idée que de tenter un très modeste bilan.
Quand j’ai créé Touraine sereine, je venais d’avoir trente ans. J’en ai donc cinquante, et ce blog couvre une petite moitié de ma vie. En plus de cinq mille billets, je peux retrouver des traces de ma vie, c’est-à-dire aussi de moments d’expérimentation que j’ai laissés de côté depuis.
Quand j’ai créé Touraine sereine, l’idée superficielle était de tenter de rendre compte des lieux de Touraine que j’aimais visiter, où j’aimais me promener, et de mon travail dans cette région où nous nous étions installés depuis deux ans – d’où le nom du blog. L’idée, moins superficielle, était de m’inciter à écrire plus régulièrement en bénéficiant d’échanges avec des lecteurices (comme on n’écrivait pas alors, quand le règne du masculin pseudo-neutre n’était pas encore tellement mis à mal). En effet, j’ai toujours écrit, mais mal, irrégulièrement, sans me discipliner. Avec l’avènement des blogs, courant 2004, j’ai vu se dessiner une manière de me contraindre enfin à écrire : je savais que si mes textes étaient publiés immédiatement, donc lisibles et lus – les blogs étaient alors de véritables forums, for better and for worse – je m’y tiendrais. Et d’ailleurs, les premiers mois furent frénétiques, polygraphiques : chaque semaine je créais de nouvelles rubriques ; certains jours je publiais une demi-douzaine de billets, généralement courts, mais pas toujours.
En février 2006, huit mois plus tard seulement, suite à un raid de harceleurs d’extrême-droite (eh oui, déjà), je créai un second blog, dans lequel je décidai de pousser plus loin mes expériences d’écriture : ce blog, que j’appelle parfois par périphrase le blog anthracite, a connu un rythme de publication beaucoup plus irrégulier. Je le considère désormais comme une archive complémentaire de Touraine sereine, de sorte que, sans solution de continuité, il faudrait additionner ses 3.609 billets aux 5.476, soit un peu plus de neuf mille billets, qui ne sont pas tous des textes, ni des textes très élaborés : en tout cas, même avec les mois entiers où ces deux blogs sont restés, l’un ou l’autre, en jachère, cela revient à dire que j’ai écrit, en moyenne, plus d’un billet par jour au cours de ces vingt années.
Verre d’eau à moitié vide : ces carnets ont toujours eu tendance à partir dans tous les sens, et – notamment – à m’éloigner de mon travail de chercheur. Si je n’avais pas « perdu » ces milliers d’heures ici et là, j’aurais peut-être fini par me remettre à l’écriture d’articles et d’ouvrages au sein de mon domaine de recherche. Pour ce qui est des expérimentations d’écriture, malgré quelques projets conçus comme de vrais livres et qui pourraient – si j’étais moins feignant et, surtout, si je pensais que le bouquin intéressera quelqu’un – être soumis à un éditeur, je ne suis pas plus devenu un écrivain qu’au cours de la décennie précédente (1991-2005). Le blog est, depuis longtemps, devenu monologue. D’ailleurs, il n’y a presque plus jamais de commentaire (le dernier, qui date d’il y a cinq semaines, est une phrase insultante au sujet de mon physique).
Verre d’eau à moitié plein : pour « rebondir » sur la dernière remarque ci-dessus, j’ai réussi à ne jamais totalement lâcher l’affaire, malgré l’absence d’écho ou de discussion sur le blog, et malgré la concurrence des réseaux sociaux, qui n’ont jamais supplanté l’idée et la pratique même du blog. D’ailleurs, si je mourais demain, il y aurait ces deux sites dans lesquels les personnes qui veulent se souvenir de moi trouveraient à piocher, de façon nettement plus pratique et rapide que sur un compte Facebook par exemple : il suffit d’aller sur un jour ou sur un mois donné puis de modifier les chiffres au sein de l’URL pour se déplacer facilement dans la chronologie ; de même, les rubriques permettent de retrouver tout ce que j’ai pu écrire, au fil de la plume et des hasards, sur les littératures africaines par exemple, ou les sonnets (ici et là), ou les photographies, ou les bribes traductologiques etc.
(Au passage il faudrait que je « perde » quelques heures, un de ces jours, pour effectuer une sauvegarde de tout ce bazar.)
Ces milliers de pages constituent donc une archive, qui me permettent donc de me dire que, même si je n’ai pas fait grand-chose au plan professionnel, je n’ai pas rien fait non plus : l’archive est là. Si un jour mes traductions de poèmes allemands, par exemple, intéressent quelqu’un, elles sont déjà là (verre d’eau à moitié vide : on pourrait me les piquer et se les approprier sans que j’en sache rien).
Je compte donc continuer. Ces derniers temps, je parle beaucoup de mon travail, ou plutôt de mes travaux. C’est peut-être une phase. Après tout, qui peut deviner encore, dans l’avenir, quelles métamorphoses ?
10:19 Publié dans 2025 | Lien permanent | Commentaires (4)
jeudi, 05 juin 2025
05062025
Je jette un œil au début d’une traduction d’un roman américain contemporain, pas très bien traduit il faut le dire. Dans le dialogue, un personnage cite une phrase du Conte d’hiver de Shakespeare (The Winter’s Tale selon le titre original de la pièce). La phrase, de Florizel, se trouve dans la scène IV de l’acte IV : “I cannot be Mine own, nor any thing to any, if I be not thine.”.
Un rapide tour des traductions permet de dresser l’inventaire suivant :
Guizot, 1863 : je ne puis être à moi, ni à personne, si je ne suis pas à toi
Montégut, 1867 : Si je ne suis pas à toi, je ne puis être à moi-même, ni être rien pour personne
F.-V. Hugo, 1868 : je ne puis plus être — à moi, ni à personne, si — je ne suis pas à toi
Koltès, 1988 : je ne puis être ni à moi ni à personne, si je ne suis pas à toi.
Or, la traductrice choisit probablement de ne pas user d’une des traductions libres de droit et traduit ainsi, pataudement (et avec un contresens de préposition) : « Je ne peux être moi-même, ni rien pour personne, si je ne suis pas pour toi. »
Mais… pourquoi… ?
09:06 Publié dans 2025, Translatology Snippets | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 04 juin 2025
04062025
Trop de choses m’intéressent, et je m’ajoute sans cesse de nouvelles activités – ou des bricoles, comme je dis. C’est un peu dans une telle frénésie qu’est né ce blog il y aura vingt ans après-demain, surtout dans les mois suivirent et me virent tenter tant de choses en parallèle, dans cette frénésie d’écriture qui avait enfin trouvé un point d’ancrage. Et d’ailleurs, aujourd’hui, vingt ans plus tard, la volonté de marquer cet anniversaire fait partie des bricoles qui me tournent dans la tête.
Ce n’est pas pour parler de cela que j’avais commencé ce texte ; là encore, typique.
D’ailleurs, le texte que je voulais écrire, c’était pour dire pourquoi je m’étais arraché à la chaise longue où je m’étais installé depuis moins d’une heure, sur la terrasse, avec Featherhood de Charlie Gilmour. Ce matin, j’avais plein de choses à faire, côté travail, et je n’en ai pas fini, mais après le déjeuner j’ai regardé in extenso le quart de finale stupéfiant de la jeune Française inconnue Loïs Boisson, sans regrets (j’ai l’impression d’être très fatigué et d’avoir besoin de ce genre de coupure), puis je me suis installé dehors pour lire car je dois avancer dans Featherhood.
Et donc voici ce qui est symptomatique : je lis Featherhood car je vais servir d’interprète – première fois que je ferai cela, qui est un vrai métier et ne s’improvise pas, j’ai vraiment les foies – pour son auteur, Charlie Gilmour, lors des tables rondes de la Vegan Place, le 28 juin. En effet, Charlie Gilmour se verra remettre le Prix Maya 2025 catégorie Récits pour la traduction française de ce livre (Premières plumes en français).
Je pourrais me contenter de ça : lire le livre en anglais pour être capable de comprendre de quoi il retourne. Oui, mais le livre est bien écrit ; il m’intéresse. Donc me voici notant plusieurs passages dans lesquels Gilmour procède, par le langage – c’est-à-dire au moyen de métaphorisations, presque de jeux de mots –, à établir une continuité entre l’oiseau l’animal humain. Et me demandant comment c’est traduit. Mais Claire n’a plus son exemplaire de Premières plumes, de sorte que je devrai vérifier plus tard.
Et je note d’autres choses encore.
Au point de sentir le besoin irrépressible de m’échapper de la chaise longue pour raconter cela ici : après tout, j’ai trois jours de retard dans ces carnets, n’est-ce pas ?
Je m’épuise, non pas au sens fort / sérieux – mais : ma propre personne est un sujet d’épuisement, quand j’y pense.
Alors je pense que ce n’est pas possible que le traducteur français, Anatole Pons-Reumaux, ait réussi à conserver toutes ces images, ces jeux de langage, cette métaphorisation des humains en oiseaux, qui revient si souvent. Et d’ailleurs ça dépasse le domaine ornithologique, ça s’étend à l’oisellerie (et donc à la prédation ou à l’asservissement des oiseaux par les humains – I start to feel like I’m being hoodwinked, p. 108) et à d’autres animaux, à d’autres situations qui relèvent de la faune maritime, et là encore de la prédation, toujours en relation avec la figure du père biologique, le fuyant Heathcote Williams : when I try to fish for more details, he clams up.
Bien sûr, on peut essayer de traduire cela. I start to feel like I’m being hoodwinked > J’ai l’impression qu’il me prend pour une buse… [?] (Je précise que le hoodwink, c’est, à l’origine, le capuchon dont on se servait pour aveugler les oiseaux de proie captifs utilisés en fauconnerie.) When I try to fish for more details, he clams up. Quand j’essaie d’aller à la pêche aux informations, il se referme comme une huître. ––– On peut essayer, mais je ne suis pas sûr que je n’aurais pas moi-même opté pour des traductions démétaphorisantes moins lourdes. Je verrais ce qu’en a fait le traducteur. Or, tout de même, ici Heathcote Williams, le père démissionnaire, le père absent, c’est celui qui mettrait un capuchon d’aveuglement sur la tête de son fils pour le rendre docile ; cette image, ce n’est pas rien.
Bref, je m’épuise.
18:06 Publié dans 2025, Lect(o)ures, Questions, parenthèses, omissions, Translatology Snippets | Lien permanent | Commentaires (1)
mardi, 03 juin 2025
03062025 (anthologie de Sparks)
Comme plusieurs personnes que j'aime ne connaissent pas mon groupe favori, Sparks, j’ai décidé de procéder à une anthologie très restrictive, puisque je n’ai gardé qu’une seule chanson par album (que ce fut dur !).
Choix très subjectif, donc, mais qui a le mérite d’aller au-delà des deux ou trois morceaux.
J’ai numéroté dans le sens inverse, de l’album le plus récent au plus ancien. Piochez là-dedans, les ami-es ! Et rappelez-vous qu'il en manque des dizaines que j'adore, par la force des choses...
- Don’t Dog It !
- Not That Well-Defined
- Sympathy for the Abyss (BO. du film/opéra Annette)
- Lawnmower
- So Tell Me Mrs. Lincoln Aside from That How Was the Play?
- Collaborations Don’t Work (FFS)
- Garbo Sings
- I Can’t Believe That You Would Fall for All the Crap in This Song
- Perfume
- Ride ‘Em Cowboy
- It’s A KnockOff
- When Do I Get To Sing “My Way”
- When I Kiss You I Hear Charlie Parker Playing
- A Walk Down Memory Lane
- Shopping Mall of Love
- Pulling Rabbits Out of a Hat
- All You Ever Think About Is Sex
- Sherlock Holmes
- That’s Not Nastassia
- When I’m With You
- Beat the Clock
- Forever Young
- I Bought the Mississippi River
- Tits
- Thanks but No Thanks
- This Town Ain’t Big Enough for Both of Us
- Moon Over Kentucky
- Saccharin and the War
18:28 Publié dans 2025, Autres gammes | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 02 juin 2025
02062025 (une journée avec Alexander Dickow)
Très agréable journée avec mon ami, l’écrivain et traducteur américain d’expression française et anglaise Alexander Dickow.
Nous nous connaissons depuis sept ans, échangeons régulièrement, mais nous ne nous étions jamais rencontrés en chair et en os. J’ai lu tous ses livres et quelques-unes de ses traductions, et l’occasion – double – en était sa résidence à la Maison Julien Gracq et l’enregistrement de la quatorzième émission d’I Love Mes Cheveux. Ce qui fut fait cet après-midi.
Mais l’essentiel est ailleurs, toutefois ; nous avons marché dans Tours, discuté de tout et de rien, bu des bières, et pu constater que, oui, nous avions pu devenir amis sans nous être encore rencontrés.
J’ai noté des conseils de lecture à foison.
Pour ce qui est de parler ici de son œuvre, je conseille, dans l’immédiat, d’aller farfouiller dans mon vlog, et d’attendre la diffusion de l’émission, lundi prochain.
23:07 Publié dans 2025, ILMC | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 01 juin 2025
01062025
Il faut que je fasse amende honorable car je viens de m’apercevoir d’une erreur dans mon article pour En attendant Nadeau, et donc je vais devoir demander une rectification.
Il s’agit de la dernière phrase : « Avis aux maisons d’édition qui trouveraient qu’il n’y a pas assez à prospecter avec les textes inédits de Ngũgĩ wa Thiong’o : les deux romans de sa fille, Wanjikũ wa Ngũgĩ, et les romans policiers de son fils aîné, Mũkoma wa Ngũgĩ. »
Je viens de m’apercevoir que Nairobi Heat de Mũkoma wa Ngũgĩ était disponible en traduction française sous le titre de Black Star Nairobi (traduction Benoîte Dauvergne) aux éditions de l’Aube.
08:26 Publié dans 2025 | Lien permanent | Commentaires (1)