samedi, 15 octobre 2016
D'un rapport de jury, et d'un corrigé.
Neuf mois après les épreuves écrites, le jury d'agrégation interne d'anglais vient enfin de publier son rapport sur la session 2016. Ce document est toujours très instructif pour les candidats, et pour les universitaires qui assurent les cours.
Il s'agit d'un document public, consultable ici.
Je viens de passer un certain temps à lire les parties qui me concernent le plus, et notamment les pages 43 à 50, sur l'explication des choix de traduction.
Toutefois, je me contenterai de reproduire ici le texte du sujet de version, et la proposition de traduction à laquelle finit par aboutir le jury.
Texte à traduire (extrait de Freedom de J. Franzen)
Walter had never liked cats. They'd seemed to him the sociopaths of the pet world, a species domesticated as an evil necessary for the control of rodents and subsequently fetishized the way unhappy countries fetishize their militaries, saluting the uniforms of killers as cat owners stroke their animals' lovely fur and forgive their claws and fangs. He'd never seen anything in a cat's face but simpering incuriosity and self-interest; you only had to tease one with a mouse-toy to see where its true heart lay. Until he came to live in his mother's house, however, he'd had many worse evils to contend against. Only now, when he was responsible for the feral cat populations wreaking havoc on the properties he managed for the Nature Conservancy, and when the injury that Canterbridge Estates had inflicted on his lake was compounded by the insult of its residents' free-roaming pets, did his old anti-feline prejudice swell into the kind of bludgeoning daily misery and grievance that depressive male Berglunds evidently needed to lend meaning and substance to their lives. The grievance that had served him for the previous two years —the misery of chainsaws and earthmovers and small-scale blasting and erosion, of hammers and tile cutters and boom-boxed classic rock— was over now, and he needed something new.
Some cats are lazy or inept as killers, but the white-footed black Bobby wasn't one of them. Bobby was shrewd enough to retreat to the Hoffbauer house at dusk, when raccoons and coyotes became a danger, but every morning in the snowless months he could be seen sallying freshly forth along the lake's denuded shore and entering Walter's property to kill things.
Proposition de traduction
Walter n'avait jamais aimé les chats. Il lui avait semblé que c'étaient les sociopathes du monde des animaux de compagnie, une espèce domestiquée comme un mal nécessaire à l'élimination des rongeurs et fétichisée ensuite comme les pays malheureux fétichisent leurs militaires, saluant l'uniforme de tueurs comme les propriétaires de chat caressent la jolie fourrure de leur animal et lui pardonnent ses griffes et ses dents pointues. Il n'avait jamais rien lu dans l'expression d'un chat si ce n'est une absence de curiosité et un égocentrisme de façade ; il suffisait d'en taquiner un avec une fausse souris pour voir quelle était sa véritable nature. Jusqu'à ce qu'il vînt habiter dans la maison de sa mère, il avait eu quantité de maux plus graves à affronter. C'est seulement maintenant, comme il avait la charge des populations de chats harets causant des ravages dans les terres que lui avait confiées The Nature Conservancy et qu'à la blessure infligée à son lac par les lotissements Canterbridge s'ajoutait l'affront des animaux de compagnie que les résidents laissaient vagabonder, que son vieux préjugé contre les félins avait grossi jusqu'à devenir cette espèce de grief, de tourment matraqué journellement dont les hommes dépressifs de la famille Berglund avaient manifestement besoin afin de donner sens et épaisseur à leur existence. Le grief qui lui avait servi ces deux dernières années —le tourment des tronçonneuses, des bouteurs, des petits dynamitages et des terrassements, des marteaux, des coupe-carreaux et du vieux rock à pleins tubes—avait cessé et il avait besoin d'autre chose.
Certains chats sont fainéants ou inaptes à tuer mais ce Bobby, noir, aux pattes blanches, n'était pas de ceux-là. Bobby était suffisamment rusé pour se replier dans la maison des Hoffbauer à la tombée de la nuit, à l'heure où les ratons laveurs et les coyotes devenaient un danger, mais tous les matins des mois sans neige on le voyait repartir à l'aventure sur la rive sud dénudée du lac et pénétrer le domaine de Walter pour y tuer.
Ma seule réaction, après avoir noté à la hâte toutes les erreurs de traduction (en rouge ci-dessus), fut, paraphrasant Coluche : ils s'y sont mis à plusieurs pour faire ça ???
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vendredi, 14 octobre 2016
Frankie Lee & Judas Priest
Mon métier d'universitaire et d'enseignant-chercheur, c'est aussi de former à la traduction, et — à partir de la troisième année, seulement, hélas — à la réflexion sur les questions de traduction.
Dans le cadre de mes T.D. de traductologie, je vais faire travailler les étudiants sur un “texte” de Bob Dylan, et sur une traduction française de ce texte. Pour ceux que cela intéresse, voici le document de cours sous PDF.
Comme je l'écrivais hier, la singularité de l'œuvre de Dylan, c'est qu'elle en grande partie non traductible, à savoir qu'elle n'a pas besoin d'être traduite pour être comprise ou saisissable (comme les grandes œuvres de théâtre, dans lesquelles tant de ce qui se produit n'est pas lié strictement à la langue).
12:20 Publié dans Translatology Snippets, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 11 octobre 2016
L'homme au treuil
Au tout début de The Many, le roman de Wyl Menmuir dont je parlais ce week-end dans une vidéo, le personnage de Clem est d'abord décrit comme celui qui tient le câble du treuil (“holding the winch cable”), puis, dans un dédoublement de l'homme et de la fonction renforcé par une syntaxe qui cherche à marquer la rapidité d'exécution, comme — en calquant le fonctionnement de la langue anglaise — le treuilhomme : “By the time it has fallen into Clem's hands, the winchman has secured it to the cable in a fluid motion and is climbing up out of the water towards the machinery.”
La plupart des ressources lexicographiques, en ligne ou non, proposent ‘grutier’, ce qui serait faux ici, ‘treuilliste’, ‘opérateur treuil’ (qui a l'inconvénient majeur d'être trop technique, surtout avec l'effacement contemporain si agaçant de la préposition) ou ‘sauveteur’, sur lequel je ne me suis guère appesanti car il n'aurait aucun sens dans le contexte : en effet, il n'y a aucun danger, et Clem n'est pas, ne peut pas être un sauveteur. Même si ce dernier mot a un sens technique précis, il ne serait pas du tout identifié en tant que tel par un lecteur français : en anglais, ce terme de winchman dérive très évidemment de la première phrase (“holding the winch cable”).
Ainsi, seul treuilliste semblerait convenir, mais j'ai bien envie de traduire ce nom par homme au treuil. Cette traduction n'est attestée dans aucune ressource, et même la requête restreinte Google ne sert guère d'instance de légitimation. Ma raison principale en serait l'écho d'un roman de Thomas Hardy, The Return of the Native, dans lequel le nom du personnage central du reddleman a été traduit par « l'homme au rouge » (je me rappelle avoir demandé ça à C* quand elle lisait ce roman, il y a bien longtemps, dans sa traduction française).
18:22 Publié dans Translatology Snippets | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 01 octobre 2016
Traduire plusieurs allusions à Astérix
Dans le nouveau cours que j'assure cette année, un cours de thème à destination des étudiants d'échange, nous allons traduire la semaine prochaine un article du journal Sud-Ouest au sujet de la phrase de Nicolas Sarkozy sur “nos ancêtres gaulois”.
Ce qui m'a amusé, outre que ce sujet tente de coller à l'actualité et de donner aux étudiants l'occasion de réfléchir à cette polémique très franco-française, ce sont les multiples références à des titres d'albums : « En plein "combat des chefs" au sein des Républicains, il n'en fallait pas plus pour relancer "La Zizanie". » Dans la phrase suivante, Sarkozy est désigné comme « l'ancien locataire de l'Elysée qui entend bien retrouver en mai 2017 et "Les Lauriers de César" et son"Domaine des Dieux" ».
Ce genre d'allusion ne pose guère de problème a priori, surtout lorsque les œuvres ont été traduites et qu'il y a donc un titre anglais préexistant. Toutefois, ici, deux petites difficultés se sont posées. Tout d'abord, le titre anglais de La Zizanie est Astérix and the Roman Agent. Toute référence à l'idée de conflit ou de chaos étant effacée, il n'est pas possible d'intégrer tel quel le titre anglais. Je choisis donc de moduler en déplaçant la référence sur un autre album, Le Grand Fossé (en anglais : The Great Divide).
Autre difficulté, le titre anglais du Domaine des Dieux est The Mansions of the Gods, avec une modulation de “demeure” en pluriel (mansions). Comme l'article de Sud-Ouest croise l'allusion à l'Élysée, qui est une seule demeure, avec le titre de l'album, j'ai dû tricher un peu en modifiant le titre en “godly mansion”, sans quoi il était impossible de traduire le sens du texte — ce qui reste la priorité.
Dernier détail, un peu hors-sujet, pour les fans de Kaamelott qui me lisent par centaines : le dernier mot de la citation de Bruno Le Maire (dans l'article) étant “Burgondes”, je ne résisterai probablement pas à la tentation de faire découvrir ceci aux étudiants d'échange.
16:05 Publié dans Translatology Snippets | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 27 septembre 2016
Clay-eaters & péquenots
Lisant l'intéressant hors-série de Courrier international intitulé “Que reste-t-il de la puissance américaine ?”, le traductologue qui ne sommeille jamais vraiment tout à fait en moi fut piqué de lire le début d'un article du Financial Times du 15 juillet 2016.
Donc, ni une ni deux, je récupère l'article original dans Europresse et mets le texte et sa traduction en PJ sous PDF.
Le passage qui m'avait intrigué était : « Les Blancs pauvres ont tour à tour été appelés : lourdauds, parias, péteux, péquenots, ploucs, dégénérés, rustres, nègres blancs et cassos. Aujourd'hui, on pourrait ajouter "électeurs de Trump" à cette liste. »
Je laisse admirer, par comparaison avec l'original, l'inspiration du traducteur anonyme de Courrier international :
Variously, poor whites have been called “lubbers”, “offscourings”, “crackers”, “hillbillies”, “clay-eaters”, “low-downers”, “degenerates”, “red necks”, “white niggers” and “trailer trash”. Nowadays “Trump voter” might also serve.
18:40 Publié dans Translatology Snippets | Lien permanent | Commentaires (2)
mardi, 20 septembre 2016
Payer en nature
Le crime crapuleux n'est pas sieste crapuleuse, ni réciproquement*.
L'étudiant anglais qui m'a demandé de lui expliquer, vendredi dernier, ce que signifiait payer en nature m'a confirmé que c'était plutôt dans un contexte de vannes de bistrot que parce qu'il avait aidé aux vendanges à Vouvray. J'espère pour lui qu'il n'a pas raté une occase.
Plus sérieusement, cette suggestion, qui a égayé le cours, était aussi une colle.
Dans son sens économique, littéral, “payer en nature” se dit pay in kind, expression que ne semblait comprendre aucun des étudiants anglophones, probablement parce que cette pratique n'a aucune espèce de réalité dans leur univers. Pour le sens métaphorique, sexuel, les ressources lexicographiques consultées en direct pendant le cours (WR, Reverso** et les dictionnaires Larousse) proposaient toutes take it out in trade. Le hic, c'est que là encore aucun des étudiants anglophones n'identifiait le sens sexuel de cette expression, qui doit être moins répandue et nettement moins compréhensible que son équivalent français.
Comment traduire, alors, sans expliciter ? Imaginons, dans un dialogue par exemple : “Le serveur est mignon, t'as qu'à le payer en nature”. Traduire cet énoncé par “The waiter is cute, possibly he'll accept your paying him with sexual favours” serait beaucoup trop explicite. J'avoue n'avoir aucune idée, à part un jeu de mots alambiqué sur down payment et go down on sb → you should offer him a going-down-payment.
* Cf débat sur FB le 20.09.2015.
** Je note ici une bizarrerie de l'article de synonymie pour “sexual favours” sur Reverso.net. Dans la liste des exemples d'usage se trouve la phrase “Many women derive sexual pleasure from driving on a horse” (ce qui est déjà tout un programme), avec,en regard, sa traduction en arabe...!
(cliquer pour agrandir)
09:44 Publié dans Translatology Snippets | Lien permanent | Commentaires (3)
mardi, 12 avril 2016
Je n'ai pas de “sa-langue”
Après huit jours d'interruption pour cause de séjour parisien — et pourtant, comme je l'ai brièvement évoqué au début de la vidéo publiée avant-hier, j'avais envisagé divers tournages possibles dans la capitale (il n'en a rien été) —, j'ai repris le rythme quotidien d'enregistrement et de publication de traductions filmées improvisées.
Après deux poèmes de Ted Joans, ce qui m'a fait penser que lui, comme Red Shuttleworth et Tatamkhulu Afrika, mériterait sa pierre en France, je viens de traduire en anglais un poème très simple du poète belge Jean-Luc Wauthier. Comme l'objectif était que cette vidéo fût la plus brève possible, je ne suis pas entré dans les détails, mais :
* suite à une discussion avec François Bon, qui m'a dit il y a une dizaine de jours que mes vidéos français → anglais étaient moins intéressantes, j'ai beaucoup réfléchi, et maintiens qu'il ne s'agit pas seulement (et, en l'espèce, pas du tout (je montre plutôt mes failles)) de montrer que je suis fort en thème, mais de montrer une autre facette de l'exercice, de proposer une réflexion la plus complète possible, à ma modeste échelle, de ce que peut être une telle pratique quotidienne de la traduction littéraire improvisée
* pour cette raison, j'ai déjà fait une incursion dans le territoire allemand, et essaierai peut-être prochainement d'autres territoires (latin, italien, espagnol, portugais — soyons fous)
* dans la brève vidéo consacrée au poème de Wauthier, je parle de gymnastique, et c'est de cela qu'il s'agit : filmer le mécanisme, le fonctionnement d'un atelier parmi tant d'autres... et donc, cet atelier n'est pas uniquement, comme l'institution (universitaire autant qu'éditoriale) voudrait nous y réduire, celui d'un quidam qui traduit dans sa langue.
Pas du tout...
“Sa langue”... Quel non-sens...
Les éditeurs du monde entier n'admettent généralement de travailler avec un traducteur qu'à condition qu'il traduise dans sa langue maternelle. Je mets de côté le cas des personnes qui ont plusieurs langues maternelles, des vrais bilingues ou trilingues ; ce n'est pas mon cas, et je l'assume ; l'anglais ne sera jamais une langue que je maîtrise aussi exhaustivement que le français, et pourtant, si je lis un poème en français et si se met en branle, en moi, le passage dans cette autre langue qu'est l'anglais, je suis certain que ma langue, à ce moment-là, est l'anglais. Je peux penser et écrire en plusieurs langues, et je sais pouvoir passer de plusieurs manières d'une langue à une autre.
Pour le dire autrement, et même si ça va sembler arrogant (or, ça ne l'est pas : je postule que cela est vrai de centaines de millions de personnes qui en font l'expérience quotidiennement ou presque) : quand je lis un texte, quel qu'il soit, et quand me vient progressivement ou par bribes la traduction de ce texte en anglais, la langue anglaise m'appartient plus qu'à bien de ceux dont elle est la langue, ou dont on voudrait fixer immuablement le fait qu'elle est “leur langue”, leur sa-langue.
19:29 Publié dans Questions, parenthèses, omissions, Translatology Snippets | Lien permanent | Commentaires (6)
vendredi, 08 avril 2016
La cikado kaj la formiko
Je viens de découvrir, grâce au Projet Gutenberg, la traduction des Fables de La Fontaine en espéranto, et je m'en suis tenu à la première fable — La Cigale et la fourmi, comme il se doit.
Or, il m'est arrivé de lire des fables que je connais à peu près par cœur (comme celle-ci) dans des langues que je ne connaissais pas, et je peux affirmer qu'en général je reconnais tel ou tel verbe, je comprends tel vers, je peux apprécier tel choix de rime ou de rythme... Ici, en espéranto, qui était, je crois, censé devenir la langue universelle en raison de sa prétendue simplicité d'approche, je ne reconnais à peu près rien... et ça n'a même pas l'air traduit en rimes...
Quelques exceptions, toutefois. Citons le célèbre “de mouche ou de vermisseau” qui devient : Da muŝo aŭ vermeto.
Le lien se trouve ci-dessus.
07:38 Publié dans Translatology Snippets | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 01 avril 2016
Vieil homme sous un ciel en suspens
Pour célébrer la vingt-sixième vidéo, filmée tard ce soir, je signale l'importance du poète sud-africain Tatamkhulu Afrika (1920-2002).
Ces prochains jours, les publications de traductions improvisées et filmées seront peut-être plus sporadiques.
23:55 Publié dans Nathantipastoral (Z.), Tographe, Translatology Snippets, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 21 mars 2016
Un arbre branle ses nibards (si, si !)
C'est mal parti, cette affaire...
Hier soir, j'ai commencé, en quelques minutes d'un coupable désœuvrement, à traduire les Prose Fancies de Richard Le Gallienne, mais d'une manière un peu neuve (pour moi) : sur Twitter.
Quelques précisions, tout d'abord :
Richard Le Gallienne est un poète et prosateur anglais à peu près contemporain de Joseph Conrad (là s'arrête la comparaison), dont on fête (ou plutôt : dont personne à part moi n'a célébré) le cent-cinquantième anniversaire de la naissance.
J'ai traduit, par phrase courte ou fragment de phrase, en publiant à chaque fois, autant que faire se pouvait, le texte anglais et ma traduction (ce qui contraint à un foisonnement très modéré, pour ne pas dire inexistant).
Pour sauvegarde, j'ai attaché à chacun des tweets le hashtag #RLG16 (que tout un chacun est invité à utiliser pour d'autres traductions de R.L.G.), et publié ensuite les quelques phrases françaises sur mon mur Facebook.
À l'instant, cherchant à reprendre la tâche, je me suis donc attaqué au texte de “A Spring Morning” au point — très peu avancé — auquel j'étais parvenu :
The more complaisant chestnut dandles its sticky knobs.
On comprend tout de suite le sens approximatif de cette phrase : le plus complaisant des châtaigniers balance (dans le vent) ses bourgeons gluants. Toutefois, l'image est curieuse. Et, plus encore, le choix des mots :
- complaisant est un maniérisme, une affectation de francophile. Soit. *
- dandle, que l'Oxford English Dictionary signale comme rare, a comme sens principal “faire sauter un enfant sur ses genoux”, ou, plus généralement to move (anything) up and down playfully in the hand (je pense qu'on me voit venir)
- knob n'a rien de spécifique ou de technique ici. Il n'a pas explicitement le sens de bourgeon ou de châton. Donc, on ne comprend pas bie ce que cette image vient fabriquer dans cette phrase déjà bizarre. En revanche, comme le confirment plusieurs dictionnaires bilingues, le substantif knob a plusieurs acceptions argotiques : 1. zob, bite 2. (insulte) tête de nœud 3. (américain) knobs : nibards ——— Malheureusement, l'OED ne propose, comme occurrence la plus ancienne du sens obscène 1., qu'une citation de 1961. Toutefois, l'article date de 1901 et n'a été révisé que partiellement. Prose Fancies date de 1891, et, sans recherche plus poussée, il m'est difficile d'affirmer avec certitude que Richard Le Gallienne pouvait connaître ce sens. → → → →
→ → → → Toutefois, le lecteur de 2016 qui a “tiqué” sur pareille accumulation de termes insolites (sans parler de chest/nut), rien ne pourra l'empêcher de lire cette phrase simultanément comme suit :
Le plus complaisant des châtaigniers balance dans le vent ses bourgeons poisseux.
Le plus indolent des châtaigniers branle ses zobs gluants / ses nibards collants.
Décidément, après ma vidéo d'avant-hier qui se terminait par "se tripoter le zgègue", le printemps est là.
* Soit, mais un francophile comme Le Gallienne pouvait-il totalement ignorer des blasons tels que celui attribué en 1543 à Bochetel (« Ce con plaisant, ce con tant digne chose ») ?
16:50 Publié dans Translatology Snippets | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 09 mars 2016
Un tateu ! un tateu !
Je suggérais avant-hier, à propos des amalgames, qu'il n'est pas toujours aussi difficile qu'on le pense de traduire les jeux de mots, ou, plus généralement, les jeux sur la langue. Au contraire, avançais-je, la primauté à accorder au procédé libère le traducteur dans ses choix. — Egghead de Bo Burnham, le recueil de poèmes farfelus dont j'ai traduit hier un poème en freestyle bégayant, peut me permettre d'illustrer cela avec de nouveaux exemples.
Par exemple, le quatrain intitulé Armadilla a pour principe d'allier deux rimes riches à des noms d'animaux dont la voyelle finale est modifiée :
Armadilla! Armadilla!
On a pilla! On a pilla!
And a giant chinchillo!
And a bigger gorillo!
Face à cela, un traducteur n'a quasiment pas de questions à se poser, si ce n'est pour hésiter sur le choix de la terminaison fausse, ou sur le lexème dissimulé derrière pilla : est-ce pillar ou pillow ? j'ai choisi, pour ma part, de suivre le dessin de Chance Bone, qui figure un tatou sur un oreiller.
Et donc :
Un tateu ! Un tateu !
Allongé sur un oreilleu !
Et un immense chinchillo !
Et un énorme gorillo !
***************************
Autre exemple, le distique Advice.
If the poem you're writing is silly and dumb,
make sure that it rhymes at the end. Bum.
Ce qui compte, c'est de conserver l'idée autoréférentielle absurde (ce poème est idiot, mais il rime) et le côté gratuit (enfantin) du dernier mot. J'ai aussi noté que dumb et bum riment, mais avec une différence orthographique. Ce qui peut donner :
Petit conseil
Si ton poème est bête ou franchement taré,
assure-toi au moins qu'il rime. Jus de raie.
Le caractère primordial d'une métrique classique (d'où ici l'alexandrin) et d'une rime suffisante mais partiellement fausse (les sons é et aie ne riment pas absolument en français, ce qui renforce, je trouve, l'ironie) donne plus de liberté au traducteur. On peut préférer une version moins personnelle :
Si ton poème est idiot, stupide, caduc,
assure-toi de le faire rimer. Trouduc.
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lundi, 07 mars 2016
Amalgames
Tout d'abord, avant de me livrer à d'oiseuses considérations linguistiques, j'invite tout lecteur ou visiteur qui ne connaîtrait pas Madam & Eve à se rencarder fissa, de préférence avec le site officiel.
Cette planche, la plus récente, m'incite à évoquer le sujet des mots-valises, ou, selon la terminologie que préfèrent généralement les lexicographes, des amalgames. J'ai souvent fait remarquer à mes étudiants, à l'époque où j'enseignais la lexicologie, que le plus difficile, face à un amalgame qu'on ne connaît pas au préalable, est de le comprendre, c'est-à-dire, principalement, de quels mots il se compose.
Traduire n'est souvent qu'une difficulté de second ordre, ne serait-ce qu'en raison du côté souvent ludique, voire délirant, du mot-valise, et d'autant moins si les deux éléments de l'amalgame en langue source sont identiques ou voisins en langue source : ici, aucune raison de ne pas garder, dans toute langue qui emploie le mot “zombie”, Zombiebabwe.
L'amalgame le plus difficile à identifier, dans cette planche, est probablement pravincible.
Qui voit de quoi il s'agit ?
Personne ?
Tout le monde garde les yeux rivés sur son cahier laptop ?
C'est normal. Thandi, la petite fille, fait un jeu de mots sur le nom du Ministre des Finances sud-africain, Pravin Ghordan (d'où, également, le jeu de mots sur Flash Gordon), qui ne fait pas la une de la presse européenne tous les quatre matins. Du coup, comment traduire ? aucune hésitation. Il se prénomme Pravin ; “invincible” existe en français. D'où He's pravincible → il est pravincible !
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jeudi, 03 mars 2016
Mash
Si je devais, aujourd'hui, proposer de nouveau le cours sur l'humour britannique que j'ai assuré entre 2005 et 2007 (ou entre 2004 et 2006, j'ai un doute), je centrerais le propos autour d'une série de publications en ligne, singulièrement sur les réseaux sociaux. Qu'il me soit permis de citer, sans aucune exhaustivité, Very British Problems (dont je me suis largement inspiré pour mon site en sommeil Very Billish Problems), le compte Twitter du roi Henri VIII (ou celui, hélas inactif depuis deux ans, du Proust moderne) et le journal satirique en ligne The Daily Mash.
Trois articles récents du Daily Mash m'ont incité à écrire un billet de traductologie (rubrique plébiscitée).
Le premier s'intitule “Wenger quits to become tortoise”. Je le signale car il est tout à fait emblématique de ce qui, dans l'humour britannique, ne se retrouve que très rarement dans d'autres langues ou sous d'autres climats : une idée extérieure à toute logique et poussée jusqu'à son terme (ce que l'on nomme le nonsense, et qui n'est ni le simple loufoque ni l'incongru selon Jourde). — Outre la brièveté du titre, marque de fabrique de la langue journalistique anglaise, je voulais commenter le recours presque systématique, dans les chapeaux des articles du Daily Mash, à la proposition post-posée “it has emerged”.
ARSENAL manager Arsene Wenger has given up football in order to become a tortoise, it has emerged.
Parodie réjouissante des clichés journalistiques, cette formule creuse est difficile à rendre : commencer une phrase par il semblerait que n'a pas le même effet, ni la même fonction de parodie. Je proposerais plutôt : « Selon certaines révélations, l'entraîneur d'Arsenal Arsène Wenger vient de démissionner de son poste afin de se transformer en tortue. »
Le deuxième article s'intitule “Mum claims to get mistaken for daughter although that is clearly bollocks”. Ici, je veux plutôt pointer un risque de contresens dans le dernier paragraphe de l'article : Carol Hollis said: “It’s true that my mum does borrow my clothes. However they’re always stretched to fuck when she gives them back.” — J'imagine assez que des étudiants inattentifs traduiraient they're stretched to fuck par ils ont été étirés pour pouvoir baiser, ou, pour essayer de donner un sens (au mépris toutefois du sens de TO+V-), par ils ont été étirés par la baise. Ici, fuck n'a pas un sens sexuel, mais l'expression stretch to fuck fonctionne un peu comme reduce to nothing. Je proposerais donc : « C'est vrai, confirme Carol Hollis, ma mère m'emprunte effectivement des vêtements, mais il faut bien dire qu'ils sont toujours déformés de façon irrécupérable quand elle me les rend. » (La meilleure traduction de “to fuck” serait : ils sont tellement déformés quand elle mes les rend qu'ils sont bons pour la benne. Un peu long.
Le troisième article s'intitule “Rugby ‘can turn you into a bellend’” — Là encore, c'est le chapeau qui m'intéresse, avec l'adjectif composé trouser-dropping associé au substantif stunts.
THE risks of rugby include getting a taste for moronic drinking games and trouser-dropping stunts, it has emerged. — « Il ressort d'une étude que le rugby présente, entre autres risques, le fait de devenir accro à des jeux débiles liés à la consommation d'alcool et celui de se mettre à sauter dans tous les sens en enlevant son pantalon. »
(Je ne suis pas content de ma traduction de drinking games, ni de celle de trouser-dropping stunts, trop foisonnante. À suivre.)
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lundi, 29 février 2016
L'Ivresse / Drunkenness
Pour un cours déplacé au lundi matin à 8 heures, il y avait certes quelques absents, mais nous avons bien travaillé. Les étudiants devaient chercher dix exemples de modulation dans les sous-titres anglais de l'épisode de Kaamelott ci-dessus.
Les échanges ont été nourris, et on a pu faire le tour de presque toutes les modulations les plus courantes.
Les présents auront même appris ce que sont un hyponyme, une brachylogie, une catachrèse — sans compter le rappel des fonctions poétique et phatique du langage selon Jakobson.
Il tabasse, le Cingal.
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dimanche, 28 février 2016
Beggar-thy-neighbour
L'une des choses qui me fascine le plus, dans l'utilisation que font les médias dits “traditionnels” des réseaux sociaux, c'est la disparité très fréquente que l'on observe entre le titre d'un article au moment il a été posté sur la page FB, par exemple, du journal, et le moment où on consulte le site Web du journal en question.
Hier, le Guardian a publié un article, attribué à “Martin Farrer and agencies” (ce qu'en français on traduirait sans doute par "Martin Farrer, sur dépêches d'agence"), et intitulé (à l'heure où j'écris ces lignes), “G20 concludes Brexit would 'shock' world economy, George Osborne says”. L'URL démontre assez que ce n'était pas le titre original.
Sur Facebook, le statut annonçant l'article propose toujours le titre d'origine, avec son chapeau d'origine : « Finance ministers meeting in Shanghai have warned about the danger of Britain leaving the EU and beggar thy neighbour currency wars, Reuters reports. » — Bien que je connaisse le jeu de beggar my neighbour (une sorte de mistigri) et bien que j'aie identifié sans difficulté la fonction verbale ici de beggar thy neighbour et son sens économique, originalement attribué à Adam Smith, je pense que cela n'est pas évident pour tout le monde, notamment en l'absence de traits d'union à l'expression figée beggar-thy-neighbour, mais aussi parce que la fonction de ce verbe au présent n'est pas claire : si le sujet en était Britain, il serait au participe présent (avec la question difficile à résoudre : beggar-thy-neighbouring ou beggaring-thy-neighbour ?) ; si la syntaxe est ici correcte, le sujet en est nécessairement “Finance ministers”, ce qui signifie alors que les ministres des finances du G20 auraient explicitement dit qu'ils allaient se livrer à des politiques protectionnistes, de l'ordre du chacun pour soi. (Ces deux traductions conviendraient ici. Pour plus d'occurrences d'usage, cf Linguee.)
Tout cela m'a semblé étonnant, à la seule lecture du titre et du chapeau. J'ai donc lu l'article et constaté, tout d'abord, que le chapeau, modifié, était beaucoup plus compréhensible : « Finance ministers warn about danger of Britain leaving EU and pledge to use all policy tools to lift global growth ».
La seule occurrence de l'expression idiomatique renvoyant au risque de politiques protectionnistes se trouve désormais dans le corps de l'article, avec un sens opposé à celui qui demeure dans le chapeau visible sur Facebook : « It [= the draft's note] added that ministers pledged not to engage in beggar-thy-neighbour currency devaluations which could unleash a wave of dangerous deflation through the global economy. »
Ainsi, il y aurait eu, pour qui lit l'article ce matin, un engagement solennel des ministres du G20 à ne pas mettre en place de politiques protectionnistes de dévaluation, alors que, si on s'en tient à un premier état, encore visible sur Facebook, Reuters a tout d'abord souligné la menace de politiques protectionnistes lors du G20...
Que comprendre, et que croire ?
Doliprane 3000, comme dirait une amie...
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samedi, 13 février 2016
Rising Stages of Anger
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mercredi, 10 février 2016
Glasfuß u. Gestrüpp
En lisant le dernier livre traduit de Herta Müller (Dépressions. Gallimard, 2015), je me fais honte de ne jamais avoir essayé de lire ses œuvres en allemand. Et surtout, plus que la honte, ce sont les questions qui ne manquent pas de fourmiller.
Ainsi, quand, dans le passage ci-après, le travail sur les sons vocaliques, le rythme, les rimes à l'intérieur des phrases de prose, est aussi colossal, je ne peux m'empêcher de me demander à quoi ça ressemble en allemand, si toutes ces concordances ont été reprises par la traductrice, Nicole Bary*, ou si certaines font l'objet, de sa part, d'une compensation... bref, comme il est idiot de ne pas avoir des semaines de 373 heures et de ne pas lire Herta Müller dans l'original.
Les yeux profonds du père regardent le pied de verre noir de la mère avec la déchirure blanche. Les souliers noirs de la mère enjambent les taupinières entre des tombes étrangères.
Nous passons sous le porche du cimetière. Le village s'enfonce en lui-même et sent le sapin et la fougère, les chrysanthèmes et les coulures de cire. **
(“Tango appuyé”, in Dépressions, p. 121)
* Quoi qu'il en soit, le livre est si beau, si singulier, la langue si lancinante et belle, que c'est forcément une bonne traduction.
** Finalement, grâce à une édition pirate en ligne de Drückender Tango, j'ai pu accéder à l'original. Je laisse chacun juge :
Vaters tiefe Augen schaun auf Mutters schwarzen Glasfuß mit dem weißen Riß. Mutters schwarze Schuhe gehen über Maulwurfshügel zwischen fremden Gräbern.
Wir gehen durch das Friedhofstor. Das Dorf sinkt in sich ein und riecht nach Tannengrün und Farn, nach Chrysanthemen und nach wächsernem Gestrüpp.
10:10 Publié dans Translatology Snippets | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 25 janvier 2016
« la peau des pierres »
21 janvier
Dans Pierrier, volume déjà évoqué, ce que je trouve le plus réussi, c’est, justement, la série d’âpres quatrains & tercets qui donne son titre recueil, ainsi que les deux rondeaux qui ferment la marche.
Dans l’ultime tercet de “Pierrier”, on trouve une image — la peau des pierres — qui se transpose fort bien, et avec allitération, en anglais. (J’ai la fâcheuse habitude, en lisant des poèmes brefs, de les traduire en anglais au fur et à mesure.)
L’écriture se lie, se liquéfie, The writing ties itself, liquefies,
creuse sous la peau des pierres, digs under the skin of stones
le cœur tendre des herbes the soft heart of grasses
Il me semble qu’il y a une virgule superflue à la fin du deuxième vers : je comprends le vers 3 comme un C.O.D. de creuse… sinon, ça m’échappe…
Herbes pose un gros problème : grass est généralement singulier (indénombrable, en fait), herbs est le terme culinaire, weeds ne désigne que les mauvaises herbes. Grass au pluriel existe, certes, mais dans un sens plus technique. Heureusement, j’ai trouvé plusieurs occurrences dans un registre légèrement archaïsant.
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dimanche, 17 janvier 2016
Mettre en mue
Attaquant demain avec mes étudiants de première année la scène de l’acte 1 de Richard III dans laquelle, après avoir brièvement discuté avec Hastings de sa récente disgrâce, Gloucester poursuit son monologue en y exposant ses projets (I, i, 122-162), j’ai rompu des lances avec le beau distique du chambellan (132-3) :
More pity that the eagles should be mew'd
While kites and buzzards prey at liberty.
Il va de soi que, pour les étudiants, je veux surtout insister sur les métaphores et sur l’antithèse (exprimée d’une manière dissymétrique, d’ailleurs : “more pity that.. while…”), mais, à titre personnel, j’ai un peu creusé ce ‘mew’d’, ici au sens 3 du verbe mew dans l’Oxford English Dictionary, terme de fauconnerie désignant une cage et, par extension, le fait de confiner un oiseau pendant la période de mue.
Je n’ai, sous la main, « que » trois traductions, celle de François-Victor Hugo (1866, reprise en GF), celle de Jean-Michel Déprats (Gallimard 1995) et celle d’André Markowicz (Les Solitaires intempestifs, 2010).
François-Victor Hugo – on trouve d’ailleurs le texte en ligne sur Wikisource – traduit en prose : « Tant pis que l’aigle soit en cage, — quand les milans et les buses pillent en liberté. »
Déprats :
« C’est grand dommage que les aigles soient mis en cage,
Quand milans et buses chassent leur proie en toute liberté. »
Markowicz, seul à tenter de rendre les pentamètres iambiques par des décasyllabes “classiques” (4/6), conserve, audacieusement, un terme de vénerie à peu près inconnu du fait de son archaïsme (on le retrouve dans le Littré) :
« Quelle pitié de mettre en mue les aigles
Quand les busards et les gerfauts sont libres. »
La restitution d’une métrique et d’un rythme proprement shakespeariens se fait au prix d’un effacement, le prey de la proie, qui n’est pas insignifiant, bien sûr. Ce qui me paraît le plus délicat, c’est la perception – et donc la compréhension – par un spectateur contemporain de ce terme de mue. J’ai vérifié la traduction du jeu d’échos entre cette occurrence et celle du monologue d’ouverture. En effet, Gloucester, dès le vers 38 : This day should Clarence closely be mew’d up
Markowicz, sans surprise, a été attentif à cet écho : « Ce jour verra Clarence mis en mue » — Déprats, nada : « Aujourd’hui même Clarence sera bouclé » — F.-V. Hugo non plus : « Clarence sera enfermé étroitement aujourd’hui même ».
(Dans une pièce très contemporaine de Richard III, Roméo & Juliette, Lady Capulet dit de sa fille : To-night she's mew'd up to her heaviness. (III, iv). Ce que F.-V. Hugo traduit par cloîtrée dans sa douleur.
À suivre...)
21:39 Publié dans Translatology Snippets, WAW, Words Words Words | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 11 janvier 2016
▓ wattle ▓
Voulant éviter le très beau (et bref) paragraphe de trois phrases qui ouvre l'œuvre, l'incipit de From A Crooked Rib — pour y venir ultérieurement, pas d'inquiétude —, je cherchais quelle “série de trois” piocher dans les premiers chapitres du premier roman de Nuruddin Farah. J'ai bien failli choisir le début du deuxième § de ce Prologue si bref et si beau, puis me ressaisis.
In the dark, the huts looked more or less like ant-hills, maybe of an exaggerated size. The huts were made of wattle, weaved into a mat-like thing with a cover on top. They were supported by sticks, acting as pillars.
(From A Crooked Rib, 1970. Ch. I. Penguin, 2006, 6)
On trouve plusieurs traits caractéristiques de l'écriture de Nuruddin, traits qu'il aura soin de gommer ou de dissimuler sous des variations plus baroques au fur et à mesure des trois trilogies : rythme ternaire avec variations autant métriques que syntaxiques (cf analyse ci-dessous) ; emprunt des doubles paires allitérantes à la poésie pastorale somalie (made/mat // wattle/weaved) ; progression de la description par reprises (the huts → The huts → They were)
[1] In the dark, [2] the huts looked more or less like ant-hills, [3] maybe of an exaggerated size.
[1] The huts were made of wattle, [2] weaved into a mat-like thing [3] with a cover on top.
[1] They were supported [2] by sticks, [3] acting as pillars.
En bleu : syntagmes prépositionnels incidents. En orange : noyaux des propositions. En pourpre : structures verbales (ou non) incidentes servant à préciser la description. Dans la première phrase, les trois temps sont marqués par trois virgules ; dans la deuxième, la seule virgule ouvre de [1] sur [2] ; dans la troisième, elle ouvre de [2] sur [3].
D'un point de vue métrique, les fragments courts privilégient l'anapeste (with a 'co /ver on 'top), tandis que les segments plus longs (noyaux) sont plutôt iambiques, avec un effet d'accélération (the 'huts were 'made of 'wattle), puis, avec le dernier segment cité ici, un effacement porté par la combinaison dactyle/trochée ('acting as / 'pillars).
L'ensemble de ce dispositif a pour effet d'insister sur le caractère imprécis des éléments descriptifs (more or less like, thing, acting as), sans doute dû à l'obscurité : “in the dark”.
S'il fallait un exemple de ce qui différencie une bonne traduction d'une mauvaise, les choix respectifs de Geneviève Jackson (Hatier, 1987) et de Jacqueline Bardolph (Le Serpent à plumes, 2000) pour ces trois phrases sont un cas d'école :
Dans l'obscurité, les cases moutonnent. On dirait de grosses fourmilières. Faites de claies tressées, grossièrement chapeautées, elles émergent, portées par leurs grêles pilotis. [Jackson, p. 13]
Dans le noir, les huttes ressemblaient plus ou moins à des fourmilières, peut-être d'une taille excessive. Ces huttes étaient faites de claies, tissées pour former un objet comme une sorte de natte avec un couvercle dessus. Ces nattes d'osier étaient posées sur des bâtons qui servaient de piliers. [Bardolph, p. 23]
Bien entendu, la traduction de Geneviève Jackson est exécrable ne serait-ce que parce qu'elle ne respecte ni le temps du récit (que vient faire là ce présent ?) ni le point de vue (d'où sort ce “On” ?) ni le lexique descriptif (“moutonnent” ???), et, même dans un contexte scolaire, elle aurait une mauvaise note. Toutefois, ce qui est le plus faux, c'est la manière dont la prosodie de la description est totalement évacuée, effacée, remplacée par autre chose. Jacqueline Bardolph traduit véritablement Farah car, en suivant rigoureusement la structure syntaxique et métrique des phrases, elle donne à entendre un texte de même teneur. Quand plusieurs solutions sont possibles, elle choisit en fonction du rythme (in the dark → dans le noir, par exemple).
(Je n'ai rien dit de weaved, car il m'embarrasse. — J'avais d'abord songé que la forme faible pouvait être un américanisme, mais, à en croire l'OED, ce serait plutôt un archaïsme : on trouve cette alternative à la forme forte woven, désormais seule courante, jusqu'au début du 19e siècle.)
22:19 Publié dans Seventy-One NonFlowers by/for Nuruddin Farah, Translatology Snippets | Lien permanent | Commentaires (1)
mardi, 29 décembre 2015
Glassed
When it was light enough to use the binoculars he glassed the valley below. Everything paling away into the murk. The soft ash blowing in loose swirls over the blacktop.
(Cormac McCarthy. The Road, p. 2)
Au tout début de The Road, le lecteur ne sait pas encore de quel univers post-apocalyptique (ni de quelle apocalypse) relève le récit, de sorte que le substantif murk, un des leit-motivs du roman, n'a pas encore trouvé de signification précise. De même, les nuages de cendres, omniprésents, demeurent indistincts. Traduire blacktop en français – c'est-à-dire, déjà, comprendre ce mot et le faire comprendre à un lecteur français tout en préservant un côté encore partiellement énigmatique – n'est pas forcément chose aisée. Ce qui risque de donner le plus de fil à retordre, ici, est l'emploi de glass comme verbe.
Peut-on mettre en place un bon vieux chassé-croisé ? Sans doute, mais, alors que le chassé-croisé permet habituellement d'intervertir deux éléments, il s'agirait plutôt d'étoffer le verbe glass en extrayant les deux sèmes : action (fait de regarder) et moyen (jumelles). Dans la mesure où la subordonnée de temps introduit de manière explicite ce moyen (binoculars), ne peut-on se contenter d'un unique verbe, sans répétition du moyen ?
Le traducteur se trouve face à deux alternatives. La solution [1] étoffe le verbe (néologique?) en procédant à une traduction pour chacun des deux sèmes (action et moyen). La solution [2] n'a de recours à aucune opération particulière, en conservant un verbe mais en ne signalant ni redondance ni néologisme.
[1] Quand il fit assez jour pour utiliser les jumelles, il s'en servit pour scruter la vallée.
[2] Quand il fit assez jour pour se servir des jumelles, il inspecta la vallée à ses pieds.
[3] Quand il fit assez jour pour se servir des jumelles, il entreprit de binoculer la vallée.
On le voit, un autre problème se pose : la traduction de below. Peut-on effacer la notation spatiale, comme en [1], en supposant que le contexte est suffisamment clair (l'homme se trouve en hauteur), ou doit-on préciser, au risque d'une certaine lourdeur (choix [2]) ?
La facilité avec laquelle la langue anglaise convertit des noms en verbes, par exemple, c'est-à-dire crée de nouveaux mots par simple changement de catégorie grammaticale, paraît interdire de traduire glass d'une manière trop néologique, comme en [3]. À cela s'ajoute la difficulté de trouver des synonymes au français jumelles.
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dimanche, 20 décembre 2015
D’une disparition
17 décembre 2015
Voulant chercher quelques nouvelles citations pour prolonger le projet des soixante-et-onze phrases de Farah, je m’aperçois que mon exemplaire de From A Crooked Rib est introuvable. Bon, j’ai dû le prêter, et je ne l’ai jamais récupéré – à racheter.
Ce qui est plutôt amusant, c’est que j’ai deux exemplaires de la traduction du roman par Jacqueline Bardolph (publiée à l’époque, juste après la mort de la grande spécialiste, en collection “Motifs”, à l’instigation de Jean-Pierre Durix) et que je ne parviens pas non plus à remettre la main sur la première traduction, celle de 1987, due à Geneviève Jackson et parue dans la collection “Monde noir”, aux éditions Hatier.
Autre curiosité (plutôt de nature à faire rire jaune, celle-ci), c’est qu’il y a quinze ans, un texte de Farah pouvait sembler mériter une retraduction, alors qu’il est devenu impossible de faire traduire ses derniers romans. Links a été bousillé par une certaine Marie-Odile Fortier-Masek, infoutue de comprendre la plupart des allusions culturelles et encore moins de saisir l’importance de certaines figures (allitérations, effets de symétrie, jeux sur la polysémie des adjectifs) ; depuis, Knots, Crossbones et Hiding in Plain Sight sont dans les limbes.
J’ai aussi, sur mes étagères, 4 exemplaires de Links, et pas mal d’autres doublons nuruddiniens… mais pas trace du tout premier roman.
10:10 Publié dans Lect(o)ures, Translatology Snippets, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 12 décembre 2015
Comment traduire les distiques ribéryens ?
Le ribéryen, on le sait, est un idiolecte. Langue tout à fait singulière, avec ses règles propres, ses associations apparemment arbitraires d’auxiliaires et d’adjectifs (on a dur) ou ses redondances fulgurantes à base de savants amalgames (la routourne va tourner).
Hier, en cours de traductologie, on travaillait sur trois traductions de “Matinée d’ivresse”. Ce qui pose le plus de problèmes aux étudiants, au fond, c’est la langue de Rimbaud, ce que dit sa prose. Une étudiante très fine, qui participe bien, venait, juste avant la fin du cours (vendredi, 17 h 55, permettez qu’on se déboutonne), d’expliquer qu’elle préférait la façon dont John Ashbery évitait la répétition de « cela finit », répétition qu’elle trouvait, pour sa part, trop lourde (ou trop grandiloquente peut-être ?).
Je lui ai fait remarquer que c’est la langue de Rimbaud qui la gênait mais que, bien sûr, si on traduisait Rimbaud, on traduisait sa langue. On a le droit de ne pas aimer les Illuminations, mais si on les traduit, ce n’est pas dans l’idée de les améliorer. Rendre, sur tel point, Rimbaud moins emphatique ou moins lyrique, ou moins obscur, ce n’est pas le traduire.
J’ai alors pris – cela ne surprendra personne ici, depuis des années que je vous saoule avec les distiques – l’exemple du ribéryen : Rimbaud, c’est comme Ribéry, en un sens ; si vous décidez de traduire Ribéry en anglais, vous ne pouvez pas faire comme s’il s’exprimait dans une langue banale. Et me suis aperçu que, toutes ces années, je n’ai jamais cherché, je crois, à traduire “la routourne va tourner”.
Ribéry, ça fait toujours rire les étudiants. (Ça faisait moins rire quand, pour corriger les devoirs de version, il y a quelques années, je m’étais fait confectionner un tampon « Franckophone ! ») Mais Ribéry pose un véritable problème de traduction. On a dur, comment traduire ? We have tough ? We are hardness ? We finding hard ?
Et la fameuse phrase de la routourne ? There’ll be a wheelturn of the wheel ? Fortune will wheel ? The wheel of fortune is bound to turnbound ?
Si je choisissais de traduire mes distiques, je me trouverais à traduire un ribéryen fictif, outrancier, dont je suis l’auteur, donc j’aurais peut-être plus de facilité à adapter… mais c’est tricher, un peu…
18:27 Publié dans Questions, parenthèses, omissions, Translatology Snippets | Lien permanent | Commentaires (2)
vendredi, 04 décembre 2015
Gib's auf
Un très beau texte publié ce matin par François Bon me remet en mémoire — ou sur le chemin du — bref texte de Kafka, Gib's auf (dont voici la version allemande et, grâce à une autre partie du site de François, la version française).
Pour le plaisir de retrouver inactifs (“cassés”), dans quelques années, la quasi totalité de ces liens intégrés, je mets en ligne ci-dessous quelques films inspirés de cette micro-nouvelle, et dans lesquels on peut aussi (pas toujours) entendre le texte allemand.
...
(Il n'existe pas de coïncidence : aujourd'hui, dans l'un de mes cinq cours, celui de traductologie pour les étudiants de troisième année, nous allons plancher sur trois traductions anglaises de Matinée d'ivresse.)
09:50 Publié dans Questions, parenthèses, omissions, Tographe, Translatology Snippets | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 26 novembre 2015
▓ she muses ▓
Immaculata, she muses, what a name.
(Hiding in Plain Sight, p. 171)
░▒░
Immaculée, rêvasse-t-elle, quel nom.
░▒░ Immaculata, quel drôle de nom, songe-t-elle.
░▒░ Immaculata, à méditer, mais quel nom...
╝ Faut-il privilégier le rythme (4-5/3/3), l'allitération en /m/, le placement de “she muses” au centre ? ╗
11:09 Publié dans Seventy-One NonFlowers by/for Nuruddin Farah, Translatology Snippets | Lien permanent | Commentaires (1)
lundi, 09 novembre 2015
Appel à une traduction de Józef Szczepański
Hier soir, j’ai écouté le concert de Thiéfaine au studio 104, qui était diffusé en direct sur France Inter. Le concert m’a laissé sur ma faim, car, hormis dans deux ou trois chansons, les arrangements avec orchestre à cordes ne changeaient pas fondamentalement la donne. De plus, la présentatrice s’est sentie obligée d’ajouter quelques commentaires, soit de l’ordre de l’audiodescription (“Hubert-Félix Thiéfaine entre sur scène, costume noir” (elle aurait dû ajouter la marque et le prix, pour faire festival de Cannes, cette idiote)) soit de pure désinformation (“l’album Suppléments de mensonge est le premier sur lequel Thiéfaine a travaillé avec des ensembles de cordes”).
Thiéfaine ne semble pas varier du tout les annonces qui précèdent telle ou telle chanson : c’était, au mot près, ce qu’il disait il y a un mois au Vinci, à Tours. Nous étions ressortis enchantés, la tête dans les nuages, de ce concert ; là n’est pas la question. Mais, pour ceux qui iraient le voir plusieurs fois au cours de sa tournée, je me dis, variatio placet, non ?
Un de ces préambules (à la magnifique chanson “Karaganda Camp 99”) est une citation, qu’il présente ainsi : « Dans les ruines de Varsovie, un poète polonais a écrit : “Nous t’attendons, peste rouge, pour nous délivrer de la peste brune.” ». Entendant de nouveau cet introït, hier soir, je me suis dit que ce poète devait bien avoir un nom. Une brève recherche sur le Web m’a appris qu’il se nommait Józef Szczepański, né en 1922 et mort en 1944 lors de l'insurrection de Varsovie, trois jours après avoir écrit ce texte, peut-être son plus célèbre, “Czerwona zaraza”. Sur le Web, à tout le moins (il me reste à faire des recherches plus poussées, notamment dans certaines bases de données et sur le SUDOC), il semble que n’existe de traduction française ou anglaise de l’œuvre de ce poète assassiné par les nazis, et dont posséder seulement un poème chez soi était passible d’emprisonnement dans la Pologne sous contrôle soviétique. Il va sans dire que les outils automatiques de traduction ne proposent que d’infâmes gloubi-goulbas dans lesquels on ne peut même retrouver un mot à mot à reconstituer. Là, même Ariane avec son fil se ferait bouffer par le minotaure.
J’ai publié le premier quatrain du texte polonais sur mon mur, sur Facebook, et une discussion n’a pas tardé à s’ensuivre, jusqu’à l’intervention d’une ancienne étudiante, Gosia, que j’avais friend-requestée en 2009 ou 2010, quand elle n’était déjà plus mon étudiante ; on ne s’est pas revus depuis six ans, je crois, mais on se suit avec intérêt. Gosia, qui est polonaise, suivait mon cours de version de troisième année en 2007 ou 2008, et quoique, de son aveu, elle n’apprît le français que depuis deux ou trois ans, elle réussissait à avoir de meilleures notes en version qu’un certain nombre de ses camarades de langue maternelle française. Un esprit vif et intelligent, pour résumer. Hier soir, tout en s’excusant d’avoir « du mal à traduire de la poésie », elle a proposé une version française de ce quatrain, que je donne ici :
Nous t’attendons, la peste rouge,
Pour que tu nous sauves de la mort noire,
Pour que dans le pays que tu avais déchiré en morceaux
Tu sois la rédemption accueillie avec répugnance.
Il s’avère donc, entre autres, que la suite du poème semble encore plus belle que ce début déjà si prenant cité par Thiéfaine, mais aussi (surtout) que le texte de Szczepański ne répète pas peste.
Bref, il faut (faudrait) découvrir Józef Szczepański, et le traduire.
Je vais profiter de ce billet pour faire un bref plaidoyer en faveur des réseaux sociaux. Oui, ce sont des accélérateurs d’inculture, des bastions de l’illettrisme, mais, de mon point de vue, ce sont aussi, depuis plusieurs années, de formidables outils de travail, ainsi qu’un lieu où, chaque jour, je m’enrichis, fais des découvertes, trouve à nourrir ma curiosité intellectuelle. Quand j’ai commencé à tenir un blog, il y a dix ans et quelque, bien des collègues ou amis me disaient : ah non, les blogs, je trouve ça vain, tout ce déballage intime. C’était méconnaître alors l’existence de nombreux blogs dont l’objet n’était aucunement de déballer sa vie privée. C’était réduire les blogs aux skyblogs (qui ont disparu, justement, avec la vague Facebook). De même, avec les réseaux sociaux, la qualité intrinsèque du medium (ou ses possibilités) n’a aucun rapport avec l’usage majoritaire qui en est fait. Tout cela revient à dire, par exemple, qu’il faut casser toutes les télés parce que trop de gens regardent Les Marseillais à Cancun. Je suis certain qu’on trouverait, dans les archives, des textes de détracteurs du cinéma qui, dans les années vingt, mettaient dans le même panier, pour ne pas même être allé y voir de près, des niaiseries muettes et Murnau.
09:25 Publié dans Autres gammes, Chèvre, aucun risque, Questions, parenthèses, omissions, Translatology Snippets, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)