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mercredi, 28 mars 2018

Comment traduire un tel poème ?

Saroyan 1967.PNG 

 

Ce poème a été publié par Aram Saroyan en 1967.

On peut associer ce type de poème au courant dit “minimaliste”, voire, je suppose, aux “Language poets”.

De toute évidence, Saroyan a repris tels quels des mots extraits d'un titre d'article, ou du moins c'est ce que l'on est censé s'imaginer.

La vraie difficulté est de rendre compte de l'ambiguïté du participe passé final : le lecteur anglophone comprend que la phrase est laissée en suspens, avec le recours à l'ellipse si fréquent dans les titres de presse : driver held in custody (le chauffeur a été placé en garde à vue). Bien entendu, held tout seul peut suggérer d'autres sens, voire même d'autres interprétations grammaticales (ce pourrait être un preterit et donc un verbe à la forme active).

C'est cela, et non la forme très brève elle-même, qui est difficile à traduire.

Voici ma proposition :

une embardée,

11 blessés :

le chauffeur a été

vendredi, 16 mars 2018

Not dismissed

dismisses.PNG

 

 

 

Je ne sais plus quel est le logiciel de traduction automatique utilisé par Facebook, si ce n'est que, contrairement à Google Translate ou DeepL, il est très peu performant. Là, seul l'anglais apparaissait sur mon fil d'actualités. Il a fallu que je clique pour faire apparaître l'original et avoir la confirmation que la légende disait bien que le Brésil avait fait ses adieux (se despede) à Marielle Franco... pas qu'il l'avait envoyé bouler (dismiss).

mercredi, 14 mars 2018

Le koala et la pellicule

koala.jpg

 

Voici un excellent exemple de l'emploi du passif dans les titres de presse. Combien d'étudiants auraient du mal à interpréter ce “filmed” ? Je ne serais pas surpris que certains maintiennent, contre toute cohérence, une traduction du style : “Un koala a filmé un chien en train de nager...”

(On peut même imaginer pire pour traduire paddle : un koala a filmé un chien en train de pagayer...)

jeudi, 15 février 2018

66 secondes de lecture, 36 : mai 68 avec L.K.

 

Mai 68, avec les célébrations qui ne manquent, et le hasard — déjà indiqué — de découvrir l'œuvre de Leslie Kaplan juste dans ce moment-là.

Pas hasard, là, mais contradiction qu'il y a à lire vite, fort, sans reprendre son souffle, alors que je me traîne une pharyngite de derrière les fagots.

 

(fagots.PNGCe dernier paragraphe ne sera pas passé à la moulinette Google Trad.)

[moulinette.PNGCette dernière parenthèse ne sera pas passée à la moulinette DeepL. ]

 

vendredi, 17 novembre 2017

L'homme amoindri

Il s'en est passé, des choses, en 2006.

Je repense à tout cela en faisant quelques scans, au bureau 49bis, de la traduction française de Slow Man, que C*** vient de relire. Voyant que l'édition française date de 2006, je me rends compte que j'ai lu ce livre à sa sortie, en anglais, donc il y a plus de dix ans.

 

Comme L'Homme ralenti est publié au Seuil, ça me renvoie à ce traumatisme absolu que fut, en 2007, l'annonce que le Seuil, tout en me payant intégralement ma traduction de Links, ne la publierait pas. La raison officielle en était qu'ils souhaitaient concentrer le secteur d ela littérature étrangère sur leurs auteurs déjà confirmés : même si leur catalogue a ensuite confirmé cette hypothèse, je n'ai pu m'empêcher de songer, depuis lors (et bien que je reste, d'autre part, très fier de cette traduction et tout à fait certain qu'elle était excellente), qu'il y avait un problème avec moi.

Tous mes échecs, depuis lors, à trouver un éditeur pour les textes africains non traduits qui me semblent si capitaux ne découlent-ils pas de tout ce malheureux épisode ?

 

Links a été depuis traduit (et bousillé) aux éditions du Serpent à plumes, sous le titre (idiot) d'Exils. Depuis, plus personne pour lever ne serait-ce qu'un sourcil quand on parle des inédits de Nuruddin Farah, de Nnedi Okorafor ou de Ngũgĩ wa Thiong'o.

vendredi, 20 octobre 2017

Qui a peur du français ?

Quand on aime une œuvre, quand on sait qu'il s'agit d'un auteur (ou, en l'occurrence, d'une auteure) remarquable, on est forcément enthousiaste en découvrant qu'un de ses romans vient d'être traduit — enfin — en français.

Je veux parler, une fois encore, de Nnedi Okorafor.

Lagoon, hélas, son roman le plus admirable, n'est pas dans les tuyaux.

 

Il s'agit de Who Fears Death, qui vient d'être publié par les éditions ActuSF sous le titre de Qui a peur de la mort ?

La traduction est de Laurent PHILIBERT-CAILLAT, et on peut lire les deux premiers chapitres sur le site de l'éditeur. Hélas, la traduction, sans être absolument mauvaise, est, sur la quinzaine de pages ici disponible, d'une grande médiocrité : choix de temps discutable (passé simple !), erreurs de sens, calques bizarres (“J’étais pleine de colère.”), non-sens (“D’une façon ou d’une autre… je m’exécutai”).

Pourquoi confier ce roman (sous prétexte que c'est de la SF ????) si bien écrit à  quelqu'un d'aussi incompétent ? Comment l'éditeur ne s'est-il pas aperçu, en lisant le texte, que ça ne collait pas ?

Il faudra que je regarde plus en détail, mais le roman se nourrit de très nombreuses références à la mythologie igbo. Sans les comprendre dans le détail, il est impossible de traduire correctement certains chapitres. Au vu du niveau de français du traducteur, le pire est à craindre.

 

Quel gâchis...

samedi, 14 octobre 2017

All Over The Place / #NameTheTranslator

Une amie a posté sur son mur Facebook la citation suivante, attribuée à Pearl Buck.

« Quel que soit son domaine de création, le véritable esprit créatif n’est rien d’autre que ça : une créature humaine née anormalement, inhumainement sensible. Pour lui, un effleurement est un choc, un son est un bruit, une infortune est une tragédie, une joie devient extase, et l’erreur est la fin de tout. Ajoutez à cet organisme si cruellement délicat l’impérieuse nécessité de créer, créer, et encore créer – au point que sans la possibilité de créer de la musique, de la poésie, des livres, des édifices, ou n’importe quoi d’autre qui ait du sens, il n’a plus de raison d’être. Il doit créer, il doit se vider de sa créativité. Par on ne sait quelle étrange urgence intérieure, inconnue, il n’est pas vraiment vivant à moins qu’il ne soit en train de créer. »

 

Comme je suis très sourcilleux dès que je vois fleurir une citation évidemment traduite dont ni la source ni le nom du traducteur ne sont cités, j'ai mené ma petite enquête.

Tout d'abord, des dizaines de blogs reprennent cette citation (moyennement bien traduite d'ailleurs) sans jamais citer le nom du traducteur ou de la traductrice. Une recherche rapide a également permis de retrouver le texte original de cette citation, qui se trouve reprise dans un nombre plus important encore de sites anglophones :

The truly creative mind in any field is no more than this: a human creature born abnormally, inhumanly sensitive. To him, a touch is a blow, a sound is a noise, a misfortune is a tragedy, a joy is an ecstasy, a friend is a lover, a lover is a god, and failure is death. Add to this cruelly delicate organism the overpowering necessity to create, create, create — so that without the creating of music or poetry or books or buildings or something of meaning, his very breath is cut off from him. He must create, must pour out creation. By some strange, unknown, inward urgency he is not really alive unless he is creating.

 

Wikisource — qu'on a connu plus inspiré dans son classement des citations assurées, apocryphes ou douteuses — donne cette citation pour authentique, sans préciser la source primaire et en se contentant de citer un ouvrage de 2001. Je suis allé vérifier dans l'ouvrage en question : aucune source, aucune note de bas de page ; autant dire que l'auteur aurait très bien pu inventer ce texte de toutes pièces. Heureusement, Google Books (qui propose pas moins de 32 résultats pour cette citation) répertorie quelques ouvrages antérieurs à 2001, et même un (malheureusement impossible à visualiser) antérieur à la mort de Pearl Buck (1972).

Il reste toutefois impossible, au stade où j'en suis, de savoir si cette citation apparaît dans un livre évidemment attribuable à Pearl Buck, ni, par conséquent, de connaître l'éditeur et le traducteur de ce livre en français. Le fait que ça traîne partout sur le Web n'est pas pour inspirer confiance.

jeudi, 05 octobre 2017

“Petits Biafrais”

Dans le film Animal Kingdom, vers la fin, la grand-mère dit à Josh : “You look Biafran”, ce que l'auteur des sous-titres a choisi de traduire par “tu es tout maigre” (ou “tu as maigri” — j'avoue ne pas avoir noté et ne pas avoir fait de photographie d'écran non plus).

Il s'agit là bien sûr d'un choix consistant à euphémiser, à sous-traduire... c'est ce qu'en traductologie on appelle une modulation lexicale avec effacement de l'image : au lieu de comparer son petit-fils à un Biafrais (image lourde de présupposés culturels), elle se contente, en français, de lui dire qu'il est maigre (concept neutre). Une telle modulation n'est jamais sans conséquences : dans l'intention de ne pas choquer le spectateur (ou de ne pas s'attirer les foudres de la censure ?), l'auteur des sous-titres rend le personnage de la grand-mère, tout à fait abominable par ailleurs, moins raciste. Pourquoi ?

Il me semble que cette image, dont j'ignorais qu'elle existât en anglais (elle est absente de l'OED, mais on trouve dans ce fil de forum quelques éléments complémentaires), est très marquée d'un sociolecte générationnel, celui de la génération de mes parents. Ma mère parlait effectivement des “petits biafrais”, peut-être pour décrire quelqu'un de très maigre ou alors pour évoquer — stratégie assez traditionnelle si l'on en croit les albums de Mafalda, par exemple — le statut privilégié des enfants qui avaient de quoi manger et les inciter à manger leur soupe (ou leur assiette de boudin purée, clin d'œil à ma mère — Maman, si tu lis ces lignes : je t'aime).

Que cette expression pût contenir ne serait-ce qu'un soupçon de “racisme ordinaire” n'est pas ce qui me préoccupe ici... Ce qui m'intéresse, tout d'abord, c'est de me souvenir ici que longtemps j'ai ignoré que cette expression désignait une population. Enfant, j'y voyais certainement quelque analogie avec le verbe bâfrer : biafré (comme je devais l'orthographier dans ma tête) était une sorte d'antithèse de bâfreur. Ce n'est pas très logique, mais bon. Quand j'ai appris que ce terme faisait référence aux habitants du Biafra, on n'a pas dû m'expliquer très clairement ce qu'avait été la guerre du Biafra, car la famine m'a alors paru semblable à celle qui frappait au même moment l'Éthiopie.

J'avais regardé, dès l'âge de sept ou huit ans, sans tout comprendre, le film de Jean Yanne Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Ce n'est qu'en le revoyant longtemps après que j'ai compris les différentes plaisanteries du générique de fin, dont certaine réécriture de Verlaine (autour de 1'25") et surtout le jeu de mots sur demi-Biafrais et demi bien frais (autour de 2'35"). (Je mets un lien vers la vidéo, en avertissant que c'est très Hara-kiri dans l'esprit.)

Dans les années 70, la guerre civile nigériane avait suffisamment marqué les esprits pour que de telles expressions entrent dans le langage courant, d'autant plus, sans doute, que la France avait soutenu militairement et financièrement l'armée sécessionniste. Ce que je constate encore de nos jours, quand j'anime un cours ou un séminaire sur Chinua Achebe, par exemple, c'est à quel point ces noms (Biafra, biafrais) ne disent rien, à quelques exceptions près, aux Français nés après 1980. L'enthousiasme supposé du lectorat français pour les romans de Chimamanda Ngozi Adichie n'y a pas changé grand chose : on lit des romans sans que la dimension historique ou politique soit au centre.

Il ne faudrait sans doute pas beaucoup creuser pour s'apercevoir que le génocide rwandais de 1994 est pris dans une semblable brume vaporeuse d'incertitudes autant historiques qu'idéologiques et géographiques. Et la quasi absence totale de “couverture médiatique” du lent mais tragique glissement vers la guerre civile au Cameroun confirme combien les tragédies africaines donnent lieu à une expression populaire et passagère dans le meilleur des cas...

 

mardi, 19 septembre 2017

3 traductions du début du chapitre 2 d’Alice in Wonderland & 1 réécriture

Comme je pense que ce document que j'ai établi à l'intention de mes étudiants de troisième année (cours Approches de la traduction) peut intéresser quelques lectrices ou -eurs de passage, je le mets également en ligne ici. 

3 traductions du début du chapitre 2 d’Alice in Wonderland & 1 réécriture

 

Il s'agit d'un passage connu (et bref) d'Alice au pays des merveilles, dont j'ai donné le texte anglais, français (Henri Bué, 1869), allemand (Antonie Zimmermann, 1869) et italien (T. Pietrocola-Rossetti, 1872), ainsi que la réécriture — pas très réussie, imho — de J.C. Gorham (1905).

Bien sûr, les étudiants ne connaissent pas tous l'italien ou l'allemand, mais c'est la première fois que j'essaie, de manière marginale, de proposer ce genre de prolongement dans un cours de LLCER. On verra ce qu'il en sera.

vendredi, 15 septembre 2017

Pas vu, pas pris

pamuk.jpg

 

 

Quand, dans un roman en traduction, la première phrase d'un certain passage est en contradiction avec les deux suivantes et que tu ne peux pas savoir si c'est une erreur de la traductrice (“étaient en réalité du même ordre” / n'étaient pas du tout du même ordre) ou une contradiction fondamentale du personnage ainsi mise en avant dès le texte- source, ce d'autant moins que tu ne connais pas la langue d'écriture du roman.

mercredi, 13 septembre 2017

Être comme des œufs en gelée : petit sondage

Cherchant à renouveler mes exemples traductologiques d'équivalences (ou modulations lexicalisées) en vue de mes deux cours de troisième année et d'agrégation interne, je parcours des listes d'expressions idiomatiques, dont celle-ci qui ne fait pas partie d'une base de données restreinte et n'est pas sans comporter quelques erreurs ou bizarreries, et me trouve à réfléchir à l'expression être comme un coq en pâte.

aspic.jpgIl se trouve que je subis à haute dose, pour des raisons familiales, pas mal d'épisodes de la série de Kaamelott. Or, dans un épisode, le tavernier dit aux chevaliers Karadoc et Perceval : « j'ai mis une bûche au feu, vous allez être comme des œufs en gelée ». Comme souvent avec les textes d'Alexandre Astier, on comprend l'expression même sans la connaître au préalable : ici, être comme des œufs en gelée a la même signification qu'être comme un coq en pâte.

Toutefois, une rapide recherche sur Google confirme que la majorité des occurrences de cette expression sur le Web provient de sites citant Kaamelott. Si on exclut de la requête le mot-clef ‘Kaamelott’ et le mot-clef ‘bûche’, on s'aperçoit que, hormis les recettes de cuisine dans lesquelles il s'agit littéralement d'œufs en gelée, l'expression est loin d'être courante, mais surtout qu'elle est loin d'avoir un sens homogène. Ainsi, dans un article de Libération de février 2001 (donc antérieur à la série Kaamelott), l'expression est employée pour désigner des visages anxieux ou renfrognés.  Dans un récit de science-fiction publié dans la revue Nebular (n° 34), elle sert à souligner l'apparence identique des robots.

 

Je lance donc appel à collaboration, sous forme d'un petit sondage :

Question n° 1 : Connaissiez-vous cette expression ?

Question n° 2 : Si oui, avec quel sens ?

Question n° 3 : Connaissiez-vous cette expression indépendamment de la série Kaamelott ?

Question n° 4 : Y a-t-il, selon vous, une origine géographique de cette expression ?

Réponses ci-dessous en commentaire, please.

 

(Image : Claude Garnier.)

dimanche, 10 septembre 2017

Susie Asado

SUSIE ASADO

Sweet sweet sweet sweet sweet tea.

Susie Asado.

Sweet sweet sweet sweet sweet tea.

Susie Asado.

Susie Asado which is a told tray sure.

A lean on the shoe this means slips slips hers.

When the ancient light grey is clean it is yellow, it is a silver seller.

This is a please this is a please there are the saids to jelly. These are the wets these say the sets to leave  crown to Incy.

Incy is short for incubus.

A pot. A pot is a beginning of a rare bit of trees. Trees tremble, the old vats are in bobbles, bobbles which shade and shove and render clean, render clean must.

Drink pups.

Drink pups drink pups lease a sash hold, see it shine and a bobolink has pins. It shows a nail.

What is a nail. A nail is unison.

Sweet sweet sweet sweet sweet tea.

▬▬▬▒▬▬▬

C'est le premier texte du recueil Geography & Plays de Gertrude Stein, un des rares à être tombé dans le domaine public aux États-Unis, et que l'on peut donc retrouver sur Gutenberg.

Poème, texte, récit... on a sans doute déjà tout dit de la façon dont Stein, quand on la lit, dépasse tout cela.

Mais là, pour moi, il s'agit de traduire. Ou de réfléchir à traduire.

Bien sûr, un tel texte est du pain bénit pour les fervents partisans de l'“intraduisibilité”. Pourtant, tout peut se traduire. Je ne veux pas dire qu'en français on puisse rendre le fil sweet/Susie/shoe/silver, par exemple, ni même que je pense avoir compris la moitié de ce qui se dit là.

Peu importe.

Je m'en tiens pour le moment à un détail lexical technique ; ce n'est pas si fréquent qu'un texte de Stein pose ce genre de problème. Donc, pourquoi, après les chiots à qui on enjoint de boire (ou qui sont “de boisson” — l'anglais permet cette ambiguïté, avec adjectivation possible de "drink" dans drink pups), Stein évoque-t-elle le bobolink (Dolichonyx oryzivorus) ? Que sont ces “pins” (épingles) et ce “nail” (clou) ? Stein suggère-t-elle que l'oiseau luit au soleil d'un éclat métallique, ou qu'il est tiré à quatre épingles, en quelque sorte, qu'il serait cousu ? Aucune idée. Ce qui me préoccupe aussi : faut-il aller chercher le nom français le plus habituel de cet oiseau américain, à savoir le goglu, ou conserver bobolink ? Aucun des deux ne dira rien à grand monde, à moins d'être très versé en ornithologie. Paradoxalement, autant pour les sonorités que pour les échos involontaires que cela crée avec Beckett, Michaux et Morgenstern, il sera probablement préférable de traduire par goglu.

Jadis, et même naguère, d'aucuns n'auraient pas hésité à recourir à un passereau vaguement similaire de l'aire européenne (bergeronnette, par exemple)... cela serait un grave contresens. Très entre autres choses, il faut traduire, donc transmettre l'américanité du texte.

Et... que fait, parmi ses multiples tâches, cette domestique ? Est-ce même une domestique ? Que veut dire “told tray sure” ? Rien, en soi, rien. Jeu de mots sur “told treasure”, comme le suggère, sur le Web, une lecture un peu réductrice, ou image d'une domestique qui tient un plateau fait de paroles ? Le plateau est le poème, tout comme ‘Susie Asado’, mieux qu'un nom ou qu'une personne, est un objet, le poème (d'où le “which”)...... Plagiat par anticipation de Ponge...

Pour tout cela qui reste surdéterminé et donc équivoque, je ne suis pas convaincu par le prétexte biographique d'un poème (d)écrivant, par harmonie imitative, une danseuse flamenca que Stein avait admirée avec Alice B. Toklas en Espagne : le mot employé comme patronyme, asado, désigne une grillade traditionnelle en Argentine. Stein s'amuse pas mal, là. Et c'est dans la tension entre les images connotant une domesticité placide typiquement edwardienne et le rôtissage du texte qu'on peut peut-être chercher une première piste pour traduire.

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jeudi, 23 février 2017

Si j'aurais su...

« Tous les joueurs bordelais, qui n'ont pas joué à la suite du report du match contre Lorient, ont consenti le travail foncier ce matin, sauf Diego Rolan qui a entamé sa phase de réathlétisation. » (Sud-Ouest du 10 février 2014)

Une vraie question : comment traduire cette espèce de novlangue à mi-chemin entre le VRP en téléphonie et le journaliste-qui-se-prend-pour-un-kiné-qui-se-prend-pour-un-toubib ? Peut-on (doit-on) la traduire comme ce qu'elle est, à savoir dans un jargon équivalent, ou est-on autorisé à écrire cela dans un anglais compréhensible ?

 

Cette question, que je posais le 10 février 2014, est centrale à toute réflexion théorique sur la traduction.

Récemment, des articles s'en sont fait l'écho au sujet de l'indigence syntaxique et lexicale de l'anglais parlé par Donald Trump. Plus littérairement, c'est la difficulté majeure à laquelle est confronté tout traducteur de Tutuola. Pour prendre un exemple plus populaire, et auquel je me suis coltiné récemment avec mes étudiants internationaux : comment traduire le célèbre si j'aurais su j'aurais pas v'nu de Petit-Gibus (sous la plume de Pergaud) ?

Plus récemment encore, François Bon a abordé cela à propos de ses traductions de Lovecraft :

Comme d’accoutumée, on s’est fait un scrupule de respecter les parfois très étranges diptyques que propose la phrase lovecraftienne, avec son point-virgule séparant deux éléments syntaxiques parfois autonomes, parfois pas — c’est qu’il y était tout aussi scrupuleusement attaché, Lovecraft. Et le traducteur profite d’une prose pour une fois alerte, racontée par un étudiant en médecine avec les quelques lourdeurs d’usage que nécessite son rôle : un petit côté empesé, qui peut même prendre des facettes presque pédant, ou presque précieux, mais qui est l’exacte fissure par quoi imposer l’objectivité du narrateur, son impossibilité à inventer. À preuve la maîtrise et la souplesse de la langue dont est armé Lovecraft, dans ses lettres comme dans ses poèmes ou ses essais : un registre absolument maîtrisé, et dans ce qui peut sembler une lourdeur, que le traducteur doit respecter comme telle (on pourra comparer avec le narrateur de La chose sur le seuil ou celui de Dans l’abîme du temps), l’exacte nappe où va se jouer discrètement toute l’illusion du fantastique.

 

vendredi, 10 février 2017

Peint sur le visage, mât qui grince

Il fait froid sur les bords de Loire, un vendredi matin en février — mais à peine plus froid que dans mon bureau.

C'est donc dans mon bureau que je viens de mettre en ligne la dernière vidéo de traduction improvisée, filmée il y a une vingtaine de minutes devant la gabare sur socle qui est l'un des jalons de cette promenade, non loin du pont Wilson. Pour ces traductions sans filet, j'ai envie de varier autant que possible les lieux, les cadrages : je n'ai aucune compétence technique, mon matériel est pourri, mais je peux au moins faire un effort de conception (voire de conceptualisation). Ce matin, le nocturne avec le bruit mêlé des flots du fleuve et des véhicules sur la rue des Tanneurs — sans omettre les grincements irréguliers du mât — m'a particulièrement attiré.

 

Peu importe.

J'ai donc improvisé à partir d'un paragraphe que je venais de lire dans le tramway. (J'ai commencé, sans enthousiasme particulier, un nouveau roman de Caryl Phillips. (Nouveau pour moi — The Nature of Blood date de 1997.))

 

 

Dans cette vidéo, je finis par aborder une question qui me taraude de plus en plus, et dont François Bon parle encore aujourd'hui au sujet de ses traductions de Lovecraft : la question de l'écart par rapport à la langue (en langue source) et, partant, ce que l'on doit faire en langue cible. Ici, tout est parti de la fin de l'extrait traduit : an anxious smile painted on their faces. La métaphore de la peinture faciale est figée en anglais ; elle n'émane pas d'une recherche stylistique particulièrement innovante de la part de l'auteur. Cependant, je suis de plus en plus tenté — à rebours de la tradition universitaire — par ce que tant de collègues souligneraient en rouge en marquant CALQUE dans la marge : un sourire inquiet peint sur le visage.

 

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Une coïncidence involontaire accompagne le choix du lieu de tournage, je m'en avise au moment de publier ce billet : je lis beaucoup Caryl Phillips à cause du cours d'agrégation que je donne cette année sur Crossing the River. Or, voici la Loire !

mercredi, 08 février 2017

Le vétilleux exemplaire de McSorley.

Ce matin, Laurent Évrard m'apprend qu'il va organiser dans quelque temps une rencontre autour de Joseph Mitchell, écrivain américain des années 30 à 60 qui n'était pour moi, qu'à peine un nom. L'occasion en est la publication de la traduction (doublement posthume) de Bernard Hoepffner aux éditions Diaphanes (Le merveilleux saloon de McSorley), mais aussi de Street life aux éditions 33 morceaux (traduction F. Tizon).

Une rapide recherche afin de tenter de me procurer McSorley's Wonderful Saloon me révèle que

1. Le livre est disponible en français, en allemand et en néerlandais, mais il est épuisé en anglais (au prix de 53,71 € pour l'exemplaire  d'occasion le plus abordable ).

2. L'édition de langue anglaise ne se trouve, d'après le SUDOC, dans aucune des bibliothèques universitaires et de recherche de France.  (À l'exception de quelques livres obscurs d'auteurs africains que j'affectionne, je n'avais jamais vu ça.) Donc pas possible de la faire venir au moyen du prêt entre bibliothèques.

dimanche, 05 février 2017

Einstmals

Pas du tout germaniste, j'hésite toujours à relever ce qui me gêne ici ou là, car mon autorité est décidément bien faible. Toutefois, relisant hier certains poèmes de Paul Celan dans l'anthologie parue dans la collection Poésie/Gallimard, avec des traductions de Jean-Pierre Lefebvre, j'ai été une nouvelle fois gêné par le parti pris, certes très rigoureux et cohérent, de traduire littéralement les néologismes abstraits de Paul Celan. Il me semble, à lire Celan en allemand, que ces néologismes agglutinants ou ces adjectifs substantivés passent, sinon comme une lettre à la poste en allemand, mais du moins en accord avec la langue allemande.

Cette fois-ci, j'ai remarqué autre chose, qui me semble étrange : dans le deuxième des poèmes de la séquence “In Prag”, Lefebvre choisit de traduire “Pontisches Einstmals” par “Naguère Pontique” (avec une majuscule à Pontique, c'e qui est déjà discutable, p. 263). Il assortit cette traduction d'une note que l'on trouve à la page 369 : « Einstmals (ici en position et graphie de substantif neutre) évoque le passé lointain (la mer Noire, ou Pontus Euxinus, qui connote le poète exilé Ovide écrivant les Tristes et les Pontiques). Cet adverbe perçu comme archaïque peut aussi parfois, conformément à son étymologie, désigner le futur éloigné (un jour, une fois...). »

Il me semble que le traducteur commet une erreur grossière, puisque naguère en français n'est pas un synonyme archaïsant de jadis ou d'autrefois, mais qu'il signifie “il n'y a guère”, donc récemment. Cette erreur est fréquente, mais pas sous la plume de traducteurs de poésie de la génération de Jean-Pierre Lefebvre... 

Jadis et naguère de Verlaine, c'est une antithèse, peut-être (mais pas nécessairement) mal comprise par Gérard Manset quand il reprend le titre à son compte et chante Jadis et Naguère / Se sont fait la guerre / En ce temps-là.

 

samedi, 04 février 2017

Quelques titres de presse pour se forcer à l'optimisme

  • Trump Effort To Pin Botched Yemen Raid On Barack Obama Falters

Trump ne parvient pas à mettre le raid raté du Yémen sur le dos de Barack Obama/

 

  • Vincent Viola, Nominee for Army Secretary, Drops Out

Vincent Viola, choisi par Trump pour devenir son secrétaire chargé de la Défense, jette l'éponge.

 

  • Court Temporarily Blocks Trump’s Travel Ban, and Airlines Are Told to Allow Passengers

Après la suspension temporaire de l'interdiction de voyager, l'administration Trump  se voit contrainte d'autoriser les compagnies aériennes à accepter les passagers.

 

  • Ivanka Trump and Jared Kushner Said to Have Helped Thwart L.G.B.T. Rights Rollback

Les mesures restreignant les droits des communautés LGBT n'ont pas été prises, peut-être sous l'influence d'Ivanka Trump et de Jared Kushner.

 

  • Kellyanne Conway made up a terrorist attack but later admitted it was mistake

Après avoir inventé un attentat terroriste, Kellyanne Conway a admis qu'elle s'était trompée.

vendredi, 03 février 2017

Désensablé sur Loire

Enseigner, même avec ses fatigues et ses frustrations, reste la partie la plus jouissive de mon métier.

16298868_1220384547998702_6424909361380335334_n.jpgCe matin en cours de traduction pour étudiants d'échange on regardait un peu les titres du Canard enchaîné... Je leur expliquais quelques trucs sur l'actualité politique en France, et donc, on traduisait. “Ensablé-sur-Sarthe”... Je leur explique le jeu de mots, je cherche une vanne équivalente... Et soudain une étudiante (nord-américaine) me propose, du fond de la classe : di-sable-d sur Sarthe... Waow.

L'heure précédente, en L1, un des cinq étudiants faisant l'exposé m'avait appris que Robert Baldwin Ross, le dédicataire de The Importance of Being Earnest, était né à Tours*. Une autre a vu un jeu de mots que je n'avais pas vu (“a sad blow”). Une autre encore avait des étoiles dans les yeux quand j'ai établi un parallèle entre telle structure de dialogue dans la pièce de Wilde et la langue des pièces d'Ionesco.

 

 

* À noter d'ailleurs que ni l'édition de la pièce sur Gutenberg ni celle sur Wikisource ne contiennent la page de dédicace, ce qui est une omission surprenante. Robert Baldwin Ross, on l'apprend aussi sur Wikipédia, était le petit-fils d'un des artisans de l'indépendance du Canada.

mardi, 31 janvier 2017

4100, another bullshit video by con translator

La vidéo ci-dessous, elle vient d'être filmée (improvisée) et mise en ligne illico grâce à la connexion vraiment ultra-rapide (ou qui me semble telle) de l'Université.

 

J'y traduis un paragraphe du roman de Nick Flynn, another bullshit night in suck city, roman de 2004 dont je constate, en faisant la vérification après l'enregistrement, qu'il a été traduit en français dès 2006... et par mon ex-collègue Anne-Laure Tissut, qui était encore en poste à Tours à l'époque. (Parmi les très bons souvenirs que j'ai d'Anne-Laure, c'est ce magnifique et si enrichissant collloque Paul West qu'elle avait organisé.)

Parmi les bizarreries imprévues, les trois secondes atroces où je pousse la chansonnette, Blueberry Hill de Fats Domino (ce ne serait pas arrivé si j'avais été certain que blueberry c'est la myrtille), et la pique à la bravitude de Ségolène Royal (circa 6'10").

Parmi les points les plus intéressants, la question de la traduction du jeu de mots trigger-hippie : je m'en suis sorti en traduisant par “hippie qui aime les flingues”, mais il n'y a plus de jeu de mots. L'idéal serait de trouver un mot-valise (hippitre ? hippitbull ?) mais je n'en trouve aucun qui situe le sens du côté de la mitraille... La B.U. n'a pas d'exemplaire de la traduction française, mais si quelqu'un peut vérifier comment Anne-Laure Tissut s'en est sortie...

Parmi les points les moins intéressants : oui, c'est le même pull depuis dimanche, mais je change de t-shirt.

dimanche, 22 janvier 2017

10+n traductions de Lyn Hejinian

(explications dans la vidéo du jour)

 

Les œufs de cane ont un goût plus “œufique”.

Les œufs de cane ont plus un goût d'œuf.

Le goûtd'œuf des œufs de cane est plus prononcé.

L'œuf de cane a un goût d'œuf plus œuf.

L'œuf de cane a un goût d'œuf plus œufien.

L'œuf de cane a un goût d'œuf plus œufique.

Les œufs de cane, ça vous a un goût d'œuf de chez œuf.

Les œufs de cane ont un goût plusœuf.

Les œufs de cane ont un goûtplusœuf.

Le goût des œufs de cane est plusœufien.

La cane pond des œufs qui vous ont le goût d'œuf...

L'œuf de cane, goût d'œuf puissance 1000.

L'œuf de cane, c'est la quintessence du goût d'œuf.

La goûtd'œufitude quintessentielle s'exprime dans l'œuf-de-cane.

(à suivre)

mardi, 17 janvier 2017

« Du travail fait avec la main »

Ce matin, j'ai commencé à lire le Journal d'une traduction de Marie-Hélène Dumas, dont j'avais entendu parler par François Bon, dans son Service de presse.

Tout à l'heure, j'ai lu ceci, à la page 34 (il faudrait citer l'ensemble du paragraphe, mais je vous y renvoie — comme ça, vous l'achèterez) : « La traduction, c'est du travail fait avec la main. Je tripote les mots, je malaxe, j'énonce, mes doigts bougent, sculptent. Probablement parce que le mouvement des mains est une partie profondément inconsciente et inséparable de la parole naturelle, que lorsqu'on parle on bouge les mains alors qu'on ne le fait pas quand on lit à haute voix. »

Cela me renvoie aux rares traductions de longue haleine que j'ai eu à faire (que j'ai eu la chance de faire), et en un sens je suis d'accord avec elle. En un autre sens, il est assez ironique de lire ça le jour même où j'ai remis un peu sur le métier les traductions sans filet, qui consistent justement à improviser à haute voix, face caméra, une traduction sans l'avoir vraiment préparée. (Il m'arrive de vérifier un ou deux mots, mais, dans l'ensemble, même le choix du poème, du paragraphe, des phrases se fait en moins de deux minutes, juste avant l'enregistrement.)

Pas le temps de développer, mais il y a encore cette question de la sacralisation de l'écrit, la fameuse main à plume de Rimbaud aussi. Ce que je tente dans les vidéos — avec une liberté immense vu que presque personne ne regarde ni ne commente (donc, comme sur ce blog, je me parle presque à moi-même, je prends des risques sans craindre les jugements et en essayant de ne pas trop mettre en alerte le sens du ridicule) —, c'est précisément autre chose que le clavier, que le corps-à-corps avec l'écran ou le papier ou les dictionnaires, fussent-ils foisonnants et en ligne. Ça montre mes propres failles : mon incapacité à vraiment comprendre et traduire bouffanted dans Pies and Prejudice ; ma mauvaise prononciation de colobus dans la dernière vidéo (landaise) de 2016 (j'étais tombé juste à 1'35" et je m'autocorrige erronément à 1'37"...) ; l'impossibilité de rendre la langue faussement simple mais incandescente d'Esther Nirina aujourd'hui même ; etc.

Depuis que j'ai renoncé à perdre un temps fou en montage (en vain, d'ailleurs, car je suis nullissime), ces vidéos brèves sont aussi l'occasion de poser des jalons, d'entrouvrir des textes qui comptent pour moi, de marquer d'une pierre de langue (ou d'une pierre de voix) telle ou telle journée. En choisissant de tourner ces vidéos dans un grand nombre de pièces (et même de lieux), je m'amuse à mettre en scène mes lieux de vie.

Autant dire que tout cela constitue une série de raccourcis, sorte de double des blogs.

dimanche, 08 janvier 2017

Rilke, des vergers aux perroquets

Depuis quelques temps, l'excellent Lionel-Édouard Martin traduit Rilke, et assaisonne, sur Facebook, son travail de quelques remarques traductologiques particulièrement pertinentes sur les traductions précédentes. (Celles de Lorand Gaspar ont l'air particulièrement fantaisistes, pour rester dans l'euphémisme.)

Je vous invite à aller glaner sur son site les poèmes latins, allemands ou anglais qu'il a traduits. Plus précisément, pour Rilke, le mieux est de vérifier régulièrement au moyen du tag Rilke.

Un intervenant s'étant interrogé, sur le mur FB de Lionel-Édouard Martin, « si ses écrits français [de Rilke] sont aussi mal traduits en allemand », j'ai eu la curiosité de tenter un premier coup de sonde, et ai trouvé la traduction allemande, par Bertram Kottman, du poème n° 40 des Vergers, “Un cygne avance”. On trouve le texte et la traduction ici, mais, sans être assez fort en allemand pour juger pleinement de ce travail, je remarque néanmoins que :

1. La forme du poème original  (deux sixains rimés abacbc) n'est pas même convenablement reproduite

2. La traduction n'a pas l'air mauvaise mais n'est pas non plus en vers (et j'ai un doute sur la traduction d'“ajouter” par “werfen”)

 

Ce matin, sans que ce soit aucunement prévu (j'ai mille autres choses plus urgentes (et plus emmerdantes) à faire), je me replonge donc dans mon édition Insel des Sämtliche Werke de Rainer Maria Rilke (achetée il y a quelque dix ans lorsque la B.U. a « désherbé » un certain nombre de doublons), et y découvre bien sûr de nombreux poèmes que je n'avais jamais même lus. Ainsi, le sonnet “Papageien—Park”, qui fait partie de la série du Jardin des plantes et sur lequel je me suis arrêté aussi en raison de sa refonte particulièrement séduisante du système des rimes : aaaa / bbbb / cc'c / c'cc'

(J'écris c et c' car je considère en effet que mögen / verbeugen constitue une quasi-rime.)

À suivre, très probablement, ici ou  : des sonnets perroquets.

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Il m'est impossible de clore ce billet à forte teneur germanique sans saluer la réapparition dans ma vie — dans notre vie, car c'est une amie des années talençaises, et C*** était aussi ravie que moi de cette belle surprise — d'une amie pas vue depuis vingt ans au bas mot, et qui a simplement retrouvé mon numéro dans les pages blanches. Elle est prof d'allemand en Charente et elle se reconnaîtra !

samedi, 10 décembre 2016

Ralliez-vous...

J'ai donné à traduire, en sujet de thème, un extrait du plus récent roman de Philippe Djian, Dispersez-vous, ralliez vous ! (L'écriture en a l'air navrante, mais là n'est pas le sujet ce soir ; je choisis des textes dont la syntaxe ne pose pas de difficulté, car il s'agit d'un cours de traduction pour étudiants d'échange.)

Le titre du roman est évidemment le vers qui clôt la deuxième strophe des “Corbeaux” de Rimbaud.

 

Or, cherchant sur le Web des traductions anglaises du poème de Rimbaud , je constate, comme toujours, une grande diversité de choix, ainsi qu'une véritable disparité dans la qualité des textes. Par exemple, l'une d'entre elles, sur le site French Songs Translations, multiplie les contresens : longs angélus traduit par “long angels” (?), calvaires traduit par “ordeals” (alors qu'il s'agit bien de l'ouvrage d'art, pas d'un sens abstrait), et j'en passe.

Or, et c'est ce qui m'intéresse, l'auteur de ce blog — comme tant d'autres — affiche sa faible compétence en écrivant ceci en préambule : “Those are mostly litteral translations (at the best of my means, mistakes happen) in order to convey the meaning of the songs. I'm not trying to recreate the poetry.”

Non seulement les erreurs sont loin d'être occasionnelles (mistakes happen a lot !), mais surtout ce blogueur anonyme tombe dans un double panneau assez courant :

1) Il croit qu'une traduction littérale n'implique pas de connaissance précise des langues mises en jeu, alors que les deux erreurs que j'ai signalées plus haut relèvent d'une incapacité totale à trancher dans les cas de polysémie et montrent bien, très entre autres, que les moyens modestes du blogueur l'empêchent totalement de rendre le sens du poème, même de manière maladroite.

2)  Il croit que la poésie de la langue source doit être “recréée” à partir du mot à mot, ce qui est absurde : la poésie est dans les mots, dans leur interaction, et n'est évidemment pas distincte ni distinguable du langage. Un traducteur qui commence par un mot à mot pour tenter ensuite, dans une phase séparée, de “recréer la poésie” n'aboutit à rien.

jeudi, 10 novembre 2016

Work with — Bernie Sanders “collabo” ?

Je me suis — difficilement — retenu d'archiver ici hier les différentes brèves de comptoir dont j'ai abreuvé mon mur Facebook sur l'élection — grave, prévisible, tragique — de Donald Trump à la présidence des États-Unis...

Aujourd'hui, j'interviens sur un point qui n'est pas de détail, mais qui relève au moins de mes compétences officielles, la langue anglaise.

 

Bernie Sanders, sénateur et candidat battu à la primaire démocrate, a publié ce matin le communiqué suivant :

 

Donald Trump tapped into the anger of a declining middle class that is sick and tired of establishment economics, establishment politics and the establishment media. People are tired of working longer hours for lower wages, of seeing decent paying jobs go to China and other low-wage countries, of billionaires not paying any federal income taxes and of not being able to afford a college education for their kids - all while the very rich become much richer.

To the degree that Mr. Trump is serious about pursuing policies that improve the lives of working families in this country, I and other progressives are prepared to work with him. To the degree that he pursues racist, sexist, xenophobic and anti-environment policies, we will vigorously oppose him.

 

Les médias français de reprendre cela, pour la majorité d'entre eux, sous des titres aussi vendeurs que partiels et faux : Bernie Sanders prêt à travailler avec Donald Trump.

“Work with” ne signifie ni collaborer, ni travailler pour. Dans 4 cas sur 5, pour ce qui relève des structures verbales en tout cas, il ne faut pas traduire with par avec de l'anglais au français. Ici, ça veut dire que Bernie Sanders, comme d'autres “progressistes”, est prêt à soutenir des décisions ou des projets politiques au coup à coup.

C'est un peu le genre de discours pragmatique qu'on connaît aux centristes français honnêtes (et j'espère ne pas commettre, en écrivant cela, un double oxymore).

Donc, le raccourci saisissant qui consiste à renvoyer dos à dos populistes xénophobes et “progressistes”, justement, ou — en France — la droite extrême (qui ne propose que des mesures visant à l'appauvrissement du plus grand nombre) et la gauche dite “radicale” n'est qu'un tour de passe-passe sémantique des plus dégueulasses, ainsi qu'une manipulation de l'ordre de celles qui consistaient à annoncer à l'avance la défaite du Brexit et la victoire de Hillary Clinton.

Pour ma part, n'aimant pas la politique du pire ni la stratégie de la terre brûlée (métaphore qui prend un sens encore plus fort face à un ”ticket” créationniste et climato-sceptique), je souhaite vivement que des gens comme Bernie Sanders parviennent à infléchir le cours de l'histoire en incitant Trump à appliquer surtout les points les moins dévastateurs de son programme de clown assassin.

mardi, 08 novembre 2016

Tell It Like It Is

L'article ci-après du Daily Mash, très drôle comme toujours et illustré d'une photographie hallucinante de Nigel Farage, pose, dans son titre et ses deux premières phrases, des difficultés de traduction particulières.

 

People who tell it like it is actually telling it like it isn’t

PEOPLE who express themselves in plain, simple terms are invariably wrong, it has emerged.

Researchers found those who are credited with ‘no-nonsense’ views are, in fact, espousing ‘yes-nonsense’ views.

 

Professor Henry Brubaker, from the Institute for Studies, said, “In East Yorkshire, for example, we found that an area claimed by ‘straight talkers’ to be overrun by immigrants turned out to be sparsely populated but with a vital cornershop owned by an Asian couple.”

The Institute also studied BBC schedules for signs of ‘rampant liberal bias’ but found it was mostly programmes about baking, dancing and John Craven standing in a field.

Meanwhile, a survey of so-called ‘pro-cycling fascists’ found no evidence of National Socialism or any plans for the mass oppression of non-cyclists.

Brubaker added: “Overall, we found those ‘telling it like it is’ were parroting something Nigel Farage said based on something Richard Littlejohn wrote for the Daily Mail based on something he heard from a bloke in a van.”

 

Les difficultés consistent surtout à traduire les effets de symétrie et d'antithèse du titre et de la deuxième phrase, laquelle invente en outre un néologisme absurde, yes-nonsense views.

Une traduction qui me semble pertinente pour traduire tell it like it is en français, dans la plupart des contextes, est « dire sans détours ». Toutefois, la nécessité de traduire la saillie drolatique tell it like it isn't interdit ce choix : dire avec détours ne constitue pas une bonne vanne, simplement une traduction plaquée. J'ai donc songé à partir d'un autre cliché de langue de bois, la vérité vraie, pour traduire le titre :

 

People who tell it like it is actually telling it like it isn’t. → En fait, ceux qui disent la vérité vraie assènent des vérités fausses.

 

On pourrait réfléchir à d'autres clichés, selon l'antienne qui paraît la plus horripilante : ceux qui disent “ne pas se cacher derrière leur petit doigt” se cachent derrière leur petit doigt, ceux qui répètent qu'“on ne va pas se mentir” passent en réalité leur temps à mentir. Etc.

Pour l'expression yes-nonsense views, il faut s'interroger sur la traduction de no-nonsense views : des opinions pleines de bon sens ? de sens commun ? des opinions limpides ? Quel que soit le choix, il faut se servir de l'expression de départ pour établir une symétrie et conserver l'effet humoristique :

des opinions pleines de bon sens → des opinions pleines de non-sens

des opinions qui s'appuient sur le sens commun → des opinions qui n'ont pas le sens commun

des opinions limpides → des opinions stupides

 

mardi, 18 octobre 2016

Traduire “fembot”

Un bon exemple, pour renouveler mon stock pour le cours magistral que je consacrerai fin novembre, dans le cadre du cours de première année de Documentation*, à la question des ressources lexicographiques en ligne (monolingues, bilingues, multilingues), c'est le nom composé amalgamé fembot**.

En effet, si les dictionnaires bilingues Larousse en ligne ne connaissent pas le terme, c'est le cas de la plupart des ressources habituelles (Collins ou IATE).  Wordreference reste pareillement muet, à l'exception d'une discussion très marginale sur le forum, et Linguee ne répertorie quasiment aucune occurrence (ce qui est plus étonnant).

Le site le plus disert reste Reverso, surtout dans son interface contextuelle. Toutefois, les nombreuses phrases en contexte n'ont, en regard, que des traductions manquantes, fausses ou peu convaincantes : tout au plus serais-je tenté d'emprunter cybernana et de le moderniser en cybermeuf. Finalement, des traductions “sèches” proposées en haut de page, femmebote et robote, seule la seconde peut sembler convenir. Cela requiert, toutefois, un certain discernement : rien de tout cuit ici.

L'aller-retour entre la version francophone et la version anglophone de la Wikipédia suggère une équivalence trop restrictive ou trop technique (gynoïde).

À qui voudrait traduire le titre de la chanson de Zappa, “Fembot in A Wet T-Shirt”, que conseiller ? L'anglicisme (une fembot en t-shirt mouillé) ? Robote dans un t-shirt mouillé ? Une cybermeuf ?

 

 

* Triple génitif, I know.

** Oui, je suis en train de réécouter Joe's Garage de Frank Zappa.