dimanche, 23 février 2025
23022025 (Chœur infime - Billy-Ray-Belcourt, Dépaysage 2025)
Les éditions Dépaysage viennent de publier la traduction du premier roman d’un poète et professeur de creative writing appartenant à la nation crie d’Alberta, Billy-Ray Belcourt. Je n’avais pas entendu parler auparavant de cet écrivain, dont j’ai donc découvert l’œuvre en français canadien, grâce à la traduction de Mishka Lavigne et sous le titre français Chœur infime (2025) [A Minor Chorus (2022) – chœur en do mineur / chœur mineur].
J’ai énormément aimé ce livre, qui rejoint un certain nombre de mes préoccupations en matière de décolonialité, mais pas seulement. En effet, le roman prend la forme d’une enquête et d’un retour au pays pour un jeune doctorant qui interrompt sa thèse pour aller interroger et même, plutôt, écouter ses proches qui ont grandi dans la même réserve que lui : en ce sens, il s’agit d’un témoignage sur les discriminations et sur l’histoire complexe des communautés et des individus autochtones dans le Canada contemporain, mais, plus encore, il s’agit d’un journal de création tout au long duquel le narrateur tente d’inventer une forme et d’aborder, avec lucidité et espérance, le deuil de sa jeunesse et d’un certain nombre d’illusions. Une seule de mes attentes a été un peu déçue, car, si la quatrième de couverture présente l’auteur comme un « poète bispirituel de la Première Nation crie de Driftpile, en Alberta », sa réflexion porte plutôt conventionnellement sur l’homosexualité : même le terme de queer, plus eurocentré, est employé dans un sens assez restrictif. Il se trouve que la notion de two-spirit, qui est très particulière, permet habituellement de penser (et surtout de concevoir esthétiquement – c’est tout le propos de Billy-Ray Belcourt) la rupture avec l’hétéronormativité de façon novatrice : ici, à l'inverse d'un poème de 2018 très riche sur ce point, c’est sans doute codé ou implicite, et je pense même que c’est un choix de refuser l’anthropologisation d’un vécu intime personnel. [Intime : c’est l’importance politique de cette dimension qui rend si précieux le choix de l’adjectif infime dans le titre français.]
Si je commence par le dernier (onzième) chapitre, dans lequel le narrateur rend visite à son cousin Jack en prison, on y trouve ce qui est un des points d’aboutissement du genre de roman qu’il souhaite conceptualiser : « C’est notre devoir, ai-je pensé, de nous rebeller contre l’embellissement de la violence. J’ai tout de suite reconnu en cela la raison d’être du roman de la contre-culture. » (p. 183).
Ce qui m’intéresse, ici, c’est que cette notation intervient au terme d’une réflexion qui s’amorce par l’analogie « bizarre » entre roman et espace carcéral : « Bizarrement, je me suis mis à penser à la façon dont les romans présentaient parfois l’existence et les sentiments humains avec tant de précision qu’un personnage pouvait sembler emprisonné dans une structure sans agentivité. Ce n’était analogue à une prison d’aucune façon, mais dans mon esprit, on aurait dit que ça soulignait à quel point les gens normaux, les auteurices en fait, jouaient le rôle de gardiens de sécurité ou d’agents correctionnels sous les couverts de la littérature. » (pp. 181-2 – je vais aller piocher le texte anglais de la première phrase pour l’ajouter à ma réflexion sur Amma Darko). Il y a, dans cette esquisse d’analogie, la possibilité de structures romanesques normatives auxquelles s’opposent de contre-structures laissant les personnages libres de leur agentivité, sans doute un prolongement (inattendu, vu la figure que je m’apprête à convoquer) de l’opposition que faisait Ford Madox Ford entre nuvvle et novel. De fait, ça devient une conviction forte pour moi que les modernistes, même trèèès européens, ont aussi ouvert l’espace romanesque aux expérimentations de décentrement qui permettent aux personnages de dialoguer/dialogiser dans une structure réellement démocratique, voire anarchique. Justement, ce qui se passe dans les premiers romans de Darko relève assez de cela.
C’est là une réponse possible à la piste proposée dans le chapitre II : « Et si l’acte d’écrire un roman, me suis-je demandé, permettait de pratiquer un mode de vie qui réfutait les brutalités de la race, du genre, de l’hétéro et de l’homonormativité, du capital et de la propriété ? » (p. 39). Mieux, même, le texte même du livre met en pratique, de façon continuelle et discontinue, l’idée, énoncée plus tôt encore, au chapitre I, selon laquelle la prose (romanesque) et la théorie sont semblables en ce que « les deux nous demandent de refuser le romantisme du présent » (p. 23). L’ambivalence constante de la fonction du roman rejaillit sur l’écrivain : après sa rencontre avec sa grand-tante, la kokum de Jack, il remarque qu’il est « devenu l’écrivain de la famille, et, par le fait même, son historien, son coroner » (p. 69). Comme le confirme le glossaire, le coroner n’est pas n’importe quel enquêteur : c’est, dans la gradation ascendante que propose la phrase de Belcourt, un policier constitué historien de faits tragiques ou macabres. La tragédie, bien sûr, c’est celle de la racisation, c’est-à-dire tout d’abord l’histoire du vol des terres et du pouvoir même d’agir, puis la longue litanie des exactions, comme dans les tristement célèbres « pensionnats autochtones », qui font l’objet du magnifique chapitre VII. Cependant, l’invention d’un roman qui refuse d’embellir la violence implique aussi de frayer avec la langue coloniale qu’est l’anglais :
Mes propres angoisses au sujet du roman avaient à voir avec mon soupçon que l’anglais était une langue trop compromise pour engendrer un portrait de la vie autochtone qui ne fût pas imprégné des fantasmes coloniaux de notre délabrement. Peu de choses dans mon arsenal m’apparaissaient assez vastes pour combattre des siècles de lectures qui faisaient des peuples autochtones des bombes. Comment plutôt faire d’un roman une bombe ? Comment planter un roman dans l’infrastructure morale d’une nation corrompue ? Comment écrire des phrases qui font tic-tac, tic-tac ? (pp. 40-1 — et en recopiant ces phrases, je pense cette fois-ci à Patrice Nganang, tout m’y ramène).
En dépit d’un parti pris esthétique et narratif très différent, j’ai beaucoup pensé à ma lecture récente de Debra Dank (We Come with This Place, 2022 – texte fondamental des littératures aborigènes contemporaines), notamment au détour de ce propos que le narrateur attribue à sa tante Lena :
« Hmm, surtout pour nous, les Autochtones. Si n’importe quel·le Autochtone consignait sur papier les circonstances de sa vie, de l’enfance à la vieillesse, ça ferait un meilleur roman que n’importe quoi écrit par un gars blanc. Nous avons ri. Une femme s’est penchée vers nous comme pour participer à l’allégresse. » (p. 160)
Je clos ces notes en vrac sous deux aspects :
-
- en « cochant » les pages 116-122 et le très beau développement sur « la notion queer de la maternité », qui voit dans la « fonction maternelle » la capacité à faire émerger un nous collectif et à « s’en occuper comme un jardin
- en indiquant le motif de la terre et l’impératif de « se déterrer de soi » (p. 161 – reprenant p. 91, p. 112), que je développerai si j’ai le temps d’aller creuser dans le texte anglais
21:44 Publié dans 2025, Lect(o)ures, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 07 février 2025
07022025
Pour tenir le rythme de publication d’un billet par jour ici, j’ai un peu triché hier en publiant uniquement ma revue de presse. J’ai bien avancé dans Spinnweben – qui montre décidément qu’Amma Darko est une des écrivaines qui écrit le plus explicitement et surtout le plus matter-of-factly du monde sur la sexualité et surtout le plaisir féminin – et aussi dans Death of the Author, qui s’effiloche au fur et à mesure de la lecture. J’attends de voir ce que vont donner les 150 et quelques pages qu’il me reste à lire mais je crains que Lagoon ne reste, et de loin, son livre le plus abouti : après tout, ce n’est pas très grave – beaucoup d’écrivain·es donneraient tout pour avoir écrit ne serait-ce qu’un seul livre comme Lagoon. L’ironie, avec Okorafor, est qu’elle est surtout célébrée et connue pour Binti, Who Fears Death… et peut-être pour ce nouvel opus, qui a fait l’objet d’une campagne médiatique assez énorme.
Mon problème est que je voudrais passer mes journées à lire, traduire et faire des recherches sur les textes qui le méritent (ainsi, d’exhumer ou de tenter d’exhumer les deux manuscrits inédits de Darko), mais que chacune de ces trois activités serait, normalement, à temps plein. (Et je n'évoque même pas l'enseignement, que j'adore même si cette activité est en suspens pour moi ce semestre.)
Le soir, nous sommes allés écouter l’orchestre Francis-Poulenc, qui donnait plusieurs pièces en décomposant les différentes phalanges de l’orchestre : une pièce pour 13 percussions (Ionisation de Varèse), deux suites pour cuivres (dont trois extraits des Brass Cats de Chris Hazell), trois pièces brèves pour cordes et enfin la Sérénade de Strauss pour bois et vents (dans laquelle jouait Odilon).
10:46 Publié dans 2025, Affres extatiques, Autres gammes, Lect(o)ures, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 23 janvier 2025
23012025
Retour à Tours. Il faisait très beau et très doux à Dax comme à Bordeaux.
La rencontre aux Temps sauvages autour de ma traduction de Born in Blackness ne s’est pas très bien passée. J’étais plutôt déçu car je n’ai pas été à la hauteur du tout, usurpant la confiance que m’a fait le libraire, Nicolas, qui est un jeune homme charmant, très cordial et très fin. Surtout je n'avais pas assez préparé, ou pas ce qu'il fallait. J'avais bien rédigé quelque chose de synthétique, mais le livre traite d'énormément de périodes et de lieux, et il y avait dans la salle des personnes qui ne connaissaient absolument rien – je pense – au sujet, et qui ont dû être complètement perdues...
Lors des questions, je me suis un peu rattrapé (j’espère). La librairie était pleine, en tout cas (environ 25 personnes), et j'espère ne pas avoir totalement embrouillé l'esprit de (ni avoir trop fait perdre de temps à) ces personnes
23:50 Publié dans 2025, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 15 janvier 2025
15012025 (ILMC & NdT)
La première de mon émission de radio, I LOVE MES CHEVEUX, est donc enfin en ligne. Elle a été enregistrée en direct avant-hier, lundi. Pour la petite histoire, on entend mal la musique de générique au début, mais je compte améliorer cela la prochaine fois ; de même, il y a un blanc étrange vers 4'50" : j'étais perturbé de voir Mélissa modifier des réglages sur les manettes car on entendait mal le retour dans les casques, apparemment...
L’idée est d’en enregistrer deux ou trois par mois ; normalement, j’ai mon programme d’invité·es jusqu’en mars. Il est essentiel pour moi que cette émission ne se résume pas à inviter des traducteurices et à parler de leurs traductions : d’excellentes émissions et podcasts existent déjà avec cette ligne éditoriale. Mon souhait, depuis que j’ai conçu le projet, est de tout articuler autour du territoire, donc de l’université bien sûr (c’est Radio Campus Tours) et plus généralement de la métropole tourangelle. Je ne penserai avoir atteint mon but que lorsque des représentant·es de toutes les catégories de personnel et des étudiant·es de toutes les filières seront venu·es parler au micro.
Une des questions presque marginales qui s’est posée, lors d’un échange avec Louison Millet autour de la traduction d’un mot coréen que je ne saurais ni restituer en hangeul ni donner en transcription, et dont elle disait qu’il n’était pas traduisible en français, en particulier en raison de ses connotations historiques, est celle des notes du traducteur ou de la traductrice. C’est un vaste sujet, et une question à laquelle, comme toute personne qui traduit ou qui lit des traductions, je réfléchis depuis longtemps.
Il est impossible de faire le tour de cette question dans un billet de blog, mais disons qu’il y a grosso modo deux écoles, et, au sein de ces écoles, cinquante nuances, bien sûr. D’une part, l’idée que la NdT est un aveu d’échec, une scorie à éviter à tout prix, et c’est souvent le cas des éditeurices, qui préfèrent, le cas échéant, ouvrir un espace à læ traducteurice, par exemple une postface permettant d’expliquer et de justifier certains choix ; cette idée a notamment une certaine pertinence pour la traduction de textes littéraires, dans la mesure où les idées (et donc les référents des mots) ne sont pas le seul, voire pas le principal objet/objectif du texte. D’autre part, il y a l’idée que la traduction est une opération intellectuelle et linguistique nécessaire, mais qu’elle est vouée en soi à ne pas permettre une nette et équivalente compréhension de tel mot ou de tel passage, contexte etc. : dans cette optique, la NdT se comprend comme un prolongement du texte traduit, qui donne un élément de compréhension primordial. Comme je le disais, ces deux positions admettent des nuances multiples : ainsi, Claire, avec qui j’en ai longuement parlé lundi soir, déplore que certaines traductions de textes issus de cultures non européennes finissent par anthropologiser le texte littéraire en le surchargeant de notes sans lesquelles le récit resterait en fait entièrement compréhensible en tant que récit, fût-ce au prix d’une certaine étrangeté/étrangèreté constitutive de sa lecture.
En quelque sorte, ces questionnements recoupent en partie le vieux débat (en partie stérile ou vicié) des « sourcistes » et des « ciblistes », ainsi que la question post-coloniale de l’inscription des mots ou phrases en langues non européennes dans des textes écrits en langues européennes (ce que Ngũgĩ wa Thiong’o nomme les littératures afro-européennes, cf Decolonising the Mind, pp. 26-7) : quel sens donner aux glossaires, aux équivalences intégrées, à ces différents dispositifs de mise à disposition du sens, et donc d’homogénéisation partielle ou total d’un texte hétérogène car profondément plurivocal (au sens bakhtinien) ? On touche là à mes obsessions de plusieurs années déjà, explorées dans plusieurs séminaires, et qui, au fond, trouvent à se réexprimer dans le gros projet de recherche dans lequel je m’embarque pour mon sabbatique.
Pour en revenir à la question des NdT, il faudra que je fouille un peu afin de voir si ça n’a pas été déjà fait, mais il y aurait certainement un colloque à organiser autour de ces questions, car, au-delà des questions essentielles de la transmission, de l’opacité, du « reste après traduction », ou des genres différents (la NdT est évidemment valorisée dans le cas des textes philosophiques, par ex.), la NdT, très entre autres, peut servir désormais de signal anti-IA, autrement dit la preuve qu’un·e traducteurice humain·e est à la manœuvre.
18:32 Publié dans 2025, ILMC, Translatology Snippets, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 08 janvier 2025
08012025
En fait, j’ai un boulot monstre cette semaine, et surtout plein de choses très différentes : copies de L3, préparation du dernier cours d’agrégation interne avec correction du concours blanc, faire la liste des notes pour le Mobil des étudiants de L2/L3, continuer mon chantier de recherche Nganang / Darko, et préparer la première de mon émission de radio.
Pour le chantier de recherche, j’ai écrit ce matin sur Facebook trois paragraphes pour accompagner le partage du dernier billet de Patrice Nganang, avant de copier-coller tout cela dans le document Word intitulé Chantier CRCT, qui, de carnet de bord, devient quasiment un dépotoir. Je me suis avisé que deux néologismes de ma brève publication, tritralogie et anthrop(aut)obiographie, pourraient requérir chacun un chapitre du très éventuel livre. Pour l’émission de radio, c’est amusant, car le document Word dans lequel je suis allé rechercher le visuel et l’argumentaire afin de créer le compte Instagram dédié (et y rédiger la première publication) s’intitule Proposition d’émission RCT : ainsi, deux sigles sans aucun rapport finissent par rythmer mon début d’année – d’une part, le Congé pour Recherche et Conversion Thématique (le talent de l’administration pour bricoler des intitulés absolument opaques n’a pas de limite), et d’autre part Radio Campus Tours (là, c’est transparent).
Bon, il faut que je me mette aux copies ou au bilan des notes, ou au corrigé du concours blanc, afin de pouvoir dire ce soir que j’ai aussi avancé sur la partie enseignement de mon activité (c’est la queue de comète du premier semestre).
09:12 Publié dans 2025, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 31 décembre 2024
Des biais de Bruce King ?
Levé à cinq heures du matin, et réveillé bien avant : il y avait dix jours, je pense, que ce n’était pas arrivé, et ça ne tombe pas très bien, bien sûr, vu que nous réveillonnons ce soir etc.
Il faudrait faire le bilan de 2024 pour ce blog : double échec. Je ne me suis tenu ni aux publications régulières, ni au registre des livres lus, qui est parti en eau de boudin très vite. Pour 2025, si je retente cela, il faudrait que ce soit un registre, et rien d’autre : le titre, le nom de l’auteurice, éventuellement le genre et un avis en trois mots.
Pour le moment, je pourrais tricher en éclusant mes publications Facebook ou autres et en les sauvegardant ici, mais ça n’aurait guère de sens.
Hier matin, par contre, j’ai écrit ceci sur Bluesky :
Repris hier, après interruption d'une semaine, cette monumentale biographie de Walcott, par Bruce King, récemment disparu. Au détour des chapitres 7-8, je note des biais colonialistes (impensés ?) ; il faudrait 1 note de blog pour expliquer...
Depuis, je suis parvenu au milieu du chapitre 12, et même si deux assez longs développements sur ce qui rapproche/oppose Walcott de Naipaul et Wilson Harris ont permis de nuancer la position de King, il n’en demeure pas moins que je suis sceptique sur ce biais. En l’espèce, outre le fait que King ne discute jamais vraiment la fascination de Walcott pour la poésie anglaise et la culture coloniale, il s’agissait, dans ce que j’ai noté hier, des financements. En effet, voici comment s’achève le chapitre 7 :
By the mid-1950s Rockefeller concern with postwar culture was being influenced by the Cold War. Funding was denied those suspected to be Communists, while support was available for those attending conferences organized by the Congress for Cultural Freedom. Funds were made available to overseas projects at the new universities and other institutions, as former colonies prepared for national independence. The sums were small and grants were carefully evaluated for the usefulness of the proposed projects and the chances of their succeeding; most projects were turned down, and the officers showed a remarkable nose for what proved to be worthwhile in the way of scholarship or creativity. In the past Rockefeller Foundation aid had gone to medical schools abroad to wipe out tropical diseases or to English departments for scholarly projects, so that aiding the new universities of the rapidly dissolving British Empire was not a major departure, and was in keeping with former interests. Only the context had changed.
Such help was given to the new University College of the West Indies, the University College of Ibadan, and other new universities, with the emphasis on medical schools and similar professional areas where research was likely to be beneficial to the public. To a lesser extent there was help establishing theatre departments, or the study of local culture. Cultural decolonization speeded up as local scholars and artists were encouraged by the attention and small grants they received. Wole Soyinka and Derek Walcott were among the beneficiaries. Both were unusually intelligent, educated in the Western classics, well read in Modernist classics, poets with a concern for the structure of texts and the ambiguities of words, and fascinated by myth; they were social democrats with a strong instinctive dislike of repression and therefore of Stalinism. Both dramatists created a modern regional literature by themselves researching part of the folk tradition and by using recent scholarship by others concerning local traditions. They were associated with the new university colleges, Soyinka with the University College of Ibadan, Walcott with the University College of the West Indies. Both opposed the backward-looking nationalism, traditionalism, and black racism that were at various times the ideology of some African and Caribbean governments, and both found it possible to be universalists with deep roots in their local culture. (pp. 126-7)
Il semble aller de soi que Walcott, comme Soyinka, a été choisi car son œuvre ne va pas à contre-courant des modèles eurocentrés et capitalistes. Même s’il s’agit là d’une vision réductrice de son œuvre, y compris à ses débuts, et même si on peut se réjouir que la Fondation Rockefeller ait financé ces deux immenses écrivains pour de mauvaises raisons, la question des liens troubles entre mécénat et adhésion à une partie des « valeurs coloniales » semble s’esquisser.
Or, au début du chapitre suivant, voici ce qu’écrit King à propos de la Caraïbe post-1945 :
The various nationalities, origins, shades, religions, and other social complexities, along with education, meant a place of rich differences rather than tightly held distinctions. In any case the distinctions of the past were breaking down. The American presence and base during the Second World War had brought money, opportunity, social mobility, and a casualness about class and race. It was a time, as the famous calypso had it, of working for the Yankee dollar; this could be done in many ways, as a driver, a builder, or on ones back. (p. 129)
Il semble, à lire les paragraphes suivants, que l’idée n’effleure même pas King que le métier d’écrivain puisse être, comme celui de chauffeur, de maçon ou de prostituée – je ne dis rien ici du sexisme ordinaire dans lequel baigne le livre –, pris dans l’économie, et que Walcott, comme d’autres, participe d’un système financier post- (et en grande partie néo-)colonial.
Bon, il y aurait beaucoup à creuser. Je n’ai encore lu qu’un tiers du livre de King, qui est une somme absolument précieuse, et malgré tout le profit (intellectuel) que j’en retire, en dépit de tout ce qu’il m’apprend, j’avoue qu’il me rend – et c’est tout à fait paradoxal – l’œuvre de Walcott plutôt moins sublime. Moi qui connais très peu le théâtre de Walcott, et qui connais le poète via Omeros, les Collected Poems 1948-1984 et un recueil plus tardif (The Prodigal), je dis souvent que Walcott est un des plus grands sans distinction de langue, d’époque ni de continent. C’est un immense poète, point barre ; il faudrait bien davantage que les coups d’aviron de King pour me le gâcher.
Par ailleurs, je suis assez stupéfait de découvrir aussi que des centaines de poèmes de Walcott restent indisponibles à la lecture, même en anglais, qu’aucune édition de ses œuvres complètes n’a été entreprise, semble-t-il. Walcott a écrit beaucoup d’articles pour la presse trinidadienne dans les années 1960 : jamais ces articles n’ont été repris en volume…
10:48 Publié dans 2024, Questions, parenthèses, omissions, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 11 mars 2024
11032024
Épuisé… à quoi servent les vacances… à travailler.
Hier soir, j’ai fini de traduire le chapitre 37. Il me reste les dix pages du chapitre 38, les 9 pages d’épilogue et de remerciements, et surtout les 50 pages de notes (qui seront très mécaniques – j’ai gardé pour la fin toutes les notes de pures références bibliographiques).
Certes, le deadline est… aujourd’hui. Mais l’éditrice m’a dit qu’il n’y avait aucun problème pour m’accorder une semaine, voire davantage. Toutefois j’aimerais désormais en être débarrassé le plus vite possible. J’espère pouvoir faire des relectures dans le train mercredi et jeudi.
08:20 Publié dans 2024, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 07 mars 2024
07032024
12:26 Publié dans 2024, Chèvre, aucun risque, Translatology Snippets, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 26 février 2024
26022024
Réveillé, sans doute par un cauchemar, que je ne me rappelle pas du tout. Du coup, levé à 5 h 35, ai éclusé une partie du travail en rade, dont les 9 fiches d’évaluation orale des L3 ; pour l’une d’entre elles, j’ai dû aller copier-coller pas moins de 35 prononciations dans l’OED, en hiérarchisant ensuite les types d’erreur dans la fiche — j’espère que l’étudiante va regarder ça de près et travailler ces mots en particulier, et, plus généralement, le placement accentuel.
07:36 Publié dans 2024, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 22 février 2024
22022024
Du mal à m’endormir (toujours à cause des restes de pharyngite), et réveillé très tôt (4 h peut-être (j’ai fini par me lever à 5 h)), nez pris par la sinusite ; cela fait deux mois ; j’en ai marre. Je vois la docteure aujourd’hui, pour qu’elle interprète le scanner d’hier (polypes ?). Pas à me plaindre : je me sens en forme et plutôt plein d’énergie (même si là, j’aurais aimé une nuit moins courte).
Par ailleurs, j’ai un peu de retard sur tous les fronts, et par exemple, même si c’est sans importance, dans ces carnets. J’ai même, ce matin, à la hâte, rempli les six dernières journées du carnet manuscrit. Malgré le travail je réussis à lire un peu (hier soir, 70 pages de l’essai de Didi-Huberman sur l’Arbeitsjournal de Brecht), et j’ai déposé dans les temps mon premier dossier de CRCT. Je crains de ne même pas obtenir un semestre.
Sinon, il me reste 140 pages à traduire avant le 31 mars, et alors que je vais intervenir dans deux séminaires, à Lyon et à Tours, en mars justement. Vu que je réussis à traduire 10-12 pages les « bons jours » ça a l’air simple… sauf que j’ai rarement plus de deux jours par semaine à consacrer à cette activité. Un coup de collier sur les dix jours de « vacances » s’impose. — Il y a aussi que je n’ai pas, dans ce décompte, inclus toutes les notes de bas de page, laissées en blanc pour le moment. Or, j’ai créé hier, dans le chapitre 27, le 300e appel de note. Miam !
06:18 Publié dans 2024, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 17 février 2024
17022024
Pour cette Journée Portes ouvertes, nous n’étions pas – pour la première fois depuis près de vingt ans – en salle 32, mais en salle 12. Elle est plutôt plus agréable, même si le volume sonore, quand nous étions huit ou neuf simultanément à renseigner des lycéen·nes, était un peu pénible. Or, ça n’a presque pas désempli, même aux heures habituelles de désert (entre midi et deux et après 16 h). Les étudiant·es présent·es étaient super (comme toujours).
19:14 Publié dans 2024, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 12 février 2024
12022024
J’ai retrouvé aujourd’hui, en cherchant autre chose dans un de mes comptes d’archivage gmail, un vieux tapuscrit de 2014, Le Moine qui arrouméguait, livre qu’il faudrait continuer à mettre en forme et compléter mais qui, même en le reparcourant dix ans plus tard, tient la route.
Traduit 14 pages (27 depuis samedi). —— Quelques coriacités.
18:24 Publié dans 2024, Ecrit(o)ures, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 06 février 2024
06022024
Et dire que j’ai attendu d’avoir presque cinquante ans pour faire cours sur Jamaica Kincaid…
C’est à l’été 2022 que, sollicité par mes collègues responsables de la double licence anglais-espagnol pour proposer un cours sur « les littératures des Amériques » pour le module spécifique, en deuxième année. N’étant pas américaniste, mon premier réflexe a été : Caraïbes. Et puis : autrices. Et puis : pourquoi pas des autrices écrivant dans les deux langues de référence du diplôme (même si je n’ai jamais étudié l’espagnol). Et donc : autrices vivantes, hispanophones et anglophones, des Caraïbes.
Donc le tout premier recueil de Kincaid, pour faire simple (At the Bottom of the River). Et l’occasion d’aller piocher dans l’anthologie bilingue de Nancy Morejon avec traductions en anglais. Et j’ai découvert une géniale anthologie, dont j’ai fait acheter trois exemplaires à la B.U. : The Sea Needs No Ornament / El Mar No Necesita Ornamento.
Et donc lors du premier cours on avait tourné autour de “Girl”, et aujourd’hui autour d’“In the Night”. Car rien de moins juste que d’écrire que je « fais cours sur » Jamaica Kincaid. On pourrait passer des heures à lire et relire et parler de cette nouvelle en cinq parties. Mais j’ai attendu d’avoir presque cinquante ans.
18:13 Publié dans 2024, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 02 février 2024
02022024
Violet sur jaune sur orange, c’est dans la réglette du tableau noir vert bouteille de la salle 23 du site Fromont les seules craies, hormis deux minuscules morceaux de craie blanche, dont je me suis quand même servi – écrire à la craie, est-ce que ça me rajeunit ? n’est-ce pas, en un sens, inimaginable ? – car orange sur jaune sur violet, ça n’est pas ce qui se fait de plus visible, mais en fait finalement si, de sorte qu’au tableau on a pu lire, lisiblement :
Ben Okri
Africanfuturism
metafiction
knowledge as intuition
Garcia Marquez
11:48 Publié dans 2024, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 01 février 2024
Le Voisin de zéro
C’est le premier jour de février, et j’étais aux Tanneurs à 6 h 55. Je ne sais même pas s’il y a un mot d’ordre de grève dans l’enseignement supérieur, où tout est à vau-l’eau, en débandade ; habituellement, je préfère verser ma journée de salaire aux caisses de grève ; aujourd’hui, je ne pourrai même pas manifester, c’est nul (je suis nul).
Cet opuscule de Cixous, paru l’année du centenaire de la naissance de Beckett, m’avait échappé, comme m’échappe généralement ce qu’écrit Cixous : je n’y comprends rien.
Ici encore impression que HC garde tout, ne jette rien, et après tout pourquoi pas si nous acceptons d’être engloutis dans son galimatias. Pourquoi va-t-elle pêcher le Purgatoire de Dante ? Et Kafka, ça s’entend, lui dont c’est cette année le centenaire (de la mort).
On ne devrait parler que du centenaire des centenaires, ça apprendrait aux autres.
L’analyse, c’est l’art de découper à l’infini. L’art d’approcher, de Beckett le découpeur. En approchant de la chose exacte, donc première approximation et erreur, pour corriger l’erreur tu estimes l’erreur en commettant une erreur plus petite, tu approches la chose exacte, la fin, en faisant des erreurs de plus en plus fines. (p. 62)
07:19 Publié dans Livres 2024, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 27 janvier 2024
Rousse
Quand j’ai cherché le livre dans une librairie où je vais rarement – trop grande, trop généraliste – le libraire à qui je l’ai demandé, pensant que j’en avais entendu parler de cette façon, m’a montré du doigt la table réservée aux ouvrages « passés à la télé ». Et effectivement, ce que je vais dire est méchant, mais Rousse est un livre parfaitement calibré Grande Librairie (du trapen-art).
Mais bref. Reprenons au commencement. Rousse, premier roman publié de Denis Infante (« envoyé aux éditions Tristram par la poste » dit – dans un exaspérant mensonge plein d’affèterie – le rabat de la 3e de couverture), est l’histoire d’une renarde, racontée du point de vue de la renarde (et aussi, par bribes, du point de vue de plusieurs autres animaux non humains). Comme beaucoup de livres commencent à filer ce filon, je me dis à chaque fois que je devrais relire La dernière harde de Genevoix ou De Goupil à Margot de Pergaud – très lointains souvenirs.
Le livre est en trois parties de longueur inégale : « La matière » (pp. 9-94 ; récit à la troisième personne mais du point de vue de Rousse), « L’esprit » (pp. 95-128 ; récit de Rousse à la première personne), « L’existence » / ‘Eau amère du monde’ (les trois dernières pages, encore narrées par Rousse). Pour dire la différence de point de vue, pour tenter d’écrire en non-humain (c’est tout le paradoxe, voire l’aporie, du perspectivisme [cf travaux d’Emilie Dardenne notamment]), Denis Infante invente une syntaxe qui s’écarte partiellement de la langue française standard. Le trait le plus saillant est l’absence d’articles définis, toujours remplacés par des articles ø. D’autres traits moins évidents s’ajoutent à ce dispositif, en particulier la surabondance d’adjectifs (au point qu’autour des pages 30-40, ne voyant plus que ça, je lisais en repérant tous ceux qui n’apportaient absolument rien, voire affadissaient le récit).
Autre écart, le choix de procéder fréquemment à des inversions sujet/verbe que pas grand-chose n’explique : « Puis, au point du jour nouveau, aussi brusquement qu’elles avaient commencé, cessèrent rafales, s’évanouirent hurlements, se turent grondements, retomba poussière. » (p. 92) Je pense que c’est juste un écart, juste une manière d’affecter des marqueurs linguistiques à la différence, à ce qui différencie fondamentalement l’instance focalisatrice des narrateurices ou protagonistes habituel·les des récits publiés.
Donc dans cette langue – et j’insiste sur le fait qu’en ce sens c’est un livre très littéraire, très écrit, expérimental – nous est raconté une sorte de conte. Ce conte, comme on va finir par le comprendre quand Rousse aura franchi le grand fleuve, est un récit post-apocalyptique : curieusement, l’espèce humaine a été anéantie, mais les animaux ont survécu. Les animaux ont survécu, mais peut-être en mutant (cf les kraken/krakodiles), et surtout dans un espace géographique difficile à définir, dont le paysage pourrait être celui de l’Amérique du nord, mais où vivent et cheminent des éléphants. Hypothèse commode : le désastre a modifié totalement le climat des continents. Mais est-ce si sûr ?
C’est sans doute cela, la grande réussite du roman de Denis Infante : cette incertitude. Ce qui est moins réussi, c’est la façon dont le récit ne cesse d’investir la nature et les animaux non humains d’un spiritualisme new age pas très inventif et faussement apolitique, avec le personnage du corbeau « Noirciel, qui est Maître, qui sait » (passim), grand initiateur qui relève plus de Yoda que de Bouddha (même si en fait ici ça revient au même).
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En écoute : Evgueni Galperine – Theory of Becoming (ECM, 2022). Beaucoup écouté cet album à l’automne, et de nouveau ces jours-ci. Avec sa couverture faite de deux œuvres (gravure et huile) représentant un loup usant d’un masque humain, l’album était idéal pour accompagner la fin de ma lecture de Rousse. Par contre, rien de kitsch dans ce projet dont les compositions électroniques / samples s’ornent sur certains titres de phrases trompette et violoncelle, l’ensemble très beau, très poignant, et plutôt in-ouï.
17:00 Publié dans Livres 2024, Musiques 2024, Questions, parenthèses, omissions, WAW | Lien permanent | Commentaires (1)
mardi, 23 janvier 2024
23012024
Aujourd’hui, après avoir réussi quand même à faire cours (finalement, la discussion autour de Girl de Jamaica Kincaid a occupé toute la séance), j’ai appris, en discutant avec deux étudiantes, qu’une de leurs camarades, dont je demandais des nouvelles car je pensais qu’elle faisait partie de celles qui étaient parties à l’étranger pour le second semestre, a en fait abandonné le cursus en décembre. Cela m’a fait de la peine, car j’avais ces étudiant·es l’année dernière en L1, et elle, elle était redoublante ; toute l’année elle s’est accrochée, et elle a donc réussi à passer en L2. De mon point de vue, le plus dur était fait ; le cas des étudiant·es qui redoublent leur L1 puis enchaînent les années suivantes est assez classique. Elle a donc jeté l’éponge ; c’est triste. En novembre, je l’avais vue et elle semblait hyper motivée pour candidater à un poste d’étudiante d’échange en Afrique du sud. Ce que je devine de sa situation me déprime plus encore, je dois le dire.
17:47 Publié dans 2024, WAW | Lien permanent | Commentaires (1)
dimanche, 21 janvier 2024
Le colorisme (Alessandra Devulsky, trad. Paula Anacaona)
L’éditrice et traductrice Paula Anacaona poursuit son travail précieux et essentiel de faire connaître en français tout un corpus de sociologie et d’anthropologie brésilienne. J’avais recensé en 2021, pour Littéralutte, deux essais fondamentaux de Djamila Ribeiro. Ici, j’ai eu le grand plaisir de lire l’essai d’Alessandra Devulsky Le colorisme. Métissage, nuances de couleurs de peau et discriminations (2021, 2023).
Il se trouve que ma lecture de l’essai a commencé peu après plusieurs billets de Patrice Nganang lors de la mort de Henri Lopes, et dans lesquels il disait notamment – dans le contexte africain, donc – qu’il fallait rétablir la vérité, et que le « métissage » vanté par Lopes n’était qu’une dissimulation néo-coloniale des spectres coloristes :
Ce qui reste, c'est le sang qui a coulé sous sa responsabilité, le sang, le sang, le sang de son propre peuple. Ce qui n'est pas dit, et qui se manifeste au Cameroun aussi, est que le colorisme était son instrument de pouvoir – le fait d'être métisse, tel qu'on le voit au Cameroun aussi, bref, le racisme à l'envers qu'il appelle “métissage”. Non, c'est le colorisme. (P. Nganang, post Facebook au sujet de la nécro de Henri Lopes dans le NY Times, 3 décembre)
Comme plusieurs passages de l’essai d'Alessandra Devulsky sont très importants et qu’ils vont me servir à articuler plusieurs arguments lors de mes cours (en particulier séminaire de master et cours de 2e année sur les écritures féminines décoloniales de la Caraïbe), je les reproduis ici tout en vous incitant à vous procurer cet essai (et à aller explorer le catalogue des éditions Anacaona).
Le colorisme ne se limite pas seulement à l'aspect physique ; il reflète une hiérarchie raciale pernicieuse qui correspond à un projet politique : diviser les Noir·es pour entraver l'émancipation socio-raciale. Au Brésil, l'esclavage et le processus colonial se sont servis de ses hiérarchies raciales, ce qui a impacté la construction identitaire de ces sociétés. (p. 12)
Le capital se sert de données culturelles pour fragiliser la majorité des femmes – qui, dans le cas du Brésil, sont noires – hiérarchisant ainsi les corps par la stratification des oppressions basée sur le colorisme, et fragmentant le corpus politique noir en lui imposant la falsification de ses négritudes et blanchités. Le colorisme est donc un témoignage vivant de la plasticité des technologies du capital. (pp.69-70)
La manière dont sont exploités les pays africains, asiatiques et latino-américains est la preuve vivante que certaines pratiques prédatrices sur les êtres humains et l'environnement sont tolérées dans le Sud parce que c'est là qu'habitent celles et ceux dont l'humanité peut être bafouée. Les crimes environnementaux comme ceux de Brumadinho et de Mariana, l'esclavage moderne dans les campagnes du Brésil, qui touche en grande majorité les Noir·es, le recours au travail infantile dans les mines de cobalt et de diamants au Congo, montrent à quel point la racialisation de ces populations autorise l'exploitation irrationnelle des ressources – quitte à menacer directement leur vie. (p. 75)
Penser que le métissage mettra fin au racisme par la superposition de traits et d'origines revient à oublier que le colorisme ne se résume pas à des traits et marqueurs raciaux. Le colorisme se développe main dans la main avec le racisme, ce qui en fait une technologie sociale intersectionnelle qui intériorise aussi des vecteurs socio-économiques, culturels et historiques dans ses classifications et attribution de valeurs. (p. 78)
Contre les accusations de communautarisme ou d'identitarisme
Confondre le processus de réécriture des récits et de rétablissement de la vérité avec un identitarisme à la seule recherche d'un statut est une simplification vulgaire de ce que signifie, historiquement parlant, l'opposition à des processus d'oppression systématique. (p. 80)
Voyant la négritude comme un objet d'étude et un vecteur d'orientation politique, les femmes noires à peau claire ont progressivement trouvé une appartenance politique et raciale. Abandonner la subalternité de la « presque » Blanche pour l'agentivité de « l'orgueil noir » dépend de la place que l'on trouve pour soi dans la multiplicité des africanités existantes, et de la reconnaissance de ce que l'on sait avoir toujours été.
L'abandon des pratiques de blanchiment dépasse de loin le seul domaine esthétique, le désir d'être accueilli·e ou accepté·e par les groupes de pouvoir : il s'agit de comprendre tout ce que nous avons perdu dans les processus coloristes d'assimilation de l'africanité au sein des modèles normalisateurs blancs. de fait, se reconnecter avec les liens familiaux et communautaires, religieux et culturels, aidera celles et ceux qui ont fini par comprendre que l'assimilation raciale fait partie du projet de blanchiment – un projet qui, bien loin de vouloir intégrer ce qui n'est pas blanc aux sphères de pouvoir, cherche seulement à discréditer et à vider de valeur tout ce qui s'éloigne de la norme érigée par les Blancs pendant des siècles. (p. 120)
Tourner le dos aux réflexes dissimulés offerts par la blanchité est un acte politique, qui requiert de se libérer du racisme et du colorisme pour être vécu dans sa plénitude. S'affirmer Noir·e ou autochtone au Brésil exige bien plus qu'une seule volonté, ou des arrières grands-parents esclavagisés ou appartenant à une ethnie en voie de disparition. Cela exige d'embrasser les luttes d'un peuple qui n'a jamais renoncé à sa liberté même sous le viol, la perte de ses caractéristiques et d'une partie de son histoire. (p. 121)
11:52 Publié dans Affres extatiques, Livres 2024, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 19 janvier 2024
19012024
Les couleurs n’ont pas été retouchées.
J’étais dans la salle des profs de Fromont ; en reprenant mon manteau, peu avant midi, j’ai aperçu cette enfilade de bancs que j’avais déjà vue une heure plus tôt, et j’ai décidé de prendre la photo avec mon smartphone vert.
Je l’ai simplement recadrée, d’où ce format étiré, avant de la poster sur Flickr.
Ces bancs ont été installés récemment, avec la volonté de rendre le site Fromont moins inattrayant, moins glauque.
12:49 Publié dans 2024, Moments de Tours, Où sont passées les lumières?, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 10 janvier 2024
La pièce manquante
Avant-hier soir, ma collègue Katy Testemale organisait, au lycée Descartes, une rencontre avec Jean Harambat, autour de la parution de sa B.D. La pièce manquante, avec la participation de mes collègues Frédérique Fouassier et Laurent Gerbier. Comme j’avais une réunion d’une de mes équipes de recherche à 15 h, je n’ai pas pu y aller, mais C* m’a résumé tout cela avec pas mal de détails tout de même (cf son compte Instagram aussi, d’où provient aussi l’image ci-contre). Elle a trouvé l'ensemble de la table ronde très intéressant, très stimulant.
La B.D., que j’ai lue dimanche, m’a un peu laissé sur ma faim : c’est plutôt sage, et également un peu verbeux. L’idée de faire se rencontrer, dans l’Angleterre du 18e siècle (avec un hommage appuyé au genre picaresque) l’actrice Peg Woffington (dont je n’avais jamais entendu parler (mais la WP anglophone m'apprend qu'elle a fait l'objet de plusieurs romans et films, et même d'une mention dans Ulysses de Joyce...) et une figure majeure (un peu sous-employée par Harambat), Ignatius Sancho, est très judicieuse, et l’ensemble est bien mené. C’est l’occasion aussi de broder un peu à partir de Cardenio, la fameuse pièce coécrite par Shakespeare et Fletcher en 1613, et irrémédiablement perdue.
Au sujet d’Ignatius Sancho (dont je ne peux que chaudement recommander les Lettres, un texte fondamental de la Black Britishness et de l’histoire de l’abolitionnisme), Katy Testemale a parlé du roman que lui a consacré, tout récemment, l’acteur Paterson Joseph, et que j’ai commencé à lire.
12:05 Publié dans La Marquise marquée, Livres 2024, WAW | Lien permanent | Commentaires (4)
lundi, 04 décembre 2023
04122023
Ce matin, j’ai pris la voiture, et j’étais – comme chaque jour où je vais aux Tanneurs – un peu avant 7 heures dans mon bureau. Il fait froid. Il a fait froid ce week-end, et l’administration fait tourner le chauffage de manière à dépenser le moins possible : quand on voit les factures…
Après, dans les salles de cours, on compte sur les néons et sur la chaleur humaine.
Aujourd’hui, trois surveillances d’examen, dont deux à la place d’une collègue qui a démissionné la semaine dernière et dont je vais corriger trois paquets de copies. Je n’écrirai pas : business as usual. En effet, ce genre de situation n’est pas courante, heureusement.
Rien publié ici depuis le 13 novembre, et mon retour d’Arles. — Il faudrait que je reprenne les archives de ces derniers jours pour publier quelques billets rétrospectifs.
07:42 Publié dans 2023, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 24 août 2023
24082023
Pour mon premier jour de retour à la fac, j’ai pris une photo du couloir menant de l’escalier dit « de l’île Simon » à mon bureau. On dirait un peu un crossover de Barbie et de The Shining, surtout quand il est vide, ainsi, et surtout éclairé par les néons.
Le bâtiment des Tanneurs a emmagasiné une chaleur touffue et lourde pour plusieurs jours sans doute, malgré le rafraîchissement qui est annoncé pour le week-end. Mëme avec courant d'air, mon bureau est caniculaire.
Je ne suis resté que deux heures, en comptant une course en ville. Je voulais surtout dire bonjour aux secrétaires, toutes trois revenues depuis mardi, et discuter avec elles de deux ou trois dossiers à reprendre. Je suis aussi passé au décanat, où le responsable administratif m’a accueilli : « ah, notre premier enseignant-chercheur ! »
12:20 Publié dans 2023, Chèvre, aucun risque, WAW, Zestes photographiques | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 01 juin 2023
01062023 : Ama Ata Aidoo (1942-2023)
Hier j’ai appris, via le mur Facebook de Nnedi Okorafor, la mort d’Ama Ata Aidoo. Son livre Our Sister Killjoy est un jalon fondamental pour toute personne qui s’intéresse aux littératures africaines, au féminisme, à l’intersedctionnalité et au discours post-colonial. J’explique pourquoi, vite fait, dans cette vidéo hors-série.
10:00 Publié dans 2023, Affres extatiques, Flèche inversée vers les carnétoiles, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 22 mai 2023
22052023
Pendant qu’O. était à sa leçon de hautbois et que je cherchais frénétiquement une pâtisserie ouverte dans le centre de Tours, j’ai craqué en achetant encore pour 20 € de livres au Bibliovore. J’ai failli m’y endormir debout, car les haut-parleurs diffusaient le soporificissime Bertrand Belin.
À l’université, où je suis passé en début d’après-midi pour un rendez-vous avec le responsable administratif, j’ai pu constater que les M1 MEEF ont entièrement enlevé les décorations de « leur » salle et qu’iels en ont profité pour décorer quelques portes de bureaux d’enseignant-es.
18:00 Publié dans 2023, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 04 mai 2023
04052023
Deuxième journée d’ouverture « normale » du site Tanneurs. Les diverses évaluations ont eu lieu sans problème, même si on se sent un peu en état de siège.
Pris un verre avec N* sur la pause médiane. Comme elle n’était pas sûre de pouvoir entrer sur le site, elle préférait qu’on se voie dehors, et comme il faisait beau, ça m’a fait une pause tout à fait bienvenue. J’espère qu’elle sait où elle en est, car nous n’avons parlé, en suivant ses demandes, que de la soutenance du mémoire et de son projet de thèse, pas du tout de ce qui lui reste à écrire du mémoire à proprement parler. Comme elle est sérieuse et déterminée, je ne l’ai pas ennuyée avec ça ; il reste six semaines, dont elle tirera le meilleur.
N* m’a fait découvrir un roman LGBTQI nigérian qu’elle vient de commencer et dont je n’avais pas entendu parler, Butter Honey Pig Bread de Francesca Ekwuyasi. (Comme dans les années 60-70, la scène littéraire nigériane est d’une vitalité insensée depuis quelques années.)
15:59 Publié dans 2023, Affres extatiques, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 03 mai 2023
03052023
Le site Tanneurs a donc rouvert, pour les évaluations terminales et de contrôle continu uniquement. Vigiles aux quatre points d’accès autorisés, sorties de secours globalement inaccessibles… rien de très folichon… Ce matin, les secrétaires étaient comme moi : elles avaient passé le week-end très tendues, à appréhender la situation. Hier, elles étaient là et l’atmosphère était plutôt étouffante.
16:55 Publié dans 2023, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)