mercredi, 28 décembre 2011
3413 / Un mystère
Signaux de briquet dans la brume. Rien à l'horizon, à peine une feuille de salade mâchonnée par un escargot, au carrefour aménagé. La crypte, ce n'est pas encore assez, même s'il faut répéter à l'envi les caractéristiques d'un monde disparu. Numance se tait, on ne comprend pas pourquoi. Nouveau mystère au milieu des décombres. Un mystère un peu jaune, comme de la brique sale.
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mardi, 27 décembre 2011
3313 / Dans les planches
Le gris, le beige, et l'écru, puis encore le gris. le brouillard d'hiver a une saveur particulière. Enfermé dans ma guérite, je traduis cet improbable poète polonais imaginaire, tout en essayant de me méfier de la prolifération des adjectifs, qui guette, inéluctablement, de même que celle des averbes, qui me nargue, me menace, sans que je puisse transiger.
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lundi, 26 décembre 2011
3213 / Rien ne demeure
Au petit matin, après le réveil brusque, tous les liens entre le rêve fraîchement éclos (éclaté telle une bulle, au réveil, au petit matin) et les lieux imaginaires du rêve, les décennies passées, les autres lieux rêvés -- tous ces liens se firent avec la force de l'évidence. Il reste plusieurs images fortes du rêve, mais des enchaînements écrits qui s'imposaient dans la première veille, au petit matin, rien ne demeure.
(Lu quelque chose de semblable dans le journal de Claude Ollier, la semaine dernière. Et dans un texte de jeunesse de Dubuffet. Et dans Jesus macht nicht mehr mit. Et je ne suis plus en Touraine, je ne traduis plus le poète polonais imaginaire.)
Les liens se sont effacés. Du rêve restent des fragments. Des phrases qui s'enchaînaient avec la force de l'évidence, rien ne demeure. Même en octanes je n'arrive plus à compter.
Il n'est plus question de Numance.
À chaque jour suffit sa ligne.
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dimanche, 25 décembre 2011
3113 / Invention du Palindrome
Le palindrome construit des marionnettes, avec de la ficelle et du papier.
------------- que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami ------------
La marionnette construit des palindromes, avec du papier et de la ficelle.
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samedi, 24 décembre 2011
3013 / Causerie
--- poème de Stanisław Kucžbōrski
― Ce brave artiste me saura gré de lui montrer ce chef-d'œuvre de la nature, et il voudra faire tout de suite sa statue...
― Pourtant tu me disais encore ce matin que tu les détestais.
― J'ai besoin d'être seul ici un instant.
― Je te regardais à l'éclat des bougies, avec ta robe blanche et tes beaux bras languissants dont tu semblais honteux, et ton sourire mélancolique dont la candeur contrastait avec l'impudence mal replâtrée de toutes ces bacchantes !
― On ne chantait plus les stances d'Arélin.
Un instant de silence, puis un cri.
― C'est ce qu'il voulut me faire croire lorsqu'il m'annonça ses projets, et je n'y ai pas apporté d'obstacle.
― Frère Côme, puisque vous avez ouï parler de cette horrible histoire, sachez que je n'aurais pas eu besoin de l'aide de mon mari pour repousser des tentatives aussi détestables.
― Il faut qu'il parte à l'instant pour Florence.
― Mon devoir est de ne pas vous induire au péché en vous résistant.
― Le carnaval fut toujours une circonstance favorable aux amants, aux jaloux et aux voleurs.
― Ah! tout inconstant qu'il est, Antonio est encore l'amant le plus magnifique que j'aie eu, et ce n'est pas toi qui me ferais un pareil cadeau.
― Quoi que ce soit, Marc, je te défends d'exposer ta vie en faisant résistance.
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vendredi, 23 décembre 2011
2913 / Naissance de la forêt
--- poème de Stanisław Kucžbōrski
Un chêne de cinquante-six ans n’est encore qu’un adolescent.
Un olivier de cinquante-six ans, un enfant sorti des jupes de sa mère.
Et moi, mon corps noueux, ma sève qui s’épuise – qu’en dire ?
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jeudi, 22 décembre 2011
2813 / Rêve de rien
--- poème de Stanisław Kucžbōrski
Une petite dame en fichu bleu bonnet vert vient sonner à ma porte en fichu bleu bonnet vert et me lance d’un coup en fichu bleu bonnet vert Tenez c’est pour vous, et me tend un paquet en fichu bleu bonnet vert, attendant ensuite la pièce en fichu bleu bonnet vert, le pourboire qu’elle pense être son dû en fichu bleu bonnet vert, de sorte que, ne comprenant pas son geste en fichu bleu bonnet vert, je la dévisage en fichu bleu bonnet vert, je la regarde en fichu bleu bonnet vert, et lui demande ce qu’elle fait là, en fichu bleu bonnet vert, à rester en fichu bleu bonnet vert tandis que j’ouvre le paquet ; et dans le paquet, que j’ouvre sous les yeux de la petite dame en fichu bleu bonnet vert, je découvre fichu bleu bonnet vert.
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mercredi, 21 décembre 2011
2713 / La bonne odeur du café
--- poème de Stanisław Kucžbōrski
La bonne odeur du café, tirilikloupi tirilikloupa, réveille les enfants, les vieillards – et même le soleil !
Voici jusqu’à nous venue, en ce matin glacial, la bonne odeur du café.
Tout revigore tout.
Le café.
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mardi, 20 décembre 2011
2613 / La Pologne
--- poème de Stanisław Kucžbōrski
Dans les épaisses forêts où vivent des espoirs ternis, dans les épaisses forêts de la vie, dans les épaisses forêts, dans les forêts renaît toujours pour moi une Pologne sans symptômes.
Dans les noires forêts où s’exhalent de lourdes plaintes, dans les noires forêts de la contrainte, dans les noires forêts, dans les forêts sombre toujours pour moi une Pologne de fantômes.
Dans les forêts dort la Pologne.
Dans les forêts vit la Pologne.
Dans les cendres et la suie, dans le vent et les hautes branches des bouleaux, dans les nuages et dans la suie – vit et dort la Pologne.
Dans les forêts toujours revivra la Pologne.
Dans les forêts toujours renaîtra la Pologne.
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lundi, 19 décembre 2011
2513 / Retouche à l’identité
--- poème de Stanisław Kucžbōrski
Je n’y suis pour personne.
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dimanche, 18 décembre 2011
2413 / Bribe de bribe de bribe
Finger-lickin’ good
So good
Finger-lickin’ fine
So fine
Personne ici peut plus bien marcher droit.
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samedi, 17 décembre 2011
Un freux dans le saule du square
22:10 Publié dans Moments de Tours, Zestes photographiques | Lien permanent | Commentaires (0)
2313 / Utopie
Notre force naît de rien. De n’être rien. De ne pas naître.
Nous ne comptons ni les octanes ni les octaves.
Je suis perdu, dans l’océan des informations, des correspondants, des friends (qui ne sont pas des amis) et des followers (qui ne m’emboîteront jamais le pas).
18:43 Publié dans Une année de 398 jours | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 16 décembre 2011
2213 / Dystopie
Nous ne marchons pas droit.
18:43 Publié dans Une année de 398 jours | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 15 décembre 2011
2113 / Au pichet même
Numance ne pense pas comprendre grand-chose à ce que je lui écris. Der Kellner brachte das Verlangte. Autant rompre, c’est mon avis. Mais il ne l’entend pas de cette oreille. The chick that’s in him pecks the shell. Il m’envoie, comme autant de dictons, des encouragements à poursuivre. Era forse l'una pomeridiana. Le dernier en date, un peu imbécile je trouve : « La pluie peut glacer l’épiderme, il n’en faut pas moins y trouver la plus subtile chaleur. »
Comment faire pour que les phrases ne forment pas des flaques ?
O quantum est in rebus inane !
21:14 Publié dans Une année de 398 jours | Lien permanent | Commentaires (0)
Nomade ?
Bus 1a. >>> Assis au fond du bus accordéon, j'étais. Bus quasiment vide.
Ollier (Claude). Conversations de samedi dernier sur Gordes. >>> Premières pages du journal 2000-2009. C.O. vit sans doute à Gordes, et samedi dernier nous avons parlé un moment de Cordes et Gordes.
Chantier du tramway. >>> Tranchée en tralala. Pénible.
(Nouvelle rubrique, que j'inaugure ici. Tout ce qui n'a pas été écrit avec le téléphone portable est blanchi.)
15:27 Publié dans Nomades | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 14 décembre 2011
2013 / Perdita
« Tout ici est un puis sans fond. »
Mince, elle est bonne… Que devrais-je dire, moi, de mes journées perdues ? Pourtant, ça vaut le coup, alors je continue. Lui, il perd son temps, c’est vrai, mais peut-être aussi trouvera-t-il bientôt, parmi son fatras d’exégèses et de traductions d’auteurs méconnus, une véritable pépite, qui nous engagera tous, et pour longtemps. Chacun sa mission ; moi, je suis mon sillon. Au point de l’épouser.
« Tout ici est un puis sans fond. »
Je crois me rappeler un autre jour d’automne, il y a longtemps, un mercredi je crois – ainsi comptions-nous… ce jour n’était-il pas dédié à quelque dieu tutélaire propice aux messages ? – un jour où je lus en une seule journée (je vous prie de me pardonner pour la redondance, la lourdeur de l’expression) pas moins de cinq romans de ce même auteur contemporain français. Comment se nommait-il ? ma mémoire n’a pas la force de le nommer… son écriture très puissante s’attachait, dans la plupart des livres que je lus ce jour-là, à des situations qu’on aurait pu qualifier de sociologique. Je m’étais photographié, de quatre façons différentes, avec trois des cinq livres. On faisait n’importe quoi, c’était le bon temps je suppose. Octobre ? est-ce qu’il a existé, à une autre époque, un mois qui se nommait octobre ?
« Tout ici est un puis sans fond. »
Delphine revient, alors qu’on n’attendait plus ses promesses.
21:09 Publié dans Une année de 398 jours | Lien permanent | Commentaires (0)
Toast peu mallarméen
Hier midi.
(G.C.) vient de finir les spaghetti a la puttanesca d'hier soir avec un demi-chorizo fort et deux belles tartines de livarot, le tout accompagné de deux verres de Chinon Vieilles Vignes 2002 pour fêter l'annonce de la mutation d'un collègue.
An orange is now compulsory but shan't save me from "French breath".
J. - C'est quiiiiiiiiiii le vilain collègue? Vous ne pouvez pas balancer sans dire de nom, c'est pas drôle. (Je parierais sur ***).
G.C. - You've won your bet.
C.L. - Là faut l'embrasser pour lui souhaiter bonne route ;-)))
V. - Wake Finnegans ? Ça alors !
G.C. - No Ulysses for us, we're Scots.
J. - Oh yeah! (cri de joie d'avoir deviné et de savoir qu'il se barre enfin)
G.C. - Cela dit, nous ça nous débarrasse vraiment (il doit avoir encore 4-5 ans à tirer s'il rabiote jusqu'à 67) --- vous, c'est râpé, vous l'aurez subi, point barre. Mais c'est gentil de penser aux autres ;-))
C.M. - Voilà un toast tannique et tonique !
O. - I must admit I don't give a damn about ***, but what about the Chinon Vieilles Vignes 2002 ? Can you tell us a bit more ?
G.C. - Domaine de l'Abbaye. Classique. Goûteux et tanique, long au palais. Cep et sol puissant, poésie du pinard.
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mardi, 13 décembre 2011
4311 / Déréliction
Aujourd’hui, rien. Je m’excite pour rien, je m’énerve pour rien, et je ne me tiens à rien.
Vaurien.
Fainéant.
Clamse, claque ton beignet.
Tout ici est un puits sans fond.
Je me décourage.
Pourtant, ce ne sont pas même les premiers alpages.
21:10 Publié dans Une année de 398 jours | Lien permanent | Commentaires (0)
Jugements de valeur (De la Pacotille)
Comme je suis affalé dans le sofa, comme je suis loin d’avoir fait le tour des textes de David Markson, comme il fait cette après-midi un soleil splendide après une matinée de déluge et de boue, comme je suis fatigué et affalé dans le canapé, comme j’écoute la Symphonie en trois mouvements de Stravinsky, comme je ne sais pas dans quelle « rubrique » je publierai les stupides remarques qui suivent, et comme j’ai, outre le bas du pantalon souillé de boue séchée, des bouloches de tissu vert plein le nombril (c’est un t-shirt quasi neuf), comme je ne sais pas par quel bout commencer, par quel angle attaquer, comme j’ai dû me redresser car affalé dans le sofa est décidément une position trop inconfortable pour écrire (même en écoutant Stravinsky), comme je vais devoir de toute façon m’interrompre pour me lever et aller me servir une énième, non, quatrième, mug d’English Breakfast, comme je suis intrépidement intrigué et désespérément désabusé, je pense que je vais me contenter de dire qu’apparemment (ou du moins, après de rapides recherches), le paragraphe dans lequel se trouve une critique acerbe de Vladimir Nabokov est bien de Markson himself, n’est pas une citation, un fragment ég-logal – non, ce serait de lui, et je ne sais par ailleurs d’où vient cet adjectif, pinchbeck, dont je suppute qu’il s’agit, à l’origine, d’un emprunt au français, et qu’en tout cas je n’hésiterais aucunement à traduire par « bec pincé », d’autant que je sais désormais – tant pour les rapports étroits entre Pale Fire et les Eglogues de Renaud Camus que pour certaines parentés entre l’écriture de Nabokov et celle de Pynchon – que je publierai ce billet dans au moins deux rubriques, affalé toujours sans doute et coincé et bec furieusement pincé (pynché ?) aussi.
The precious, pinchbeck, ultimately often flat prose of Vladimir Nabokov.
The fundamentally uninteresting sum total of his work.
(David Markson. This Is Not A Novel. Counterpoint, 2001, p. 73)
Le côté précieux, clinquant cul pincé, et, en fin de compte, souvent bien plat de la prose de Vladimir Nabokov.
Le fait que son œuvre entière est, au fond, tout à fait inintéressante.
Après vérification, dans l’OED, il s’avère que j’ai tout faux, tant pour l’étymologie que pour le sens. (J’ai donc corrigé ma traduction dans le bon sens, mais en gardant en palimpseste gratté le premier jet, plus rigolo je trouve.)
pinchbeck, n.2 and adj.
Etymology: < the name of Christopher Pinchbeck (c1670–1732), London watchmaker, who developed the alloy.
A. Noun
1. An alloy containing a high proportion of copper and a low proportion of zinc which is used chiefly in making cheap jewellery, on account of its resemblance to gold.
2. fig. A thing that is false, counterfeit, cheap, or worthless; spec. something that appears valuable but is actually cheap or tawdry. Also: the state or condition of being tawdry or worthless.
B. Adj
1. Made or consisting of pinchbeck.
2. fig. False, counterfeit, substitute; cheap, tawdry.
1845 N. P. Willis Dashes at Life 109 She had, beside, a kind of pinchbeck smartness, and these two gifts, and perhaps the name of Corinna, had inspired her with the idea that she was an improvisatrice.
1910 Chambers's Jrnl. Aug. 544/1 The man was a very pinchbeck brigand, or he was telling the truth for once in his desperate straits for money.
1987 J. A. McArdle Sin Embargo 629 The contrast between the glitter of the gilded calves that had been foisted on the masses and the pinchbeck reality.
-------------------- Je me suis contenté de recopier éhontément, ci-dessus, les citations proposées dans l'OED, mais on trouve sur Internet des citations beaucoup plus belles, et captivantes, par Joseph Conrad, H.L. Mencken, Charlotte Brontë, Mark Twain, Montague Summers (le préfacier de l'édition des oeuvres d'Aphra Behn), dans une traduction anglaise des Grenouilles d'Aristophane, mais aussi dans Apollinaire (il y a une Lady Pinchbeck dans Les Trois Don Juan), dans Pierre de Melville, dans les Ballades de Thackeray, et dans une traduction de L'Elixir de longue vie de Balzac, etc. etc. etc. -------------------
Le chantier avance, pfffff...
Certaines fois, il vaut mieux ne pas trop ouvrir les yeux.
Le soleil à quatre heures de l'après-midi vient couronner une belle journée, ciel bleu. Puis c'est un fracas de grue. Le lendemain, à 13 h 13, le soleil finit par poindre timidement, mais c'est après bourrasques, averses, à telle enseigne que le bas du pantalon s'en est retrouvé, le matin, crotté de boue. Et même étalage, mêmes bétonnages, même grue qui se déplace en sifflant et vrombissant. Ce n'est pas dieu possible. Dis-je.
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lundi, 12 décembre 2011
4211 / Trophonius, suite
Parmi les bizarreries que l’on trouve, à ce que m’écrit Juliane, sur les rayonnages de sa librairie – librairie qui compte, à ce qu’elle m’écrit, près de quatorze mille ouvrages – il y a l’intégralité des romans de Vaughan Kester, en anglais et en traduction. Juliane semble craindre beaucoup qu’un jour un acheteur se montre intéressé par cet ensemble qui constitue l’un des fleurons de sa librairie. Pour ma part, je ne comprends pas du tout, ni pourquoi elle ne veut pas les vendre, ni pourquoi, ne désirant pas les vendre, elle ne les garde pas tout simplement par devers elle. Juliane me répond invariablement qu’il faut que l’ensemble de ces livres soit disponible à la vente pour qu’ils soient vraiment l’un des fleurons de sa librairie – c’est son expression – mais qu’elle ne peut pas non plus inscrire un prix prohibitif sur la page de faux titre, car elle craint d’attiser les convoitises de bibliophiles un peu ignorants qui, s’imaginant qu’il s’agit là d’absolues raretés (alors que ce ne sont, à ce qu’elle m’écrit, des raretés que relatives, des raretés en tant que collection complète dans une librairie d’occasion en Europe – les romans de Vaughan Kester n’ont pas une cote très élevée, ni en anglais ni en traduction (et ce alors même, pensé-je dans mon for intérieur, que personne ne sait que Vaughan Kester a été traduit)), se précipiteraient pour les lui acheter tous au comptant, faisant de la sorte la fortune et le malheur de Juliane. On doit toujours tâcher de ne pas se compliquer la vie : c’est ma devise.
Juchée sur la chaise blanche, la chatte joue avec un des lutins de bois du sapin de Noël, puis, toujours boxant, fait tomber une des boules dorées, qu’elle poursuit ensuite sur le carrelage. —— Je ne sais plus qui m’a écrit en ajoutant cette phrase en-dessous de sa signature. Irène, peut-être ? Ou Philippe ?
10:55 Publié dans Une année de 398 jours | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 11 décembre 2011
4111 / « Ergaphilos ressuscite dans Cagliostro »
Il me faut creuser un chronotope, ou plutôt l’écart entre deux chronotopes.
The century was a maze of crosscurrents. Il s’agit de souvenirs, d’une mémoire enfouie – la mienne – qui ne demande qu’à faire des incartades, des embardées. Deux moments distincts, semblables et si différents – d’humeur, de tonalité. Un peu comme ce que l’oreille perçoit en écoutant successivement Pétrouchka et Apollon Musagète.
Un vendredi, à onze heures du matin, en décembre, je conduisais une petite voiture gris métallisé, vieille et sale, et traversai le pont Wilson du sud vers le nord, quand j’aperçus une grande aigrette qui volait, sous un brouillard laiteux plus que poisseux, en descendant la Loire ; la certitude qu’il s’agissait d’une grande aigrette, et non d’une aigrette garzette, me vint immédiatement du fait de la taille et de la noble majesté de l’oiseau, alors que la garzette m’a toujours semblé recéler, dans son vol comme dans son nom, la plus absolue gracilité. En 1911, nous eûmes Pétrouchka, merveille d’entrain et de fraîcheur. Je ralentis, stoppai ma voiture en pleine voie, observai longtemps la grande aigrette s’éloigner lentement de son vol chaloupé – jusqu’à réagir aux klaxons furibards et à reprendre ma course, du sud vers le nord.
Un lundi – était-ce le lundi suivant ? c’est que ma mémoire ne parvient pas à déterminer avec certitude – , à neuf heures quarante, je traversai le pont Mirabeau du sud vers le nord, au volant d’une berline noire presque neuve mais éraflée et cabossée sur tout le flanc droit, et, ne voyant aucun oiseau, sous un ciel aussi bleu que celui du vendredi – du vendredi précédent ? – était cotonneux de brume épaisse, me régalai du spectacle des îlets sur la Loire enfin débarrassés des étalages de boue sèche qui leur avaient servi d’écrin douteux tout au long de l’été, tout au long de l’automne. The century was a maze of crosscurrents.
Ce qui me rend fou, c’est de ne pouvoir croiser vraiment – ou subsumer – les deux moments, un peu comme l’on entendrait, si l’on diffusait en même temps, sur deux chaînes stéréo placées dans la même pièce, un enregistrement de Pétrouchka et un enregistrement d’Apollon Musagète, une épouvantable cacophonie.
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samedi, 10 décembre 2011
Chabal grillé
Mon fils cadet (4 ans), voyant Sébastien Chabal faire son entrée sur le terrain, via la télévision :
Ce barbecue, celui-là !
(A cette occasion, je m'aperçois d'ailleurs qu'Oméga a approximativement le même âge qu'Alpha à l'époque lointaine où je créai cette rubrique. Et je signale aussi que, comme par hasard, les Londoniens marquent deux essais coup sur coup juste après l'entrée de Sa Majesté la Nullité Barbue sur le terrain.)
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4011 / Les Reposoirs
Enfermée dans sa petite échoppe de bouquiniste crasseuse et mal chauffée, Juliane m’écrit sans cesse pour me demander des conseils, sur tout, sur rien. Elle me raconte par le menu ce qu’elle lit au long des journées, soit enfoncée dans le vieux fauteuil orange décoloré soit en déclamant à haute voix dans les allées de sa librairie, quand elle y est seule, mais aussi les achats des clients, leur allure ; ce qui semble l’obséder tout particulièrement, ce sont les livres que les clients consultent et puis reposent. Ce local était plus long et plus ténébreux que l’antre de Trophonius. Je me demande si Juliane ne compte pas publier un jour, sous forme de livre avant-gardiste un peu fou, l’ensemble des lettres qu’elle m’écrit, ou du moins le paragraphe dans lequel elle énumère avec précision les livres pris et puis reposés par tel ou tel client. No one fares so ill in a crowd as the man who is wedged in the middle. Ce paragraphe, tout à fait long et indigeste, par lequel elle termine chacune des missives électroniques qu’elle m’envoie, suit toujours la même structure : à chaque client une seule phrase le décrivant puis décrivant l’ensemble des livres consultés et puis reposés, ce qui, dans les cas, pas si rares, où un seul client a tripoté une vingtaine de couvertures dans des rayons différents avant de n’acheter qu’un livre de poche, voire rien du tout, a dû contraindre la bouquiniste à de savants espionnages, et l’épistolière à des efforts de variation syntaxique assez impressionnants – efforts qui me suggèrent de plus en plus fortement l’hypothèse que Juliane cherche, par là, à faire œuvre, à mes dépens, en quelque sorte. Et je n’ai pas de temps à perdre à jouer les cobayes, en quelque sorte, d’une œuvre aussi avant-gardiste qu’interminable, moi qui ai encore découvert hier que, pour ajouter à la longue liste de mes tâches sisyphéennes, je devais traduire les poèmes de Stanisław Kucžbōrski, dont tout le monde connaît les huiles et les pointes, mais dont j’ignorais – et bien d’autres avec moi l’ignorent, je pense – qu’il eût écrit des poèmes en prose. Enfermé, enchaîné à ma table de travail, dans ce pays de ma naissance, il m’est impossible de différer plus longtemps ce nouveau labeur.
10:54 Publié dans Une année de 398 jours | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 09 décembre 2011
3911 / Un échange bizarre
Je n'en peux plus, des romans d'amour comme des histoires de cul. Notre soleil tire sur le rouge, dit le Sirien.
L'héritière des sacs Lancel m'écrit pour me demander si je veux relire sa traduction d'un roman de John Buchan dont j'ignorais jusqu'à l'existence, ce qui me laisse sans voix, même au clavier. Elle me jura que si je voulais être ferme, quels que fussent les inconvéniens que nous éprouvassions, nous serions pour toujours l'un à l'autre. Puis, je me suis aperçu que personne n'avait pensé à célébrer le centième anniversaire de Nelson Cavaquinho, ce qui ne m'étonnait pas tout à fait vu que, dans notre monde bizarre, tout le monde confond salsa et samba, moi le premier, mais qui m'a donné une excellente idée de réponse pour l'héritière (qui se prénomme Orlane). Prenant prétexte du fait que le dédicataire du roman qu'elle avait traduit était dédié à Hugh Archibald Wyndham, et arguant que j'avais l'esprit de l'escalier, je lui fis un bref exposé de mes propres difficultés quand j'avais traduit Les Faulx-Saulniers de Nerval – je ne sais toujours pas comment traduire l'archaïsme dol – avant d'évoquer les ombres tutélaires d'Auden, Brassens et Carl Lewis.
Bref, je lui dis non. Brutalement. Qui était Barnabé Brisson?
Orlane me relance, c'est pénible. Douze gendarmes, commandés par le vaillant Bondéduit, l'escortaient, sabre au clair. Je traduis des poèmes pour oublier ses messages harcelants. J'invente des sévices. Détestant la prose stupide de Buchan, j'imagine que je fourre la tête de l'héritière des sacs Lancel au fond d'un gogue. J'hallucine d'autres sévices encore. Pour me calmer, j'écoute une version somptueuse de l'opéra de Julia Smith, Cockcrow. Notre soleil tire sur le rouge, dit le Sirien. Il me tarde de voir poindre l'étoile du berger.
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