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mardi, 10 novembre 2015

Une suite & 1 photo

 

Juneteenth est une suite pour piano seul de Stanley Cowell. Sur l'album que vient de publier le jazzman américain, les 15 mouvements de cette suite sont précédés d'un titre en forme de prologue, “We Shall 2”. L'album est publié sur le label français de “musique narrative”, Vision Fugitive. L'occasion en est le cent-cinquantenaire de l'abolition de l'esclavage, qui fut célébré le 19 juin dernier.

 

Je connais mal Cowell ; un rapide survol de mes étagères me rappelle qu'il joue sur certains albums plus ou moins fétiches de ma discothèque (le disque de standards de J.J. Johnson au Vanguard, un Stan Getz...) Se proclamant narrative, Juneteenth s'inscrit pleinement dans cette optique, puisqu'il s'agit d'une suite dédiée à la mémoire des esclaves afro-américains et inspirée par une série de photographies et de documents liés à l'histoire de l'esclavage et inclus dans le livret, sans autre explication. Les titres des mouvements marquent assez nettement le rapport avec le sujet annoncé, mais j'avoue avoir beaucoup de mal avec la musique narrative... en d'autres termes, ne rien y entendre, stricto sensu. Cela est vrai de certaines symphonies de Beethoven, qui me bouleversent mais où je suis infoutu d'entendre tel épisode ou tel phénomène naturel que l'orchestre, sur ces mesures, est censé mimer, mais aussi d'autres œuvres, comme cette suite.

Pour ce que j'y entends (guère, je l'ai déjà écrit maintes fois), le piano, très improvisé/maîtrisé, de Cowell penche plus du côté d'Erroll Garner (“Ask him”) et de Debussy (voire de Stockhausen (cf le “Finale”)) que du negro spiritual, même si un des plus beaux mouvements, “Commentary on Strange Fruit”, est une longue variation à partir du thème de When the Saints. Le huitième est un blues lumineux et mélancolique. Le long mouvement final, “Juneteenth Recollections” est le plus complexe, peut-être celui où Cowell se livre le plus à une forme d'introspection : cette suite est-elle l'aventure d'une mémoire individuelle aux prises avec la mémoire collective ?

 

Une des photographies du livret m'a, plus que d'autres, intrigué. Elle représente deux ou trois familles de Noirs, très jeunes pour l'ensemble, sept ou huit adultes, et trois très jeunes enfants, dont l'un dort, au premier plan, allongé sur une sorte d'édredon très blanc. Presque tous regardent vers la droite et se trouvent sur une langue de terre entre deux grandes étendues d'eau (on voit des peupliers inondés, au fond, à gauche). Le titre en est “Refugees on levee, April 17, 1897”, et elle se trouve dans le fonds photographique de la Librairie du Congrès. J'avoue que mon ignorance me fait m'interroger sur ces “réfugiés”, quarante-deux ans après l'abolition de l'esclavage : a-t-on continué de nommer réfugiés, comme naguère les esclaves fuyards, les Noirs fuyant la ségrégation des États du Sud ? ou le titre joue-t-il sur le sens de réfugiés, car cette douzaine de sujets bien vêtus ont-ils simplement trouvé refuge sur la digue (la levée, dit-on en Touraine) ? et où cette scène a-t-elle été saisie ? Heureusement, la notice détaillée de la photographie dans le catalogue de la Library of Congress offre toutes les réponses : cette photographie a bien été prise à Grenville, dans le Mississippi, et si tous les adultes regardent vers la droite, hors cadre, c'est qu'ils se sont effectivement laissés piéger sur cette langue de terre et qu'ils attendent le navire qui va venir les secourir.

 

jeudi, 27 novembre 2014

Violons pour L’Uræus

 Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’Alechinsky – lui dont les belles planches pour le Traité des excitants modernes de Balzac m’ont tant ému – ne s’est pas trop foulé pour illustrer (encadrer ? ses traits violets servent en effet de marges aux poèmes de ce bref recueil)  L’Uræus de Salah Stétié. Les traits du premier poème sont très dynamiques, avec trois fois rien Alechinsky invente un monde ; et puis après, on a l’impression qu’il s’est désinspiré.

(Ce n'est pas la page que j'ai choisie comme illustration de ce billet. Ici ↓ je reprends le poème dansé/dansant.)

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Il a résisté à la tentation de dessiner ou d’évoquer des cobras (l’uræus est, je l’apprends à cette occasion, le cobra femelle (pas une seule occurrence de ce mot dans l’ensemble des textes intégraux mis en ligne sur le site Latin Library (!??))), tout comme Stétié n’explicite guère son titre. Certains poèmes sont très forts, prenants, résonnent. Il y a au moins un choix de préposition que je ne comprends pas :

Des enfants pourtant crient sur un préau d’école

ils vivent tous sur un seul grain de sable

échappé

 

Le premier sur est-il appelé par le second ?

Beau mot, en tout cas, que préau, peu présent en poésie ni prose. Citons seulement Les Misérables : « La première chose qui le frappa dans ce préau, ce fut une porte du seizième siècle qui y simule une arcade, tout étant tombé autour d'elle. »

 

samedi, 22 novembre 2014

Lenka Clayton

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Cette artiste propose des œuvres qui font une sorte de synthèse légère entre le pop art, l'OuLiPo et les tentatives plus objectales ou sérielles d'un Rauschenberg. C'est souvent amusant, toujours émouvant.

▬·▬·▬ Entre la pile de livres dont les titres vont de 1 à 50, le voyage de James et Lenka en vélo de James à Lenka, et enfin la prouesse consistant à faire tenir des confetti en colonnes, mon cœur balance !

08:55 Publié dans BoozArtz | Lien permanent | Commentaires (0)

samedi, 18 octobre 2014

Humumental

24 septembre

 

The Heart of Humument, finalement, n'est pas la 1ère édition, mais, pour 25 euros, une curiosité valable : tiré-à-part à 367 exemplaires d'une partie des pages de l'édition 1, en Allemagne en 1985 — donc une pierre à ma collection humumentale, tout de même.

 

Sinon, No Longer At Ease, que je devais racheter parce que ça fait partie (avec les Tutuola) des bouquins que je prête et que je ne vois jamais revenir, est arrivé dans une collection dégueulasse de 2013, un truc ronéo, éditions "Important Books" je crois (!) — bref, un exemplaire à donner ou à enterrer dans un rond-point — et je peux me recommander la Heinemann.

jeudi, 16 octobre 2014

Expositions Gilles Caron & Jean-Luc Olezak, au Château de Tours

Aujourd'hui, peu avant la clôture des diverses expositions du château, nous sommes allés voir l'exposition Gilles Caron, en partenariat avec le Musée du Jeu de Paume, et celle consacrée, sur le dernier étage, à un photographe tourangeau d'origine polonaise, Jean-Luc Olezak, dont le nom, apparemment, devait à l'origine s'écrire Olczak.

Gilles Caron est très célèbre, non seulement parce qu'il est l'auteur de reportages de guerre mémorables et de photographies non moins célèbres (les enfants dénutris du Biafra, images magnifiques et atroces, ou le Cohn-Bendit jovial souriant à face d'un CRS sur un trottoir parisien), mais aussi pour avoir fait partie des photographes retranchés dans une école, en plein désert, avec les rebelles du Tibesti. Cette histoire, grave, lourde de symboles, je la connaissais pour l'avoir lue et entendue de Depardon. Ce que j'ignorais, c'est qu'il n'était pas mort jeune, mais qu'il avait disparu en 1970 en territoire khmer rouge. Disparu, cela signifie que son corps n'a jamais été retrouvé, non ?

Ce que j'ai découvert, dans cette exposition qui permet d'espacer les vues, de faire respirer le regard entre chaque série, grâce aux belles et vastes salles du Château, ce sont les photographies de manifestations en Irlande du nord, mais aussi que Gilles Caron — lui, dont le nom suggérait ce retournement du chapeau circonflexe ou incurvé de Twiggy en un œil acéré tourné vers toute la saloperie militaire de ce monde — avait commencé par la photographie de mode.

 

jlo_004_m.jpgJean-Luc Olezak, lui, n'est pas, à ma connaissance, très connu. Pourtant, cette rétrospective, qu'il ne reste que trois jours pour aller voir, contient quelques véritables pépites. Par-delà l'aspect amusant (mais anecdotique) qui permet de revoir tel lieu tourangeau qui s'est déjà, même en dix ou quinze ans, métamorphosé, Olezak porte un regard profond, mais sans sécheresse, sur les gens et sur les lieux. Le risque est parfois qu'un certain kitsch vienne côtoyer une plus rigoureuse beauté, ainsi de ce diptyque de la Tour Eiffel : dans une image, superbe et qui n'est pas sans évoquer Kertesz, à une Tour Eiffel tronquée dans le ciel grège répond une flèche semblablement étêtée sur le bitume gris... et dans l'autre, un orteil flou, au premier plan, semble toucher le haut de la Tour Eiffel en arrière-plan (le comble du kitsch à cartes postales). Peut-être le tri n'a-t-il pas été fait très judicieusement, car on sent que sur certaines séries, il doit y avoir des dizaines d'autres photographies tout aussi fortes dans les cartons de l'artiste... à moins que ce kitsch ne soit le goût que l'on souhaite aussi inculquer, ou respecter chez certains visiteurs ?

samedi, 04 janvier 2014

Signets peints

Essayant de rester concentré sur la Deuxième de Mahler (par Abbado, toujours le coffret), je lisais le livre XXXV de l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien (très instructif *), la chatte sur les genoux — et figurez-vous que cette andouille de bestiole, qui semblait profondément assoupie, calée entre mes cuisses et mes genoux, n'a rien trouvé de mieux que de prendre le signet du Pléiade, qui ballait mollement non loin de son museau, pour un fil de pelote et donc de s'y attaquer, elle qui est si peu joueuse. Il va de soi qu'elle s'est coincée une griffe dans le dit signet tout en le lacérant. Après avoir décoincé la griffe de la demoiselle (sur un violent passage cuivré), j'ai repris ma lecture, en veillant à maintenir le signet (en partie effiloché) entre ma main et la couverture du Pléiade.

 

* Il serait tentant (mais cela n'a-t-il pas été tenté ?) de proposer, pour chaque tableau signalé par Pline, la plupart d'entre eux n'étant pas véritablement décrits et beaucoup étant perdus, une version imaginaire, esquissée, dont le titre serait, à chaque fois, et par exemple

ASTYANAX par Callimaque

— (titre imaginaire).

dimanche, 26 mai 2013

Schwitters en vitesse

Hier soir, j'ai lu, en quatrième vitesse (il s'agit d'un texte très bref) et, dois-je l'avouer, tout en faisant semblant de regarder la finale de la Ligue des champions (le football ne m'ntéresse plus du tout, ou alors seulement en regardant les matches avec Oméga ou en écrivant mes foutus distiques), le petit récit de Kurt Schwitters que les éditions Allia viennent de publier en édition bilingue, initiative que je salue — La Loterie du jardin zoologique. J'ai donc pu le lire en allemand (comme Kafka, qui me voit, par la grâce des proses courtes, faire des incursions régulières dans le fort volume de ses œuvres, mais contrairement à Arno Schmidt, que j'aime énormément et dont il va bien falloir que j'achète les romans en allemand, faute d'exemplaires disponibles à la B.U.), tout en regardant la traduction (ce qui m'a évité de devoir chercher Nilpferd, dans lequel seul (est-ce la fatigue ?) je n'aurais pas reconnu l'hippopotame, trop happé peut-être par les valeurs de néant du signifiant nil).

Le texte est très drôle, plus absurde sans doute que nonsensical — toutefois, plus je travaille sur la question du nonsense, moins j'ai le sentiment d'en savoir quelque chose : après tout, le nonsense est ce qui nous fuit, se dérobe à la catégorisation... En particulier, le dénouement est totalement rationnel, raisonnable, logique, même s'il est présenté de façon loufoque. Cela rejoint mon impression déjà ancienne (que ne confirme pas trop le texte donné en post-face (mais en français seulement [??!]) par Allia, Merz et Anti-Dada de Raoul Hausmann), selon laquelle les collages de Schwitters (et tout son Merzisme en quelque sorte) s'expliquent, se conceptualisent beaucoup plus facilement que la poésie d'un Tzara, par exemple, qui est ce que le dadaïsme a donné de plus dur et de plus durable (de plus admirable aussi). Ou est-ce le dadaïsme allemand qui fut d'emblée plus politique, plus adversatif... plus spartakiste ?

jeudi, 02 mai 2013

XX-Art (Espace Nobuyoshi, Saint-Antoine du Rocher), 1er mai 2013

Exposition XX-Art, Espace Nobuyoshi, Saint-Antoine-du-Rocher (Indre-et-Loire), 1er mai 2013. Sous une pluie battante, plus digne de novembre que de mai, nous nous sommes promenés, à un rythme de marathon plus que de manifestation de Fête du Travail, dans le parc de La Mulonnière, et dans les serres et resserres de l’Espace Nobuyoshi, à Saint-Antoine du Rocher. Il s’y tient, depuis trois ou quatre ans, une exposition d’une semaine, dont le principe est que chaque artiste ne propose qu’une seule œuvre de grand format. Le titre de cette exposition est XX-Art, ce qui est un nom un peu bêta, mais qui a au moins le mérite de la brièveté, et d’être, à cet égard, facile à retenir.

Exposition XX-Art, Espace Nobuyoshi, Saint-Antoine-du-Rocher (Indre-et-Loire), 1er mai 2013. Il me semble que, si agréable qu’ait été la découverte de ce lieu (nous n’en avions jamais entendu parler jusqu’à la veille), la promenade a été gâchée par les hallebardes, les ornières boueuses, le parking gavé de voitures à la manœuvre – un curieux afflux de peuple, étant donné que cette manifestation n’est pas très médiatisée.

Exposition XX-Art, Espace Nobuyoshi, Saint-Antoine-du-Rocher (Indre-et-Loire), 1er mai 2013. Il n’y avait pas grand-chose de transcendant à se mettre sous l’œil, si ce n’est quelques amusantes sculptures extérieures, et deux ou trois toiles abstraites dérivatives mais pas désagréables ; il y avait, dans la grande serre principale, des sortes de sculptures (en plastique renforcé ?) tout à fait réussies, et j’ai pu découvrir un échantillon de la dernière manière de Juliette Gassies, qui se rapproche désormais un peu de sa voisine Florence Lespingal, mais de façon plus contrastive et surtout plus foncièrement figurative. Il y avait, cette année, un hommage à Didier Bécet, artiste sans doute trop tôt disparu (il n’avait pas cinquante ans), mais dont la petite « rétrospective » a confirmé tout le mal que je pensais de ses hideuses kitscheries.

Exposition XX-Art, Espace Nobuyoshi, Saint-Antoine-du-Rocher (Indre-et-Loire), 1er mai 2013. Reste qu’une année prochaine, sous des cieux plus cléments, on pourra tenter de se promener à grands et amples enjambées, dans un style plus proche des Tableaux d’une exposition.

lundi, 22 avril 2013

Erki Kasemets

Erki Kasemets, Life-File, installation, 2008, Exposition Plaisirs de l'Imagination, Art contemporain d'Estonie (vue partielle) Il y a cinq ans, j'avais pris plusieurs photographies d'une très belle, très forte, très inspirante installation d'un artiste estonien contemporain, ce dans le cadre d'une exposition d'art estonien contemporain qui avait été annoncée, alors, à grands renforts de clairon, comme la première d'un événement appelé à se répéter, et baptisé, du coup, biennale. Cinq ans après, on attend toujours la deuxième partie de cette biennale.

vendredi, 22 mars 2013

Poignée d’heures

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Déjeuner au BarJu, qui a dû changer de propriétaire (plus classique, moins chichiteux, plus cher aussi – mais avec les insupportables interruptions (« Bonne dégustation » et autres) indissociables des restaurants contemporains), puis achat de nippes (godasses, futals) avant un détour par “Le Cosmographe” (qui ne s’appelle plus Les Amours jaunes depuis trois ans, là encore je semi-débarque), où j’ai acheté un recueil de Fitzgerald que je n’avais pas (mais lu, pourtant : The Diamond as Big as the Ritz), Suicide d’Edouard Levé, La langue maternelle de Vassilis Alexakis, La grammaire en forêt de Josée Lapeyrère, et enfin, in extremis, entr’aperçue sur une étagère, une monographie consacrée à Achille-Etna Michallon, dont je ne cesse de croiser le chemin ces temps-ci et qui, tenez-vous bien, avec son prénom volcanique, a tout de même peint des éruptions de Vésuve !

Contiguïté malencontreuse. Librairie Le Cosmographe, Tours.

samedi, 16 mars 2013

Insolite épisode de la vie d'Anton(in) Dvořák

On le sait peu, Anton Dvořák 

Aimait beaucoup Jacques Chirac.

Questionné par Le Parisien,

Le très émouvant musicien

Lança un jour « Il est fort, Jacques ! »



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(En illustration : une photographie d'un certain Lukas Dvořák.

J'aime bien les hasards de l'homonymie, et les filles à oilpé.)


jeudi, 07 mars 2013

Ode à la ligne 29 des autobus parisiens

roubaud.jpgGrâce à Facebook, où j’avais publié en cours de lecture quelques images reproduisant telle ou telle page du poème en question, je peux dater ma lecture de l’Ode à la ligne 29 de la fin novembre. Je lisais ce petit livre à la couverture grise et aux pages colorées (Roubaud est, avec Butor et Danielewski, un écrivain qui fait de polychromie un principe formel aussi exigeant qu’excitant), au lit, mais aussi, je m’en souviens, dans la salle d’attente de l’école Louis-Pergaud, où Oméga suit ses leçons d’éveil musical, le mercredi matin.

L’Ode est – outre un de ces ouvrages empilés près de mon bureau dans le but d’en écrire un jour quelques phrases – un très beau poème narratif et lyrique, autobiographique et mélancolique, novateur tout autant que passéiste.

On lit les vers de Roubaud avec une exultation de métromane, et aussi une forme de fascination lexicographique. En fin de compte, c’est de ma relecture récente de L’Année terrible que je pourrais le mieux rapprocher ma perception de cette Ode. Comme Hugo, Roubaud ose – va de l’avant, suit son fil, trace sa voie. On le suit, ou on le délaisse. L’un comme l’autre m’emporte.

vendredi, 25 janvier 2013

La Crasse bitumineuse

Vieux restes de fruits pourris, excroissances, chewing-gums écrasés et en voie de décomposition, morceaux de sac en papier de fast-food déchirés et collés par la pluie… depuis le temps que je voudrais m’en saisir… C’est là un des sens possibles de la texturologie : un fragment banal de sol, ou d’une surface quelconque, est généralement complexe, dense, hétéroclite. Le plus difficile est de rendre l’impression de fondu, de masse informe, en n’appuyant pas trop sur les contrastes. Par le film ? la vision de biais ? toujours, à défaut, reste l’écriture, qu’on emporte partout avec soi.

lundi, 21 janvier 2013

La Toile du maître

Une de mes chansons préférées. Bon. Vieillote, sans doute, avec des imperfections.

Mais fondamentalement géniale.

Découverte, comme les autres du même album, en décembre 1991, grâce au vinyle (la réédition de 1972, où ne fugure pas la chanson Pas de pain) de ma tante maternelle. Repiqué sur cassette. La cassette morte, ces albums jamais repris en CD, vive le Web.

Or, j'en découvre aujourd'hui le clip (ou le Scopitone, comme on devait dire, en 1968), qui est tout à fait grotesque. Je ne veux pas parler des effets visuels, ni du « non-jeu de scène » du jeune Gérard Manset (une sorte de Jean-Pierre Léaud sans présence physique), mais du collage de tableaux : la Valse de Severini, principale œuvre montrée dans le clip, est sans doute très bien choisie, d'un point de vue esthétique (le futurisme comme une sorte de mouvement précurseur du pop art ?), mais la chanson parle justement d'une toile qu'on ne peut pas voir, « refusée dans les musées » .

Contresens ?

Apparemment.

À moins que, par un détour complexe, Manset (si c'est lui) n'ait conçu le clip, justement, dans le souci de ne rien illustrer. Ainsi, pour illustrer une chanson sur le grand tableau universel (et en partie imaginaire), il choisit des tableaux réels, ponctuels, sans rapport avec la chanson.

lundi, 29 octobre 2012

Le soi-disant poète du taxi, dans la neige barcelonaise

 

L'Effacement. Série, en hommage à "La Place du mort" de M. Renaud Camus.Il a tout à coup ralenti pendant quelques secondes le rythme de ses questions, mais uniquement pour faire un retour encore plus en force et me dire que l'art avait un peu à voir avec l'acquisition de la quiétude au sein du chaos. La quiétude intrinsèque aussi bien de la prière que de l'œil de l'ouragan, a-t-il rondement conclu. Puis il s'est tu complètement. Un moment poétique digne des applaudissements d'un théâtre bondé parce qu'il m'a permis de me concentrer et de penser à l'œil même de cette tempête de neige qui dévastait Barcelone. Mais il est vrai que je n'ai connu la véritable quiétude que lorsqu'il est enfin descendu du taxi.

Enrique Vila-Matas. Air de Dylan (traduction A. Gabastou). Bourgois, 2012, p. 305.

jeudi, 04 octobre 2012

Becquée

À huit heures du soir, le 10 octobre, il devenait difficile de se promener à l'intérieur de la Galerie d'art de Sudbury. Le lissier s'exprime par la tapisserie comme d'autres par la gravure, la peinture, la sculpture. Les étrangers ont raflé la plupart des autres prix, mais le Québec n'a pas tout perdu.
 
(PaperPestPaste, ii)
 

jeudi, 06 septembre 2012

Dodderers and junk-gatherers

Tant qu'à commencer quelque part, et à ne jamais commencer en fait, autant le faire en signalant une découverte essentielle : le nom junk viendrait, en anglais, du vieux français jounc (le jonc). On peut donc aisément dire : on se pèle la camelote ici.

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Bois et cuivres dans la Suite n°1 de Stravinsky (ma préférée - la n°2 est déjà trop citationnelle) mettent de bonne humeur, ça et ce soleil revenu. Ils me rappellent surtout combien j'avais aimé l'exposition Hockney à la Royal Academy en 1995, par rapport à notre désarroi cet été à Bilbao : Hockney commet maintenant de la mauvaise peinture, au sens où elle est parfois mauvaise en tous points : pâte, mouvements, projet et structure. Le comble, presque, ce sont les dessins à deux balles sur iPad imprimés ensuite en format géant. Foutage de gueule maximal, aucune émotion, et presque pas (plus) de talent.

Bois et cuivres, rayons de bicyclettes, soleils d'ici, préservez-moi du gâtisme.

 

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Série Impuissance, X2

Il y a quelques jours, renonçant à rattraper un jour le retard accumulé dans les prises de notes etc., j'ai rangé sur les rayonnages encore-déjà trop étroits tous les livres que j'avais ordonnés à la façon d'une paroi séparant les deux bureaux, mais non sans les prendre en photo dans différentes dispositions, le tout formant une série que j'ai nommée Impuissance. Ainsi me souviendrai-je au moins que j'aurais voulu tirer quelque chose de ces différents livres marquants. (Mais quoi ? le pareil au même ? Autant oublier.)

mardi, 22 mai 2012

Le Vent à carreaux

La fresque de céramique éclate en lignes, en courbes, en ovales, en couleurs vernissées. On se pose là.

On se pose là, un jour de pluie froide, en mai.

On se pose là.

Asger Jorn et Jean Dubuffet, qui ont beaucoup manigancé ensemble, et composé notamment la musique d'un petit film expérimental parfaitement cocasse que l'on peut voir, avec tant d'autres documents, dans la salle centrale du musée, étaient amis. Ceci explique cela. Alors, même si, avec les toits en tôle et les blocs de parpaing brut, la cour ne paie pas de mine, on a envie de trouver cela plus proche encore de Dubuffet que de Jorn, car Jorn n'a pas proposé une rupture aussi complète avec l'esthétique traditionnelle (ses codes, ses conduits).

Donc on se pose là, on attend, on regarde yeux mi-clos, on scrute.

Et si on s'affaire, ce n'est pas pour rien. On a le temps pour soi, en cette journée froide et pluvieuse de mi-mai. On est à Silkeborg, tout de même.

dimanche, 15 avril 2012

Intermittences : sur quelques phrases d’Anthony Powell

 

Jeudi soir, tard, j’ai terminé la lecture de The Soldier’s Art, huitième volet de la dodécalogie d’Anthony Powell. Je crois avoir lu les 6 premiers tomes vers 2007-2008, avant de devenir directeur du département d’anglais en tout cas. J’y suis donc revenu, avec la trilogie militaire, dont seul le dernier tome – The Military Philosophers – me reste à découvrir.

J’y suis revenu, avec des sentiments mitigés. La lecture en est tout à fait plaisante, stimulante, même s’il me semble que le travail stylistique s’y émousse. Le côté « Proust de second rayon » est moins présent, ce qui, finalement et sans paradoxe, diminue le charme, voire la qualité d'écriture. On le retrouve toutefois par intermittences. Qu’on en juge :

The potential biographies of those who die young possess the mystic dignity of a headless statue, the poetry of enigmatic passages in an unfinished or mutilated manuscript, unburdened with contrived or banal ending. (The Valley of Bones, p. 197)

 

Il s’agit plus d’influence proustienne que de décalques jamesiens, comme lors de la description d’un bombardement aérien à l’époque du Blitz :

Out of this resplendent firmament – which, transcendentally speaking, seemed to threaten imminent revelation from on high – slowly descended, like Japanese lanterns at a fête, a score or more of flares released by the raiding planes. Clustered together in twos and threes, they drifted at first aimlessly in the breeze, after a time scarcely losing height, only swaying a little this way and that, metamorphosed into all but stationary lamps, apparently suspended by immensely elongated wires attached to an invisible ceiling. (The Soldier’s Art, p. 11) *

 

La semaine dernière, je citais un extrait de The Valley of Bones (tome VII, et 1er volet de la trilogie militaire). Sur la même page se trouve, toujours dans la bouche de Dick Umfraville, un jugement général, misogyne et galvaudé sur les femmes (“The answer was always no. Then one day she changed her mind, the way women do.”), ce qui m’a fait sourire. (Stratégie narrative difficile à démêler ici.)

Je n’ai pas vérifié si les douze romans de Powell qui composent ce cycle intitulé A Dance to the Music of Time, et que je lis dans l’édition Heinemann cartonnée que possède la B.U. de Tours, ont été traduits. Il me semble que traduire et publier ces romans maintenant aurait quelque chose de terriblement délicat, ainsi que d’éminemment suranné. Par exemple, toujours dans The Valley of Bones (p. 117) :

We were squadded by a stagey cluster of glengarry-capped staff-sergeants left over from the Matabele campaign, with Harry Lauder accents and eyes like poached eggs.

 

Comment, dans une traduction, saisir sans l’effriter le mille-feuilles culturel que constitue une seule phrase ?

 

Un autre passage qui m’a beaucoup amusé, dans The Soldier’s Art cette fois, et notamment en raison d’associations montypythoniennes ** qui relèvent ici de la coïncidence, ou – mieux – du plagiat par anticipation, donnerait, à la traduction, quelque fil à retordre :

‘How went the battle, Derrick ?’ he asked. […] ***

‘Pretty bloody, Eric,’ he said. ‘Pretty bloody. If you want to know about it, read the sit-rep.’

‘I’ve read it, Derrick.’

The assonance of the two colonels’ forenames always imparted a certain whimsicality to their duologues****.

‘Read it again, Eric, read it again. I’d like you to. There are several points I want to bring up later.’

‘Where is it, Derrick?’ (The Soldier’s Art, pp. 35-6)

 

Dans un registre moins satirique, il me semble important de clore ces quelques remarques éparses en citant un paragraphe où se mêle trois métaphores essentielles du cycle dans son entier – le jeu, la musique, la stratégie militaire :

This was an unexpected trump card for Stevens to play. Moreland, always modest about his own works, showed permissible signs of pleasure at this sudden hearty praise from such an unexpected source. Music was an entirely new line from Stevens, so far as I knew him, until this moment. Obviously it constituted a weapon in his armoury, perhaps a formidable one. He had certainly opened up operations on an extended front since our weeks together at Aldershot. (The Soldier’s Art, p. 135)

 



* Je dois à la vérité de préciser que j’écris ce billet, recopie ces citations, tout en écoutant un très beau duo d’Evan Parker et Urs Leimgruber, ce qui, par crépitements, démontre assez combien je mets en pratique le principe fondamental d’un de mes maîtres, Isidore Isou, et donc ce procédé – la discrépance – consiste ici à recopier des phrases à l’architecture ample et mesurée tout en étant profondément imbibé de sonorités que même le qualificatif de free ne suffit plus à décrire. Qu’il soit dit, au passage, que ce principe même est au centre d’une série de textes sur l’autre blog (Unissons).

 

** En l’espèce, que cette séquence animée, toute en nonsense et cochons tirelires, me soit immédiatement venue à l’esprit n’a rien de fortuit : le modèle commun des deux textes (Python & Powell) n’est-il pas le duo Tweedledum&Tweedledee du brave révérend Dodgson ? Ou l'auteur du bref sketch animé (Gilliam lui-même ?) aurait-il lu The Soldier's Art (publié en 1966, soit trois ou quatre ans avant la saison 2 du Flying Circus) ?

 

*** Le passage que j’omets de citer est tout à fait long, je dois le signaler, et très savoureux. À un universitaire, les deux colonels sont susceptibles d’évoquer quelques infernaux mandarins, par exemple Jean-Jacques Tatin et Elisabeth Gavoille.

**** Toujours j’écoute Evan Parker et Urs Leimgruber. Le terme de duologue leur siérait à merveille. Ce sont à la fois les nymphes de Mallarmé/Debussy et les camelots de la foire. Quelle merveille !

 

mercredi, 15 février 2012

Ali Ferzat, Egon Schiele, la "dégénérescence"

 Les auteurs de l'article n'ont pas compris que le dessin est aussi une référence au tableau (pourtant archi-célèbre) d'Egon Schiele, l'Autoportrait aux doigts écartés. L'image des doigts cassés relie ainsi le caricaturiste opprimé par le pouvoir syrien à certaines formes de l'art moderne européen que les nazis devaient qualifier de dégénérées (entartet).

Autant dire : Télérama n'a rien compris. (Une fois de plus.)

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vendredi, 03 février 2012

À la vie à la mort (ARFI / Petit Faucheux)

Hier, pour la Chandeleur, par le jour le plus froid – pour l’instant ? – de l’hiver tourangeau, c’était, pour moi, la reprise de l’année au Petit Faucheux. Il s’agissait d’un spectacle déjà créé il y a deux ou trois ans en partenariat avec le Petit Faucheux, mais que je n’avais pas eu l’occasion de voir à l’époque : À la vie à la mort, par un quatuor composé de Jean Aussanaire (saxes), Jean Méreu (trompette), Laurence Bourdin (vielle à roue) et Bernard Santacruz (contrebasse), compositions sur le tableau de Bruegel l'Ancien, Le Triomphe de la mort, que j’ai pu (re)voir au Prado l’été dernier.

Les compositions sont très belles, les musiciens à la fois très inventifs et très attentifs, mais je ne devais pas être très en forme (ou très in the mood), car j’ai trouvé toute la première demi-heure trop homogène, tirant toujours un peu du côté de la lamentation ou de la mélopée. Le dernier quart d’heure était, pour moi, ce qu’il y avait de plus fort, à partir d’un duo frotté très sourd entre la vielle et la contrebasse.

Villerouge-Termenès, 21 juillet 2011 Après le concert, autour d’une Grim, mon collègue Eric R. et moi avons parlé, de manière assez prévisible (à ceci près que lui ne connaissait le musicien que depuis deux semaines, et moi depuis six mois !), de Valentin Clastrier, dont je ne retrouve pas, ce matin, dans mon fatras, l’album que j’avais acheté totalement par hasard l’été dernier en pays cathare (décidément, le concert d'hier dressait un pont entre l’hiver et le dernier été), mais aussi de Leonard Cohen et de musique baroque.

 

En bonus : lien vers la page consacrée au spectacle sur le site de l’ARFI, avec un extrait.

vendredi, 06 janvier 2012

Markson à Marissel

Camille Corot - L'Eglise de Marissel (1866).Corot painted approximately two thousand pictures. Three thousand of these are in American collections.

Springer's Progress. [1977], 1999, p. 9.

 

L'heure à laquelle j'achève ma lecture du premier texte nonpolar de Markson. Marquant. En germe, tout. Et tout un pan joycien, assez nabokovien aussi, dont il se sera ensuite, progressivement défait. Corot, pour moi, c'est Marissel, mes heures à cadrer d'un regard gris l'étendue des pierrailles et bétons qui ont remplacé les étangs. Et ce soir aussi, les faussaires en Egypte. Fuite.

jeudi, 08 décembre 2011

This Is (Not) Iris Clert

(Il faut cliquer sur Robert Rauschenberg. Portrait of Iris Clert (1961). l'image pour comprendre de quoi il retourne ici.)

Quand on tombe sur les deux lignes constituées de la citation de Rauschenberg en italiques et de l'"explication" proposée par l'auteur (Writer ? David Markson ?) dans This Is Not A Novel, on (le lecteur) succombe encore à l'illusion référentielle, car si on ne connaît pas l'oeuvre de Rauschenberg, on s'imagine aisément qu'il y a une oeuvre que Rauschenberg qualifie de "portrait d'Iris Clert". Rauschenberg aurait dû s'expliquer dans un télégramme et confirmer que le tableau (sans doute peu figuratif, ou peu figuratif d'Iris Clert) était bien ce qu'il était censé être. Mais pas du tout. Le masque tombe, tout en s'épaississant si j'ose ainsi croiser les métaphores, après une recherche sur Internet : l'oeuvre, c'est le télégramme. (Et d'ailleurs, il semble qu'il existe plusieurs télégrammes, donc plusieurs oeuvres, avec des dispositions différentes sur la page.)

L'oeuvre, c'est le télégramme, et le télégramme est un portrait d'Iris Clert par pur acte performatif de l'artiste ("if I say so"). L'oeuvre, c'est le télégramme, un peu comme le père, dans Eraserhead de David Lynch, s'aperçoit, en découpant les langes emmaillottant l'étrange bébé hurleur, que les linges étaient la peau du bébé.

Question qui n'est ni triviale ni secondaire : les olibrius dans mon genre bousillent-ils l'effet-texte du roman-non-roman de Markson ? En effet, on peut considérer qu'en publiant une reproduction du télégramme-portrait sur Flickr et en la légendant avec la citation de Markson, je court-circuite la stratégie déceptive de Markson, qui égrène des anecdotes et des citations en les tirant de leur contexte. Toutefois, j'arguerai volontiers que cette stratégie, par l'énumération, justement, appelle un lecteur qui, intrigué, s'interroge, et va chercher à y regarder de plus près. Les stratégies trompeuses sont faites pour être détournées ; les assassins des romans policiers laissent exprès des traces car ce sont des assassins de fiction.

 

Deux autres remarques, que je ne sais pas où mettre alors je les mets n'importe où (après tout, l'auteur, ici, c'est moi) : - la présentation du texte dans le télégramme que j'ai choisi pour illustrer les deux phrases de Markson est un hommage évident à e.e. cummings (le double "IS", la dernière lettre qui se trouve en fait avant le début de la phrase, les mots formant le nom de la rue collés les uns aux autres). On pourrait sous-entendre : this is so evidently a pastiche of e.e. cummings I need not say so.

--- L'acte performatif de désignation qui constitue le télégramme en portrait d'Iris Clert est à mettre en rapport avec le titre du roman-non-roman de Markson (le lien est (trop) appuyé à la page suivante).

mercredi, 07 décembre 2011

Picasso regarde Stein regarder Blake regarder l'homme drapé regarder le ciel d'âme (Gray)

Pablo Picasso. Portrait de Gertrude Stein (1906). William Blake - Thomas Gray's Elegy, circa 1797.

09:53 Publié dans BoozArtz | Lien permanent | Commentaires (0)

lundi, 05 décembre 2011

La signature, de sang peint

Beheading of Saint John the Baptist, by Caravaggio (1608) - approx. 12 x 17 feet.Aujourd'hui, c'est-à-dire dimanche après-midi (il est minuit passé), j'ai écrit une phrase sur Caracas, et je n'ai pas su continuer. Puis, plus tard, bien plus tard, j'ai dû me replonger dans le Caravage, dans le sang-signature. De proche en proche, ça a donné beaucoup de n'importe quoi (surtout grâce à Goodman).

Spell = spill.

In DM's words.

 

(Mais ça m'a tout de même ramené à Sandra Belloni.)

jeudi, 01 décembre 2011

3111 / Le Lapin sous le prunier

Dans tous ses états, elle était, la pauvre femme. On va se laisser passer l’heure… le sablier, ça n’est pas rien… la seconde du rendez-vous elle-même est importante… Des foutaises. Mais bon. Elle était dans tous ses états. J’aurais voulu la calmer, la secouer, la calmer ou la secouer, je ne sais, toujours est-il qu’elle faisait pâle figure, un sacré tableau.

C’est quand elle a fait brûler le cadre que je me suis énervé.

Ce n’était plus possible.

Joachim Wtewael, Festin chez EmmaüsOn avait fait la sieste sous un prunier, c’était l’hiver – mais quoi ?

Pénible. Pas moyen de se reposer, toujours cette injonction, le lapin d’Alice, en retard, en retard, j’entendais la voix de Guy Piérauld, en retard en retard en retard. Pffff. Pénible. Kano pensively lifted a plum upon the point of a toothpick and began nibbling at its wrinkled skin. Pourtant, je finis par me rendre à l’évidence et par l’accompagner, non sans ramasser les feuilles de prunier et les déposer dans les conteneurs spéciaux prévus à cet effet.

Roger Dorsinville m’ennuyait ; René Barjavel encore plus ; même mon idole, Flann O’Brien, je n’arrivais pas à me plonger dans son univers dense et loufoque. J’avais passé toute la nuit précédente à traduire des poèmes de Bedri Rahmi Eyüboğlu, sans rien savoir du turc, bien sûr, mais juste comme ça, par science immanente. (Ce n’est pas donné à tout le monde. Je raconterai un jour ce qui m’est arrivé. Barjavel peut pâlir.) J’avais appris l’existence de ce peintre et écrivain turc par le biais d’un texte méconnu du majoral Sylvain Toulze. J’avais voulu traduire aussitôt tout ce qui m’était tombé sous la main. Et Marie, devant ces lilas, avait ménagé une large plate-bande, où elle s'amusait à cultiver elle-même quelques rosiers, des giroflées et des résédas. Et j’étais satisfait du résultat.

Mais, quand elle a commencé à faire cramer les cadres, là, j’ai explosé. Dans la ligne de tir. Trop de fers au feu. Et le centenaire de Pompidou, dont tout le monde se contrefout. Alors, voilà, je l’accompagne à son rendez-vous.

Pas moyen autrement.