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jeudi, 19 novembre 2015

État d'urgence

« Les mesures d’exception qui vont à l’encontre des libertés publiques ne permettent pas de lutter efficacement contre le terrorisme. Les états d’exception qui se pérennisent, c’est l’Etat de droit qui est mis à mal. » (Nicolas Krameyer)

 

Facile à dire, mais je pense que, député, j'aurais fait partie des cinq qui ont voté contre la prolongation — et non la prorogation — de l'état d'urgence.

Nous avons, malgré tout, besoin de plus de liberté et de moins de flicaille.

 

/ Lire ici /

mardi, 17 novembre 2015

“dans sa mémoire faire un tri”

23 octobre, 6 h 20

 

il m'a tiré du lit le cri

de l'engoulevent ce matin

c'est à en perdre son latin

dans sa mémoire faire un tri

 

sous l'érable trouve un abri

ni mazurka ni baratin

ni ronds-de-jambe le gratin

de la faune s'est amoindri

 

aussitôt donc en me levant

je saisis mon petit smartphone

qui m'est un carnet et beaucoup

 

davantage et hurlant au loup

en silence ai pour l'avifaune

le sonnet de l'engoulevent

 

lundi, 09 novembre 2015

Appel à une traduction de Józef Szczepański

Hier soir, j’ai écouté le concert de Thiéfaine au studio 104, qui était diffusé en direct sur France Inter. Le concert m’a laissé sur ma faim, car, hormis dans deux ou trois chansons, les arrangements avec orchestre à cordes ne changeaient pas fondamentalement la donne. De plus, la présentatrice s’est sentie obligée d’ajouter quelques commentaires, soit de l’ordre de l’audiodescription (“Hubert-Félix Thiéfaine entre sur scène, costume noir” (elle aurait dû ajouter la marque et le prix, pour faire festival de Cannes, cette idiote)) soit de pure désinformation (“l’album Suppléments de mensonge est le premier sur lequel Thiéfaine a travaillé avec des ensembles de cordes”).

Thiéfaine ne semble pas varier du tout les annonces qui précèdent telle ou telle chanson : c’était, au mot près, ce qu’il disait il y a un mois au Vinci, à Tours. Nous étions ressortis enchantés, la tête dans les nuages, de ce concert ; là n’est pas la question. Mais, pour ceux qui iraient le voir plusieurs fois au cours de sa tournée, je me dis, variatio placet, non ?

 

Un de ces préambules (à la magnifique chanson “Karaganda Camp 99”) est une citation, qu’il présente ainsi : « Dans les ruines de Varsovie, un poète polonais a écrit : “Nous t’attendons, peste rouge, pour nous délivrer de la peste brune.” ». Entendant de nouveau cet introït, hier soir, je me suis dit que ce poète devait bien avoir un nom. Une brève recherche sur le Web m’a appris qu’il se nommait Józef Szczepański, né en 1922 et mort en 1944 lors de l'insurrection de Varsovie, trois jours après avoir écrit ce texte, peut-être son plus célèbre, “Czerwona zaraza”. Sur le Web, à tout le moins (il me reste à faire des recherches plus poussées, notamment dans certaines bases de données et sur le SUDOC), il semble que n’existe de traduction française ou anglaise de l’œuvre de ce poète assassiné par les nazis, et dont posséder seulement un poème chez soi était passible d’emprisonnement dans la Pologne sous contrôle soviétique. Il va sans dire que les outils automatiques de traduction ne proposent que d’infâmes gloubi-goulbas dans lesquels on ne peut même retrouver un mot à mot à reconstituer. Là, même Ariane avec son fil se ferait bouffer par le minotaure.

J’ai publié le premier quatrain du texte polonais sur mon mur, sur Facebook, et une discussion n’a pas tardé à s’ensuivre, jusqu’à l’intervention d’une ancienne étudiante, Gosia, que j’avais friend-requestée en 2009 ou 2010, quand elle n’était déjà plus mon étudiante ; on ne s’est pas revus depuis six ans, je crois, mais on se suit avec intérêt. Gosia, qui est polonaise, suivait mon cours de version de troisième année en 2007 ou 2008, et quoique, de son aveu, elle n’apprît le français que depuis deux ou trois ans, elle réussissait à avoir de meilleures notes en version qu’un certain nombre de ses camarades de langue maternelle française. Un esprit vif et intelligent, pour résumer. Hier soir, tout en s’excusant d’avoir « du mal à traduire de la poésie », elle a proposé une version française de ce quatrain, que je donne ici :

Nous t’attendons, la peste rouge,

Pour que tu nous sauves de la mort noire,

Pour que dans le pays que tu avais déchiré en morceaux

Tu sois la rédemption accueillie avec répugnance.

 

Il s’avère donc, entre autres, que la suite du poème semble encore plus belle que ce début déjà si prenant cité par Thiéfaine, mais aussi (surtout) que le texte de Szczepański ne répète pas peste.

Bref, il faut (faudrait) découvrir Józef Szczepański, et le traduire.

 

Je vais profiter de ce billet pour faire un bref plaidoyer en faveur des réseaux sociaux. Oui, ce sont des accélérateurs d’inculture, des bastions de l’illettrisme, mais, de mon point de vue, ce sont aussi, depuis plusieurs années, de formidables outils de travail, ainsi qu’un lieu où, chaque jour, je m’enrichis, fais des découvertes, trouve à nourrir ma curiosité intellectuelle. Quand j’ai commencé à tenir un blog, il y a dix ans et quelque, bien des collègues ou amis me disaient : ah non, les blogs, je trouve ça vain, tout ce déballage intime. C’était méconnaître alors l’existence de nombreux blogs dont l’objet n’était aucunement de déballer sa vie privée. C’était réduire les blogs aux skyblogs (qui ont disparu, justement, avec la vague Facebook). De même, avec les réseaux sociaux, la qualité intrinsèque du medium (ou ses possibilités) n’a aucun rapport avec l’usage majoritaire qui en est fait. Tout cela revient à dire, par exemple, qu’il faut casser toutes les télés parce que trop de gens regardent Les Marseillais à Cancun. Je suis certain qu’on trouverait, dans les archives, des textes de détracteurs du cinéma qui, dans les années vingt, mettaient dans le même panier, pour ne pas même être allé y voir de près, des niaiseries muettes et Murnau.

dimanche, 17 mai 2015

Savannah — Un tatou mort avant nous

Le nouveau livre de Jean Rolin est un bref récit de son retour à Savannah, sept ans après y avoir séjourné avec sa femme, Kate, laquelle est morte dans l’intervalle. L’élément structurant de ces allers-retours entre 2014 et 2007, ce sont les films réalisés par Kate, que le narrateur décrit, dont il transcrit certains dialogues et qui lui servent aussi de guide pour repartir, le plus précisément possible, sur les traces du couple d’avant. Rêveries du veuf solitaire, les chapitres proposent une forme de condensé de la poétique de Rolin : attention aux détails incompatibles avec le tourisme, description des friches industrielles, mise en scène (au sens noble – il leur donne la parole) des laissés-pour-compte (je ne sais quelle expression convient le mieux pour l’anglais disenfranchised).

Outre que les chauffeurs de taxi jouent un rôle primordial (de passeurs ?) dans les itinéraires du récit, une figure prend plus d’importance au fur et à mesure qu’elle devient moins menaçante : celle du petit homme au parapluie à « l’allure invariable, mécanique » (p. 40) : Doppelgänger, image de l’errance déraisonnable et systématique, autre forme de passeur ?

Dans un récit qui gravite autour de la figure de Flannery O’Connor – dont je n’ai jamais rien lu, il me semble, et dont le texte a le mérite de   donner envie de lire la nouvelle ‘The Lame Shall Enter First’ – et de la visite à sa maison fatale, perdue en forêt, Rolin ne dissimule rien de l’atelier, ainsi quand il avoue que Google Maps est « cette espèce de miracle informatique grâce auquel je viens de retrouver le lieu exact de cet épisode » (p. 37). De même, si fasciné soit-il par les friches et par ce que je tente parfois moi-même de décrire dans mes kleptomanies überurbaines, il n’en déplore pas moins la banlocalisation généralisée (ce que Renaud Camus nomme aussi “le devenir-banlieue du monde”, et dont il fut question dernièrement pour la France) : « on se retrouve dans un paysage de désolation, celui d’un mall démesurément étendu et de ses métastases, dont seules quelques prémices étaient visibles en 2007 » (p. 88). Sans mise en scène macabre, très naturellement pourrait-on dire, le narrateur se livre à une sorte de mime de la mort, de doublement spectral, comme lors de la visite au cimetière sur les traces de l’hypothétique tombeau du père de Kate. À cette occasion, le lecteur comprend que, deuxième vidéaste, Jean Rolin filme également ce deuxième voyage à Savannah :

À Lionell, j’avais prétendu qu’il s’agissait de ma propre famille, ou de quelque chose de ce genre, afin qu’il ne soit pas surpris quand il me verrait sortir de la voiture, comme je le fis, et reproduire scrupuleusement, en les filmant, tous les gestes que Kate avait accomplis dans le même lieu. » (p. 110, c’est moi qui souligne)

En fin de compte, dans un récit tout en strates et traces, où toute figure devient à chaque instant spectre d’un autre ou d’elle-même, le seul cadavre véritablement inscrit (on ne peut dire ni vrai ni réel ici) est celui du tatou mort filmé par Kate en 2007 (pp. 73-6). Ici, c’est aussi d’un langage vivant et imparfait que le récit devient la trace, rendue parfaite et plus froide. En effet, les propos transcrits de Kate sont étranges, car, quoique anglophone, elle s’exprime d’une façon difficilement compréhensible pour le chauffeur :

Nous revenons vers la voiture, Kate dit à Willy : « It was a tattoo, he had so many maggots ! »

Ce mot de tattoo n’évoque rien pour Willy, dans la mesure où en anglais, comme en espagnol, tatou se dit armadillo. (p. 74)

Cette scène montre que ce qui se joue, comme chez Beckett, c’est l’aventure de la langue vivante figée dans la bande, et que le récit tente de reproduire, même de re-présenter. L’erreur sur le mot tattoo peut-elle vraiment venir de l’anglophone Kate ? Rolin ne nous invite-t-il pas au soupçon, ainsi qu’à une lecture dynamique des signes faussés ? Le tatou mort était là avant eux, et donc avant nous, lecteurs, avec ses vers et son magot de mots.

mardi, 28 avril 2015

Grüne Welle

C'est un peu compliqué.

Dans ma topographie — celle des kleptomanies monotones — le franchissement des feux tricolores jusqu'au Beffroi occupe une place à part, celle de la conduite machinale mais occasionnelle (pour mieux dire : irrégulière). Il y a toujours un moment où la voiture passe à l'orange ; peut-être l'arrière même est-il parfois au niveau du rouge. Je respecte scrupuleusement la limitation de vitesse, donc je l'ai dans l'os pour la vague verte.

(Peut-être est-ce à Düsseldorf, ces premiers échos de la grüne Welle...)

Pourquoi encore tenir ces carnets. Je devrais projeter ces trajectoires avec la violence retenue explosante fixe des monologues d'Éric Delphin Kwegoué. Pourquoi encore tenir. Pourquoi tenir. Pourquoi ternir.

Vous n'avez pas de quoi. Y a pas de quoi.

C'est un peu compliqué.

À l'aller, souvent, je passe par Marie et Pierre Curie, bifurque avant le L.P. ▬▬ mais au retour, c'est plus avec ambages, soit l'avenue de l'Europe, son enfilade de feux dont toujours au moins un rouge que je ne grille jamais, parfois tourne à gauche vers Sapaillé pour la boulangerie, le chinois, Emmaüs ou tout simplement coupe-file.

Quand je marche, ou quand je prends le tramway, c'est encore une autre histoire.

Mes liens en vert se mordent la queue ; je n'ai pas écrit le centième des textes en souffrance.

Ça vous fait souffrir c'est un peu compliqué ?

samedi, 25 avril 2015

Le parano des Samsonite

Le questionnaire se trouve ICI.

    • Je ne crois pas avoir tenu dans mes bras un animal hors du commun ; une diapositive me représente tout petit avec un lionceau, à Longleat. Mais nul souvenir.
    • L'Australie.
    • Je ne suis pas un parano des Samsonite.
    • Un peu cuit, mais bien.
    • La couleur des aliments est un critère occasionnel.
    • Oui, j'ai refusé en 1999 une offre de poste au lycée Stanislas, qui représentait pourtant quatre fois mon salaire du moment, principalement car je ne me voyais pas travailler dans cette ambiance et ce milieu durablement.
    • Je fleuris occasionnellement ma maison. Récemment, de beaux lys — là, des lilas blancs de mon jardin.
    • Je pratique souvent le boycott, par exemple des produits à base d'huile de palme ou d'huile de coco en raison de la déforestation.
    • Une rue porte mon nom, dans la petite commune de Saint-Genouph.
    • Je pourrais être gardien de prison ; il ne faut jamais dire fontaine.
 

jeudi, 26 février 2015

Vincent Eggericx – Mémoires d'un atome, Kyôto 2008-2012

Difficile de chroniquer un tel livre.

Il y a quelques années, j'avais écrit un billet, je crois, sur L'art du contresens.

 

Désormais, Vincent Eggericx s'est enfoncé dans le Japon. Ce livre est un journal, parcouru de journées mais sans datations précises, et, malgré cela, il semble plus fictionnel, plus romanesque que les livres précédents de son auteur.

Beaucoup de détails sur la vie professionnelle de V.E., ses rencontres, son abandon du kyudô — le kyudô est le grand absent, ainsi marqué, du livre, bien plus que l'accident nucléaire consécutif au tsunami. La catastrophe nucléaire de Fukushima est présente dans les marges, dans de furtives notations : Eggericx a-t-il voulu aller à l'encontre des attentes “catastrophistes”, à l'encontre du grand récit tel qu'on l'attend, ou a-t-il voulu montrer l'absence de gravité, l'absence d'un sentiment de tragédie (mais alors : pour qui ? pour les Japonais (cf p. 240) ou pour lui ?) ?

 

Donc, un journal centré autour de V.E. Ses lectures. Les promenades (jardins, topôs japonais). Son regard d'outsider contradictoire. Les douleurs, de dents et du crâne. Sa relation (très) tumultueuse avec sa compagne.

Malaise pour le lecteur (pour moi) : l'observation très dense, très épaisse, justifiée par une longue fréquentation, aboutit à des aphorismes d'un dualisme déconcertant (les Japonais vs les Occidentaux, par exemple p. 109). Pourtant, la langue japonaise semble coloniser en douceur l'écriture même de V.E. : « Monsieur Triangle disparaît sans même que je m'en aperçoive, filant tout schuss entre les portes vers la ligne d'arrivée après m'avoir propulsé dans la rue. » (p. 64)

… pour ne rien dire de l'importance du mode notationnel (p. 136 ou p. 217).

 

Un atome, donc. Aussi, pose-t-on des questions à un atome ?

mercredi, 11 février 2015

Ping-pong, 7 : Le cas Tiki

 

Pour reprendre les mots de Stéphane Tiki lui-même, je trouve en effet la polémique le concernant “infamante”. Si sa situation est en attente de régularisation, et si on pense que les citoyens dans son cas doivent prouver leur attachement à la République, quelle meilleure preuve que son militantisme ?

Pour avoir entendu ce garçon avant-hier matin à la radio face à son homologue des Jeunes socialistes, je dois dire qu'il m'a paru plus intelligent et plus mesuré qu'elle.

Il faut dire que la responsable des Jeunes socialistes a parlé à DEUX reprises de « l'élection de Christophe Barbier » : parmi les cadres du PS, on peut donc confondre, sur une antenne nationale, un rédacteur en chef droitisant à écharpe rouge et le député élu dans le Doubs, prénommé Frédéric.

 

jeudi, 15 janvier 2015

Poids et mesures

Il faudra quand même qu'on m'explique en quoi la phrase “je me sens Charlie Coulibaly” est une apologie du terrorisme. Un bon avocat n'aura, ce me semble, aucun mal à démontrer que ça peut vouloir dire plein de choses différentes :

  • "je me sens" n'est pas "je suis"
  • l'ensemble "Charlie Coulibaly" peut vouloir dire que Dieudonné se sent à la fois proche, de manière très schizophrène,  des humoristes assassinés pour avoir exercé leur droit de parole et du salopard victime de la ghettoïsation dans les banlieues (ATTENTION : ceci n'est pas mon avis, mais il y a tout un tas de soi-disant intellectuels et d'enseignants de banlieue qui n'arrêtent pas de répéter ça, dont une tribune inepte et scandaleuse publiée dans le Monde) → si on pousse cette logique, on pourrait dire que cet énoncé vise à être à la fois solidaire des victimes des frères Kouachi et du terroriste de la porte de Vincennes, et, dans ce cas-là, l'antisémitisme est plus aisé à démontrer
  • Coulibaly est un nom très courant, donc, à partir du moment où Dieudonné n'a pas désigné le terroriste en ajoutant son prénom, ça peut être une identification à tous les Coulibaly, voire à tous les Noirs de France (ça pourrait même vouloir dire qu'il pense à tous les citoyens qui portent ce patronyme et qui vont en baver dans les prochains mois)

Comprenons-nous bien (ET JE NE RÉPONDRAI PAS À CEUX QUI N'AURONT PAS LU CE BILLET JUSQU'AU BOUT) : je n'aime pas du tout Dieudonné, je ne l'ai jamais trouvé drôle (mais je n'ai jamais trouvé Elie Semoun drôle non plus, soit dit en passant), je suis profondément convaincu que de pseudo-humoriste il est devenu pamphlétaire et idéologue, et enfin il est très évidemment antisémite.

Je ne dis pas du tout que cette phrase ne pourrait pas être une apologie du terrorisme. Je veux tout simplement qu'on m'explique en quoi elle en est ÉVIDEMMENT une. La seule possibilité est de faire un distinguo entre discours à visée humoristique et parole publique tenue par un responsable politique... mais, là encore, les objections que j'ai formulées ci-dessus demeurent.

Universitaire, j'attends de mes étudiants qu'ils démontrent leurs arguments de manière complète. Dans une copie qui se contente de dire “Le poème évoque la couleur rose parce que c'est la couleur de l'amour”, je mets en marge prouvez-le ou aucune autre interprétation ? ▬ J'attends de Joffrin, Valls (et des autres) qu'ils DÉMONTRENT que la phrase “je me sens Charlie Coulibaly” est une incitation à la haine, ou une apologie du terrorisme. Si cela est avéré, et si Dieudonné est condamné POUR CETTE PHRASE, je pense en effet que bien des formules ou dessins polysémiques de Charlie Hebdo risquent de se voir également condamnés. 

D'ailleurs, au vu de tout ce qui se dit depuis quelques jours (mesures exceptionnelles qui ne seraient pas d'exception, appels à l'autocensure, Pape qui se croit autorisé à s'immiscer dans les affaires d'un pays sans religion d'État), on peut d'ores et déjà considérer que les assassins du 7 janvier ont gagné : ils n'ont pas tué la liberté d'expression, mais le pire est à venir.

 

Quant à l'emploi de l'adjectif maléfique dans l'éditorial de ce jour, il montre tout ce qui sépare les athées et libres penseurs de Charlie Hebdo de Joffrin, qui ne s'aperçoit même pas qu'il baigne en permanence dans un langage bondieusard de catho de gauche.)

 

mercredi, 14 janvier 2015

Ils sont Charlie Potter Nabilla

Quoique je sache parfaitement qu’il sera impossible de se procurer aujourd’hui le nouveau Charlie Hebdo (et qu’il faudra attendre les réimpressions des prochains jours), je me suis rendu, ce matin, à sept heures et demie, près du Beffroi, chez l’un des marchands de journaux où je suis occasionnellement client, car, entre autres bonnes résolutions pour 2015, j’ai décidé d’acheter plus régulièrement le Canard enchaîné, que je n’ai plus lu depuis des années (shame on me). J’avais aussi dans l’idée de voir un peu ce que ça donnait, et, vu ce que m’ont dit les deux dames qui tiennent la caisse, j’aurais même dû venir dès l’ouverture avec ma caméra.

En effet, elles avaient reçu 14 exemplaires (“non, 15 leur ai-je dit et vous vous en êtes gardé un, vous avez bien raison” – elles ont souri), et, à l’ouverture, il y avait une quarantaine de personnes, lesquelles, une fois le magasin ouvert, jouaient des coudes et ont manqué en venir aux mains. À sept heures et demie, j’ai moi-même vu plusieurs personnes entrer, demander Charlie et ressortir sans rien acheter ; je pense qu’il s’agit du même genre de pékin que les gugusses qui sont entrés pour la première fois dans une librairie en septembre dernier, afin de demander « le Trierweiler ». J’ai un peu discuté avec une des deux dames, qui a opiné gravement quand je lui ai dit qu’avec les réimpressions ce numéro allait atteindre les dix millions, ce qui était d’une absurdité phénoménale pour un journal qui avait du mal à écouler habituellement ses 60.000 exemplaires. Elle m’a confirmé qu’en temps ordinaire elles en vendaient vaguement quatre ou cinq. « Charlie Hebdo, ce n’est pas Harry Potter ! »

 

Si j’étais l’équipe de rédaction (or, ce n’est pas le cas – il n’y a pas d’identité ou d’adéquation dans toute cette histoire), je me fendrais, à l’occasion des réimpressions, d’un édito bien in your face pour me foutre de la gueule de ces centaines milliers de gens qui vont consommer du Charlie pendant quelques jours ou quelques semaines comme la France a consommé du « allô, t’es une fille et t’as pas de shampooing » pendant une grosse quinzaine au printemps 2013. Ce paradoxe – dont l’on peut souligner soit le côté atroce, soit le côté grand-guignolesque, selon son penchant ou son humeur du moment – fait d’ailleurs l’objet de plusieurs dessins du Canard… et de Siné Mensuel, que, pour le coup, j’ai acheté pour la première fois.

 

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Edit de 8 h 51 → petite file d'attente devant le rideau de fer de Cultura (Tours Nord), dont un militaire en treillis. Mieux vaut rire de toute cette absurdité...

 

mardi, 13 janvier 2015

Chapeau bas à Luz, une fois encore

Nous voici, de nouveau, face à une preuve éclatante du contresens généralisé sur l'esprit Charlie.

C'est à peine si la couverture de demain vient d'être révélée, et tous, analystes et politiques, de l'interpréter comme une volonté réaffirmée de ne pas tenir compte des préceptes d'une religion dans le cadre d'un État laïc, les plus fins soulignant toute l'ironie équivoque de ce prophète en larmes et du slogan “Tout est pardonné”. (À parcourir rapidement les commentaires sur la Toile, on s'aperçoit vite que les moins fins (la majorité (= les cons)) y voient de l'islamophobie, pour s'en réjouir ou la dénoncer, preuve qu'ils ne comprennent vraiment rien.)

 

Or, bien plus que l'Islam ou le fanatisme, le dessin de Luz vise tous les hypocrites, suiveurs et moutonniers de toute laine qui n'ont cessé d'afficher partout, depuis près d'une semaine, le gimmick Je suis Charlie. Avec, dans son viseur, tous ceux qui ont versé des larmes de crocodile, il établit un lien entre tous ceux qui, par suivisme ou pour se donner bonne conscience, se sont superficiellement identifiés à Charlie Hebdo (je suis = Charlie) tout en n'en connaissant pas grand chose ou en n'en partageant aucunement l'esprit, et les musulmans qui semblent penser qu'en brandissant la pancarte ils sont quittes d'un débat sur le lien possible entre l'islamisme et les textes sacrés de l'Islam (Coran et hadith). Sur ce point, je mets en lien la très belle lettre ouverte au monde musulman d'Abdennour Bidar :

tu te réfugies dans le réflexe de l'autodéfense sans assumer aussi, et surtout, la responsabilité de l'autocritique. Tu te contentes de t'indigner, alors que ce moment historique aurait été une si formidable occasion de te remettre en question ! Et comme d'habitude, tu accuses au lieu de prendre ta propre responsabilité

 

Luz a certainement voulu critiquer aussi l'irénisme invraisemblable et l'optimisme qui ont suivi la grande marche de dimanche, comme s'il avait suffi de quelques millions de Français brandissant des slogans sur la liberté de la presse pour que tout soit réglé. En ce sens, son usage de la notion, très chrétienne, de pardon renvoie dos à dos toutes les religions, en suggérant combien cette valeur n'a aucun sens pour les athées ou les libres penseurs, et combien, pour nous autres qui refusons les solutions faciles de la foi, tout demeure toujours un problème.

Bravo à lui, une fois encore.

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jeudi, 11 décembre 2014

La grande brairie (dessine-moi un ormesson)

On ne ne sait trop qui a répondu à l’enquête dont Busnel — qui est à la critique littéraire ce que Patrick Sébastien est au divertissement — faisait ses choux gras ce soir  dans le décor hideux de sa Grande librairie, mais, en tout cas, on peut remarquer que, pour ce panel, le top 5 des « livres qui ont changé ma vie » était entièrement constitué de récits de langue française publiés entre 1920 et 1960. Ainsi, la littérature n’existerait qu’en langue française, qu’en prose narrative, et que sur une période de 40 ans.

J’ai tout d’abord eu dans l’idée que seuls les pensionnaires des maisons de retraite de la MGEN – ou le fan club des Amis de Jean d’Ormesson – avaient eu voix au chapitre. Il est autre chose qui m’a mis la puce à l’oreille : le fait que la première place revienne au Petit Prince… Comment peut-on considérer que Le Petit Prince est le livre le plus important qu’on ait lu, à moins de n’avoir lu que quinze livres, en tout et pour tout, Enid Blyton compris ? Sans doute, répondre cela – comme répondre L’Écume des jours d’ailleurs (ouvrage qui se classait à la quatrième place) – signifie qu’on a lu quelques livres à l’adolescence, et qu’on n’a plus jamais rien lu depuis…

 

Il n’en demeure pas moins que le succès durable et populaire du Petit Prince me demeure une énigme : qui ce texte, bêtement lourdaud, péniblement allégorique, médiocrement écrit, peut-il faire rêver ?

dimanche, 30 novembre 2014

Horreur sourde...?

Ce que je veux dire, c’est que retourner sur ses pas, retrouver intacte, préservée, la vie partout ailleurs abolie, n’éveille ni joie ni gratitude mais l’horreur sourde d’être cerné, soudain, de spectres, de descendre, vivant, au tombeau. (Pierre Bergounioux. La mort de Brune, p. 63)

 

Quoique j’aie bien noté ce contraste entre la vieillerie ambiante de ma ville natale (plus encore peut-être le caractère hors du temps national ou mondial de la vie au village) et certains aspects subits de modernité traversés à Bordeaux ou à Paris, je n’en ai jamais eu cette appréhension tragique, spectrale, qui m’a sans doute sauvé de la mélancolie — je me suis contenté d’épouser les contours de ce que la vie m’offrait, sottement ou joyeusement, mais peut-être aussi ai-je manqué quelque chose, et serai-je vraiment horrifié en le comprenant, trop tard (sur mon lit de mort ?)

lundi, 10 novembre 2014

Scimitar

Samedi matin, devant l'école primaire

Un coupé sport était garé,

D'une forme inconnue —

Et son nom, Scimitar,

N'invoquait rien du tout de concret.

 

Modèle désuet

D'une série de coupés sport

Anglais (la marque, Reliant,

Ne dépliant rien de concret dans la mémoire

Une fois cherchées

Des réponses), il reste l'énigme :

 

Qui, dans ce quartier

Désert – quelques habitués

S'y égarent –, avait pu

Parquer là cette forme

À tout absente désuète ?

 

dimanche, 05 octobre 2014

Vrai hasard lexical

Parfois, on parle du faux hasard des rencontres lexicales, l’impression – une fois que l’on a entendu ou lu (ou cru entendre ou lire ?) un mot pour la première fois – de le rencontrer sans cesse dans les semaines, les mois qui suivent. L’hypothèse la plus couramment avancée est qu’en fait la personne qui croit voir un mot pour la première fois l’avait déjà rencontré, mais sans y prendre garde, et que les occurrences ultérieures, si frappantes, sont le fait de cette prise de conscience retardée… d’où l’idée d’un « faux hasard ». (Il ne me semble pas qu’il y ait eu d’étude sur cette question. J’imagine que certains écrivains – Sarraute ? Leiris ? – ont pu en parler.)

Lundi ou mardi dernier, je tombai, par hasard, dans le Robert culturel, sur un haut de page où se trouvait le mot épreinte, et fus étonné de constater que le seul sens que je connusse de ce mot (les épreintes sont les excréments des loutres) n’y figurait pas, mais que la seule acception retenue par les auteurs du dictionnaire était un sens médical inconnu de moi. Or, le lendemain, ou le surlendemain, à la page 71 du Libera : « Ce qu’elle n’avait pas dit c’est qu’elle avait écourté son action de grâce pour une épreinte irrépressible, son affection congénitale lui jouant des tours… »

 

Il me semble qu’il y a là un vrai hasard, principalement du fait que ce mot est tout à fait rare (j’ai eu l’occasion de vérifier auprès de trois ou quatre proches que personne ne le connaissait, même dans son sens zoologique) : ainsi, tomber dessus dans le dictionnaire un jour ou deux avant de lire une des rares pages de prose française où il est employé, c’est un hasard. Ce qui me turlupine, c’est la chose suivante : si j’avais lu – comme il eût été possible, et même comme cela eût dû être – Le Libera il y a vingt ans, ou tout simplement il y a six mois, quand je l’ai finalement acheté, aurais-je été intrigué par ce sens médical, ou aurais-je conclu sans vérifier que Pinget faisait là une métaphore ? Dans cette seconde hypothèse, je n’aurais pas manqué de comparer cette analogie entre une figure (la Crottard) et une loutre avec les noms d’autres personnages (Loeillère, Lorpailleur, Latirail). Indépendamment de mes propres tergiversations et insuffisances lexicales, la question reste posée : Pinget emploie-t-il ce terme pour suggérer que ce que l’on entend, à ce moment-là, c’est la voix du pharmacien Verveine, ou, connaissant la signification zoologique, suggère-t-il un jeu onomastique ? [Plus loin dans le roman, la famille Ducreux boit à plusieurs gourdes : loutre → l’outre → la gourde / Le signifiant loutre suggère aussi l’outrance, l’autre (donc l’apocryphe et la hantise, thèmes éminemment pingetiens).]

mercredi, 01 octobre 2014

L'homme mystérieux du pont Mirabeau

On ne le voit plus. 

Depuis au moins un an, je ne l'ai plus revu. Même le Web avait fini par bruire de cet homme au regard si intense, si chargé de désespoir.

L'énigme demeure. Je pense souvent à lui, quand je descends en voiture le pont Mirabeau, souvent, plusieurs fois par semaine, je le vois même absent — il occupe ce pan de trottoir à tout jamais. Spectre (ou non ?) miroir de nos lâchetés ?

vendredi, 26 septembre 2014

Such Is Life

Il y a 171 ans naissait Joseph Furphy (Seosamh Ó Foirbhilhe en gaélique), l'auteur du sublime Such Is Life, chef-d'œuvre australien trop peu connu.

Who can claim s/he is a true Australian if s/he has not read Such Is Life ?

 

C'est vendredi. Avant de recevoir plusieurs étudiants, puis d'assurer plusieurs cours, il convient d'écouter calmement Émilie Mayer et Hilding Rosenberg.

En zoom 200% je vois tout bien comme il faut, confortablement.

Je vois passer sur mon mur un poster bien cucul-la-praline dont le slogan est, je cite de mémoire, “You Have to Embrace Getting Older”, l'illustration étant une photo de Meryl Streep, qui, à 65 barreaux, a moins de rides que moi — d'ailleurs, elle n'en a pas du tout. J'en conclus que c'est un canular.

 

Puis je voulus composer un poème constitué et entrelardé de captures d'écran.

samedi, 17 mai 2014

3300

À 17 heures 17, après avoir passé plus d’une heure à passer la nénette et la tête de loup dans la maison, ainsi qu’à récurer la lèche-frites et une marmite, je me suis assis, ai lu quelques pages de mon roman, il y avait une phrase étrange sur deux orangs-outans, alors j’ai rêvé que j’écrivais avec une machine à écrire aux touches fabriquées dans un métal si dur qu’il fallait presque se briser le poignet pour chaque caractère et que j’écrivais quand même un roman de plus de 400 pages, que j’intitulais L’huile de coude. Il ne faut pas charrier, toutefois, ni se casser le bol pour rien, pour du baratin, et il vaudrait mieux rêver d’un manteau jaune comme un coquelicot. Gros Patapouf l’éléphant, on le confond pas, on le confond pas, on le confond pas, on le confond pas avec les fraises des bois.

La seule blanchisserie où je me rappelle m’être arrêté sans linge, parce que j’avais froid, que j’étais fourbu, qu’il n’y avait aucun café ouvert aux environs, c’était à Lyon — pas à Melbourne, non pas à Melbourne. (Et de Kassel, je ne pense me rappeler que le trolleybus.)

Pourtant, impression que les mots blanchisserie et Melbourne vont ensemble.

samedi, 05 avril 2014

Descente des médiums (Quintane)

Entre Aristote qui propose la lecture organique, et mon enfance qui, pelucheuse, se complut à taquiner les acariens en bouquinant sur une descente de lit, le dernier livre de Nathalie Quintane est plus titillant que jamais. Descente de médiums, dont le titre parodie ou poursuit le célèbre texte de Breton (Entrée des médiums), est, dans la foulée des précédents livres de Quintane, un bricolage — creusement & accumulation.

Un mot, d’abord, sur l’effet réel de ces livres que je nomme bricolages. Le premier livre de Quintane, Chaussure, je l’ai découvert par hasard, à la médiathèque de Beauvais, en 1998, soit un an après sa sortie, et je l’ai lu soit dans mon salon à la moquette berbère (on vivait en appartement), soit dans les rues, souliers crevés, paletot pas mieux. Écriture titillante, qui agace, stimule, Quintane est du côté de la composition. L’effet réel de ses compositions (qui sont, tout autant, et largement, des juxtapositions) est d’irriter, de pousser à la marche. Je n’ai jamais réussi à poursuivre la lecture sans poursuivre mon ombre, ou, pourrais-je dire, me mettre en branle, me déplacer. Par exemple, ce déplacement signifie que, pour la troisième fois, j’aurai lu une bonne partie d’un livre de Quintane au Petit Faucheux. (Hier soir, en l’espèce, les pages 86 à 132. Le croisement Ygranka / Quintane est quasi idéal. J’y reviendrai.) Et donc : dans le hall, dans mon fauteuil d’orchestre, et aussi dans la rue, et même (ce fut le cas pour Tomates) en marchant place Gaston-Paillhou. (Et le faucheux est un insecte qui se déplace curieusement, si je tire sur ce fil vous n’avez pas fini de tirer la tronche.)

 

Descente des médiums, donc. Le déplacement se fait ici vers le bas : descente. L’accumulation, concept à garder dans un coin de la bobine. Dans le prologue, Quintane explique d’où part ce livre : d’une demande (commande) de l’amie qui lui avait demandé d’écrire Crâne chaud. On voit donc, selon un principe de révolution (qui lorgne du côté de Tomates) ou de palimpseste (Jeanne Darc), mille lecteurs décider d’un même mouvement de descendre dans la rue. Et commence alors l’accumulation de ces vingt-huit chapitres sur les médiums. Plus j’avance dans cette œuvre (l’ensemble des livres, pas ce seul fragment), plus je trouve que la méthode de Quintane est apparentée à celle de Ponge :

1.      Il s’agit d’aller voir du côté intérieur de ce qui est extérieur.

2.      Il s’agit d’agir par la composition (accumulation).

3.      Il s’agit de donner à voir, au moins en partie, la fabrication de l’œuvre (l’œuvre en fabrique).

 

Ici, peut-être par la collusion des signifiants, le propos de Quintane [propos → Alain relisant Montaigne → Quintane et l’humanisme ? ou alors, si je tire sur un autre fil : rédaction → Robert Walser] rejoint la médiologie de Debray. Mais alors, attention ! assez de name-dropping ! plus un seul nom ! une aspirine ! et vite ! Mais alors : une médiologie drôle, une médiologie foutraque, une médiologie bricolée. [Tout sauf une médiologie ? Soit. Qu’il me soit permis de citer la page 128 : « En 62 on était gaulliste, maintenant on est parapsychologue. »]

Ce que Quintane appelle la radio, c’est l’ouverture aux voix, l’entrée des médiums, ici sous forme de glissement vers le bas, catabase ?? parturition ??? Les pages dans lesquelles elle reprend les propositions de mort de l’auteur (pp. 76-85) sont parmi les plus sidérantes et profondes que j’ai lues sur le sujet ►postuler la mort du lecteur ║appuyer sur la volatilité (gaz/gaze) de l’écriture. Je veux dire par là qu’il vaut mieux donner ces dix petites pages à lire que trois thèses sur le sujet. Ne parlons même pas des narratologues. [Ni aux narratologues, ils sont bien trop occupés à s’écouter eux-mêmes.]

Volatilité. L’auteur gazéifié est donc celui qui s’affirme paradoxalement dans l’accumulation d’hypothèses, de fictions, de jeux (dramatisés), ici quant à la spectralité vocale, l’expérience médiumnique, avec quelques solides fantômes en rayon (Christine de Pizan, Fitzgerald, Hugo, William James). La radio (voix) se heurte à l’un des points de départ évidents du livre, la photo (les polaroïds du thoughtograph Ted Serios). Cette série de descentes est donc aussi à fouiller, creuser (le noyau est-il sous nos pieds ?) l’extérieur du texte (le son et l’image), de sorte qu’une lecture possible de ce nouveau livre de Quintane est une lecture de l’impossible : impossible de dire la parole médiumnique, impossible de creuser en douceur, impossible de fabriquer durablement en bricolant, impossible de composer en accumulant… Où l'on en revient à l'effacement de la rationalité par la radio, voix intérieures débordant le cadre.

 

Bref, bref, bref (on n’en finit pas de diluer ce phatique BREF), qu’en ressort-il ? Allez-y voir vous-mêmes, dirai-je, paraphrasant Lautréamont. C’est un peu facile, tout de même. C’est un peu bref, jeune homme. Ce qu’il ressort aussi de Descente des médiums, c’est l’accès, par l’accumulation en écriture, à diverses pistes philosophiques. Le livre n’est ni tout à fait médiologique, ni du tout médiumnique : la parole gazéifiée [et intense ▲ elle pousse encore et toujours aux déplacements (ne vais-je pas aller relire quelques pages le long de l’avenue du Danemark empuantie par la merde de la station d’épuration qui a dû exploser ?)] de Quintane ne descend pas sur le lecteur, qui doit la creuser, plutôt comme une taupe. Or, on le sait : rien de moins évanescent qu’une galerie de taupe ——— rien de moins souterrain, non plus. On bute sur les pages comme sur des taupinières.

 

Descente immédiate, mind the gap.

 

 

Points laissés en suspens : les acariens — berbère — poursuivre mon ombre — le Danemark merdique — la fabrique — parturition [?] — Ted Serios

dimanche, 29 décembre 2013

Un vendredi, à écouter les Caprices de Frescobaldi

Aux cotés d'Oméga qui fait son puzzle Tiptoi du zoo, je regarde le livre sur Aillaud. Dehors il fait un vent à tout décornarder. Alpha lit un des bouquins du 25 (Pierre Gay). Deux Chaplin dans la musette (canapé rouge). Le 27 décembre est souvent mon jour préféré.

« Un Ernst, un Fautrier, un admirable Staël » (II, 256)


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Il n'y eut pas seulement Frescobaldi.
Le Rakastava suivit, puis une bonne dose de Mary Halvorson.

On n'a pas peur des contrastes, en Touraine, surtout pas les jours où on ne voit pas le soleil de la journée.


“She seemed always to have seen him through a blur—first of sleepiness, then of distance and indifference—and now the fog had thickened till he was almost indistinguishable. [...] During the laughing relation of this manoeuvre, Selden had time for a rapid impression of Miss Bart, who had seated herself opposite to him in the golden afternoon light.”

lundi, 09 décembre 2013

Rue de Buci

Entre autres ouvrages — mais j'ai du mal à assurer un train assez conséquent en ce moment — je fais mes délices d'un roman de Claude Mauriac, La marquise sortit à cinq heures, le troisième d'une tétralogie intitulée Le Dialogue intérieur. J'ai lu, il y a bientôt (ou plus de ?) vingt ans deux tomes du journal de Claude Mauriac ; il fait, depuis lors, partie de ces écrivains dont je ne cesse de me dire qu'il faudrait que j'y revienne.

Le roman est un collage de paragraphes qui correspondent à des bribes de monologue intérieur émanant d'une quinzaine de personnages, dont le point commun est qu'ils se trouvent tous aux alentours du carrefour de Buci entre cinq et sept heures, un soir d'été. Dans le principe, le texte est très proche d'expérimentations du Nouveau Roman, lorgnant surtout du côté de Butor, mais pas si éloigné que cela, non plus du Perec topographe. L'organisation métonymique en cycles de romans penche du côté d'un autre Claude, que j'aime beaucoup, Claude Ollier.

Dans la forme des discours, l'influence du modernisme anglais (Woolf, sans doute, mais plus encore Ford Madox Ford — Claude Mauriac a-t-il pu lire Ford Madox Ford ?) est très présente, peut-être aussi par le prisme de deux autres écrivains généralement estampillés Nouveau Roman, Nathalie Sarraute et Robert Pinget. [Je ne sais pas si une étude comparée entre la géographie polydiscursive de Mauriac ici et le territoire faulknérien imaginaire de Pinget a été tentée ; toujours est-il qu'elle est tentante. [Je signale beaucoup, dans ce qui précède, quels auteurs ou projets romanesques ce roman m'évoque. C'est un point de départ, évidemment.]]

Aucune étude n'ayant été consacrée à la traduction de l'œuvre de ce Mauriac-ci, je compte me procurer les trois autres volumes de la tétralogie susdite, mais aussi les traductions anglaises, autant que faire se peut, afin d'examiner certains points. J'ai déjà en ma possession l'édition anglaise, The Marquise Went Out at Five. Ce sont les points suivants qui me frappent particulièrement, à mi-chemin (et je les note ici, c'est aussi commode) :

    • structure du discours et intertextualité avec le modernisme anglais
    • parler populaire / traduction des phrases fautives
    • le citationnel
    • les amplifications du rythme ternaire (cf l'incipit par exemple)

 

La raison pour laquelle je me résous à poster ces bribes d'un début de chantier ce soir, c'est en raison d'une double coïncidence. ╩╦ Mon épouse a acheté aujourd'hui un album des BB Brunes dont la sixième chanson s'appelle “Rue de Buci” ; elle a attiré mon attention sur le poème de Prévert, que j'avais oublié, pour le dire pudiquement, “La rue de Buci maintenant”, que j'ai donc lu et qui doit relever, versant Mauriac, d'une intertextualité délibérée.

lundi, 02 décembre 2013

Trois poinçons

Un loup tué dans le Var.

Des moniteurs d'équitation qui essaient de comparer leur changement de TVA à l'augmentation de 13% du prix du pain.

Une université anglaise qui doit se censurer pour avoir dit la vérité (à savoir que la littérature jeunesse n'est pas de la “grande littérature”)*.

Mais quel est ce monde...


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* À noter qu'un bref échange que j'ai eu sur Twitter avec un auteur de littérature jeunesse, comme on dit, s'est achevé abruptement par ce message du dit : “Kent University has apologized. Stop digging.” — Même si je comprends parfaitement que dig signifie ici ‘chercher des poils sur les œufs’ (pour rester poli), je trouve très édifiante cette métaphore. Quoi de plus emblématique de ce qui s'est joué, sur les réseaux sociaux, entre une horde de non-penseurs bien-pensants et quelques universitaires, que cet écrivain de livres pour enfants qui clôt une discussion par un ordre, et par le refus de creuser ?

dimanche, 07 juillet 2013

(la bonne blague)

Perdu enfin dans la chaleur polluée de la grande ville. — Jusqu'à quand devrons-nous retarder le départ pour nos campagnes ?

(Ce n'est pas qu'elles soient belles : grêlées de hangars, salies de panneaux publicitaires aussi, creusées de mille petits néants qui les scarifient. Mais elles sont, tout de même, le havre.)

Tours, polluée, bruyante. Fenêtres ouvertes le soir — chambard des motos, heureusement les merles font du bazar. Il faudrait reprendre les poèmes en anglais du printemps (les compléter aussi). Manque l'énergie, ou l'envie, ou quoi. Difficile de dire.

Depuis que j'ai recommencé à m'échiner sur de piètres ponctuations (j'avais trente ans depuis pas longtemps), je devrais enfin enfoncer le coin de fer dans l'œil de Cyclope, je veux dire faire œuvre, tuer la vision dans l'œuf. Lire Bergounioux aide à décanter ——— et n'aide pas, en même temps, enfonce sans secours.

C'est étonnant tout ce que j'ai lu et qui n'aide à rien.

Écrire non plus, depuis si longtemps, n'aide à rien.

Dire que j'ai cru reprendre (la bonne blague). Parmi les dizaines de bouquins entassés, prêts à rejoindre, eux aussi, nos campagnes, j'aurais dû reprendre les Cahiers de Valéry (depuis le temps...)

Il y a cette servante qui plaisante, cette plaisante accorte domestique qui m'a plaqué au sol (je n'avais pas prévu de m'étaler ainsi, de m'étendre), s'est rendue maîtresse, sans bonté mais tout étant. 

dimanche, 30 juin 2013

Notes, à la table carrée de métal noir

J'écris dehors. Il fait encore (bien) jour.

J'écris dehors, pour la première fois de la saison, si peu avant de partir, à la table carrée de métal noir.

La ville est un raffût.

La ville (même ici — surtout ici (dehors)) est un chambard. Merles, certes, grenouilles, mais surtout grondement ininterrompu de véhicules dont le son me parvient de la deux fois deux voies.

Vivre en ville me semblait quelque chose d'atroce, enfant ; je ne suis pas certain d'avoir tout à fait changé d'avis.

 

image201306300008.jpgOmissions. Le prunier a beaucoup forci. Quand le réverbère s'allumera, je ne pense pas pouvoir, comme les autres années, lire à sa lumière, sous le prunier.

La ville (même ici) a ses verdures, contraint de faire, autant que possible, pousser arbustes, buissons, arbres.

 

Trille du merle à l'instant, bonsoir.

La ville est un raffût. ——— Questions. Ce matin, en surveillant Oméga cycliste, j'ai lu, sur le rond-point, les quatre premiers chapitres des Lieux-dits.

Bergounioux aussi me raccompagne (ses carnets (: son journal)).

mardi, 04 juin 2013

Mirages, les deux vanités

Ce n'est pas le foutoir total, ce n'est même pas le foutoir du tout, mais enfin, ma vie n'est pas très ordonnée non plus. C'est à cela que je songeais, très entre autres choses, cette nuit, sur le canapé rouge, entre trois heures et sept heures du matin, après un réveil très (très quoi ? matinal? “précoce” ? faut-il écrire tôtif comme Renaud Camus ? mettons x, donc :) X, je me suis forcé à me réveiller d'un début de cauchemar atroce, ai donné à manger à la chatte (qui m'avait pesé sur les jambes), elle est sortie, je me suis installé à lire dans le canapé rouge, au bout de trente ou quarante minutes, elle a remiaulé derrière la porte de l'escalier, a rôdé dans la maison, est venue me rejoindre sur le canapé, je lisais et me disais que ma vie n'est pas très ordonnée. Déjà, le monde est un foutoir. Tout le monde parle du froid, c'est vrai, c'est notable, jamais vu ça, j'ai bientôt quarante ans – le chauffage “se relance” à six heures du matin, un 4 juin, invraisemblable – mais le plus marquant, ici, c'est le vent, fort et froid, vent fort depuis plusieurs années, tous ces connards de promoteurs et d'édiles n'ont qu'à continuer à tout ratiboiser pour planter des résidences, de moins en moins d'arbres et de plus en plus de permanentes demi-tempêtes. Bref, le foutoir. Ma vie, nettement moins foutraque, mais enfin...

Je pensais surtout à l'anniversaire imminent de ces carnets (huit ans après-demain que j'écris et publie en direct mes écrits, par jets et aussi par intermittences, n'ai-je pas fêté récemment le trois millième “billet”?), à mes très vagues sans cesse réimaginés et sans cesse remis à plus tard projets de rassembler tel ensemble de textes sous forme de livre, envoyer à un éditeur etc. Non que je ne l'aie jamais fait : longtemps avant Touraine sereine, j'ai envoyé une sorte de roman à P.O.L. (en 1997), un recueil de poèmes au Dé bleu (en 2000, je crois, ou peut-être même 1999), et enfin J'allaite le nouveau Kant, dans une version remaniée, à Harpo&, en 2006 (ou 2007?). La réponse que j'ai reçue de l'éditeur (et que je n'ai pas gardée, comme je ne possède pas (plus) la moitié des tapuscrits rédigés sous d'autres formats, en d'autres époques (disquettes Mac désormais illisibles, je ne sais même pas où elles sont)), en cette dernière occasion, était très encourageante : très en gros, il m'écrivait qu'il n'était plus en mesure de publier de nouveaux textes, commentait favorablement mon petit livre, et je sentais en effet sincèrement, entre les lignes, que mon texte était largement, selon lui, publiable. Tout cela est marqué du sceau d'une totale vanité : non l'arrogance de l'auteur enfin publié (il se publie tant de sombres merdes, y compris dans le créneau “poésie”, y compris dans le créneau textes abstraits ou semi-abstraits) mais la vanité de la publication elle-même, le côté tout à fait dérisoire qu'un texte qui a pu être lu ou parcouru par quelques dizaines d'internautes devienne un volume de papier qu'achèteront ou liront peut-être 100 ou 150 âmes. Ce sentiment absolu de la vanité de toute mon entreprise est la raison pour laquelle je n'ai jamais vraiment soumis de textes. Il y a un an et demi, quand j'ai écrit, en 37 jours (c'était le dispositif), Exister est un plagiat, c'était dans l'optique d'obtenir, à l'issue des 37 jours, un texte à peu près publiable (c'est-à-dire soumissible) tel quel. Dès l'écriture achevée, je me suis lancé dans la mise en forme, sous Word, du texte fini (dont le titre devenait La Crise de la dette grecque) mais ai aussitôt été pris entre trois feux contraires : la lassitude de reprendre, si peu fût-ce, un texte déjà écrit ; l'envie de me lancer dans de nouveaux projets d'écriture ; la tentation de transformer la version Word du texte déjà publié dans Touraine sereine en quelque chose de radicalement autre, avec ajouts de textes plus anciens, renvois en marge, écriture sur trois colonnes, bref, un truc tentant mais absolument incompatible avec mon tempérament velléitaire.

Donc, à quoi bon, à quoi bon, à quoi bon, à quoi bon, le tout répété ad lib. ad lib. ad lib.

Ce qui n'a pas peu contribué à ma réflexion sur cette vanité, et sur la question des caps, outre l'imminence du huitième anniversaire de Touraine sereine et (on dira, pour aller vite) de mes 40 ans, c'est la découverte, hier matin, sur une table de cette librairie que je n'aime pas et où je ne vais que forcé, d'un “roman” que publie un ancien camarade de classe préparatoire, lequel, jadis médiocre connard doublé d'un fat dénué de tout sentiment de son propre ridicule, s'avère (après des échanges privés, sur Facebook, avec une amie qui l'a côtoyé plus récemment) être resté le même crétin manipulateur bouffi de suffisance. Tout est parti de la lecture, en librairie (mais on les trouve aussi sur Google Books), des 5 premières pages du roman, qui sont d'une indigence totale. Clichés, tics d'écriture à deux balles, pauvreté du lexique, métaphores lourdingues lourdement élucidées... c'est si mauvais qu'on se croirait dans un Marc Lévy, ou dans un Gérard de Villiers repassé à la moulinette du campus novel. C'est à ne pas le croire : on pense toujours qu'il faut n'avoir rien lu, ne rien connaître, ne rien comprendre, pour pondre de pareilles bouses. Or, ce n'est pas le cas : on peut être passé par “la prépa”, avoir dû lire les grands auteurs de la littérature européenne, les avoir fréquentés assidûment, et même être devenu “spécialiste de la Renaissance florentine”, en l'occurrence, sans être capable du moindre recul critique sur soi-même, et pouvoir, sous son nom, débiter de pareilles insanités canivellesques. À vingt ans, il m'avait dit que je ne pouvais pas le comprendre parce qu'il était “rebelle” (sa rébellion (sa rebellitude ?), en l'espèce, s'exprimant dans son goût pour les Guns & Roses). On avait ironisé ensuite, pendant des semaines, avec plusieurs amis, sur le fait que tout ce qu'il y avait de rebelle, chez lui, c'était sa mèche (et en plus : même pas).

Il était d'un conformisme affolant, appartenant à une catégorie très définie, très caricaturale, sans du tout s'en rendre compte. Nous appartenons tous à une ou plusieurs catégories simplifiables : pour ma part, je pourrais écrire un autoportrait caricatural en soulignant tout le banal de mes aversions, la symptomaticité de mes goûts (à commencer d'ailleurs, sans doute, par la manière dont je dézingue, ici même, hic et nunc, ce pauvre garçon dont la personnalité n'est probablement pas assez éloignée de la mienne (d'où mon angoisse, etc.)). Nous appartenons tous à la catégorie de ceux-qui-etc., mais lui, pas plus aujourd'hui (semble-t-il) qu'à vingt ans, n'a jamais eu le moindre recul, aucun Surmoi en quelque sorte.

Bien entendu, je brode. Ce qui m'intéresse, dans ce type, c'est ce que cette découverte m'a dit de moi, de mon passé, d'une lecture possible de mon trajet. Que puis-je savoir des changements réels ou non de l'ancien condisciple devenu piètre romancier ? Il est toujours possible, le garçon en question ayant toujours été guidé par le fric le fric le fric, qu'il soit parvenu à produire quelque chose de formaté, en imitant Musso, Lévy et autres Gavalda de douzième rayon et en se disant qu'il y avait là une niche, du Musso-pour-les-mussophobes. Peut-être même est-ce une commande : après tout, il est aussi l'auteur de quatre romans policiers sous pseudonyme (navrants, me suis-je laissé dire), et doit avoir des tuyaux. Je ne sais pas. Mais tout de même. Ça laisse rêveur. Et donc, ce qui laisse rêveur, c'est que, dans un monde “éditorial” où on peut publier de pareils néants, de surcroît sous la plume d'un “universitaire” qui n'hésite pas à signer de son nom le néant en question, on se dit que la vanité est totale.

Autre embranchement, plus complexe, et je crains fort, sur ce coup-là, de paraître d'une prétention infinie. Hier, C*** a lu un livre qui lui a été offert pour son anniversaire, un très beau livre de (très émouvants) dessins (j'écris dessins pour aller vite) de Barcelo, accompagnés de (ou qui accompagnent des) quatrains de Michel Butor. Or, ainsi que nous nous en étions déjà aperçus lors d'un rapide feuillettage, soit Butor commence à devenir méchamment gâteux, soit il sait qu'il peut refourguer n'importe quoi (he'll get away with it, donc). Les quatrains sont parfois réussis, souvent amusants, mais, dans leur caractère ludique même, tout à fait dérisoires. Dérisoires parce qu'ils ne sont que cela, ludiques, et parce que, signés Butor, on s'attend à autre chose, tout de même.

Ici, une précision s'impose : je suis un grand admirateur de Butor, notamment de la série des Génie du lieu, dont j'ai déjà écrit à plusieurs reprises, ici et ailleurs, qu'elle est, avec le “Projet” de Roubaud et les Eglogues de Renaud Camus, un des sommets de l'écriture des 70 dernières années. Cette admiration ne m'empêche pas de savoir que Butor a, depuis longtemps déjà, souvent cédé à la facilité. Mais même cette facilité était toujours dix fois plus profonde que le labeur poussif de 95% de ses contemporains ou de ses épigones.

C'est ici qu'intervient l'élément qui pourra être interprété comme de l'arrogance la plus scandaleuse (mais au moins, j'ai le mérite de suivre mon sillon et de ne pas craindre de sembler ridicule). Face à ces quatrains, je me disais que la plupart de mes mirlitonneries vite torchées de ces dernières années, notamment celles qui sont nées sur Facebook par pur désir de distraction (les distiques (ribéryens ou non), les quatrains conversationnels), pourraient, semblablement, être publiées en regard de dessins, si, à tout le moins (et, comme on va le voir, il s'agit de sérieux bémols), 1) j'avais des connaissances dans le milieu éditorial 2) j'étais mis en relation avec des dessinateurs, peintres etc. 3) je m'appelais au préalable (et avec tout ce que cela implique en amont : une œuvre aussi maigistrale que géniale) Michel Butor.

(Vous étiez prévenus, il y a là un paragraphe à me rendre plus ridicule que les 220 pages du navet pondu par mon ancien condisciple des années bordelaises.)

Donc, pour en revenir à mon cheminement, si je me décide à soumettre de nouveau des textes à tel ou tel éditeur, ne serai-je pas dans une posture assez identique à celle dont je me gausse chez le crypto-Musso (la crise de la quarantaine (comme l'a écrit une de mes amies avec qui nous échangions au sujet du roman en question : « La crise de la quarantaine, c'est bon pour personne »), la vanité d'auteur, le prof qui joue au poète), ou dans la posture du sous-sous-Butor, ce qui n'est guère mieux ?

 

Pourtant, je sais que certains de mes textes, certains de mes ensembles de textes ont (auront (auraient (remaniés (c'est là le hic)))) une qualité intrinsèque qui ne fait pas de moi un génie mais, au moins, un honnête tâcheron de la Littérature. Alors, que faire ? Une fois encore, en lieu et place de la bouteille d'encre qui ne sert qu'à blanchir, je n'aurai débrouillé l'écheveau qu'afin de comprendre moins encore.

mercredi, 22 mai 2013

Les enfances Chino

Ce texte foisonnant, fait de redites, de reprises et d'élucubrations assumées (entre un marquage esthétique hérité du premier surréalisme et un travail formel plus élaboré), creuse, sans craindre prolifération ni prolixité, le motif de la rencontre entre une enfance briochine et de nombreuses œuvres (gravées ou peintes) de Goya. Nombreuses phrases brèves, abus des ruptures. Tel quel, et malgré son côté massif, le “roman” se prête, sans autre tripatouillage qu'un choix, la sélection, à un opéra, ou toute autre mise en voix : jouant sur des registres croisés complexes (populacier, puéril, savant, sportif, médiéval, litanique, latiniste, etc.), le “récit” appelle la scène et l'art lyrique.

Prigent semble tenter, non de circonscrire, mais, au contraire, de laisser déraper (halluciner) la parole du monde minuscule dont il fouille les recoins. Ce monde minuscule (petite communauté bretonne, enfance difficile à « faire parler » (j'en reviens toujours à ce qui est, pour moi, le modèle absolu, Kotik Letaiev (or, je m'avise, en mettant en forme aujourd'hui [22 mai] les notes manuscrites à l'encre rouge [du 13 mai], que Prigent a préfacé l'édition française de Glossolalie))) s'avère colossal parce que la langue doit, a pour tâche de, proliférer.

Educuntur

Pour l'hallucination, bien sûr, Goya se pose là.

Tenter de dire une enfance d'après-guerre et le monde pré-postmoderne au miroir des pointes de Goya, c'est ouvrir sciemment une boîte de Pandore.

D'ailleurs, dans l'adverbe sciemment, le français constitue le savoir sur la faille entre une découpe (qui fait gicler la parole) et le mensonge (qui explose ou cèle). — Explosion-dissimulante et giclure se retrouvent (trop) abondamment dans les (trop) nombreuses explorations scatologiques du texte. La surabondance scatologique ne m'a pas dérangé (ce qui serait accorder trop de poids à son caractère transgressif, devenu tout à fait trivial et inutile), mais elle me semble déséquilibrer le texte, le faire basculer trop souvent ou trop massivement dans le puéril/carnavalesque, aux dépens des autres voix qui travaillent ces enfances au pluriel.

 

 

Au cours de ma lecture, j'ai noté, comme à l'accoutumée, plusieurs références à telle ou telle page, pour telle ou telle incursion dans mon Livre des mines, ou d'excursions dans le texte des bords de Loire. J'espère ne pas les laisser décanter trop longtemps, en général cela se traduit par un ensevelissement sans exhumation.

 

 

Tout à trac, je dédie, in extremis, la publication de ce billet, en ce jour, à l'écrivain qui fête aujourd'hui son soixantième anniversaire, l'auteur de Sortie d'usine, Paysage fer, Limite, Tumulte et d'Après le livre (pour ne lancer qu'un nombre limité de rails). Après tout, Prigent, dans Les Enfances Chino, multiplie et démultiplie les variations autour du prénom François. Il n'y a pas qu'opportunisme chronologique contingent dans cette mienne dédicace.