lundi, 29 août 2005
Eve la blonde, de Lise Deharme
Cela fait bientôt deux semaines que j’ai lu, au cours d’une journée indécise, par à-coups ou petites touches, ce roman de Lise Deharme. Vous saurez que j’avais commandé ce roman auprès d’un libraire d’occasion, qu’il m’a coûté dix euros, port inclus, et que c’est une édition originale (ce que ne signalait pas la fiche descriptive du site Web (la cerise sur le gâteau en quelque sorte)). Comment m’était venue l’idée de lire un roman de Lise Deharme, qui ne m’était connue, jusque là, que de nom, sorte d’égérie des surréalistes, figure un peu dix-huitiémiste et salonnarde, une égarée, ou plutôt non, une intempestive – comment donc était née cette idée saugrenue? Dois-je l’avouer? L’idée m’en vint, ainsi qu’à ma mère, après la lecture d’un article du dernier Bulletin de la Société de Borda paru, car Lise Deharme passa quelque temps dans les Landes, à Tartas je crois (j’ai déjà tout oublié de cet article, et il est chez mes parents).
Au cours de ma lecture, je cornai certaines pages, fort proprement, comme je l’ai vu faire, afin de retrouver facilement des passages distingués, à mon ami F***, lors de nos années normaliennes, et mon respect des livres était tel que je trouvai cela sale, ou ne me convenant pas, avant de finir par adopter quelquefois ce système, par commodité, mais persistant, une fois les passages utiles notés ou employés, à décorner les pages, de sorte que, reprenant le livre longtemps après, la traque des pages distinguées est plus subtilement ardue encore, à moins que je n’aie préféré, comme il m’arrive, noter sur un morceau de papier les numéros de page, parfois assortis d’une notation brève, système auquel je viens d’avoir recours lors de ma lecture de Napoléon VII de Javier Tomeo, petit roman sur lequel je ne désespère pas d’écrire prochainement une note, en essayant de moins me perdre en oisives circonlocutions et inactifs préambules et ronds-de-jambe rhétoriques, comme pour celle-ci, que vous lisez, vous demandant, à quand Eve la blonde?
Elle arrive, justement. Je dirai peu de mots du roman, mais je recopierai ensuite quelques extraits de ce roman introuvable, qui correspondent aux pages cornées.
……………
En écoute : "God’s Grandeur" (extrait du cycle des poèmes de G.M. Hopkins mis en musique par Britten sous le titre général A.M.D.G. / Chœur Polyphony, sous la direction de Stephen Layton / Hyperion Records, 2000 – CDA67140)
14:10 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (4)
Dominique et Dante
J’ai retrouvé avec plaisir, en rentrant ici, à Tours, mercredi dernier, notre demeure, et notamment ma table de chevet, plus chargée de livres que la barque de Dante. Justement, j’ai repris ma lecture, interrompue début juillet pour cause de vacances, de La Divine Comédie, dans l’édition bilingue parue il y a peu aux éditions La Différence (très belle traduction de Didier Marc Garin).
Jeudi soir, je lus les chants XXX à XXXIV de l’Inferno. Par une de ces coïncidences si fréquentes, et qu’accentue la lecture simultanée de quatre ou cinq livres au minimum (as is my wont), j’ai lu vendredi, le lendemain donc, l’opuscule de Dominique Fourcade, en laisse, dont le meilleur texte est d’ailleurs, à mon avis, celui qui donne son titre au recueil et s’inspire de l’une des photographies représentant les sévices subis par les prisonniers irakiens dans les geôles américaines. Fourcade cite à deux reprises le tercet suivant, extrait du chant XXXI :
Cercati al collo, e troverai la sogache’l tien legato, o anima confusa,
e vedi lui che’l gran petto ti doga.*
On pourrait, je pense tenir un répertoire de ces coïncidences souvent frappantes, et qui éclairent les œuvres lues sous un jour nouveau, qui est peut-être celui, aussi, de la maigre existence du lecteur
* Traduction de Didier Marc Garin :
Cherche à ton cou, tu trouveras la sanglequi le** tient attaché, âme confuse,
et vois-le** qui barre ton grand poitrail
** Les deux pronoms le font ici référence au cor de Nemrod, auquel Virgile ici s’adresse.
Fourcade, lui, traduit différemment, avec un faux-sens sans doute délibéré qui lui permet de relier, justement, ces beaux vers à la situation infernale que représente la photo du soldat irakien tenu en laisse comme un chien : cherche au cou tu trouveras la laisse qui te tient lié (Dominique Fourcade. en laisse. Paris: P.O.L., 2005, p.46).
10:00 Publié dans Lect(o)ures, Words Words Words | Lien permanent | Commentaires (0)
Esprit, es-tu là ?
Hier soir, dans la courette sise entre la rue et notre maison, A., mon fils, jouait.
Confortablement installé dans un fauteuil de jardin, je feuilletais – quoi ? un numéro récent de la revue Esprit. Puis j’entrepris de lire le premier article, par un certain Jacques Dewitte, et consacré à la question du mal dans le dernier livre publié par Coetzee, Elizabeth Costello. Le sujet m’intéresse à plusieurs titres: la littérature africaine est mon domaine d’étude principal, et j’ai, à ce titre, publié plusieurs articles sur certains écrivains sud-africains, Breyten Breytenbach notamment; j’ai lu la plupart des grands romans de Coetzee, pour qui j’ai une admiration modérée et dont j’essaie toujours de comprendre pourquoi, aux yeux de la quasi totalité de mes collègues, c’est un tel géant des lettres; j’ai lu Elizabeth Costello, dès sa sortie, et donc juste avant l’attribution du Prix Nobel de Littérature 2003 à Coetzee, et c’est un livre qui m’a fasciné et tourmenté nettement plus que les autres textes de cet auteur, à tel point que, sous le coup encore de cette lecture, je fus presque convaincu, début octobre, que Coetzee n’avait pas volé son Prix Nobel (alors qu’il s’agit en partie d’une usurpation ou d’un malentendu).
Ultime raison de m’intéresser à cet article, j’avais vu, en parcourant la revue, qu’il était essentiellement consacré à la sixième "conférence" de l’écrivain imaginaire éponyme. Or, à l’automne 2003, ce texte-là avait d’autant plus d’intérêt pour moi qu’il y était longuement question de Paul West, que j’avais découvert depuis plusieurs mois, que je lisais assidûment, et que je finis par rencontrer en octobre 2003, à l’occasion du colloque qui lui était consacré à l’Université François-Rabelais (colloque organisé par ma brillante collègue américaniste Anne-Laure Tissut). De quoi titiller particulièrement ma curiosité, donc.
Pour résumer le propos de cette sixième partie du livre de Coetzee, Elizabeth Costello, écrivain entièrement fictif sorti de l’imagination de Coetzee et personnage principal du livre, s’apprête à donner, au cours d’un colloque, une conférence plénière sur la relation entre le Mal et l’esthétique. Sa conférence repose entièrement sur une lecture qu’elle vient de faire, et qui l’a hantée et tourmentée: il s’agit d’un roman de Paul West intitulé The Very Rich Hours of Count von Stauffenberg dont le sujet est le nazisme, et le personnage éponyme un tortionnaire nazi. Elizabeth Costello décide de dénoncer l’écrivain qui, en représentant le Mal, y participe et aggrave encore les crimes des nazis. Point de vue moral et esthétique qu’elle éclaire longuement, dont il est difficile de dire à quel degré Coetzee lui-même, l’auteur, le partage. Bref, si cette question vous intéresse (et elle mérite votre intérêt, ainsi que le livre de Coetzee dans son entier), le mieux est de se reporter au texte (en anglais, ou en français, comme M. Dewitte, qui, semble-t-il, n’a pas travaillé à partir de l’original).
Voici maintenant où je voulais en venir. Je lus donc l’article de M. Jacques Dewitte, qui me sembla enfoncer quelques portes ouvertes, décrire plutôt qu’analyser, autant dire qu’il n’apportait rien de neuf, aucun éclairage particulièrement saisissant, mais que, faisant le tour de la question, il s’agissait d’un article plus érudit qu’incisif, bref, un article de critique honnête. J’insiste sur cet adjectif (honnête), car je ne m’attendais en rien au coup de théâtre qui m’a cueilli à froid, à l’avant-dernière page de ce texte qui en compte vingt-et-une. Figurez-vous qu’après avoir consacré toute sa recherche au discours critique d’Elisabeth Costello (écrivain fictif et héroïne de Coetzee) sur un roman de Paul West, écrivain américain connu, reconnu, prolifique, traduit en français… eh bien, M. Dewitte écrit ceci :
"Il peut se produire chez celui qui lit une décharge d’énergie irréductible à une simple "représentation". C’est ce dont a fait l’expérience Elizabeth Costello, personnage imaginaire de J.M. Coetzee, en lisant le livre imaginaire de Paul West, autre romancier imaginé par Coetzee : un choc bien réel, une rencontre effective avec le Mal qui n’est pas seulement décrit, représenté, mais transmis par ce canal comme un courant électrique..." (J. Dewitte. "La dupe de Satan. Une réflexion de J.M. Coetzee sur le Mal". In Esprit, juin 2004, n°6, pp.24-5, gras ajouté)
Insensé ! Pour le coup, le choc bien réel, c’est moi qui l’ai subi de plein fouet. Ainsi donc, ce chercheur n’a pas cherché plus loin que le bout de son nez, et, par l’omission de ce qui devait lui sembler un simple détail, fait s’effondrer tout son échafaudage tel un château de cartes balayé par une porte claquée! C’est du joli, comme on dit familièrement. Paul West appréciera de devenir seulement un personnage de Coetzee. Je crois savoir, déjà, qu’il n’a pas tellement apprécié le point de vue avancé au sujet de son roman, ni le portrait peu flatteur que le texte brosse de sa personne (car West, et c’est là l’une des astuces de la sixième "conférence", est présent lors du colloque).
Comment, mais comment un critique peut-il s’atteler à un sujet dont il ne connaît pas le premier mot! Toute la subtilité du texte de Coetzee vient justement du fait qu’il mêle la lecture d’un écrivain célèbre fictif et d’un roman qui existe réellement. Si on ne voit pas cela (par défaut d’érudition, de curiosité intellectuelle ou peut-être d’intelligence), on ne comprend rien à l’argumentaire équivoque de Coetzee, qui attribue justement le discours éthique sur la réalité de l’effet d’une œuvre d’art à un personnage, et non à une personne réelle; la double pirouette réside dans l’objet de la critique costellienne, le roman de Paul West, qui existe, et dont le lecteur réel peut prendre connaissance afin de mieux comprendre la distance possible entre ce que dit Elizabeth Costello (ce que Coetzee lui fait dire) et le point de vue de Coetzee, lui-même créateur.
Dans la courette de gravier, j’eus le souffle coupé. Il va de soi que ma désapprobation n’épargne pas la rédaction de la revue Esprit, que je tiens pourtant en haute estime mais qui, semble-t-il, ne procède pas toujours à toutes les vérifications. A tout moment, dans une telle situation, l’affaire Sokal peut se reproduire… Errare humanum est, certes, mais les humanités sont tombées assez bas, quand même.
06:54 Publié dans Indignations, Lect(o)ures, WAW | Lien permanent | Commentaires (2)
samedi, 27 août 2005
Tatamkhulu Afrika
J'ai dilapidé - dans la fièvre des pierres, la rêverie des terres - une bonne partie de ma soirée à me replonger dans l'oeuvre poétique de Tatamkhulu Afrika. Il y avait quelque temps que je n'avais pas ouvert ces cinq recueils ou plaquettes que S°°° m'avait envoyés il y a trois ans et demi. J'avais découvert là, par-delà mon admiration pour le prosateur hors pair, l'un des plus grands poètes de langue anglaise de ce siècle.
J'ai pour tâche, l'ayant promis à la suite d'une discussion sur le Forum de la SLRC, de retrouver un poème qui célèbre l'amour des garçons, et je penche en faveur de "War Mate", qui se trouve dans le recueil Turning points.
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Sinon, la journée a été paisible dans les involutions du corps, mais mouvementée pour l'esprit. Plusieurs notes écrites à la main et pas encore recopiées, car il faut bien que C. prépare son cours de rentrée sur Les Châtiments, tout de même. De surcroît, pour répondre à une question posée dans un commentaire, je ne peux toujours pas accéder à mon compte de courrier électronique. Ce soir, le réparateur m'apprend que la panne de mon ordinateur portable concerne l'écran et la "nappe" (?), qu'il y en a généralement pour "dans les trois mille balles" (j'aurais dit "400 à 500 euros", mais bon...). On se dirige droit vers un nouvel achat...
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Nous avons aussi visité l'exposition Jean-Gilles Badaire au Château de Tours (j'en reparlerai demain, pour son dernier jour (foncez!)).
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Pour s'y retrouver dans les personnages de ce carnétoile
S°°° est une jeune femme qui a soutenu il y a deux ans une thèse fort brillante sur Breyten Breytenbach, et avec qui j'ai longtemps été en correspondance suivie avant de la perdre de vue ces derniers temps.
22:02 Publié dans BoozArtz, Lect(o)ures, Moments de Tours | Lien permanent | Commentaires (1)
En lisant Enrique Vila-Matas
Vendredi, 17 h 15
J'ai un peu triché dans ma lecture de Pour en finir avec les chiffres ronds, car je n'ai pas scrupuleusement, systématiquement fait alterner les chroniques 0+n et 53-n; autrement dit, j'avais commencé à lire la 1ère, la 52ème, la 51ème, la 2ème, la 3ème, etc., mais je ne me suis tenu qu'irrégulièrement au principe de ce voyage vers le centre du livre. Mais la plus grave violation (alors que j'avais lu les dix premières et les six dernières chroniques) vient d'être commise, car je n'ai pas résisté à l'appel d'une chronique située bien en-deça de la 47ème, qui est consacrée à Macedonio Fernandez, dont je sais qu'il inspire toujours Vila-Matas, et quoique n'ayant jamais lu cet auteur argentin que par l'intermédiaire du merveilleux Catalan.
..............
Au bas de la feuille griffonnée, on peut lire les inscriptions suivantes:
Projets des notes:
* Comment j'ai découvert EVM
* Comment j'ai lu les romans d'EVM
* Comment je voudrais relire EVM
20:00 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (0)
Un beau vers ()
Samedi, neuf heures et vingt minutes.
Je griffonne cette note au dos d'une fiche d'étudiant de 2004-2005, celle de Pauline, une étudiante sérieuse qui suivait mon cours de littérature britannique de Deug II. Ces fiches, une fois caduques, me servent, comme tant d'autres documents désuets, courriers inactuels, de papier brouillon, et j'ai oublié ce que je voulais écrire, si ce n'est que, guetteur mélancolique, tout à l'heure, fenêtre ouverte avant l'aurore, contemplant la rue obscure, m'est revenu ce beau vers de John Clare que je commente et fais étudier, justement, pour le cours de littérature britannique:
My friends forsake me like a memory lost
........... ce qui, entre le moment où je pensai à ce vers, celui où j'écrivis le premier état de la note (ci-dessus) et maintenant, implique une sédimentation de trois moments................
18:32 Publié dans Lect(o)ures, Moments de Tours | Lien permanent | Commentaires (0)
L’appel de l’abréviation
Vendredi matin
Au moment où, dans la presse - spécialisée ou non – il n’est question que du nouveau roman de Bret Easton Ellis, Lunar Park, autofiction largement inspirée de American Psycho, je me surprends à me rappeler ma lecture de ce roman, au printemps 2000, mais aussi (comme je jette ces quelques lignes sous forme abruptement télégraphique, sur une feuille de papier) à m’interroger sur la coïncidence entre les initiales de l’écrivain et le sigle français du Bureau Européen de l’Environnement, dont mon père est, depuis quelques années, l’un des responsables, ce qui ne va pas sans susciter quelque inquiétude, car Lunar Park se fait aussi l’écho des malaises de l’écriture après la mort du père.
09:35 Publié dans Hors Touraine, Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 26 août 2005
Addendum à Plieux (II)
J'oubliai de signaler aussi, entre autres désirs brûlants, que la visite du château de Plieux m'a donné l'envie de me replonger dans L'Inauguration de la Salle des Vents (Fayard, 2003), maintenant que j'en connais de visu le principal et éponyme personnage. C'est un roman admirable, qui, de surcroît, fut le premier que je lus lors de notre emménagement dans la maison de Tours, où je viens de revenir.
15:59 Publié dans Hors Touraine, Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 25 août 2005
Voleur de voix
L'une des particularités de cette phase critique, c'est que je suis contraint de ne plus tricher dans le recours à l'écriture, et que je publie en direct les notes, n'ayant pas, de toute manière, l'occasion ni le temps de préparer des notes plus élaborées dans un document Word. Plusieurs projets de notes me traversent l'esprit, mais je suis affairé ailleurs, presque désintoxiqué de l'écran et du clavier, et elles restent dans les limbes.
Cet après-midi, première petite promenade à Tours, depuis la mi-juillet, et nous avons contemplé tout notre soûl les belles façades de certaines rues du vieux Tours, et notamment dans la rue du Mûrier, où je pris naguère une photographie reproduite par Simon sur son blog.
Comme j'ai commencé de lire, hier soir (en alternance avec Saint-Simon et les chants de Dante) Marelle de Cortazar, un texte qui se donne à lire selon plusieurs plans possibles, le plan de lecture totale étant non linéaire, je me suis surpris à commencer tout à l'heure la lecture de Pour en finir avec les chiffres ronds de mon cher Enrique Vila-Matas en faisant se succéder la 1ère notice, puis la 52ème, la 51ème, la 2ème, etc.
19:13 Publié dans Flèche inversée vers les carnétoiles, Lect(o)ures, Moments de Tours | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 21 août 2005
Deux nouvelles de Florian ("Claudine" et "Valérie")
Lues dans l’anthologie des Nouvelles du XVIIIème siècle (“Bibliothèque classique”, Le Livre de Poche), ces deux nouvelles présentent deux facettes résolument divergentes de Florian nouvelliste, lui dont je ne connaissais que les fables (qui n’ont, souvent, que peu à envier à celles de l’illustre La Fontaine). En effet, Claudine est un beau texte d’une grande ambiguïté thématique qui tend toutefois, de tout son long, vers une fin moralisante, Valérie paraît moins soigné, plus bâclé, mais, si la nouvelle est, dans ses thèmes, fort limpide, la structure et le sens de l’existence de la protagoniste éponyme restent bien indécidables, douteux d’un point de vue éthique, comme si l’inachèvement, l’(apparente) absence de polissage correspondait, de fait, à des sens plus détournés, plus sinueux. Voilà, de la part de l’auteur de l’anthologie, Jacqueline Hellegouarc’h, un choix fort judicieux, qui donne grande envie de lire d’autres proses de Florian, afin de s’en faire une meilleure idée.
Je n’ai pas lu la notice introductive de Jacqueline Hellegouarc’h, mais je viens de vérifier que ces deux «contes moraux» furent écrits en 1791. Je donne ci-dessous un extrait de la première page de Claudine, qui intéressera certainement les amateurs du roman gothique :
« Je résolus d’aller visiter les fameux glaciers de Savoie. […] Je ne décrirai point ce voyage: il faudrait, pour le rendre intéressant, imiter ce style exalté, sublime, inintelligible aux profanes, dont un voyageur ne peut guère se passer à présent pour peu qu’il ait fait deux lieues et qu’il ait une âme sensible; il faudrait ne parler que d’extases, d’étreintes, de tressaillements; et j’avoue que ces mots, devenus si simples, ne me sont pas encore assez familiers.» (édition citée, p.664)
08:55 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 20 août 2005
Visite de Plieux le jour de l'Assomption
(18 août, cinq heures de l’après-midi)
Quinze août, trois heures. La voiture s’approchait de Plieux, par le même chemin emprunté cinq ans auparavant, et le conducteur s’étonna du carrefour qui indiquait que le chemin de droite conduisait à Plieux (1,8 km) et que celui de gauche était recommandé pour le château (avec le sigle des Monuments historiques). Pourtant, si la visite de 2000 avait capoté car le site était fermé, une chose était sûre: le château était au cœur du village. Y avait-il là un désir particulier que les visiteurs arrivassent d’un côté plutôt que de l’autre, avec telle vue plutôt que telle autre? D’emblée, nous voici dans l’énigme.
Une fois la voiture garée sur la placette qui se trouve au bas du château, le conducteur, qui avait vu le grand portail en contrebas, s’imagina que c’était là la seule entrée, au lieu de se rendre directement au petit portillon situé tout près de la placette. (Dans tous les cas, cela doit ajouter trente mètres à l’itinéraire, et, si je fais remarquer cette autre bévue, c’est qu’elle semble montrer un goût poussé du maître des lieux, Renaud Camus, pour les ambages et bifurcations: pourquoi ce lieu aux choix cachés?)
Sonnons à la cloche! La cloche tinte! Un bruit de pas dans l’escalier. Un jeune homme finement barbu et moustachu vient nous ouvrir: ce doit être Pierre, le compagnon de Renaud Camus. Il nous demande gentiment de patienter en attendant la fin de la précédente visite (des Britanniques) et nous ouvre les deux salles jouxtant la tour, où se trouvent exposées plusieurs œuvres de Marcheschi: de quoi bellement patienter, indeed! Ces murs austères, cette pierre rugueuse et suave se prête merveilleusement aux grandes brûlures, aux jeux ignés et fuligineux du peintre. Longue admiration et déambulation.
Ensuite, notre guide revient, la visite commence, vite interrompue par un couple qui souhaite visiter mais a oublié l’argent dans la voiture. Pendant que le monsieur retourne à la voiture, nous discutons avec notre guide, qui nous explique le sens de la démarche et les techniques de Marcheschi. Trop timide jusque là pour avancer un pion, je lui fais comprendre que je connais l’artiste et la collection de réputation, mais que c’en est la première vision. “Ah, vous êtes des lecteurs du Journal, peut-être?” “Oh, du Journal et des autres pans de l’œuvre…” répondis-je.
Comme Monsieur Pierre (c’est une citation) comprend que je suis membre de la SLRC, il s’avoue confus de nous avoir fait payer. Je ne suis pas à jour de cotisation, mais la vraie raison en est que, parfois, on veut payer. (Je ne suis pas, contrairement à ma mère ou ma sœur, du genre à réclamer ma réduction enseignants à 5% dans les librairies, par exemple.)
Le monsieur revient enfin de son expédition en quête de sous, et la visite peut commencer. Je n’en dirai pas grand chose, car je crois qu’il faut visiter Plieux, non pour l’amour de l’œuvre de Renaud Camus, mais pour la singularité du lieu, qui ne ressemble véritablement à aucun autre château habité par des particuliers et ouvert à la visite que je connaisse. La «décoration» (thanked be Jean-Paul Marcheschi) y est pour beaucoup, bien sûr, et le goût du maître des lieux en matière d’ameublement et d’espaces épurés. Mais la vastitude des pièces et leur faible nombre tracent un trajet sans pareil.
Si l’on connaît l’œuvre du propriétaire, l’attente est sans doute importante, car de nombreuses pages ont servi à dessiner les contours de ce château, à faire deviner tel détail de telle pièce. La contemplation de la bibliothèque, par exemple, prend un sens différent selon que l’on est familier de l’œuvre ou non. Dans mon cas, la surprise est venue de l’escalier et de l’enchaînement des pièces, dont je n’étais jamais parvenu à me faire une idée exacte. Comme mes livres sont à Tours, je n’ai pu vérifier non plus où se trouvaient les pièces de commodité (salle de bains, cuisine), qui, naturellement, ne se visitent pas, et dont je ne parviens pas à comprendre où elles se trouvent. (Bon, j’ai une quasi-certitude, mais, plutôt que d’écrire des âneries, je préfère, pour une fois, passer pudiquement!)
Les Morsures de l’aube et Nuits sont certainement le fleuron des deux étages, mais une autre surprise est venue, pour moi, de nombreuses statuettes ou objets “primitifs”, que je pense africains (mais d’où exactement?), dont un cimier remarquable admiré dans la bibliothèque (et qui a détourné longtemps (longtemps, c’est-à-dire, à l’échelle d’une visite d’une heure au plus (hélas), deux minutes) mon attention des tranches). Héritage d’une “autre vie”, ou goût persistant de Renaud Camus pour l’art africain, dont je n’ai pas gardé le souvenir ou qui s’exprime dans des textes que je n’ai pas lus (ou qui constituerait le vrai jardin secret de l’écrivain…)?
Nous avons dû, évidemment, quitter les lieux à l’issue des quarante minutes de visite, non sans avoir posé plusieurs questions sur tel point d’histoire ou d’architecture (et notre guide fut, comme on pouvait s’y attendre, incollable). Sur le chemin du retour, une énigme n’a pas été résolue: quel pouvait être le Pléiade absent de son boîtier, entre Kafka et Mallarmé? (à vos méninges)
Une autre énigme, de mon point de vue, c’est la présence, sur les rayonnages, de toutes les pièces de Jean-Luc Lagarce, dont je ne connais qu’un seul opus, vu à Beauvais, et dont j’avais conclu qu’il s’agissait d’un dramaturge ultra-mineur, sans inventivité. La pièce que nous avions vue (en 1999) s’intitulait Derniers remords avant l’oubli, était sans intérêt tant pour son texte que pour la mise en scène, et a été montée plusieurs fois depuis, dont l’an dernier à Tours (à moins que ce ne soit une autre du même, j’ai un doute subit).
Cette fois-ci, nous ne nous sommes pas cassé le nez à Plieux. Sur le chemin de retour, nous étions encore sous le charme des prouesses brûlantes de Marcheschi et de cette rencontre curieuse, en léger porte-à-faux, entre une œuvre lue et sa matérialisation partielle.
15:20 Publié dans BoozArtz, Hors Touraine, Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (6)
jeudi, 18 août 2005
De Beckett
Une bouteille, du 1er avril dernier, qui n'était pas un poisson, quoique jetée à la mer, et qui rencontra un écho favorable auprès de sa destinataire, mais sans, à ce jour, de concrétisation.
Chère M°°°
j'ai l'esprit d'escalier, en ce moment, décidément, mais je viens de m'apercevoir que 2006 sera l'année du centenaire de la naissance de Beckett. J'étais en train de me dire... Irlande... France... arts du spectacle... culture... Beckett...?
Isn't there something to be done? Grand admirateur de Beckett prosateur, comme tu le sais, je m'associerais volontiers à un événement culture/recherche/(enseignement?)
Bises,
Guillaume
L'idée eût été, aussi, de ma part, de faire un film composé d'entretiens avec divers amateurs de Beckett (universitaires, théâtraux, écrivains, étudiants, etc.). Une autre possibilité était de créer plusieurs événements entre la date de naissance fictive et la date de naissance réelle de Beckett (soit entre le 13 avril et le 13 mai 2006, au centenaire). Maintenant que j'y pense, pourquoi pas un blog ponctuel??? A suivre...
13:05 Publié dans Ecrits intimes anciens, Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 15 août 2005
René Char, dans l’édition de la Pléiade
Cette formule (venue de là) appelle une notule. Le Pléiade en question m’avait été offert, à ma demande, pour mon dixième anniversaire. Mes parents s’étaient avoué sceptiques ou légèrement inquiets, car ils avaient lu quelques pages et s’étaient demandé quel démon me poussait. Bien sûr, un Pléiade est un si bel objet (je n’en possédais, auparavant, qu’un seul) que je dévorai les poèmes de René Char, qui exerçaient sur moi une véritable fascination, et dont je ne comprenais pas le tiers du quart, il va sans dire. Cette fascination enfantine, infantile peut-être, était liée à l’attrait des mots. Si j’avais demandé à recevoir en présent ce volume-là, c’est que j’avais lu quelques poèmes de Char au gré d’anthologies, et que ses rythmes, ses mélodies, la charpente de ses phrases, m’avaient harponné.
Il y avait peut-être un semblant de m’as-tu-vuisme, dont mon enfance ne fut pas dénuée et dont les derniers oripeaux ont dû choir sur mes vingt ans environ, à moins que l’on ne voie dans mon style chantourné l’écho lointain de ce tempérament poseur ou de cette curieuse affection pour la poésie hermétique du rude René.
Toujours est-il que je passai plusieurs années, avant l’adolescence, à lire (entre autres) René Char. Le plus étonnant est que, jusque sur mes quatorze ans, des romans pourtant jugés abordables me tombaient des mains, que je n’en comprenais pas l’intrigue, que je sautais des pages et les finissais sans avoir vraiment tiré profit de ces lectures. J’étais peut-être rétif au roman, et si ivre de mots que la poésie me comblait, au mépris parfois du sens. Je n’en tire aucune vanité, et suis sensible aux côtés les plus ridicules ou les plus mystérieux (même pour moi devenu adulte) de cette passion. Il m’arrive, quand je veux donner raison à l’enfant que je fus (et pourquoi toujours lui donner tort?), de dire que c’est justement cette lecture irraisonnée, sonore, qui rend le meilleur hommage à Char: quand les allégories et métaphores abstruses deviennent claires ou compréhensibles, le charme de sa poésie s’évanouit (ce qui explique aussi que je ne lise plus Char).
Je n’ai toujours pas abordé le point central de cette note (au début, j’écrivais notule (j’en ris encore)): ce fut longtemps un sujet de plaisanterie, ou de moquerie, de la part de C., qui, quand nous comparions nos enfances, nos expériences, me disait parfois: «oui, et toi, à cet âge-là, tu lisais René Char». Elle entendait par là que je ne pouvais pas connaître tel “tube”, telle série télévisée (de toute manière, les séries télévisées étaient interdites par mes parents, et je ne les en remercierai jamais assez), de notre adolescence. C’est une moquerie gentille, et qui met le doigt sur la vérité.
Toutefois, la vérité est multiple, et j’écoutais aussi, en classe de cinquième et de quatrième, tous les soirs entre cinq heures et six heures de l’après-midi, Star Max, le hit-parade de la radio locale Acqs 95, animé par Yoann (qui prononçait l’anglais comme une vache espagnole et parlait français en exagérant toutes les diphtongues). J’assume tout autant mon passé de gamin lisant un Pléiade par les après-midi pluvieux que ces scènes où je me revois gagner des “maxi 45-tours” après avoir joué, par téléphone, à classer “les cinq entrées de la semaine”.
18:55 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (1)
Un beau vers (4)
A tout prendre, un vers est rarement séparable des vers avoisinants, comme le montre éminemment le cas de l’enjambement, ou du rejet.
Il y a aussi les vers de la prose poétique — bien embarrassants, ceux-là — dissimulés qu’ils sont dans le corps de la prose.
Il y a, il y a… Bon, je lance des pistes…
14:50 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (1)
Un beau vers (3)
La technique seule ne permet pas d’expliquer pourquoi un vers nous touche, ni pourquoi on le trouve beau. C’est d’ailleurs ce qui rend le sujet Qu’est-ce qu’un beau vers? difficile ou pernicieux. La beauté d’un vers peut naître du moment où je le lis, où je l’ai lu, où il m’a été lu ; elle peut dépendre du don, si tel recueil m’a été offert par une personne que j’aime et qu’à chaque phrase, au détour de toute métaphore se glisse opportunément le regard de cette personne, ou sa voix, ou l’odeur de sa peau.
Ce peut-être un ensemble de vers, une suite que l’on ne peut interrompre, qui a son rythme propre. Il en fut ainsi, longtemps, pour moi, du distique qui ouvre le premier poème de René Char, dans l’édition de la Pléiade :
Brûlé l’enclos en quarantaine
Toi nuage passe devant
Pourtant, après de longues ruminations de ce distique, je me trouvai un jour à isoler le second vers, qui vint à désigner pour moi (et je le lui disais, parfois sérieusement, parfois en plaisantant) la femme aimée, que je ne rencontrai que longtemps après ma fréquentation de Char.
Ce qui est embarrassant dans cet argument-là, c’est qu’on ne voit pas très bien en quoi il s’applique spécifiquement à la poésie, et en particulier au vers. Par exemple, une jeune fille que j’aimais beaucoup (et qui me le rendait) m’offrit, à notre séparation, Aurélien d’Aragon. Je lus le roman dans les semaines qui suivirent, conservant mes facultés critiques, mais lisant, malgré tout, malgré moi, cette belle histoire d’amour au reflet de la nôtre. Aurélien, pour autant, pour être un superbe récit, n’est pas un beau vers !
La poésie a peut-être, plus que le roman, le don de me hanter (et ne dirai-je pas ici, en lieu de me, “nous”?). Enfant, un bref poème de Bruno Dey me taraudait. Je peux encore le citer de mémoire, sans y pouvoir isoler un beau vers:
rideaux de tergal blanc
conscients du vent du soir
reviendras-tu un jour
des mots donner les sens
Tout au plus est-ce un beau quatrain, dont le rythme devait me préparer à la fréquentation et l’amour immodéré de Guillevic, poète remarquable dans l’œuvre de qui se trouvent fort peu de beaux vers, car le vers n’est pas, pour lui, le centre de l’expression. Peut-être une unité de mesure, un battement, un éclat de silex qui n’a de sens, de son, de stupeur, qu’au contact des autres pierrailles. (A foolish figure, peut-être, mais Guillevic est un poète étonnamment minéral, donc j’assume.)
Où en étais-je ? (Ah, qu’il est agréable, sur un sujet de dissertation, de pouvoir divaguer, prendre méandres, à tel endroit prendre racine, puis s’envoler… Peut-être mes ruminations de la décennie passée sur ce sujet (Qu’est-ce qu’un beau vers?) n’attendaient que la cristallisation de ces pages de carnétoile…)
10:45 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (1)
Un beau vers (2)
Ce sujet complexe et controversé a bien d’autres angles d’approche. Entre autres, qu’est-ce qui permet de déterminer la beauté d’un vers écrit dans une langue étrangère que l’on ne connaît pas du tout (ou que l’on maîtrise imparfaitement)? Je sais que je ne lis de poésie qu’en ayant recours à l’original, ou à des éditions bilingues, à l’exception occasionnelle des poèmes écrits dans des alphabets que je ne sais pas déchiffrer (arabe, chinois, japonais), car j’aime pouvoir deviner, ou rechercher quel mot correspondant, ou quelles sonorités propose le texte d’origine.
Je connais fort mal le portugais, que je suis incapable de parler mais que je sais prononcer, et que je lis tant bien que mal. Je n’ai pas sous la main les ouvrages de poètes portugais que je pratique souvent, car ils sont à Tours, mais je pourrai prochainement donner des exemples de beaux vers dans une langue étrangère que je connais mal.
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dimanche, 14 août 2005
Le dernier taureau
Comme annoncé, voici un extrait de l’entrée du Journal III de François Mauriac intitulée “Le dernier taureau”:
Je fus donc à cette corrida de Saint-Vincent-de-Tyrosse. Il m’a fallu, ce jour-là, crever un de mes derniers ballons, renoncer à l’un de mes derniers plaisirs. Non! Plus jamais je n’assisterai à une course de taureaux. Sans doute serait-il injuste de les juger toutes sur celle-là qui fut au-dessous du pire, moins par la faute des matadors que par celle d’un bétail exécrable, fuyant, et comme on dit, “manso”. Mais nous eût-il été donné de voir une belle corrida et d’applaudir un Martial Lalanda, nous aurions dû tout de même subir ce qui, tout à coup, me paraissait horrible à crier: l’attachement de cette foule assise, inactive, abritée, embusquée, “planquée”, à un spectacle dangereux pour l’homme, mortel pour la bête. Quant à cet art que j’ai tant admiré, toute sa science repose sur le leurre: une bête seule contre dix, trompée, dupée jusqu’à la mort… L’étrange est qu’elle s’en aperçoive, parfois, qu’elle le devine. […]
Pourtant ce qui m’arracha soudain ce vœu : «Je n’y reviendrai jamais plus…», ce ne fut pas tant cette horreur toute physique, ce dégoût, cette pitié, ni même la honte que me donnait la présence des Anglais venus de Biarritz […] Non, la raison de mon désenchantement, elle m’apparut tout à coup : impossible d’ignorer, aujourd’hui, de quoi notre goût pour les corridas est le signe. Nous savons, nous ne pouvons plus ne pas savoir ce que dissimule dans son cœur cette foule qui hurle autour d’une bête couverte de sang. (Les Chefs-d’œuvre de François Mauriac, vol.11. Le Cercle du bibliophile, p.242)
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Javier Tomeo, versant traduction
Traduire est merveilleux, lire des traductions est indispensable ou inévitable. Mais qu’il est frustrant de se sentir pieds et poings liés en lisant ce qui semble être une mauvaise traduction. Ainsi, des Histoires naturelles de Javier Tomeo, que je lis en ce moment, dans une traduction de Denise Laroutis, au demeurant passeuse attitrée de cet Espagnol.
D’emblée, pourquoi traduire ce Bestiario par un doublon de l’œuvre de Jules Renard? La parenté littéraire et intellectuelle n’est pas nette, à moins de vouloir attirer à tout prix un lectorat francophone.
Et encore, c’est le seul mot d’espagnol dont l’on retrouve la trace. Pour le reste, seuls les mots de la traductrice nous sont offerts. Et, dois-je le dire, ce français-là est bien douteux. Mais, comme je n’ai pas le texte espagnol à ma disposition (et comme, de surcroît, je n’ai pas non plus une véritable connaissance de la langue espagnole dans mon bagage), le doute subsiste.
Ainsi, dans le texte intitulé “Les Pucerons”, la phrase suivante, en début du dernier paragraphe: «Nous sommes trop, nous savons nous reproduire, là réside notre force.» (Corti, 1993, p.40). Le contexte semble indiquer un sens voisin de “nous sommes trop nombreux”. Nous sommes trop n’a pas de sens, en français, à moins de sombrer dans la langue la plus familière et la plus négligée, ou de ressusciter les mânes de l’oublié Collaro (“ce mec est too much, ce mec est trop” (bon, on a les citations qu’on mérite)). Mais peut-être, se dit-on, cette faute, ou cet effet de style, est-elle/il dans le texte d’origine, et la traductrice fait preuve d’une grande habileté…
Autre phrase incorrecte, sans qu’il soit possible de trancher : «Mais j’avais à peine quatre semaines que je m’aperçus qu’il y avait en moi quelque chose qui me différenciait d’elles.» (“L’abeille”, in Histoires naturelles, Corti, 1993, p.60).
J’avais dans l’idée, au moment de créer ce carnet de toile, de le consacrer, non à la Touraine ou à mes diverses divagations, mais à la question de la traduction. Peu original, mais ouvert à de riches perspectives. Vous voyez, avec cette note, à quoi vous avez échappé…
14:27 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 12 août 2005
Un beau vers de Chénier
Mon professeur d’anglais d’hypokhâgne et de khâgne, M. Jean Briat, nous avait dit un jour que le sujet suivant avait été donné naguère, pour l’épreuve de français du concours d’entrée à l’E.N.S.: Qu’est-ce qu’un beau vers?. Sujet merveilleux, disait-il. Il avait raison, sans doute. Toujours est-il que cette question, que je n’ai jamais eu à traiter en devoir, m’a hanté depuis sans relâche, et que je lui ai trouvé de nombreuses réponses, ou des tentatives, au moins. N’ayant jamais, en douze ans, jeté la moindre ligne à ce sujet, je pourrais pourtant, si était inventé le logiciel qui relie la pensée informe, non dite, non écrite, à un traitement de texte, proposer tout un livre d’ébauches.
C’est un sujet effroyable, car il est presque impossible de le traiter, a fortiori en six heures. Mais c’est un sujet merveilleux, car tout étudiant un peu amoureux des mots et n’ayant lu ne serait-ce que quelques poèmes peut y dépenser de l’énergie, et faire couler l’encre.
Ayant ouvert la brèche, je ne pousserai pas aujourd’hui mon avantage sur ce point. Mais je voulais seulement citer ici, extraire de son contexte un alexandrin de Chénier qui est, pour moi, un très beau vers :
Le lit de Vénus même est sans prix à mes yeux.
Justement, me dira-t-on, l’un des pièges du sujet posé au concours est qu’un beau vers ne doit pas forcément, pour être jugé tel, être soustrait à son contexte. (Le célèbre monostiche d’Apollinaire, “Et l’unique cordeau des trompettes marines”, est un cas d’école. Mais il est pourtant rattaché à un titre, celui du poème, Chantre, à un contexte implicite (l’image), et à une œuvre (les poèmes de Guillaume Apollinaire).)
Ce vers de Chénier est le dernier de la cinquième section de Fanny. Cette 5ème section elle-même se compose de sizains hétérométriques proches des sizains propres à l’ode française (AABCCB, le premier et le cinquième vers étant des octosyllabes, les quatre autres des alexandrins). Cela a son importance, car ce vers est beau aussi de venir en point d’orgue d’une strophe très élaborée dans son rythme, climax et clôture. Il est beau d’allonger le pas après le bref octosyllabe qui, le précédant, de surcroît, s’efface devant lui dans sa relative médiocrité: “Et quand tu daignes me sourire,/Le lit de Vénus même est sans prix à mes yeux”. Est-ce trop dire que cet octosyllabe prude, qui donne son sens et sa douceur, autant que sa flamme musicale, à l’alexandrin que j’ai isolé, en fait le lit, l’apprête, par sa pâleur ou sa fadeur en fait ressortir tout le sel, le piquant?
Il y aurait bien des arguments pour expliquer ce que ce vers a, pour moi, de beau. Ces arguments viennent a posteriori, quand j’essaie de comprendre pourquoi ce vers m’a frappé, m’a ému.
Entre autres, disons :
1) le contraste des deux syllabes de la déesse-métaphore, au sein d’un vers entièrement constitué de monosyllabes
2) la symétrie entre “lit” et “prix”, entre “même” et “mes”
3) le ralentissement que favorise l’emploi de “même” avant l’hémistiche, et qui rééquilibre, en douceur, la périlleuse symétrie entre le sujet (le lit de Vénus, pentasyllabique) et le prédicat (sans prix à mes yeux, pentasyllabique), pour la pousser jusqu’à l’alexandrin.
Mais peu importe. Pardonnez-moi, si vous le pouvez, ces piteuses, maladroites, techniques tentatives de justification. C’est un beau vers. Voilà. Cela est d’évidence.
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André Chénier et Robert Brasillach
Relisant Chénier, que je n’ai jamais fort goûté, mais dont la Lycoris, au moins, me parut avant-hier supportable et même empreinte d’équivoque et de beaux vers, j’ai lu aussi, mais pour la première fois, la très émouvante préface de Brasillach. Emouvante, non que je sois en aucun point d’accord avec le parcours intellectuel et politique de Brasillach, mais parce qu’il écrivit cette préface en prison, peu avant sa condamnation à mort, se devinant condamné, et parce que, si je souffre en pensée avec les nombreuses victimes du génocide juif et des exactions des régimes nazis et fascistes, si j’honore leur mémoire et si je souhaite que tous méditent toujours la leçon des exterminations de toute sorte, je peux aussi, pourtant, m’imaginer la situation de cet homme parvenu tout près de son exécution, et dont je comprends le parcours, dont l’œuvre aussi me touche.
La situation de Chénier et de Brasillach est voisine, car Chénier périt lors de la Terreur, après plusieurs mois passés en prison. Evidemment, le parallèle est, d’un point de vue historique, tout à fait choquant, mais il a une indéniable valeur littéraire : le poète et le romancier, proches de leur fin, et dans une geôle.
Voici ce qu’écrit Brasillach des Iambes de Chénier :
« Il faudra la prison pour que les Iambes naissent. Les Iambes ne sont pas de la “poésie pure”. C’est la poésie impure, au contraire, chargée de toutes les scories d’un temps fuligineux, et nulle poésie ne peut toucher davantage dans les heures révolutionnaires.»
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Journal de Mauriac
Comme je lis un peu, ces temps-ci, le journal de Mauriac, que je découvre plus subtil penseur et surtout meilleur styliste que je n’en gardais le souvenir, et comme ma mère vient d’achever la lecture d’un roman d’Anne Wiazemsky (cela, c’est plus qu’il n’est en mon pouvoir), j’apprends que cette petite-fille de Mauriac serait nettement plus âgée que mes parents, ce qui me surprend, et aussi qu’elle fut d’abord actrice, en particulier dans La Chinoise et Au hasard Balthasar (un Bresson que j’aime sans plus).
Il y a, dans le journal de Mauriac, plusieurs très belles pages, et notamment une entrée d’une grande profondeur sur le mirage de la corrida, sur l’impossibilité éthique de ce spectacle inhumain et avilissant. J’en donnerai de larges extraits prochainement.
Post-scriptum: j'ignorais, il y a peu, l'existence du journal de François Mauriac, m'en étant tenu à celui de Claude.
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mercredi, 10 août 2005
Cioran
Avez-vous remarqué qu’à une lettre près, son nom est celui du livre sacré de l’Islam, qu’en mon temps (et pour mes études surtout) je pratiquai abondamment? Cioran a tout, quoi qu’il en dise, du théologien. Un théologien du doute, de l’exécration de soi plus que du mécréant (encore que…)… mais théologien, dans le ton et le style, on ne le saurait être plus.
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Tariq Goddard, enfin???
Sa lecture achevée depuis (je pense) deux semaines, je devrais tout de même en dire deux mots. J’ai déjà différé d’en dire plus long. C’est, aussi, que le roman est resté à Hagetmau, et que je me trouve, jusqu’à mardi, à Cagnotte.
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lundi, 08 août 2005
D'épaisseur du cadavre
« J’aime lire comme lit une concierge : m’identifier à l’auteur et au livre. Toute autre attitude me fait penser au dépeceur de cadavres. » (Cioran. De l’inconvénient d’être né, VI)
Un titre alternatif, fortement ironique, pour ce carnétoile, pourrait être Le Dépeceur de cadavres. Mais il se trouve que je ne puis me résoudre à être d’accord avec Cioran, même s’il ébranle mes convictions.
Le “dépeceur de cadavres” n’a, au demeurant, aucun rapport avec le simple charognard, tout fait estimable puisqu’il empêche la propagation des épidémies et qu’il se nourrit, ce faisant.
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Sale lambeau
Il faut que je m’y remette. Du nerf, dirait M. Songe. Une idée pourrait consister à prendre comme contre-exemple le journal de Charles Juliet, geignard et marqué du sceau de la stérilité.
16:55 Publié dans Ex abrupto, Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (3)
lundi, 01 août 2005
Décès de Pierre Souquet-Basiège
Je viens de recevoir le courriel suivant des éditions Ibis Rouge:
C'est avec beaucoup de tristesse que nous venons d'apprendre le décès à Orléans de notre ami Pierre Souquet-Basiège.
Pierre nous a quittés ce dimanche 31 juillet 2005.
Pierre avait publié un ouvrage, Le malaise créole, un dérivé du mal français chez Ibis Rouge, ouvrage qui avait connu un très grand succès aux Antilles.
Toute l'équipe d'Ibis Rouge présente à sa famille ses plus sincères condoléances.
16:30 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (8)