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vendredi, 02 septembre 2005

A lire...

Je voulais juste signaler, en une phrase, le blog de Dominique Autié, très bien conçu, illustré, écrit, et d'une structure très ludique.

jeudi, 01 septembre 2005

L’excellent critique

Si le bon écrivain est celui qui suscite l’envie d’écrire (comme Renaud Camus ou Enrique Vila-Matas, parmi mes lectures récentes, l’ont suggéré), le bon critique est celui qui fait naître le désir de lire les œuvres qu’il commente et les écrits théoriques sur lesquels il s’appuie : de ce double soubassement, naît en moi, à la lecture de Maupassant in the Hall of Mirrors, la soif de découvrir Pierre et Jean, mais aussi Narrative Fiction de Shlomith Rimmon-Kenan. Trevor Harris doit donc être un excellent critique, ce que chaque page de son livre confirme.

Une spirale de plus. Cet excellent critique me pousse à interrompre ma lecture pour écrire cette note: serait-il aussi un bon écrivain? oui, assurément. Comme il me donne aussi des idées pour reprendre, sur la question des personnages en particulier, mon activité de critique et de chercheur, passablement délaissée cet été, voici une autre spirale encore.

Mais il faut bien clore en notant, dans ce carnet à spirales, que, tout comme le critique, félin polyvalent, aux neuf excellences, il me faudrait, moi, pas moins de neuf existences pour accomplir tout cela.

mercredi, 31 août 2005

Le plus admirable...

Leiris, à la date du 9 avril 1932: "Grandeur (que j'imagine) de ce départ. Tristesse ardente (dont je suis incapable de dire à quel point je l'invente, à quel point c'est par elle que je suis inventé). Souvenirs : os rongés."

(L'Afrique fantôme. In Miroir de l'Afrique. Gallimard, Quarto, p. 405)

Espanté

Maintenant, c'est The Jolly Corner que je lis, et je suis espanté.

(Ironie, j'ai achevé hier, à minuit passé, de lire Pour en finir avec les chiffres ronds, et j'écris cela dans ce qui est mon 450ème message (dans l'ordre d'écriture (mais le 447ème dans l'ordre de publication)).)

mardi, 30 août 2005

Leiris, fidèle à l'appel

Je m'interroge beaucoup sur le devenir de ce blog, qui, sans étouffer le reste de mon existence réelle, me demande beaucoup d'énergie, a connu de sérieux revers en ce mois d'août finissant, et ce d'autant que j'ai déjà beaucoup de retard dans mon travail, pour de nombreuses tâches devant lesquelles je ne peux plus reculer, même s'il est préférable de penser à la théorie de l'oisiveté fertile façon Montaigne (quand je danse, je danse), et donc je m'interroge, je doute, je m'enfonce d'autant plus dans les lectures, qui appelent tant et plus d'écriture, de désir, l'appel du large, bref, je me surprends à reprendre, sur le colossal radiateur du salon (qui sert, hors saison froide, de lieu de stockage de certains livres en cours), L'Afrique fantôme, butiné au printemps, jusque au début juillet, et que lis-je sous la plume de Leiris, à la date du 4 avril (qui, décidément (pour ceux qui n'auraient rien d'autre à faire que de me lire in extenso, comme je semble moi-même n'avoir de vie que par ce blog, auquel je ne consacre pourtant guère plus de trois heures quotidiennes en moyenne), me poursuit) 1932?

Ceci:

"Dès l'origine, rédigeant ce journal, j'ai lutté contre un poison: l'idée de publication." (M. Leiris. In Miroir de l'Afrique, écrits africains rassemblés en édition Quarto, p.401)

Et, à la page suivante:

"Par le fait qu'il est passé au premier plan et qu'au lieu d'être un simple reflet de ma vie il me semble que, momentanément, je vis pour lui, ce carnet de notes devient le plus haïssable des boulets, dont je ne sais comment me débarrasser car je lui suis tout de même attaché par une quantité de superstitions." (op. cit., p.402)

Hormis les cinq derniers mots, je ne pourrais rêver plus belle, plus cruelle épigraphe à ma Touraine sereine.

A Round of Visits

I only wanted to write here that I have just read the last short story that Henry James ever wrote or published, and that it is magnificent. I will certainly write a note sooner or later (and in French for the benefit of my non-English-speaking audience), but this was to celebrate this multi-faceted writer to whom I always come back with high intellectual joy. Those of you who do not know the story and may be interested in reading A Round of Visits can also find plenty of other sources and uselful material in the link previously offered.

Codicille à "Un beau vers de Baudelaire"

Mon admiration pour ce poème de Baudelaire date de plusieurs années et ne s'est jamais démentie. Il m'accompagne, m'effraie ou me réjouit. Ce qui ne m'a pas empêché, sur la superbe musique composée par Léo Ferré, d'improviser parfois des parodies stupides à partir du premier quatrain.

.........
J'aimerais avoir des avis extérieurs sur les mises en musique de poèmes par Ferré; certaines me transportent, et d'autres me semblent effroyablement ratées (sa version de la Chanson d'automne de Verlaine, notamment, m'a toujours semblé pathétique).


.........

Tiens, une autre définition possible du beau vers: celui qui ne se laisse jamais mettre en musique. (Définition qui rejoint mon précédent commentaire sur l'appel à la répétition, à la redite, remouthing the line again and again)

Mallarmé, à Debussy qui lui annonçait avoir mis son Après-midi d'un faune en musique: "Mais c'était déjà fait." (Je cite de mémoire; il faudrait vérifier.)

Faire une scène…*

Eve s’excusa avec douceur. Mais la concierge tenait une scène, et, comme un sculpteur fait de sa glaise, elle voulait la parachever, la polir, en tirer une œuvre d’art qui embellirait sa journée. Eve fut soupçonnée de vol, de mendicité, d’espionnage, d’adultère** et de mille autres forfaits plus graves.

.

(Lise Deharme. Eve la blonde, p.256)

 

* Ce passage, séparé de ce qui suit, perd une partie non négligeable de son sens.

** J’aime bien la gradation ascendante : le pire crime imaginable, c’est l’adultère.

lundi, 29 août 2005

Leaves of Eve

A la devanture d’un photographe chez qui Eve faisait développer les innombrables clichés de feuilles d’arbre qu’elle prenait à longueur de journée, il y avait l’image flétrie d’une petite fille en robe de fée ; une robe longue, bordée d’une ruche. Elle tenait une petite baguette magique entre ses doigts frêles ; sur ses cheveux épandus, une étoile, une grande étoile.

(Lise Deharme. Eve la blonde, p.139)

Eve la blonde, de Lise Deharme (2)

Lise Deharme. Eve la blonde. Paris: Gallimard, 1952, 272 pp.

 

C’est le récit, en deux parties, de l’itinéraire atypique d’une femme parvenue à la quarantaine, qui se réveille dans une institution religieuse en ayant perdu la mémoire, avec quelques effets, dont une photographie. Persistant dans l’amnésie, qui lui plaît, elle mène une vie de bohême, de séductrice, choisissant, par anticonformisme, de s’enterrer dans une petite bourgade normande où il ne se passe rien. Le texte est cousu de petites descriptions, moments légèrement oniriques, dans un style intermédiaire entre les moments of being de Virginia Woolf (dans lesquels certaines voient l’une des caractéristiques de l’écriture féminine: l’attention portée à l’interférence entre le monde matériel proche et le corps (du délit? de l’écriture? de la femme-sujet?) et les tropismes de Nathalie Sarraute, mais avec plus de légèreté, comme une fuite en avant papillonnante au mépris du sérieux. Par une suite de coïncidences qu’Eve n’assume ni ne refuse, elle ne cesse de se trouver confrontée à des récits ou des souvenirs d’une famille qui aurait fort bien pu être la sienne, en particulier une petite fille danoise ou germanique qui a marqué les esprits. Le dénouement… ne disons rien du dénouement…

Quoique se situant à l’opposé de l’esprit de sérieux, le roman n’a rien d’aisé, et a même dû paraître, sinon avant-gardiste, à tout le moins trop lent et trop abstrait pour les critiques de l’époque (je n’ai mené aucune enquête, ne me suis livré à nulle recherche). Il m’a fait penser, je ne saurais pas forcément dire pourquoi, aux premiers textes échevelés de Robert Pinget, en particulier au Renard et la boussole, qui, si ma mémoire est bonne, date aussi de 1952. Même réflexion, mine de rien, sur petites et grandes choses, sur les causes et les effets du temps, une forme de roman existentialiste sur le mode mineur peut-être (les lecteurs nés après 1970, comme moi, ont sans doute tendance à sous-estimer l’influence énorme de l’existentialisme sur de nombreux écrivains eux-mêmes tombés dans l’oubli).

Pour celles & ceux que ces deux minces paragraphes laisseraient sur leur faim, je publierai prochainement des passages choisis du roman.

…………

En écoute : Heaven-Haven (extrait du cycle des poèmes de G.M. Hopkins mis en musique par Britten sous le titre général A.M.D.G. / Chœur Polyphony, sous la direction de Stephen Layton / Hyperion Records, 2000 – CDA67140)

Eve la blonde, de Lise Deharme

Cela fait bientôt deux semaines que j’ai lu, au cours d’une journée indécise, par à-coups ou petites touches, ce roman de Lise Deharme. Vous saurez que j’avais commandé ce roman auprès d’un libraire d’occasion, qu’il m’a coûté dix euros, port inclus, et que c’est une édition originale (ce que ne signalait pas la fiche descriptive du site Web (la cerise sur le gâteau en quelque sorte)). Comment m’était venue l’idée de lire un roman de Lise Deharme, qui ne m’était connue, jusque là, que de nom, sorte d’égérie des surréalistes, figure un peu dix-huitiémiste et salonnarde, une égarée, ou plutôt non, une intempestive – comment donc était née cette idée saugrenue? Dois-je l’avouer? L’idée m’en vint, ainsi qu’à ma mère, après la lecture d’un article du dernier Bulletin de la Société de Borda paru, car Lise Deharme passa quelque temps dans les Landes, à Tartas je crois (j’ai déjà tout oublié de cet article, et il est chez mes parents).

Au cours de ma lecture, je cornai certaines pages, fort proprement, comme je l’ai vu faire, afin de retrouver facilement des passages distingués, à mon ami F***, lors de nos années normaliennes, et mon respect des livres était tel que je trouvai cela sale, ou ne me convenant pas, avant de finir par adopter quelquefois ce système, par commodité, mais persistant, une fois les passages utiles notés ou employés, à décorner les pages, de sorte que, reprenant le livre longtemps après, la traque des pages distinguées est plus subtilement ardue encore, à moins que je n’aie préféré, comme il m’arrive, noter sur un morceau de papier les numéros de page, parfois assortis d’une notation brève, système auquel je viens d’avoir recours lors de ma lecture de Napoléon VII de Javier Tomeo, petit roman sur lequel je ne désespère pas d’écrire prochainement une note, en essayant de moins me perdre en oisives circonlocutions et inactifs préambules et ronds-de-jambe rhétoriques, comme pour celle-ci, que vous lisez, vous demandant, à quand Eve la blonde?

Elle arrive, justement. Je dirai peu de mots du roman, mais je recopierai ensuite quelques extraits de ce roman introuvable, qui correspondent aux pages cornées.

……………

En écoute : "God’s Grandeur" (extrait du cycle des poèmes de G.M. Hopkins mis en musique par Britten sous le titre général A.M.D.G. / Chœur Polyphony, sous la direction de Stephen Layton / Hyperion Records, 2000 – CDA67140)

 

Dominique et Dante

J’ai retrouvé avec plaisir, en rentrant ici, à Tours, mercredi dernier, notre demeure, et notamment ma table de chevet, plus chargée de livres que la barque de Dante. Justement, j’ai repris ma lecture, interrompue début juillet pour cause de vacances, de La Divine Comédie, dans l’édition bilingue parue il y a peu aux éditions La Différence (très belle traduction de Didier Marc Garin).

 

Jeudi soir, je lus les chants XXX à XXXIV de l’Inferno. Par une de ces coïncidences si fréquentes, et qu’accentue la lecture simultanée de quatre ou cinq livres au minimum (as is my wont), j’ai lu vendredi, le lendemain donc, l’opuscule de Dominique Fourcade, en laisse, dont le meilleur texte est d’ailleurs, à mon avis, celui qui donne son titre au recueil et s’inspire de l’une des photographies représentant les sévices subis par les prisonniers irakiens dans les geôles américaines. Fourcade cite à deux reprises le tercet suivant, extrait du chant XXXI :

Cercati al collo, e troverai la soga
che’l tien legato, o anima confusa,
e vedi lui che’l gran petto ti doga.*

 

On pourrait, je pense tenir un répertoire de ces coïncidences souvent frappantes, et qui éclairent les œuvres lues sous un jour nouveau, qui est peut-être celui, aussi, de la maigre existence du lecteur

 

* Traduction de Didier Marc Garin :

Cherche à ton cou, tu trouveras la sangle
qui le** tient attaché, âme confuse,
et vois-le** qui barre ton grand poitrail

** Les deux pronoms le font ici référence au cor de Nemrod, auquel Virgile ici s’adresse.

Fourcade, lui, traduit différemment, avec un faux-sens sans doute délibéré qui lui permet de relier, justement, ces beaux vers à la situation infernale que représente la photo du soldat irakien tenu en laisse comme un chien : cherche au cou tu trouveras la laisse qui te tient lié (Dominique Fourcade. en laisse. Paris: P.O.L., 2005, p.46).

Esprit, es-tu là ?

Hier soir, dans la courette sise entre la rue et notre maison, A., mon fils, jouait.

Confortablement installé dans un fauteuil de jardin, je feuilletais – quoi ? un numéro récent de la revue Esprit. Puis j’entrepris de lire le premier article, par un certain Jacques Dewitte, et consacré à la question du mal dans le dernier livre publié par Coetzee, Elizabeth Costello. Le sujet m’intéresse à plusieurs titres: la littérature africaine est mon domaine d’étude principal, et j’ai, à ce titre, publié plusieurs articles sur certains écrivains sud-africains, Breyten Breytenbach notamment; j’ai lu la plupart des grands romans de Coetzee, pour qui j’ai une admiration modérée et dont j’essaie toujours de comprendre pourquoi, aux yeux de la quasi totalité de mes collègues, c’est un tel géant des lettres; j’ai lu Elizabeth Costello, dès sa sortie, et donc juste avant l’attribution du Prix Nobel de Littérature 2003 à Coetzee, et c’est un livre qui m’a fasciné et tourmenté nettement plus que les autres textes de cet auteur, à tel point que, sous le coup encore de cette lecture, je fus presque convaincu, début octobre, que Coetzee n’avait pas volé son Prix Nobel (alors qu’il s’agit en partie d’une usurpation ou d’un malentendu).

Ultime raison de m’intéresser à cet article, j’avais vu, en parcourant la revue, qu’il était essentiellement consacré à la sixième "conférence" de l’écrivain imaginaire éponyme. Or, à l’automne 2003, ce texte-là avait d’autant plus d’intérêt pour moi qu’il y était longuement question de Paul West, que j’avais découvert depuis plusieurs mois, que je lisais assidûment, et que je finis par rencontrer en octobre 2003, à l’occasion du colloque qui lui était consacré à l’Université François-Rabelais (colloque organisé par ma brillante collègue américaniste Anne-Laure Tissut). De quoi titiller particulièrement ma curiosité, donc.

Pour résumer le propos de cette sixième partie du livre de Coetzee, Elizabeth Costello, écrivain entièrement fictif sorti de l’imagination de Coetzee et personnage principal du livre, s’apprête à donner, au cours d’un colloque, une conférence plénière sur la relation entre le Mal et l’esthétique. Sa conférence repose entièrement sur une lecture qu’elle vient de faire, et qui l’a hantée et tourmentée: il s’agit d’un roman de Paul West intitulé The Very Rich Hours of Count von Stauffenberg dont le sujet est le nazisme, et le personnage éponyme un tortionnaire nazi. Elizabeth Costello décide de dénoncer l’écrivain qui, en représentant le Mal, y participe et aggrave encore les crimes des nazis. Point de vue moral et esthétique qu’elle éclaire longuement, dont il est difficile de dire à quel degré Coetzee lui-même, l’auteur, le partage. Bref, si cette question vous intéresse (et elle mérite votre intérêt, ainsi que le livre de Coetzee dans son entier), le mieux est de se reporter au texte (en anglais, ou en français, comme M. Dewitte, qui, semble-t-il, n’a pas travaillé à partir de l’original).

Voici maintenant où je voulais en venir. Je lus donc l’article de M. Jacques Dewitte, qui me sembla enfoncer quelques portes ouvertes, décrire plutôt qu’analyser, autant dire qu’il n’apportait rien de neuf, aucun éclairage particulièrement saisissant, mais que, faisant le tour de la question, il s’agissait d’un article plus érudit qu’incisif, bref, un article de critique honnête. J’insiste sur cet adjectif (honnête), car je ne m’attendais en rien au coup de théâtre qui m’a cueilli à froid, à l’avant-dernière page de ce texte qui en compte vingt-et-une. Figurez-vous qu’après avoir consacré toute sa recherche au discours critique d’Elisabeth Costello (écrivain fictif et héroïne de Coetzee) sur un roman de Paul West, écrivain américain connu, reconnu, prolifique, traduit en français… eh bien, M. Dewitte écrit ceci :

"Il peut se produire chez celui qui lit une décharge d’énergie irréductible à une simple "représentation". C’est ce dont a fait l’expérience Elizabeth Costello, personnage imaginaire de J.M. Coetzee, en lisant le livre imaginaire de Paul West, autre romancier imaginé par Coetzee : un choc bien réel, une rencontre effective avec le Mal qui n’est pas seulement décrit, représenté, mais transmis par ce canal comme un courant électrique..." (J. Dewitte. "La dupe de Satan. Une réflexion de J.M. Coetzee sur le Mal". In Esprit, juin 2004, n°6, pp.24-5, gras ajouté)

Insensé ! Pour le coup, le choc bien réel, c’est moi qui l’ai subi de plein fouet. Ainsi donc, ce chercheur n’a pas cherché plus loin que le bout de son nez, et, par l’omission de ce qui devait lui sembler un simple détail, fait s’effondrer tout son échafaudage tel un château de cartes balayé par une porte claquée! C’est du joli, comme on dit familièrement. Paul West appréciera de devenir seulement un personnage de Coetzee. Je crois savoir, déjà, qu’il n’a pas tellement apprécié le point de vue avancé au sujet de son roman, ni le portrait peu flatteur que le texte brosse de sa personne (car West, et c’est là l’une des astuces de la sixième "conférence", est présent lors du colloque).

Comment, mais comment un critique peut-il s’atteler à un sujet dont il ne connaît pas le premier mot! Toute la subtilité du texte de Coetzee vient justement du fait qu’il mêle la lecture d’un écrivain célèbre fictif et d’un roman qui existe réellement. Si on ne voit pas cela (par défaut d’érudition, de curiosité intellectuelle ou peut-être d’intelligence), on ne comprend rien à l’argumentaire équivoque de Coetzee, qui attribue justement le discours éthique sur la réalité de l’effet d’une œuvre d’art à un personnage, et non à une personne réelle; la double pirouette réside dans l’objet de la critique costellienne, le roman de Paul West, qui existe, et dont le lecteur réel peut prendre connaissance afin de mieux comprendre la distance possible entre ce que dit Elizabeth Costello (ce que Coetzee lui fait dire) et le point de vue de Coetzee, lui-même créateur.

Dans la courette de gravier, j’eus le souffle coupé. Il va de soi que ma désapprobation n’épargne pas la rédaction de la revue Esprit, que je tiens pourtant en haute estime mais qui, semble-t-il, ne procède pas toujours à toutes les vérifications. A tout moment, dans une telle situation, l’affaire Sokal peut se reproduire… Errare humanum est, certes, mais les humanités sont tombées assez bas, quand même.

samedi, 27 août 2005

Tatamkhulu Afrika

J'ai dilapidé - dans la fièvre des pierres, la rêverie des terres - une bonne partie de ma soirée à me replonger dans l'oeuvre poétique de Tatamkhulu Afrika. Il y avait quelque temps que je n'avais pas ouvert ces cinq recueils ou plaquettes que S°°° m'avait envoyés il y a trois ans et demi. J'avais découvert là, par-delà mon admiration pour le prosateur hors pair, l'un des plus grands poètes de langue anglaise de ce siècle.

J'ai pour tâche, l'ayant promis à la suite d'une discussion sur le Forum de la SLRC, de retrouver un poème qui célèbre l'amour des garçons, et je penche en faveur de "War Mate", qui se trouve dans le recueil Turning points.


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Sinon, la journée a été paisible dans les involutions du corps, mais mouvementée pour l'esprit. Plusieurs notes écrites à la main et pas encore recopiées, car il faut bien que C. prépare son cours de rentrée sur Les Châtiments, tout de même. De surcroît, pour répondre à une question posée dans un commentaire, je ne peux toujours pas accéder à mon compte de courrier électronique. Ce soir, le réparateur m'apprend que la panne de mon ordinateur portable concerne l'écran et la "nappe" (?), qu'il y en a généralement pour "dans les trois mille balles" (j'aurais dit "400 à 500 euros", mais bon...). On se dirige droit vers un nouvel achat...

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Nous avons aussi visité l'exposition Jean-Gilles Badaire au Château de Tours (j'en reparlerai demain, pour son dernier jour (foncez!)).

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Pour s'y retrouver dans les personnages de ce carnétoile
S°°° est une jeune femme qui a soutenu il y a deux ans une thèse fort brillante sur Breyten Breytenbach, et avec qui j'ai longtemps été en correspondance suivie avant de la perdre de vue ces derniers temps.

En lisant Enrique Vila-Matas

Vendredi, 17 h 15

J'ai un peu triché dans ma lecture de Pour en finir avec les chiffres ronds, car je n'ai pas scrupuleusement, systématiquement fait alterner les chroniques 0+n et 53-n; autrement dit, j'avais commencé à lire la 1ère, la 52ème, la 51ème, la 2ème, la 3ème, etc., mais je ne me suis tenu qu'irrégulièrement au principe de ce voyage vers le centre du livre. Mais la plus grave violation (alors que j'avais lu les dix premières et les six dernières chroniques) vient d'être commise, car je n'ai pas résisté à l'appel d'une chronique située bien en-deça de la 47ème, qui est consacrée à Macedonio Fernandez, dont je sais qu'il inspire toujours Vila-Matas, et quoique n'ayant jamais lu cet auteur argentin que par l'intermédiaire du merveilleux Catalan.


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Au bas de la feuille griffonnée, on peut lire les inscriptions suivantes:
Projets des notes:
* Comment j'ai découvert EVM
* Comment j'ai lu les romans d'EVM
* Comment je voudrais relire EVM

Un beau vers ()

Samedi, neuf heures et vingt minutes.

Je griffonne cette note au dos d'une fiche d'étudiant de 2004-2005, celle de Pauline, une étudiante sérieuse qui suivait mon cours de littérature britannique de Deug II. Ces fiches, une fois caduques, me servent, comme tant d'autres documents désuets, courriers inactuels, de papier brouillon, et j'ai oublié ce que je voulais écrire, si ce n'est que, guetteur mélancolique, tout à l'heure, fenêtre ouverte avant l'aurore, contemplant la rue obscure, m'est revenu ce beau vers de John Clare que je commente et fais étudier, justement, pour le cours de littérature britannique:

My friends forsake me like a memory lost

........... ce qui, entre le moment où je pensai à ce vers, celui où j'écrivis le premier état de la note (ci-dessus) et maintenant, implique une sédimentation de trois moments................

L’appel de l’abréviation

Vendredi matin

Au moment où, dans la presse - spécialisée ou non – il n’est question que du nouveau roman de Bret Easton Ellis, Lunar Park, autofiction largement inspirée de American Psycho, je me surprends à me rappeler ma lecture de ce roman, au printemps 2000, mais aussi (comme je jette ces quelques lignes sous forme abruptement télégraphique, sur une feuille de papier) à m’interroger sur la coïncidence entre les initiales de l’écrivain et le sigle français du Bureau Européen de l’Environnement, dont mon père est, depuis quelques années, l’un des responsables, ce qui ne va pas sans susciter quelque inquiétude, car Lunar Park se fait aussi l’écho des malaises de l’écriture après la mort du père.

vendredi, 26 août 2005

Addendum à Plieux (II)

J'oubliai de signaler aussi, entre autres désirs brûlants, que la visite du château de Plieux m'a donné l'envie de me replonger dans L'Inauguration de la Salle des Vents (Fayard, 2003), maintenant que j'en connais de visu le principal et éponyme personnage. C'est un roman admirable, qui, de surcroît, fut le premier que je lus lors de notre emménagement dans la maison de Tours, où je viens de revenir.

jeudi, 25 août 2005

Voleur de voix

L'une des particularités de cette phase critique, c'est que je suis contraint de ne plus tricher dans le recours à l'écriture, et que je publie en direct les notes, n'ayant pas, de toute manière, l'occasion ni le temps de préparer des notes plus élaborées dans un document Word. Plusieurs projets de notes me traversent l'esprit, mais je suis affairé ailleurs, presque désintoxiqué de l'écran et du clavier, et elles restent dans les limbes.

Cet après-midi, première petite promenade à Tours, depuis la mi-juillet, et nous avons contemplé tout notre soûl les belles façades de certaines rues du vieux Tours, et notamment dans la rue du Mûrier, où je pris naguère une photographie reproduite par Simon sur son blog.

Comme j'ai commencé de lire, hier soir (en alternance avec Saint-Simon et les chants de Dante) Marelle de Cortazar, un texte qui se donne à lire selon plusieurs plans possibles, le plan de lecture totale étant non linéaire, je me suis surpris à commencer tout à l'heure la lecture de Pour en finir avec les chiffres ronds de mon cher Enrique Vila-Matas en faisant se succéder la 1ère notice, puis la 52ème, la 51ème, la 2ème, etc.

dimanche, 21 août 2005

Deux nouvelles de Florian ("Claudine" et "Valérie")

Lues dans l’anthologie des Nouvelles du XVIIIème siècle (“Bibliothèque classique”, Le Livre de Poche), ces deux nouvelles présentent deux facettes résolument divergentes de Florian nouvelliste, lui dont je ne connaissais que les fables (qui n’ont, souvent, que peu à envier à celles de l’illustre La Fontaine). En effet, Claudine est un beau texte d’une grande ambiguïté thématique qui tend toutefois, de tout son long, vers une fin moralisante, Valérie paraît moins soigné, plus bâclé, mais, si la nouvelle est, dans ses thèmes, fort limpide, la structure et le sens de l’existence de la protagoniste éponyme restent bien indécidables, douteux d’un point de vue éthique, comme si l’inachèvement, l’(apparente) absence de polissage correspondait, de fait, à des sens plus détournés, plus sinueux. Voilà, de la part de l’auteur de l’anthologie, Jacqueline Hellegouarc’h, un choix fort judicieux, qui donne grande envie de lire d’autres proses de Florian, afin de s’en faire une meilleure idée.

Je n’ai pas lu la notice introductive de Jacqueline Hellegouarc’h, mais je viens de vérifier que ces deux «contes moraux» furent écrits en 1791. Je donne ci-dessous un extrait de la première page de Claudine, qui intéressera certainement les amateurs du roman gothique :

« Je résolus d’aller visiter les fameux glaciers de Savoie. […] Je ne décrirai point ce voyage: il faudrait, pour le rendre intéressant, imiter ce style exalté, sublime, inintelligible aux profanes, dont un voyageur ne peut guère se passer à présent pour peu qu’il ait fait deux lieues et qu’il ait une âme sensible; il faudrait ne parler que d’extases, d’étreintes, de tressaillements; et j’avoue que ces mots, devenus si simples, ne me sont pas encore assez familiers.» (édition citée, p.664)

samedi, 20 août 2005

Visite de Plieux le jour de l'Assomption

(18 août, cinq heures de l’après-midi)



Quinze août, trois heures. La voiture s’approchait de Plieux, par le même chemin emprunté cinq ans auparavant, et le conducteur s’étonna du carrefour qui indiquait que le chemin de droite conduisait à Plieux (1,8 km) et que celui de gauche était recommandé pour le château (avec le sigle des Monuments historiques). Pourtant, si la visite de 2000 avait capoté car le site était fermé, une chose était sûre: le château était au cœur du village. Y avait-il là un désir particulier que les visiteurs arrivassent d’un côté plutôt que de l’autre, avec telle vue plutôt que telle autre? D’emblée, nous voici dans l’énigme.

Une fois la voiture garée sur la placette qui se trouve au bas du château, le conducteur, qui avait vu le grand portail en contrebas, s’imagina que c’était là la seule entrée, au lieu de se rendre directement au petit portillon situé tout près de la placette. (Dans tous les cas, cela doit ajouter trente mètres à l’itinéraire, et, si je fais remarquer cette autre bévue, c’est qu’elle semble montrer un goût poussé du maître des lieux, Renaud Camus, pour les ambages et bifurcations: pourquoi ce lieu aux choix cachés?)

Sonnons à la cloche! La cloche tinte! Un bruit de pas dans l’escalier. Un jeune homme finement barbu et moustachu vient nous ouvrir: ce doit être Pierre, le compagnon de Renaud Camus. Il nous demande gentiment de patienter en attendant la fin de la précédente visite (des Britanniques) et nous ouvre les deux salles jouxtant la tour, où se trouvent exposées plusieurs œuvres de Marcheschi: de quoi bellement patienter, indeed! Ces murs austères, cette pierre rugueuse et suave se prête merveilleusement aux grandes brûlures, aux jeux ignés et fuligineux du peintre. Longue admiration et déambulation.

Ensuite, notre guide revient, la visite commence, vite interrompue par un couple qui souhaite visiter mais a oublié l’argent dans la voiture. Pendant que le monsieur retourne à la voiture, nous discutons avec notre guide, qui nous explique le sens de la démarche et les techniques de Marcheschi. Trop timide jusque là pour avancer un pion, je lui fais comprendre que je connais l’artiste et la collection de réputation, mais que c’en est la première vision. “Ah, vous êtes des lecteurs du Journal, peut-être?” “Oh, du Journal et des autres pans de l’œuvre…” répondis-je.

Comme Monsieur Pierre (c’est une citation) comprend que je suis membre de la SLRC, il s’avoue confus de nous avoir fait payer. Je ne suis pas à jour de cotisation, mais la vraie raison en est que, parfois, on veut payer. (Je ne suis pas, contrairement à ma mère ou ma sœur, du genre à réclamer ma réduction enseignants à 5% dans les librairies, par exemple.)

Le monsieur revient enfin de son expédition en quête de sous, et la visite peut commencer. Je n’en dirai pas grand chose, car je crois qu’il faut visiter Plieux, non pour l’amour de l’œuvre de Renaud Camus, mais pour la singularité du lieu, qui ne ressemble véritablement à aucun autre château habité par des particuliers et ouvert à la visite que je connaisse. La «décoration» (thanked be Jean-Paul Marcheschi) y est pour beaucoup, bien sûr, et le goût du maître des lieux en matière d’ameublement et d’espaces épurés. Mais la vastitude des pièces et leur faible nombre tracent un trajet sans pareil.

Si l’on connaît l’œuvre du propriétaire, l’attente est sans doute importante, car de nombreuses pages ont servi à dessiner les contours de ce château, à faire deviner tel détail de telle pièce. La contemplation de la bibliothèque, par exemple, prend un sens différent selon que l’on est familier de l’œuvre ou non. Dans mon cas, la surprise est venue de l’escalier et de l’enchaînement des pièces, dont je n’étais jamais parvenu à me faire une idée exacte. Comme mes livres sont à Tours, je n’ai pu vérifier non plus où se trouvaient les pièces de commodité (salle de bains, cuisine), qui, naturellement, ne se visitent pas, et dont je ne parviens pas à comprendre où elles se trouvent. (Bon, j’ai une quasi-certitude, mais, plutôt que d’écrire des âneries, je préfère, pour une fois, passer pudiquement!)

Les Morsures de l’aube et Nuits sont certainement le fleuron des deux étages, mais une autre surprise est venue, pour moi, de nombreuses statuettes ou objets “primitifs”, que je pense africains (mais d’où exactement?), dont un cimier remarquable admiré dans la bibliothèque (et qui a détourné longtemps (longtemps, c’est-à-dire, à l’échelle d’une visite d’une heure au plus (hélas), deux minutes) mon attention des tranches). Héritage d’une “autre vie”, ou goût persistant de Renaud Camus pour l’art africain, dont je n’ai pas gardé le souvenir ou qui s’exprime dans des textes que je n’ai pas lus (ou qui constituerait le vrai jardin secret de l’écrivain…)?

Nous avons dû, évidemment, quitter les lieux à l’issue des quarante minutes de visite, non sans avoir posé plusieurs questions sur tel point d’histoire ou d’architecture (et notre guide fut, comme on pouvait s’y attendre, incollable). Sur le chemin du retour, une énigme n’a pas été résolue: quel pouvait être le Pléiade absent de son boîtier, entre Kafka et Mallarmé? (à vos méninges)

Une autre énigme, de mon point de vue, c’est la présence, sur les rayonnages, de toutes les pièces de Jean-Luc Lagarce, dont je ne connais qu’un seul opus, vu à Beauvais, et dont j’avais conclu qu’il s’agissait d’un dramaturge ultra-mineur, sans inventivité. La pièce que nous avions vue (en 1999) s’intitulait Derniers remords avant l’oubli, était sans intérêt tant pour son texte que pour la mise en scène, et a été montée plusieurs fois depuis, dont l’an dernier à Tours (à moins que ce ne soit une autre du même, j’ai un doute subit).

Cette fois-ci, nous ne nous sommes pas cassé le nez à Plieux. Sur le chemin de retour, nous étions encore sous le charme des prouesses brûlantes de Marcheschi et de cette rencontre curieuse, en léger porte-à-faux, entre une œuvre lue et sa matérialisation partielle.

jeudi, 18 août 2005

De Beckett

Une bouteille, du 1er avril dernier, qui n'était pas un poisson, quoique jetée à la mer, et qui rencontra un écho favorable auprès de sa destinataire, mais sans, à ce jour, de concrétisation.

Chère M°°°

j'ai l'esprit d'escalier, en ce moment, décidément, mais je viens de m'apercevoir que 2006 sera l'année du centenaire de la naissance de Beckett. J'étais en train de me dire... Irlande... France... arts du spectacle... culture... Beckett...?

Isn't there something to be done? Grand admirateur de Beckett prosateur, comme tu le sais, je m'associerais volontiers à un événement culture/recherche/(enseignement?)

Bises,

Guillaume

L'idée eût été, aussi, de ma part, de faire un film composé d'entretiens avec divers amateurs de Beckett (universitaires, théâtraux, écrivains, étudiants, etc.). Une autre possibilité était de créer plusieurs événements entre la date de naissance fictive et la date de naissance réelle de Beckett (soit entre le 13 avril et le 13 mai 2006, au centenaire). Maintenant que j'y pense, pourquoi pas un blog ponctuel??? A suivre...

lundi, 15 août 2005

René Char, dans l’édition de la Pléiade

Cette formule (venue de ) appelle une notule. Le Pléiade en question m’avait été offert, à ma demande, pour mon dixième anniversaire. Mes parents s’étaient avoué sceptiques ou légèrement inquiets, car ils avaient lu quelques pages et s’étaient demandé quel démon me poussait. Bien sûr, un Pléiade est un si bel objet (je n’en possédais, auparavant, qu’un seul) que je dévorai les poèmes de René Char, qui exerçaient sur moi une véritable fascination, et dont je ne comprenais pas le tiers du quart, il va sans dire. Cette fascination enfantine, infantile peut-être, était liée à l’attrait des mots. Si j’avais demandé à recevoir en présent ce volume-là, c’est que j’avais lu quelques poèmes de Char au gré d’anthologies, et que ses rythmes, ses mélodies, la charpente de ses phrases, m’avaient harponné.

Il y avait peut-être un semblant de m’as-tu-vuisme, dont mon enfance ne fut pas dénuée et dont les derniers oripeaux ont dû choir sur mes vingt ans environ, à moins que l’on ne voie dans mon style chantourné l’écho lointain de ce tempérament poseur ou de cette curieuse affection pour la poésie hermétique du rude René.

Toujours est-il que je passai plusieurs années, avant l’adolescence, à lire (entre autres) René Char. Le plus étonnant est que, jusque sur mes quatorze ans, des romans pourtant jugés abordables me tombaient des mains, que je n’en comprenais pas l’intrigue, que je sautais des pages et les finissais sans avoir vraiment tiré profit de ces lectures. J’étais peut-être rétif au roman, et si ivre de mots que la poésie me comblait, au mépris parfois du sens. Je n’en tire aucune vanité, et suis sensible aux côtés les plus ridicules ou les plus mystérieux (même pour moi devenu adulte) de cette passion. Il m’arrive, quand je veux donner raison à l’enfant que je fus (et pourquoi toujours lui donner tort?), de dire que c’est justement cette lecture irraisonnée, sonore, qui rend le meilleur hommage à Char: quand les allégories et métaphores abstruses deviennent claires ou compréhensibles, le charme de sa poésie s’évanouit (ce qui explique aussi que je ne lise plus Char).

Je n’ai toujours pas abordé le point central de cette note (au début, j’écrivais notule (j’en ris encore)): ce fut longtemps un sujet de plaisanterie, ou de moquerie, de la part de C., qui, quand nous comparions nos enfances, nos expériences, me disait parfois: «oui, et toi, à cet âge-là, tu lisais René Char». Elle entendait par là que je ne pouvais pas connaître tel “tube”, telle série télévisée (de toute manière, les séries télévisées étaient interdites par mes parents, et je ne les en remercierai jamais assez), de notre adolescence. C’est une moquerie gentille, et qui met le doigt sur la vérité.

Toutefois, la vérité est multiple, et j’écoutais aussi, en classe de cinquième et de quatrième, tous les soirs entre cinq heures et six heures de l’après-midi, Star Max, le hit-parade de la radio locale Acqs 95, animé par Yoann (qui prononçait l’anglais comme une vache espagnole et parlait français en exagérant toutes les diphtongues). J’assume tout autant mon passé de gamin lisant un Pléiade par les après-midi pluvieux que ces scènes où je me revois gagner des “maxi 45-tours” après avoir joué, par téléphone, à classer “les cinq entrées de la semaine”.

Un beau vers (4)

A tout prendre, un vers est rarement séparable des vers avoisinants, comme le montre éminemment le cas de l’enjambement, ou du rejet.

Il y a aussi les vers de la prose poétique — bien embarrassants, ceux-là — dissimulés qu’ils sont dans le corps de la prose.

Il y a, il y a… Bon, je lance des pistes…

Un beau vers (3)

La technique seule ne permet pas d’expliquer pourquoi un vers nous touche, ni pourquoi on le trouve beau. C’est d’ailleurs ce qui rend le sujet Qu’est-ce qu’un beau vers? difficile ou pernicieux. La beauté d’un vers peut naître du moment où je le lis, où je l’ai lu, où il m’a été lu ; elle peut dépendre du don, si tel recueil m’a été offert par une personne que j’aime et qu’à chaque phrase, au détour de toute métaphore se glisse opportunément le regard de cette personne, ou sa voix, ou l’odeur de sa peau.

Ce peut-être un ensemble de vers, une suite que l’on ne peut interrompre, qui a son rythme propre. Il en fut ainsi, longtemps, pour moi, du distique qui ouvre le premier poème de René Char, dans l’édition de la Pléiade :

Brûlé l’enclos en quarantaine

Toi nuage passe devant

 

Pourtant, après de longues ruminations de ce distique, je me trouvai un jour à isoler le second vers, qui vint à désigner pour moi (et je le lui disais, parfois sérieusement, parfois en plaisantant) la femme aimée, que je ne rencontrai que longtemps après ma fréquentation de Char.

Ce qui est embarrassant dans cet argument-là, c’est qu’on ne voit pas très bien en quoi il s’applique spécifiquement à la poésie, et en particulier au vers. Par exemple, une jeune fille que j’aimais beaucoup (et qui me le rendait) m’offrit, à notre séparation, Aurélien d’Aragon. Je lus le roman dans les semaines qui suivirent, conservant mes facultés critiques, mais lisant, malgré tout, malgré moi, cette belle histoire d’amour au reflet de la nôtre. Aurélien, pour autant, pour être un superbe récit, n’est pas un beau vers !

La poésie a peut-être, plus que le roman, le don de me hanter (et ne dirai-je pas ici, en lieu de me, “nous”?). Enfant, un bref poème de Bruno Dey me taraudait. Je peux encore le citer de mémoire, sans y pouvoir isoler un beau vers:

rideaux de tergal blanc

conscients du vent du soir

reviendras-tu un jour

des mots donner les sens

 

Tout au plus est-ce un beau quatrain, dont le rythme devait me préparer à la fréquentation et l’amour immodéré de Guillevic, poète remarquable dans l’œuvre de qui se trouvent fort peu de beaux vers, car le vers n’est pas, pour lui, le centre de l’expression. Peut-être une unité de mesure, un battement, un éclat de silex qui n’a de sens, de son, de stupeur, qu’au contact des autres pierrailles. (A foolish figure, peut-être, mais Guillevic est un poète étonnamment minéral, donc j’assume.)

Où en étais-je ? (Ah, qu’il est agréable, sur un sujet de dissertation, de pouvoir divaguer, prendre méandres, à tel endroit prendre racine, puis s’envoler… Peut-être mes ruminations de la décennie passée sur ce sujet (Qu’est-ce qu’un beau vers?) n’attendaient que la cristallisation de ces pages de carnétoile…)

Un beau vers (2)

Ce sujet complexe et controversé a bien d’autres angles d’approche. Entre autres, qu’est-ce qui permet de déterminer la beauté d’un vers écrit dans une langue étrangère que l’on ne connaît pas du tout (ou que l’on maîtrise imparfaitement)? Je sais que je ne lis de poésie qu’en ayant recours à l’original, ou à des éditions bilingues, à l’exception occasionnelle des poèmes écrits dans des alphabets que je ne sais pas déchiffrer (arabe, chinois, japonais), car j’aime pouvoir deviner, ou rechercher quel mot correspondant, ou quelles sonorités propose le texte d’origine.

Je connais fort mal le portugais, que je suis incapable de parler mais que je sais prononcer, et que je lis tant bien que mal. Je n’ai pas sous la main les ouvrages de poètes portugais que je pratique souvent, car ils sont à Tours, mais je pourrai prochainement donner des exemples de beaux vers dans une langue étrangère que je connais mal.