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mercredi, 12 septembre 2012

L'Année terrible

Sitôt que le char marche, il se met à crier.

 

Suite à des cheminements plutôt complexes, je me suis replongé, depuis hier, dans L'Année terrible. Toujours eu un faible pour ce recueil, que je n'avais peut-être pas ouvert depuis dix ans, et, à coup sûr, pas réellement lu depuis la fin de mon adolescence. Je suis heureux de voir que les poèmes m'en semblent toujours aussi forts, que la parenté avec les Tragiques me frappe toujours autant, et, pour finir, que je continue de ne pas comprendre du tout l'espèce d'arrière-plan ou de seconde zone dans lequel (laquelle ? mince, ça m'apprendra à me regarder écrire) la poésie de Hugo est rejeté(e?) depuis un gros quart de siècle, voire plus. N'est-il pas possible d'aimer Baudelaire, Verlaine, Mallarmé et Hugo ? je ne vois pas d'incompatibilité, ou alors c'est moi qui suis coupable de ne pas trancher.

 

                                                 je défends

Terrassés ceux que j'ai combattus triomphants

 

J'ai parcouru aussi la préface qu'Yves Gohin a pondue pour l'édition NRF-Poésie ; elle m'avait agacé jadis, et m'agace encore. Gohin voudrait que, dans le corpus hugolien, L'Année terrible se situe plusieurs tons en-dessous des Contemplations et des Châtiments. Pas d'accord, là encore. C'est la même voix empreinte de douceur et d'abîme, le même souffle puissant, le même travail sur le vers, qui parvient à surprendre encore jusqu'au lecteur blasé de 2012 que je suis devenu. Dans sa structure, c'est un recueil foudroyant. Dans ce qu'il nous dit de la débâcle de 70 et des affres d'une impossible renaissance, il brûle les yeux. Dans son lyrisme même, il est épique.

 

Ivres, ils vont au gouffre obscur qui les attend.

 

Je me rappelle que, lorsque j'étais tombé sur ce recueil, aux alentours de 1990, j'avais été surpris : moi qui étais très hugolien (j'avais lu, en Pléiade, la totalité de son théâtre, sans toujours tout comprendre bien sûr, en classe de 4ème, en 1986-7), je ne connaissais même pas l'existence de ce livre, et avais d'abord songé qu'il s'agissait d'un florilège. Il me revient aujourd'hui. Pourtant, il était là, toujours, sur les rayonnages.

Sans cesse, le relisant, je voyais la Libye de 2011, je songeais à la Syrie d'aujourd'hui. Et cette "actualité" du poème a beau n'être souvent qu'un cliché doublé d'une fadaise, elle bouleverse quand on la ressent vraiment.

 

Ô flot, c'est bien. Descends maintenant. Il le faut.

lundi, 02 juillet 2012

Les fastes de Gargantua

Qu'à un moment donné drogue et tennis furent fastidieux, et toute cette fin de juin, pourtant, resta sans lecture. Le golf vu comme un jeu de billard sur une table immense, tout en rage anale et bérets à carreaux. [163]Garçon de guinguette, une bière ! on étouffe ici, se désosse, s'assoiffe.

Et dire aussi que quand on défèque, c'est comme si on priait – posture tendre d'amen au monde. [103]

Et les cafards volants, les cafards entre les draps et sur les murs, [45] les cafards que vous hallucinâtes, cafards tisseurs de toile et cafards au fond des placards, obscurs grouillements dans la perte sauvage des moindres repères.

Tu me demandes comment on prononce désosser et tu me demandes ce que veut dire… ce que veut dire quoi, déjà? écoute les trompes, nous réfléchirons plus tard, en posture d'acceptation.

 

 


 

 

In this dream, which every now and then still recurs, I am standing publicly at the baseline of a gargantuan tennis court. I'm in a competitive match, clearly: there are spectators, officials. The court is about the size of a football field, though, maybe, it seems. It's hard to tell. But mainly the court's complex. The lines that bound and define play are on this court as complex and convoluted as a sculpture of string. There are lines going every which way, and they run oblique or meet and form relationships and boxes and rivers and tributaries and systems inside systems: lines, corners, alleys, and angles deliquesce into a blur at the horizon of the distant net. I stand there tentatively. The whole thing is almost to involved to try to take in all at once. It's simply huge. And it's public. A silent crowd resolve's itself at what may be the court's periphery, dressed in summer's citrus colors, motionless and highly attentive. A battalion of linesmen stand blandly alert in their blazers and safari hats, hands folded over their slacks' flies. High overhead, near what might be a net-post, the umpire, blue-blazered, wired for amplification in his tall high-chair, whispers Play. The crowd is a tableau, motionless and attentive. I twirl my stick in my hand and bounce a fresh yellow ball and try to figure out where in all that mess of lines I'm supposed to direct service. I can make out in the stands' stage-left the white sun-umbrella of the Moms; her height raises the white umbrella above her neighbors; she sits in her small circle of shadow, hair white and legs crossed and a delicate fist upraised and tight in total unconditional support.

 

The umpire whispers Please Play.

 

We sort of play. But it's all hypothetical, somehow. Even the 'we' is theory: I never get quite to see the distant opponent, for all the apparatus of the game.

[...]


the deflated bladder had landed in the Marching Terriers’ sousaphone player’s sousaphone and had been handed over to Joelle after extrication by the lardy tubist, sweaty and dumb under the girl’s Actaeonizingly imploring gaze –

mercredi, 25 avril 2012

Let The Great World Spin

 

Le roman le plus récemment lu, assez poussivement en raison du manque de suivi, m’avait été recommandé par une collègue irlandisante, à la Saint-Patrick – ça ne s’invente pas – et avec la promesse que c’était un chef-d’œuvre absolu. Il s’agit du grand roman de Colum McCann, Let The Great World Spin, qui n’a rien d’un chef-d’œuvre. Tout – à commencer par le style, très académique, de McCann – donne une impression de déjà-lu. Rien ne dépasse, en quelque sorte, ce qui est fâcheux pour un texte dont le motif central est l’exploit de Philippe Petit, funambule qui fit tout un numéro d’équilibre, le 7 août 1974, entre les deux tours du World Trade Center, au niveau du 110ème étage. Le croisement de deux époques (les années 60, avec le Viêtnam, et les années 2000) et de deux contrées (l’Irlande et la Nouvelle-Angleterre) s’inscrit dans un récit à plusieurs narrateurs non récursifs. McCann pense tout ce qu’il est bon de penser (sur les minorités, sur la guerre, sur les drogués, sur l’amour), et écrit comme il faut écrire au début du 21ème siècle : d’une manière léchée, classique, tout en empruntant un certain nombre de ressorts aux avant-gardes narratives des années 70-80. L’ensemble est tout à fait middle-brow, et semble préfabriqué pour ces gens qui emportent un Amélie Nothomb sur la plage en se croyant terriblement supérieurs à ceux de leurs voisins qui se servent, pour pare-soleil pendant la sieste, d’un Musso ou d’un Marc Lévy. Entre autres, la façon dont les vies des différents protagonistes/narrateurs se croisent n’a plus rien de surprenant (mais ce jugement vient de quelqu’un qui a trouvé, en le revoyant il y a quelque temps, que Mystery Train de Jarmusch avait très mal vieilli).


Je suis plutôt méchant, et vais m’amender en citant quelques passages particulièrement réussis.

Old domino players sat in the courtyard, playing underneath the flying litter. The sound of the plastic bags was like rifle fire. If you watched the rubbish for a while you would tell the exact shape of the wind. Perhaps in a way it as alluring, like little else around it: whole, bright, slapping curlicues and large figure eights, helixes and whorls and corkscrews. (Bloomsbury, 2009, p. 31)

The men sat rooted like Larkin poems. (p. 33)

She wore a ring on her right hand, twirling it absently. There was a grace and a toughness about her, entwined. (p. 57) – Je pense avoir noté ces phrases car j’écoutais, au moment où je les ai lues, l’album des deux saxophonistes Urs Leimgruber et Evan Parker, dont les titres sont Twine, Twirl et Twist. Je ne minimise jamais ce genre de coïncidence ; elles sont le sel de l’art.


[Blaine] was a dynamo of ambition. Another film, Calypso, had Blaine eating breakfast on the roof of the Clock Tower Building as the clock behind him slowly ticked. On each of the clock hands he had pasted photographs of Vietnam, the second hand holding a burning monk going around and around the face. (p. 123)


Billy recited pages from Finnegans Wake in my ear. The father of fornicationists. He had learned twenty pages by heart. It sounded like a sort of jazz. Later I could hear his voice ringing in my ear. (p. 125)


Enfin, je voulais donner in extenso (déformation professionnelle oblige) un très bon sujet de version, mais n’ai pu copier-coller à partir du site Wattpad. Le passage commence à « The lack of money didn't bother my mother too much. » (pp. 286-8 de l’édition Bloomsbury).

 

mardi, 24 avril 2012

Différance des vacances

Ce matin, je me suis réveillé avec cette fatigue et cet interminable rhume d’une quinzaine chevillé au corps, à quoi s’ajoute une quasi-paralysie de l’omoplate gauche. Il n’est pas question de retourner voir le médecin, chez qui j’étais encore hier. Nous semblons revenus à l’ère de Molière, et pas seulement parce que le nouveau Pétain prononça, à Longjumeau, un discours dénué de véritables liens logiques – et voilà pourquoi votre fille est muette.

Dans l’intervalle, sans se laisser abattre, il faut goûter les Images de Debussy. Au salon, j’ai lu plusieurs des pastiches de Bret Harte rassemblés dans un volume intitulé Condensed Novels, et qui, pour ne pas être très élaborés stylistiquement (qu’est-ce qu’un pastiche sans absolu mimétisme ?), sont tout à fait drôles (Kipling, Dickens, Dumas). À l’étage, en aidant Oméga à bâtir sa forteresse en Kapla, j’ai poursuivi ma lecture des poèmes-conférences de David Antin (i never knew what time it was). Ils sont fascinants, et – at times – prodigieusement agaçants.

 

 

Il m’est arrivé, en regardant les résultats détaillés des élections dans tel ou tel département, de songer à rouvrir un nouvel album de limericks, pourquoi pas berrichons ou vexinois ?

dimanche, 15 avril 2012

Intermittences : sur quelques phrases d’Anthony Powell

 

Jeudi soir, tard, j’ai terminé la lecture de The Soldier’s Art, huitième volet de la dodécalogie d’Anthony Powell. Je crois avoir lu les 6 premiers tomes vers 2007-2008, avant de devenir directeur du département d’anglais en tout cas. J’y suis donc revenu, avec la trilogie militaire, dont seul le dernier tome – The Military Philosophers – me reste à découvrir.

J’y suis revenu, avec des sentiments mitigés. La lecture en est tout à fait plaisante, stimulante, même s’il me semble que le travail stylistique s’y émousse. Le côté « Proust de second rayon » est moins présent, ce qui, finalement et sans paradoxe, diminue le charme, voire la qualité d'écriture. On le retrouve toutefois par intermittences. Qu’on en juge :

The potential biographies of those who die young possess the mystic dignity of a headless statue, the poetry of enigmatic passages in an unfinished or mutilated manuscript, unburdened with contrived or banal ending. (The Valley of Bones, p. 197)

 

Il s’agit plus d’influence proustienne que de décalques jamesiens, comme lors de la description d’un bombardement aérien à l’époque du Blitz :

Out of this resplendent firmament – which, transcendentally speaking, seemed to threaten imminent revelation from on high – slowly descended, like Japanese lanterns at a fête, a score or more of flares released by the raiding planes. Clustered together in twos and threes, they drifted at first aimlessly in the breeze, after a time scarcely losing height, only swaying a little this way and that, metamorphosed into all but stationary lamps, apparently suspended by immensely elongated wires attached to an invisible ceiling. (The Soldier’s Art, p. 11) *

 

La semaine dernière, je citais un extrait de The Valley of Bones (tome VII, et 1er volet de la trilogie militaire). Sur la même page se trouve, toujours dans la bouche de Dick Umfraville, un jugement général, misogyne et galvaudé sur les femmes (“The answer was always no. Then one day she changed her mind, the way women do.”), ce qui m’a fait sourire. (Stratégie narrative difficile à démêler ici.)

Je n’ai pas vérifié si les douze romans de Powell qui composent ce cycle intitulé A Dance to the Music of Time, et que je lis dans l’édition Heinemann cartonnée que possède la B.U. de Tours, ont été traduits. Il me semble que traduire et publier ces romans maintenant aurait quelque chose de terriblement délicat, ainsi que d’éminemment suranné. Par exemple, toujours dans The Valley of Bones (p. 117) :

We were squadded by a stagey cluster of glengarry-capped staff-sergeants left over from the Matabele campaign, with Harry Lauder accents and eyes like poached eggs.

 

Comment, dans une traduction, saisir sans l’effriter le mille-feuilles culturel que constitue une seule phrase ?

 

Un autre passage qui m’a beaucoup amusé, dans The Soldier’s Art cette fois, et notamment en raison d’associations montypythoniennes ** qui relèvent ici de la coïncidence, ou – mieux – du plagiat par anticipation, donnerait, à la traduction, quelque fil à retordre :

‘How went the battle, Derrick ?’ he asked. […] ***

‘Pretty bloody, Eric,’ he said. ‘Pretty bloody. If you want to know about it, read the sit-rep.’

‘I’ve read it, Derrick.’

The assonance of the two colonels’ forenames always imparted a certain whimsicality to their duologues****.

‘Read it again, Eric, read it again. I’d like you to. There are several points I want to bring up later.’

‘Where is it, Derrick?’ (The Soldier’s Art, pp. 35-6)

 

Dans un registre moins satirique, il me semble important de clore ces quelques remarques éparses en citant un paragraphe où se mêle trois métaphores essentielles du cycle dans son entier – le jeu, la musique, la stratégie militaire :

This was an unexpected trump card for Stevens to play. Moreland, always modest about his own works, showed permissible signs of pleasure at this sudden hearty praise from such an unexpected source. Music was an entirely new line from Stevens, so far as I knew him, until this moment. Obviously it constituted a weapon in his armoury, perhaps a formidable one. He had certainly opened up operations on an extended front since our weeks together at Aldershot. (The Soldier’s Art, p. 135)

 



* Je dois à la vérité de préciser que j’écris ce billet, recopie ces citations, tout en écoutant un très beau duo d’Evan Parker et Urs Leimgruber, ce qui, par crépitements, démontre assez combien je mets en pratique le principe fondamental d’un de mes maîtres, Isidore Isou, et donc ce procédé – la discrépance – consiste ici à recopier des phrases à l’architecture ample et mesurée tout en étant profondément imbibé de sonorités que même le qualificatif de free ne suffit plus à décrire. Qu’il soit dit, au passage, que ce principe même est au centre d’une série de textes sur l’autre blog (Unissons).

 

** En l’espèce, que cette séquence animée, toute en nonsense et cochons tirelires, me soit immédiatement venue à l’esprit n’a rien de fortuit : le modèle commun des deux textes (Python & Powell) n’est-il pas le duo Tweedledum&Tweedledee du brave révérend Dodgson ? Ou l'auteur du bref sketch animé (Gilliam lui-même ?) aurait-il lu The Soldier's Art (publié en 1966, soit trois ou quatre ans avant la saison 2 du Flying Circus) ?

 

*** Le passage que j’omets de citer est tout à fait long, je dois le signaler, et très savoureux. À un universitaire, les deux colonels sont susceptibles d’évoquer quelques infernaux mandarins, par exemple Jean-Jacques Tatin et Elisabeth Gavoille.

**** Toujours j’écoute Evan Parker et Urs Leimgruber. Le terme de duologue leur siérait à merveille. Ce sont à la fois les nymphes de Mallarmé/Debussy et les camelots de la foire. Quelle merveille !

 

vendredi, 06 avril 2012

L’Œuvre dard

Dans le reportage sur l'incendie de Lunéville, à la télévision, on vit sortir à dos de pompier (il aurait été enchanté) un portrait du maréchal Lyautey (Clemenceau : « Parmi tous mes ministres, il n’y en a qu’un qui ait des couilles au cul, c’est Lyautey – et encore ce ne sont pas les siennes ! ») Mais beaucoup d’œuvres d’art ont péri, sans doute autrement précieuses.

(Renaud Camus. Rannoch Moor. Fayard, 2006, p. 14)

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'That was it,' said Umfraville. 'I expect you've heard of a French marshal called Lyautey. Pacified North Africa and all that. Do you know what Lyautey said was the first essential of an officer? Gaiety. That was what Lyautey thought, and he knew his business. His own ideas of gaiety may not have included the charms of the fair sex, but that's another matter. Well, how much gaiety do you find among the palsied crackpots you serve under? Precious little, you can take it from me. It was my intention to master a military career by taking a leaf out of Lyautey's book - not as regards neglecting the ladies, but in other respects.

(Anthony Powell. The Valley of Bones. Heinemann, 1964, p. 152)

 

vendredi, 23 mars 2012

Cock & Bull (Will Self)

Lu il y a déjà deux semaines et demie, dans le train, entre Tours et Bordeaux. En fait, je n’ai lu que le premier des deux récits, Cock : A Novelette. Dans le train, c’était l’idéal, puisque la scène du récit (pas l’histoire, mais l’endroit où elle est racontée et se dénoue – tragicomiquement) est un compartiment de train. Dans la mesure où il s’agit évidemment d’un diptyque, je ne devrais pas rendre ce livre à la B.U. (ah, que deviendrais-je sans la B.U. ? quand je pense aux centaines (peut-être va-t-on jusqu’au millier, en comptant les années oxoniennes et nanterroises) de livres que j’ai lus depuis des années sans les acheter et sans en encombrer mes étagères !) sans avoir également lu Bull : A Farce. Mais si jamais je devais manquer de temps, eh bien, je prends au moins quelques minutes pour noter ici, en vrac (après tout, plus personne ne me lit et je peux mettre le oaï dans mes propres carnets), les bribes manuscrites issues du voyage ferroviaire.

 * Le genre de la novelette, inventé par Will Self dans ce qui doit être un geste de titrage parodique, trouve tout son sens dans le sujet de ce récit, l’hermaphrodisme (plus français qu’italien, plus novelette que novella). Autre jeu sur les signifiants : l’épouse de Dan, Carol, est – en tant que narrateur – « the Don ». Outre le côté très « vieille Angleterre » de la dénomination, il y a sans doute un jeu sur le sous-texte mafieux, voire quelque chose à creuser du côté de Cholokhov (dont le pavé a pour titre, en anglais, And Peaceful Flows the Don), ou du boustrophédon Don/Nod (le pays de Nod > refuge et punition de Caïn (l’errance)).

 * Le récit consiste en fait en un viol du narrataire (le narrateur est tout autant pro- qu’anta-goniste, hybride aussi en cela). L’antisémitisme de l’hermaphrodite (complexe, ambivalent).

 * Le pénis de Carol : « Was it just her imagination, or could she, with her probing digit, actually feel some kind of structure to the frond ; some internal viscosities of its own that suggested that it was not simply a raggle-taggle end of gristle, but something sensate ? » (p. 30)

 * Sexualité et quasi-redoublements: «I doubt your ability to endure the trufflings and mufflings beneath the patterned cover. […] He nuzzled and snuffled, little bleatings issued from his lips. » (p. 65)

 * La bière mauritanienne: “Black Mambo” (p. 85). (Il semble que ce soit une pure invention de Will Self.)

  * Couleurs et allitérations : « Carol did her best to blush, but all it really amounted to was a beige tinge at the edges of her foundation. ‘Oh, oh, that.’ Dan was far better at it, he went puce to the roots. » (p. 102)

 * Viol et quasi-redoublement: « Defiled me insofar that as he raped me he screamed and ranted, gibbered and incanted the most awful mish-mash. » (p. 125)

lundi, 19 mars 2012

Chronique de la dérive douce

Jeudi soir, dehors sur la terrasse, j’ai lu – tout en surveillant mon cadet, qui jouait au rugby – la première moitié de Chronique de la dérive douce, le dernier Dany Laferrière, et en tentant d’en traduire en anglais au fur et à mesure, in petto, les strophes. C’est un texte pour lequel, au jugé, une traduction de premier jet prendrait, tout au plus, une vingtaine d’heures. (Je ne cesse de blâmer, sans pouvoir l’empêcher, l’invasion de mes phrases par une foule de circonstants.) Ce dernier roman du Haïtien, je l’ai poursuivi au salon samedi – je crois – puis terminé dans le fauteuil, sur le palier à l’étage, dimanche matin, tout en surveillant encore le cadet, et de sorte qu’au fur et à mesure que je lisais ce livre, je m’élevais dans l’espace. Comme j’ai lu en parallèle, et en alternance, l’églogue hivernale de Renaud Camus, j’ai noté la strophe suivante, à la page 175 :

Je lis tout en buvant

du thé chaud,

soir d’hiver,

le poème où Nelligan écrit

avec une ardeur romantique :

« Ma vitre est un jardin

de givre. »

 

→ Montréal. L'hiver. Le givre. la citation.

↓ (Lundi. Rayons. Tout le couloir sent le vinaigre blanc.)

dimanche, 04 mars 2012

Brisées dominicales

Entre Orthez et Bordeaux, achevé la lecture du roman de Libar M. Fofana (L'étrange rêve d'une femme inachevée - un texte courageux, dense, acéré et flaubertien dont j'espère avoir le temps et l'occasion de reparler prochainement dans ces pages), puis de Briar Rose, bref récit éclaté (avec variations) par lequel Robert Coover réécrit le conte de la Belle au Bois dormant (j'avais lu, trois jours plus tôt, Snow White de Donald Barthelme - plus déjanté).

Entre Bordeaux et Challais, après m'être restauré au Mitico, un infâme bar PMU, correction des copies en souffrance, puis, entre Challais et Tours, lecture de la moitié du Secret de Caspar Jacobi, acheté d'occasion je ne sais plus quand et qui traînait à Hagetmau depuis je ne sais plus quand non plus. Il n'y a pas à dire, voyager en train est plus enrichissant (surtout quand la ponctualité est de mise et qu'aucun ratage de correspondance n'est au rendez-vous) que la longue litanie des bandes d'arrêt d'urgence et autres ronds-points.

Il reste à préparer un cours. Tours fait grise mine, sous les nuages bas et une brise glaciale, porteuse pourtant du printemps.

Je rêve assis.

jeudi, 16 février 2012

Des sonnets romains de Belli

J’ai lu l’été dernier – et ne m’avise qu’aujourd’hui d’en dire quelques mots – un roman d’Anthony Burgess qui s’intitule ABBA ABBA. Il n’y est pas question de l’insupportable groupe scandinave aux mélodies dégoulinantes de nullité, mais de la forme conventionnelle de notation des rimes embrassées dans les quatrains du sonnet dit pétrarquiste. Il se trouve que je me rappelle très mal l’intrigue, les péripéties, etc. Autant dire que ce n’est pas un texte inoubliable. Roman qui brode sur l’improbable rencontre, à Rome, entre Keats et Giuseppte Gioacchino Belli, il vaut surtout pour la découverte du dénommé Belli, donc, auteur d’une œuvre monumentale, une somme de sonnets (2279 si l’on en croit le répertoire exhaustif) en dialecte romain. Savoureux et d’une grande violence, je n’ai pris le temps de les découvrir – par l’intermédiaire d’une édition bilingue qui en propose un florilège et s’intitule Rome, unique objet…– ou Les Sonnets clandestins – que récemment. Or, Burgess propose, dans la deuxième partie de son livre, la traduction anglaise de quelque 71 de ces sonnets aussi truculents que rabelaisiens sur des sujets religieux. L’été dernier, j’avais dû faire des recherches sur Internet, car, en lisant ABBA ABBA, on peut tout à fait s’imaginer que Burgess invente de toutes pièces ce Belli (qu'un des sites qui lui sont consacrés qualifie de "plus grand poète italien de tous les temps", ce qui est de tout de même bien exagéré).

Afin de donner un exemple, j’ai choisi de reproduire ci-après la traduction du sonnet 330 (329 d’après l’édition des Belles Lettres), « La Nunziata ». Il est assez évident que le traducteur français, Francis Darbousset, est beaucoup plus proche de l’original que Burgess, qui a choisi une métrique, une syntaxe et un lexique beaucoup plus « nobles », ou – en tout cas – moins abrupts. Dans ce poème, Burgess restitue très astucieusement, en revanche, le jeu de mots oiselet/sexe. Plus curieux, Burgess respecte le schéma CDECDE des tercets (fidèle en cela au titre même de son livre, qui met l'accent sur les contraintes spécifiques du sonnet italien), alors que Darbousset, lui, est beaucoup plus libre dans le choix des rimes, jusqu’à traduire le concetto final au moyen d’un distique de rimes plates, structure caractéristique du sonnet… shakespearien ! Pour être assez paradoxal d'un point de vue formel, ce choix, comme on le verra, est très efficace.

 

La Nunziata

 

Ner mentre che la Verginemmaria

se magnava un piattino de minestra,

l’Angiolo Grabbiello via via

vieniva com’un zasso de bbalestra.

 

Per un vetro sfasciato de finestra

j’entrò in casa er curiero der Messia;

e co ’na rama immano de gginestra

prima je rescitò ’na Vemmaria.

 

Poi disse a la Madonna: «Sora spósa,

sete gravida lei senza sapello

pe ppremission de ddio da pascua-rosa».

 

Lei allora arispose ar Grabbiello:

«Come pò esse mai sta simir cosa

s’io nun zo mmanco cosa sia l’uscello?».

 

 

L’Annonciation

 

Pendant que la Vierge Marie

s’envoyait une assiette de soupe,

l’Ange Gabriel accourait

comme carreau d’arbalète.

 

Par la vitre cassée d’une fenêtre

le courrier du Messie entra chez elle ;

et lis en main, à sa droite, d’abord

il lui récite un Ave Maria.

 

Ensuite, il dit à la Madone : « Vous êtes

ma chère dame, enceinte sans le savoir,

par permission de Dieu depuis la Pentecôte. »

 

Et elle alors à Gabriel de répondre :

« Mais comment diantre ça a pu se faire, dites,

si je sais même pas ce que c’est qu’une bite ? »

 

Annunciation

 

You know the day, the month, even the year.

While Mary ate her noonday plate of soup,

The Angel Gabriel, like a heaven-hurled hoop,

Was bowling towards her through the atmosphere.

She watched him crash the window without fear

And enter through the hole in one swift swoop.

A lily in his fist, his wings adroop,

“Ave,” he said, and after that, “Maria.

 

Rejoice, because the Lord’s eternal love

Has made you pregnant–not by orthodox

Methods, of course. The Pentecostal Dove

Came when you slept and nested in your box.”

“A hen?” she blushed, “for I know nothing of–”

The Angel nodded, knowing she meant cocks.


mercredi, 15 février 2012

La Folie Baudelaire

Contrairement au Rose Tiepolo, qui m'avait enchanté - peut-être parce que je connaissais moins le sujet - , La Folie Baudelaire, aussi de Calasso, me laisse un peu sur ma faim * .  Il me semble que l'équilibre entre éléments biographiques et analyse esthétique est nettement moins réussi, et que Calasso s'embourbe un peu trop dans les premiers, au détriment de la seconde. Cela confirme, si besoin était, que le génie n'existe pas, et les miracles non plus. Il y a des livres réussis, à force de travail... et des livres moins achevés. Cela étant, je n'en suis qu'au tiers ; ça va peut-être se réveiller.

 

 * La Faim, je le signale, est une des figures, un des personnages - même - de Mathématiques congolaises.

lundi, 06 février 2012

Battre briquet, tracer cercles dans l'air, recouvrir son calme

 

"Novels," she repeated. "Why do you write novels? You ought to write music. Music, you see"—she shifted her eyes, and became less desirable as her brain began to work, inflicting a certain change upon her face—"music goes straight for things. It says all there is to say at once. With writing it seems to me there's so much"—she paused for an expression, and rubbed her fingers in the earth—"scratching on the matchbox. Most of the time when I was reading Gibbon this afternoon I was horribly, oh infernally, damnably bored!" She gave a shake of laughter, looking at Hewet, who laughed too.

"I shan't lend you books," he remarked.

"Why is it," Rachel continued, "that I can laugh at Mr. Hirst to you, but not to his face? At tea I was completely overwhelmed, not by his ugliness—by his mind." She enclosed a circle in the air with her hands. She realised with a great sense of comfort how easily she could talk to Hewet, those thorns or ragged corners which tear the surface of some relationships being smoothed away.

"So I observed," said Hewet. "That's a thing that never ceases to amaze me." He had recovered his composure to such an extent that he could light and smoke a cigarette, and feeling her ease, became happy and easy himself.

 

Virginia Woolf. The Voyage Out [1915], Hogarth Press, 1971, ch. XVI, pp. 251-2.

 

jeudi, 19 janvier 2012

Le Retour des jacamars

Le week-end dernier, sur Facebook, je suis intervenu trois ou quatre fois dans un groupe célébrant la perte du triple A, sous l’identité de Guillume Cingl. Il y eut tout d’abord un lipotexte :

Merci de m'inscrire membre. Je perdis mes * hier soir, en une curieuse surprise. Je compte m'en remettre. Toutefois, toute personne en mesure de me décrire le lieu d'emprisonnement des susdites précieuses voyelles est, d'ores, fort vivement remerciée.

Puis un autre :

De tout temps, l'homme, obsédé de pouvoir, s'est penché sur les questions de sous, de pognon, de flouze, et ce quel que soit le nombre de voyelles dont il dispose, de sorte que les officines qui dispensent des notes, je m'en cogne le coquillon sur le bord du trottoir.

Puis, à rebours, des commentaires qui paraîtront plus ou moins abstrus, abusant de la voyelle autant que de la bouteille :

1. Barbara sans A, c'est comme jacaranda, jacamar, Caracas ou Nathan Zuckerman. Muy complicado.

2. Le Venezuela n'a pas de triple A. Je me demande comment font les jacamars de Caracas.

3. C'est Anastagia, pas Sasha, qui m'a tapé dans l'œil.

 

(Pour ce dernier, il était question des Miss Bahamas 2011.)

Toutefois, il est question d’autre chose, désormais, ce jeudi. Du jacamar. Encore.

En écrivant ma vanne à deux balles sur les jacamars de Caracas, je ne pensais pas avoir jamais lu de texte où il fût question de cet exotique volatile. Or, en rangeant quelques livres, ce matin, et les feuilletant (ranger représente toujours un moment de retrouvaille, aussi avec d’autres livres sur les étagères – bref, c’est une opération sans fin, d’autant que je finis par ne pas tout ranger, ou par ne pas ranger du tout), je suis tombé sur le poème suivant, à la page 121 des Jeux d’oiseaux dans un ciel vide de Fabienne Raphoz (Héros-Limite, 2011).

Galbuliformes

(Galbulidés)

Les jacamars se nourrissent presque exclusivement d’insectes volants

Tous les jacamars ont le bec acéré

Tous les jacamars portent l’émeraude métallique d’une forêt de nuages après la pluie sauf le Jacamar oreillard qui imite son sol après la pluie le Jacamar à tête pâle le Jacamar tridactyle le Jacamar à gorge blanche qui imitent son ciel avant la pluie le Jacamar brun le Jacamar à longue queue qui imitent sa nuit

Le Jacamar des Andes a l’œil solaire

Le Jacamar oreillard et le Jacamar roux pleurent rouge

Le Jacamar à queue rousse femelle a la queue émeraude

Le Jacamar des Andes est vulnérable

Le Jacamar tridactyle est en danger

 

Avec ce copié-collé d’un poème intégral (qui est un bref extrait, hahaha), ce billet peut prendre place dans un grand nombre de rubriques, sous-chapitres etc., dont vous trouvez juste ci-dessous la théorie :

mardi, 10 janvier 2012

L'île carcérale, Melun

« Dans la centrale. Melun... La vieille taule. Un couvent recyclé. cette île... En soi elle est déjà mélancolique. Oui, c'est une île. La Seine dort dans son lit. Je vais toujours dans les crépuscules. Du train en arrivant j'ai vu les réverbères s'ouvrir. J'entrais sous terre à Paris, c'était encore le jour, oui, le jour fatigué mais le jour, et là, quand je descendais à Melun, il faisait nuit de puits. »

Dimitri Bortnikov. Repas de morts (Allia, 2011), p. 173.

dimanche, 08 janvier 2012

Bast(ingag)e

Si je m'efforce d'écrire la vérité sur ce que je ressens, alors :

oui, moi aussi, je sens une part de mon corps s'en aller, voguer vers un océan lointain, tout en ayant le cerveau collé au bastingage.

.......

Mais ça ne fait pas de moi un livre à couverture verte emprunté à la B.U..

jeudi, 05 janvier 2012

Ecorces

Le Jouet enragé de Roberto Arlt est l’un des derniers livres – le dernier roman – que j’ai lu en 2011.

Ecorces de Georges Didi-Huberman est le premier livre que j’aie achevé en 2012. (J’ai commencé L’Aimant de Ramon Sender le jour de la Saint-Sylvestre et ai laissé son protagoniste principal en suspens à Melilla, à trois chapitres de la fin. J’ai commencé Springer’s Progress de David Markson avant-hier et l’ai bientôt fini.)

 

 

Ecorces est un livre bref, dans lequel Didi-Huberman raconte, à partir de photographies numériques prises lors de sa visite d’Auschwitz-Birkenau, les points de vue qui se sont imposés à lui au cours de cette « déambulation ». Ce qu’il écrit de la muséification, pour Auschwitz, m’a rappelé, mutatis mutandis, ce que Renaud Camus reproche, à juste titre, aux demeures d’artistes qui se dénaturent entièrement par des ravalements, des aménagements en vue d’être visitables/visitées. Dans le cas d’Auschwitz, cela semble particulièrement douloureux, scandaleux.

Plus subtilement, Didi-Huberman remarque, avant d’élaborer, que seules trois des quatre photos prises en état de danger absolu par l’un des membres du Sonderkommando ont été élevées au rang d’artefact mémoriel par les autorités chargées de la gestion du site de Birkenau. Il a consacré il y a quelques années un essai entier, Images malgré tout, à ces quatre photos ; on ne peut que le suivre quand il écrit que, si la quatrième photographie ne représente rien des opérations de gazage, cette incapacité à représenter témoigne admirablement de la précarité de la situation du photographe : « elle témoigne du danger lui-même, du vital danger de voir ce qui se passait à Birkenau » (p. 49). Pour ce qui est des trois autres images, elles ont été recadrées, simplifiées, ce qui pousse Didi-Huberman à poser la question : « faut-il mentir pour dire la vérité ? » (p. 47)

Ce qu’il écrit, plus tôt, de la « moderne vis cruciforme » (p. 16) apposée sur la pancarte à tête de mort annonce ce qu’il écrit, vers la fin de l’ouvrage, de l’impératif de « voir malgré tout » (p. 61). Si le fil conducteur de ce bref texte d’une grande force est l’écorce de bouleau – arbre qui donne son nom à Birkenau – je n’ai pu m’empêcher de relier cette image de l’écorce-peau à la croûte de neige glacée des Récits de la Kolyma, au bûcheronnage aussi intensif qu’inexpert du Voyage au pays des Ze-Ka ou aux légumes pourris qu’évoquait Charlotte Delbo dans le tome 2 d’Auschwitz et après. Même (surtout ?) lorsqu’il n’y a rien à voir, en apparence, on imagine la matière avec une autre densité.

mardi, 06 décembre 2011

New vista of troubles

Je dois, sans l’avoir ouvert, rendre Tracks de Robyn Davidson à la bibliothèque. Ouvrant le mince volume au hasard, j’en extrais cette phrase : « The miraculous turn of events opened a whole new vista of troubles for me. » (Vintage, 1995, p. 78)

Baigts (Landes), 30 octobre 2008 J’ai aussi griffonné à la va-vite, par le clavier, mes vers préférés de Tiepolo’s Hound, avant de le rendre. Des fleurs se pâment dans un coin. Patrimony, pareil, et qui devra passer au scanner cet après-midi (comble de l’ironie, livre sur le cancer). Ma récente manie, prise avec l’Année de 398 jours, d’insérer, en petites majuscules (Book Antiqua corps 14), des citations sans rapport est bien pénible.

Écrire un éternel fichage décourage la lecture. (Celle là est de moi.) Tes galants mis aux fers. (Pas celle-ci.)

vendredi, 30 septembre 2011

Le spectre et le mourant

(Note écrite le 13 juillet, à Hagetmau)


Le dernier, très court, chapitre d’Indignation apprend au lecteur que le narrateur, qui se présentait comme un spectre, était en fait un mourant qui, sur son lit d’hôpital, se retrouvait, grâce à la morphine, avec la mémoire dopée – d’où son récit. Bien sûr, comme souvent chez Roth, cette révélation finale ne va pas sans poser de nouveaux problèmes narratologico-théologiques, plus complexes encore. Surtout, en substituant un mourant comateux à un spectre, cette fin de roman semblait appeler la lecture que j’ai enchaînée –Malone Dies (je crois avoir lu Malone meurt il y a une éternité – mais je crois aussi ne jamais avoir lu L’Innommable – est-ce possible ?).

Il faudrait réellement qu’un jour :

1. j’achète (au lieu de toujours emprunter tel ou tel volume en bibliothèque) les œuvres complètes de Beckett

2. je me livre sérieusement à l’étude, non du bilinguisme et de l’auto-traduction (cela a été fait vingt fois déjà), mais d’un point précis de comparaison entre le texte français et le texte anglais. (Par exemple, dans Malone Dies, ce pourraient être les substantifs en –lessness ou les comparaisons ou le rythme ternaire.)

 

 

Ajout du 29 septembre.

Aujourd'hui, j'ai recopié, dans le fichier Word « Roth », les notes éparses gribouillées lors de ma lecture d'Indignation. Une fois encore, la parenté avec les thèmes constitutifs d'American Pastoral (désir rétrospectif, mais voué à l'échec, de reconstituer ; histoire et récit ; erreur et errements ; incertitude du sens et certitude du désastre) est évidente.

jeudi, 01 septembre 2011

Rectificatifs (= c'est l'écriture)

J'ai passé un moment assis dehors, sur la terrasse, à profiter d'une des dernières soirées, peut-être, de lecture vespérale, entre les 244 étourneaux perchés sur l'immense grue Potain du chantier voisin, la tourterelle sur l'antenne télé et la pie (qui se trouvait, ce soir, dans la gouttière des Huppenoire), et à aller d'un livre à l'autre -- le livre à couverture parme (Max Aub) et le livre à couverture orange (Elsa Morante) -- tout en essayant de rendre hommage, par la pensée, à la chaise défoncée sur laquelle j'étais assis et qui achève de rendre l'âme sous mes fesses : cette chaise, que, comme ses trois congénères, nous avons achetée (très d'occasion, à la Trocante) lors de notre installation dans l'appartement de la rue du 51ème R.I., à Beauvais, pourrait témoigner, avant d'aller à la benne à laquelle je finirai bien par la condamner, de bien des moments de notre vie au cours des quatorze dernières années. Cela mérite sûrement, pour ouvrir le mois de septembre, une double citation.

Il lui semblait voir Venise, comme une mer tranquille, sur laquelle d'énormes anges de marbre marchaient sans toucher l'eau, les pieds nus, avec de longues robes tombantes. *

Ils rectifient. Ils ont des visions. **

 

Tous les anges, dans leurs robes (étourneaux criards, pies volages), ont des visions, et nous, nous rectifions.

 

 

* Elsa Morante. "Le voyage", traduction de Sophie Royère - in Récits oubliés (Verdier, 2009, p. 136)

** Max Aub. Campo del Moro (1963). Traduction de Claude de Frayssinet. Les Fondeurs de brique, 2011, p. 26. [Il s'agit du tome 5 du Labyrinthe magique.]

lundi, 11 juillet 2011

Pierre, pitance, in-pace

C'était le même édifice en pierre noire ou grise baigné de la même lumière morte où l'on servait la même pitance intemporelle à des jeunes gens transférés de leurs humides oubliettes dans l'in-pace de l'internat.

(Pierre Bergounioux. Le premier mot. Gallimard, 2001, p. 30)

 

N'ayant pas été logé, pour mon hypokhâgne (ni d'ailleurs par la suite), à l'internat, et n'ayant pas non plus quitté l'âpreté de la Corrèze pour la morne Limoges, je n'ai, de mes années de classe préparatoire, que des souvenirs lumineux, éblouissants aussi de sérénité. J'étais sans doute plus décomplexé, et sans attentes, que P.B. Aussi: j'ai pu avoir des professeurs plus enthousiasmants que lui. Néanmoins, néanmoins… Se peut-il que les lieux comptent plus que tout pour donner le ton d'une année, ou pour infléchir ce que l'on comprend d'un cursus ?

lundi, 13 juin 2011

Lundi de Pentecôte

Après un tourbillon Bergounioux, venu lui-même interrompre un long cycle (à peine ébauché) consacré à Philip Roth, j’ai repris le Voyage au pays des Ze-Ka de Julius Margolin, tout en finissant par me lancer à l’assaut d’Only Revolutions de Mark S. Danielewski qu’E* m’a prêté il y a plus de trois mois, et qui, par son aspect de livre bricolé par un savant fou ayant trouvé le moyen de mixer Finnegans Wake et Gyroscope en y ajoutant une pincée de Tristram Shandy et la levure David Lynch, a tout de même de quoi désarçonner et décourager un qui a un peu beaucoup dix mille autres choses à faire. (Mais ça m’exalte, j’avoue, encore plus que House of Leaves.)

Cependant, C., elle-même tirée à hue et à dia entre tant de tentations, relit Madame Bovary – elle en est ravie, à sa quasi surprise.

 

 

Samedi après-midi, j'ai acheté, au Livre, les opus 5 et 6 du Labyrinthe magique (dont les troisième et quatrième tomes, à la couverture jaune, aux éditions des Fondeurs de brique, attendent encore dans mes piles) et une traduction récente de Sergio Chejfec. Il me reste, aujourd'hui, à refaire des recherches (avant de jeter de vieux exemplaires cornés et poussiéreux de Courrier international) pour savoir si Miguel Syjuco a été enfin traduit. [Recherche faite, il s'avère - mais est-ce sûr ? - qu'Ilustrado, publié en français chez Bourgois, est écrit en anglais. En dépit de son titre aux consonances hispaniques, je n'avais donc pas du tout besoin d'attendre toutes ces années pour le lire...!]

mardi, 24 mai 2011

Les Sept fous

Des Sept fous, la lecture est encore vivement présente à mon esprit. Je croyais l’avoir lu très récemment (j’hésitais entre mars et janvier). Or, je viens de retrouver une mention de ce livre qui date du 1er décembre, et indique clairement qu’il avait déjà été lu. Ce serait donc novembre ! Que le temps, l’année aura filé vite. En tout cas, j’ai eu raison de le garder sous le coude, puisque je prends enfin le temps d’extraire quelques passages de ce récit d’une dérive sectaire. Le patronyme de l’auteur, mort à quarante-deux ans en pleine Seconde Guerre mondiale, pourrait évoquer – avec une ironie sinistre qui ne lui aurait pas déplu – quelque sigle de notre société post-moderne.

 

 

« La peine, semblable à ces arbustes dont l’électricité accélère la croissance, grandissait dans les profondeurs de sa poitrine et montait jusqu’à sa gorge. Immobile, il se disait que chaque peine était un hibou qui sautait d’une branche à l’autre de son malheur. »

Roberto Arlt. Les sept fous (1929),

traduction d’Isabelle et Antoine Berman. Belfond, 1981, 2010, p. 50.

 

Les Hiboux, gravure de Henry Chapront pour le poème de Baudelaire

 

« Derrière la vitre de la petite fenêtre allaient et venaient des requins borgnes, furieux parce qu’ils souffraient d’hémorroïdes, et Erdosain jubilait silencieusement, riant du petit rire de l’homme qui ne veut pas qu’on l’entende. » (p. 147)

 

« À la manière de celui qui tire de son portefeuille l’argent produit par ses divers efforts, Erdosain tirait des alcôves de la maison noire une femme fragmentaire et complète, une femme composée de cent femmes démembrées par cent désirs toujours identiques et toujours ravivés par la présence de femmes dissemblables. »  (p. 158)

 

« Je vais rompre le faible fil qui m’unissait à la charité divine. Je le sens. À partir de demain, je serai un monstre sur la terre… Imaginez-vous un enfant… un fœtus… un fœtus qui aurait la capacité de vivre hors du sein maternel… Il ne grandit jamais… Velu… Petit… sans ongles il marche au milieu des hommes sans être un homme… Sa fragilité horrifie le monde qui l’entoure… Mais il n’est pas de force humaine qui puisse le restituer au ventre perdu. » (pp. 317-8)

dimanche, 01 mai 2011

An (Irish) avant-gardener

Comme j’ai lu Changing Places au cours de la première semaine de vacances pascales, j’en copie ici un extrait, histoire d'en marquer le déroulé au fer vert. (Petit roman de David Lodge, bien écrit, drôle, très vain et passablement daté. Exploration poussive de la multigénéricité.)

En choisissant cet extrait, je pense à mon collègue Stephen (qui m’avait parlé du professeur Zapp lors d’un déjeuner le 1er avril), à Olivier Bab, à Renaud Camus (à son concept de tchernobylisation, notamment), et… à moi, qui suis censé être – aussi – spécialiste de lexicologie et d’humour britannique.

 

O’Shea is what you might call an avant-gardener. He believes in randomness. His yard is a wilderness of weeds and heaps of coal and broken play equipment and wheelless prams and cabbages, silted-up bird baths and great gloomy trees slowly dying of some unspecified disease. I know how they must feel.

(fin d’une lettre de Morris Zapp à sa femme, Désirée

Changing Places, 30ème réédition Penguin, 1991, p. 128)

lundi, 28 mars 2011

Omoo, XXXII

Dans l'incipit de Salammbô, Flaubert n'a rien inventé :

The first blood shed, in any regular conflict, was at Mahanar, upon the peninsula of Taraiboo.

 

lundi, 14 mars 2011

Sang

" A la suite de disputes au sujet de terres avec des cousines, et pour fuir les commérages, critiques et ragots de la famille, il avait juré de se vider de tout son sang et de s'en transfuser un autre, et de changer son patronyme d'Abad pour celui de Tangarife, qui avait l'air moins juif et plus arabe (menace burlesque qu'il ne mit jamais à exécution). "

(Hector Abad. L'oubli que nous serons, traduction d'Albert Bensoussan.

Gallimard, 2010, p. 90.)

samedi, 19 février 2011

Notes pour Der Fuchs (26 décembre 2010)

 

Herta Müller. Le renard était déjà le chasseur.

Traduction de Claire de Oliveira. Paris : Seuil, 1996. 

 

« Depuis qu’on découpe le renard, dit-elle, mes ongles poussent plus vite. » (p. 214) ::: ::: ::: ::: L’écriture de Herta Müller fait alterner raccourcis et épaississements, courts-circuits et analogies développées. Herta Müller a inventé (tout en l’inventant pas : en l’empruntant à tant d’autres et lui donnant une pâte qui n’est pourtant (partant ?) qu’à elle) le texte brut profond – avec une manière de voir le monde, ou de le percevoir, qui m’a rappelé – dans les premiers chapitres – Kotik Letaiev ou certains Savitzkaya :

« Le soleil est loin au-dessus de la ville. Les cannes à pêche projettent des ombres, l’après-midi s’appuie sur leurs ombres. Quand le jour va basculer, pense Adina, quand il va glisser il creusera de grands sillons dans les champs autour de la ville, le maïs se cassera. » (p. 36)

[J’écris ces notes, recopie ces fragments plus d’un mois après avoir lu le roman de Herta Müller, qui est déroutant, non par sa forme mais vraiment par le récit : que raconte-t-il ? que se passe-t-il ? comment passe-t-on de l’univers de l’enfance à celle du travail sous la dictature des Ceaucescu ? qui est qui ? Tout cela est plus déroutant, car présenté de façon moins chorale, moins torrentielle, moins aiguë que dans les grands textes de Lobo Antunes, par exemple. J’écris aussi ces notes, recopie ces fragments un jour ensoleillé d’après-Noël, influencé par la lecture reprise de Dubuffet, face aux sillons des champs glacés dans la campagne, sous un grand soleil de décembre qui rappelle mes lectures, il y a deux ou trois ans ici aussi à Noël, du poète chypriote de langue anglaise dont le nom m’échappe. « Le directeur devrait retenir ce nom puisqu’il a remarqué que le nom de CONSTANTIN n’allait pas au nain. » (p. 101.)]

 

L’inversion du regard fonctionne comme dans certains films en noir et blanc, que l’on dit d’avant-garde (là, comme jamais, se voient les odeurs, les couleurs) : « Quand Pavel lève la tête, le trottoir tombe du miroir de ses lunettes. Il y a une pastèque écrasée sur les rails du tramway, les moineaux mangent la chair rouge. [… Dans la voiture Pavel rattache sa chaussure, Clara sent ses colchiques. La voiture roule, la rue n’est que poussière, une poubelle brûle. » (p. 61) Tout se lit au ralenti, comme si la récit appelait des gestes mêmes du lecteur une certaine lourdeur. Dans le cadre étrange, quelques détails se muent progressivement en motifs. C’est le cas des peupliers, arbres qui (soit dit en passant) jouent un rôle plus important encore dans La bascule du souffle, non comme éléments du décor mais comme motifs d’étonnement : « Les peupliers sont des couteaux, ils dissimulent leur tranchant et dorment debout. » (p. 160). è « Les peupliers interdisent la chance en hiver, disent les pêcheurs, les peupliers dégarnis dévorent la chance quand ils boivent. » (p. 179)

 

C’est aussi le cas des coings :

« Il faudrait penser à ne jamais laisser la moitié d’un coing parce qu’elle sèche comme une fourrure, se racornit comme un brin d’herbe. Quand on a mangé tout un coing, quand il est dans l’estomac après avoir été dans la main, dit Adina en direction de ses mains sur la table, on devrait pouvoir ouvrir les yeux et être quelqu’un d’autre. Être quelqu’un qui ne mange jamais de coings. » (p. 120) è « Adina prit un coing et dit : non, tu ne l’as pas lavé, il a de la fourrure sur la peau. » (p. 219)

 

Cinéma, peinture – tout un art du visage : « Une ride s’échappa des commissures de ses lèvres et lui entailla la joue. » (p. 19)

 

Les images de soleil brûlant ou glacial rythment les différents épisodes, l’amenuisement de la peau de renard comme une peau de Chardin (la pâte dont Chardin investissait fruits, compotiers, étoffes, préfigura l’art de Herta Müller) : « En août, dans cette ville, il y a des jours où le soleil est un potiron épluché. » (p. 96) Toutes ces notations de couleur, de chaleur, de tonalités complexes n’échappent pas à la subjectivité moralisante (rationalisante ? abstractisante ?) du discours, comme dans une description frappante du drapeau roumain : « Sortant du remblai du stade, une lumière s’échappe vers le ciel comme si la lune s’était perdue. Les Danois, qui c’est ceux-là, les mains des hommes portent le drapeau tricolore, trois raies bien à eux. La pièce rouge famine, la pièce jaune silence, la pièce bleu espion dans le pays coupé du monde. » (p. 187)