dimanche, 30 août 2009
L'écrivain n'est pas lexicographe (heureusement)
June 21st, 1831 – The only talk now is of black women. Can and Leek spruik their foul and immoral stories by the fire at night and the rest of the men grow excited and the mood of the camp becomes restless.
Tim Winton. Shallows (1985). London: Picador, 1991, p. 107.
[D'après l'OED, la première occurrence écrite de spruik date de 1916.]
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lundi, 13 juillet 2009
Chair de poule
Dimanche matin, le sax de Griffin s’envole sous les nuages.
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Elle avait « un véritable tempérament d’artiste », comme disent de certaines pianistes et mezzo-sopranos les rédacteurs de certains journaux mondains, à la suite de certains concerts de bienfaisance. (J’en ai la chair de poule rien que d’y songer.)
Carlo Emilio Gadda. La Madone des philosophes, traduction de Jean-Paul Manganaro. Seuil, 1993, p. 119.
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Vendredi soir, le livre de Gadda (un autre livre de Gadda) était tombé dans le gravier, cour du musée du Gemmail. Les martinets s’en donnaient à cœur joie, et désormais il fait lourd dehors. Ni merles ni martinets.
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dimanche, 14 décembre 2008
500 heures sans dormir
Dans le noir, Alpha et moi suivions l'actuel propriétaire, en marchant dans de vraies flaques de purée de nèfles. Sous la pluie, nous relevâmes les compteurs, avant passage devant notaire mardi soir. M. C*** se perd ensuite dans les détails -- placards, clefs, néons neufs, trappes d'accès...
Demain, il faut rendre l'exemplaire des Poésies de George Meredith, et Le Rouet des brumes. Manqué de temps, comme à l'accoutumée. Je me demande tout de même s'il ne faudrait pas que je relise Bruges-la-Morte, que j'avais tant admiré en 1994 ; les nouvelles du Rouet m'ont paru, à quelques passages près, de bien fades petites choses. Récemment, C. essayait de lire Le Livre des fuites, dont je lui avais dit qu'à quatorze ans il m'avait ébloui. Comme, depuis, Le Clézio m'est devenu insupportable, j'avais de nouveau emprunté ce Livre des fuites, auquel je n'ai même pas eu le temps de jeter un oeil, afin de voir si c'était un amour de jeunesse ou une pierre égarée dans l'oeuvre. Some other time...
Alban m'a parlé de Touraine sereine. Non, je ne tiens plus de blog, plus aucun d'ailleurs. L'Horloger de Tavernier : vu il y a longtemps, aucun souvenir, mais Alban en parle avec tant de passion... Les traboules dans la nuit et l'air glacé, d'excellents gras doubles à la lyonnaise ("a munching in a cork"), et une soirée vraiment inoubliable - index et majeur pile où il faut.
Le colloque, faut-il le dire, m'a plutôt relancé, un paradoxe en ces temps de désastre.
Longs trajets en train, sans ordinateur ; la neige dans le Morvan, et la gare rose de Chauffailles ; au retour, j'ai lu presque intégralement Muttersprache de Josef Winkler dans la traduction de mon collègue Bernard Banoun. La verdure se vêt toujours de jaune.
Dimanche aussi, E. m'écrit qu'il a pleuré deux fois en écoutant le Fidelio de Jonas Kauffmann.
21:44 Publié dans Ex abrupto, Hors Touraine, Lect(o)ures, Moments de Tours | Lien permanent | Commentaires (6)
lundi, 04 février 2008
Perutz, Poitiers, saules, lentes dédicaces
Comme je voulais aborder l'écriture du (long, peut-être) texte que je veux consacrer à Petite nuit de Marianne Alphant, j'ai ouvert le document Word où j'écris certains textes avant de les publier dans l'un ou l'autre de mes carnétoiles, et j'y retrouve ces bribes, datées du 19 janvier dernier et jamais publiées / franchement oubliées :
19 janvier, déjà, minuit quinze, je ne m’endors pas du tout.
Le seizième chapitre de Turlupin est parfaitement hilarant. Leo Perutz, dont le goût du roman historique – même déconstruit – me semblait un peu fade, sur les premiers chapitres, est maître dans l’art de faire dérailler progressivement, mais non sans une violence jubilatoire, un récit de prime abord anodin. (Il y a aussi la façon dont, subrepticement, « la danse de Toulouse », p. 104, me rappelle « la jambe de Poitiers », octobre 2003.)
Autour du titre. D’emblée : Je crache des gauloiseries. Avant, il y eut turlupiner, dont je crus lire que l’expression française était « ça me turlupiline » (j’avais sept ans, mettons, ou huit). Turlupin était, nous apprennent les dictionnaires, un auteur de comédies vite populaire pour l’inanité de ses calembours en dessous de la ceinture (ou, en adaptant à la mode du dix-septième siècle, ses mots proches du haut-de-chausses). Le nom de Tirelupin, dans Gargantua, a fait couler beaucoup d’encre : les auteurs du Robert culturel y consacrent d’ailleurs un encart instructif.
(Accessoirement, le lecteur vagabond finit par apprendre qu’en français du Québec et d’Acadie, la turlutte n’est pas ce qu’on pense. Cela dit, il n’est pas indifférent que le substantif turlupin soit encadré par turgescence et turlute.) Ça, c’était autour du titre. De pleines bouchées de mots crus...
Pour tout compliquer, j'illustre ce billet au moyen d'une photographie de l'exposition "Julio Gonzalez en famille" [Julio Gonzalez. Les saules, 1925. (Ils n'ont pas l'air de saules, mais bon... la pâte prend l'ascendant...)].
14:35 Publié dans Blême mêmoire, BoozArtz, Ecrit(o)ures, Lect(o)ures, Mots sans lacune, Zestes photographiques | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : Ligérienne, Art, écriture
vendredi, 18 janvier 2008
Sept heures du soir, RN 124
( La zane de yeul, ça n'est pas folichon. )
Ce matin, il s'est passé ça. Puis, j'ai écrit ça. Idiot que je suis : l'énoncé j'ai vu passer une jolie jupe est toujours une métonymie, puisqu'il attribue à la partie du tout (le corps habillé) des propriétés du tout, la personne entière (la marche - "passer").
Autrement, après trois heures de cours, une traduction de poésie, deux heures et demie de recherches sur JSTOR et huit rendez-vous, j'ai quitté l'université à six heures du soir, pour me consoler avec Leo Perutz.
Six mulets et six hérissons font la douzaine, et la plupart des gens ont le nez au milieu de la figure. Avez-vous entendu, madame Sabot ? Demain, on enterre un mort !
(Leo Perutz. Turlupin. Traduction de J.-C. Capèle. Le Livre de Poche, "Biblio", p. 29.)
22:45 Publié dans Hors Touraine, Lect(o)ures, Moments de Tours, Zestes photographiques | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : Ligérienne, Photographie, Littérature
jeudi, 17 janvier 2008
Empégué catégorique
... J. Roubaud. Impératif catégorique. Paris : Le Seuil, 'Fiction & Cie', 2008 ...
Sur les premiers contreforts, Impératif catégorique m’a laissé sur ma faim, peut-être parce que le ‘Projet’ y tient une place très restreinte, mais aussi, me semble-t-il, parce que Roubaud y adopte un style relâché, ne se montre pas très précautionneux, voire donne l’impression d’être las, embarrassé. Le déclic – le tournant – c’est l’épisode de la grève de la faim dans le Sahara et la mort du frère, Jean-René, qui précèdent les longs développements sur Lacan, qui, livrés dans une autre police de caractères, constituent, en quelque sorte, le centre névralgique du livre (§ 44-45 et § 47-51).
De Roubaud, dont j’aime beaucoup la poésie – il faut absolument connaître є, Quelque chose noir et Trente et un au cube –, les essais de prose me séduisent inégalement. Le ‘Projet’, « prose de mémoire », se situe à part et constitue l’une des œuvres les plus rigoureuses et les plus admirables de l’écriture contemporaine de langue française.
D’ailleurs, il est impossible de ne pas en commencer la lecture par le premier tome, ‘Le grand incendie de Londres’. Si j’essaie de me livrer à un petit exercice de remémoration, j’ai dû lire ‘Le grand incendie de Londres’ en 2000, à Beauvais, sur l’exemplaire emprunté à la médiathèque. J’ai lu La boucle dans la foulée, toujours par emprunt, avant de laisser s’écouler un laps. Ensuite, j’ai lu les tomes suivants dans le désordre : La bibliothèque de Warburg, version mixte en 2003, puis Poésie : et Mathématique : en 2004 ou 2005, je ne saurais plus dire. (Le fait est que je ne sais plus, de ces deux derniers ouvrages, lesquels je possède et lesquels j’ai lus par l’entremise du Service Commun de Documentation, autrement nommé la bibliothèque universitaire. Il faudrait aller vérifier à laitage, comme je l’ai lu sur une copie dernièrement.)
Impératif catégorique est donc le sixième tome, mais, comme il est le fruit d’un regret, voire d’un remords, il s’agit d’un retour en arrière dans la structure du ‘Projet’ en branches. Il s’agit de la seconde moitié de la troisième branche, et donc d’une demi-branche elle-même divisée en trois tiers. (Ainsi posé, ça a sans doute l’air imphallusable ; mais réfléchissez deux secondes aux notions de billet, de trackbacks, de catégories et de tags avec lesquelles la plupart des blogonautes – ou auteurs de carnétoiles – ont l’habitude de jongler : ce n’est pas plus compliqué. Comme dans l’océan, une fois qu’on est dedans, l’eau est bonne.)
Regret, remords, retour en arrière : peut-être est-ce l’origine contrainte (et non « sous contrainte ») de ce tome qui explique sa moindre réussite. Il se divise, comme déjà dit, en trois tiers presque égaux. La structure du récit est elle-même très belle : le premier et le deuxième tiers sont composés de 31 paragraphes chacun et le troisième de 26. Or, si l’importance du nombre 26 est assez évidente (alphabet, mais aussi 26 = 2 x 13), le nombre 31 occupe une place à part dans la numérologie roubaldienne : dans la mesure où le tanka est un quintil constitué de 31 syllabes (5-7-5-7-7), cette forme a déterminé les règles de composition de Trente et un au cube, entre autres textes majeurs de Roubaud. De plus, 26 = (5 x 5) + 1 et 31 = (6 x 5) + 1. Le nombre total de paragraphes est de 88, qui est, paraît-il, le nombre secret des néo-nazis, mais qui est surtout le produit de 11 et de 8 : l’octosyllabe et l’endécasyllabe sont les concurrents les plus sérieux de l’alexandrin dans les sonnets de Roubaud.
Bref... Ces problèmes arithmétiques sont loin d’être secondaires dans l’architecture du ‘Projet’, mais il est tout à fait possible de lire ces récits sans en faire grand cas. Il se trouve seulement que cela rejoint mes propres obsessions et ma fièvre de nombres.
Impératif catégorique évoque principalement, du point de vue autobiographique, les années de formation de Roubaud : conscription militaire au moment de la guerre d’Algérie, d’une part, et premières années d’enseignement en mathématiques à l’université (de Rennes), d’autre part. Si le point culminant de ce récit, comme je l’ai écrit plus haut, est le retour d’Algérie, le livre se clôt sur la soutenance de thèse de Roubaud. Il y est beaucoup question de mathématique, évidemment, avec, en particulier, un hommage appuyé à Jean Bénabou, doublé d’un portrait complexe de ce savant fascinant (et cousin de Marcel Bénabou (oulipien et auteur d’Écrire sur Tamara (which I have read) et de Pourquoi je n’ai écrit aucun de mes livres (which I haven’t))).
Sinon, on retiendra que, dans sa défense fervente de la modélisation chomskyenne, Roubaud taille un joli costard à Roland Barthes (« conférencier mondain, auteur à ses débuts de quelques textes anodins et rigolos », p. 179), mais aussi, dans un autre passage, à Malherbe, qu’il qualifie de « détestable pion », ce afin d’expliquer pourquoi il se refuse à appliquer la « règle des trois consonnes » (p. 202). Ces deux exercices d’exécration, comme l’aurait dit Cioran, permettent, d’une certaine manière, de distinguer le projet poétique de Roubaud de ceux de Ponge (auteur de Pour un Malherbe) ou Renaud Camus (grand barthésien devant l’éternel). Toutefois, en littérature – et dans le domaine intellectuel en général –, les choses sont plus complexes, et l’adage renommé subit la variante suivante, qui n’est pas négligeable : les amis de mes ennemis sont parfois /souvent/ mes amis. De fait, l’admiration que je voue au ‘Projet’ de Roubaud n’a d’égale, dans la littérature contemporaine de langue française et dans un ordre d’idées voisin, que mon intérêt, dans l’œuvre de Renaud Camus, pour son grand hyperlivre Vaisseaux brûlés. Roubaud expose d’ailleurs, dans Impératif catégorique (p. 205), le site Web dont il caresse l’idée depuis longtemps mais auquel il a plus ou moins renoncé, faute d’énergie ou de moyens financiers : ce qu’il en dit n’est pas sans rappeler Vaisseaux brûlés.
Je souhaiterais finir sur une note plus lexicographique. M’a frappé, dans Impératif catégorique, l’emploi, à deux reprises au moins, de l’adjectif empégué au sens d’enlisé. Le contexte m’a permis de comprendre cet adjectif sans difficulté, et j’y ai aussi reconnu un occitanisme. L’un des points communs entre le sieur J.R. et votre serviteur est leur commune origine méridionale, dira-t-on pour simplifier ; d’ailleurs, je n’aime rien tant qu’employer des termes gascons comme bahurle ou entougner dans mes conversations avec de purs oïlophones (certains de mes collègues tourangeaux, par exemple). Le problème, toutefois, c’est que « le Midi », comme on dit dans les bulletins météorologiques, n’existe pas, et qu’entre un Toulousain et un Auscitain, les régionalismes différent du tout au tout : que dire alors des différences d’accent et de lexique qui séparent un Landais (votre serviteur) d’un Languedocien pur cep (le sieur J.R.) ? elles sont incommensurables ! Avant d’écrire ce billet, j’ai consulté le Robert culturel (voir épisodes précédents) et ai été surpris de voir qu’il n’y avait pas moins de trois entrées différentes pour empéguer, s’empéguer et empégué ; de surcroît, les deux verbes se voient affecter chacun deux acceptions. Le sens littéral d’empégué est sali ; les sens figurés sont multiples (enlisé, soûl, enfoiré). Moi qui pensais proposer une nouvelle citation pour la rubrique, à peine esquissée, des Mots sans lacune, je fus bien marri de voir que les auteurs du Robert culturel avaient dégotté une citation d’Yvan Audouard afin d’illustrer le verbe pronominal. Heureusement, l’adjectif tiré du participe passé ne fait l’objet d’aucune citation, et je peux tout de même proposer un complément lexicographique :
C’est vers elle [l’écriture sous contraintes] spontanément que je me tournai pour sortir des brumes néosurréalistes au sein desquelles je me trouvais empégué. (Impératif catégorique, § 55, p. 164)
Je laisse le lecteur juger de l’opportunité (paradoxale) de l’adverbe spontanément pour qualifier le passage du jeune Roubaud de l’écriture automatique à l’OuLiPo. La seule autre occurrence d’empégué dont j’ai noté la référence pourrait servir d’exergue à l’ensemble du ‘Projet’, prose de mémoire : « Bernard ne veut pas interroger le passé. Bernard est sage. Pas moi, qui me suis empégué dans le souvenir. » (§ 59, p. 178).
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mercredi, 09 janvier 2008
Grand-tante Finesse tape fesse
Sur la table à tréteaux rouge où se trouve, parmi quelques autres entassements, le vieil ordinateur composite et bruyant, assis sur une chaise cannée – ou faut-il, comme pour les gâteaux, dire cannelée ? – de métal rouge, ayant monté et dévalé dix fois d’affilée les seize marches de l’escalier de bois, j’écris ces quelques lignes, tandis que se téléchargent, sur le vieil ordinateur composite, bruyant et lent, les photographies fades de ces deux derniers jours. Le ronronnement de l’ordinateur couvre presque le son des touches qui claquètent.
effet instantané des aspergesSoudain, l’ordinateur – ou plutôt, son ventilateur depuis si longtemps bruyant – a cessé de ronronner bruyamment, et l’on peut de nouveau apprécier les roucoulades des tourterelles turques depuis longtemps oublieuses du Bosphore, le passage d’une charrue sur le chemin vicinal, le frottement des feuilles, les rayons de soleil brûlants contre les vitres. Dans le Magazine littéraire acheté ce matin chez Caldéra, j’ai lu ce matin même l’article consacré aux deux nouvelles parutions de Roubaud, dont – enfin ! – la nouvelle branche du ‘Projet’. Sous Word, les tirets semi-cadratins s’effectuent automatiquement du moment qu’on laisse une espace de chaque côté du mot ou du groupe de mots à placer entre tirets, mais en revanche
effet instantané des asperges, il faut ajouter les signes de ponctuation autres, comme les points d’interrogation ou d’exclamation, après coup, sinon la saisie automatique se défile et, laissant en plan le typographe amateur, ne lui offre, pour tout potage, qu’un maigre tiret de rien du tout, à peine un trait d’union, rien de bien folichon. (Je devrais écrire, se dit-il, quelques phrases sur Stefano Bollani ou sur l’album étrange et étrangement beau du trio de Sophie Courvoisier, Ocre.)
effet instantané des aspergesIl n’en fait rien. Roucoulent les tourterelles, la caravane passe. Utrillo peignit les maisons grises délabrées de Montmagny, et moi je rature. Aujourd’hui ce serait la Sainte Famille, mais le calendrier de la banque ne suggère que la saint Roger. L’ombre du petit pot de verre, sur le coffre des vinyles, est à elle seule la chorégraphie de ce jour d’été. Je ne sais toujours pas pourquoi j’ai laissé ouvert mon exemplaire de Degrés à la page 204, près de l’ordinateur composite et bruyant, mais le Magazine littéraire est posé plus près encore, et je sais dans quel but (
effet instantané des asperges) je l’ai déposé là : il est impossible de savoir qui rédigé les très brèves notices qui « résument », à cheval sur les pages 46 et 47 de cet exemplaire du centenaire (janvier 2008), chacun des ouvrages importants de Simone de Beauvoir, mais il est certain que ce(tte) sagouin(e) ne connaît pas le français. Voyez plutôt le résumé (très erroné également, à ce que m’en dit ma compagne, qui a lu ce roman) des Belles images, publié en 1966 : « Ce roman, dédicacé à Claude Lanzmann, décrit les sentiments d’une femme qui réalise qu’elle a été flouée par la vie. Une critique acerbe de l’hypocrisie de notre éducation. »
Peut-être le roman est-il dédié à Claude Lanzmann, mais il y a fort à parier qu’il a été « dédicacé » à beaucoup d’autres lecteurs, y compris par de tout autres personnes que Simone de Beauvoir (e.g. : à ma chère tantine suffragette, son petit Aymeric). De même, que l’on puisse collaborer à un magazine littéraire et ne pas savoir que « réaliser », au sens de « percevoir » « s’apercevoir » « se rendre compte », est un anglicisme qui sent le cuir, c’est inquiétant. (Au demeurant, cela n’a pas semblé gêner tellement les trois traducteurs d’Istanbul d’Orhan Pamuk, non plus, ni l’éditeur Gallimard : le texte français d’Istanbul est parsemé de ces réaliser laids et contresémantiques.) Enfin, on aimerait savoir à quel nous collectif peut bien renvoyer l’expression « notre éducation » : est-ce le système éducatif français qui est hypocrite, ou l’éducation d’une génération, voire, si on le prend au sens strict, l’éducation des journalistes du Magazine littéraire ? (C’est bien possible, en effet : pour écrire aussi mal, il faut que l’éducation laisse à désirer.)
Des chiens aboient sous le soleil, sans raison apparente, et comme chaque nuit aussi ; c’est la grande nouveauté
effet instantané des aspergesde ces vacances. Je me rappelle avoir lu Degrés ici un été, peut-être 2004 ou 2005, mais je ne me rappelle plus où j’avais déniché cet exemplaire aux pages non coupées, probablement d’origine : achevé d’imprimer le 8 janvier 1960, soit 4 jours après la mort accidentelle d’Albert Camus, dont j’ai rêvé cette nuit, recroquevillé sous mon manteau. (Je n’ai pas lu une ligne de Giono, ni d’Albert Camus, depuis l’adolescence.) Degrés ne m’a pas vraiment plu ; j’ai trouvé qu’il sentait un peu trop l’atelier, sans compter que le charme suranné du cadre scolaire des années 1950 nuit grandement aux prétentions du roman à une quelconque modernité. Quand on songe que Butor n’était pas loin de commencer à concevoir les volumes II et III de son Génie du lieu… Quand on songe
effet instantané des aspergesà son génie, on ne peut manquer de désirer lire le dernier volume paru du ‘Projet’ de Roubaud. Degrés se déroule au long de 380 pages. Au centre précis du récit, à la page 198, il est question de papier vert, rose et jaune. Couleurs. Au quart du parcours, un adolescent révolté retarde sa brouille avec le père haï pour une sombre histoire de timbres du Liban. Je me rappelle avoir « tiqué » – l’été 2004 ou 2005, donc – en lisant le patronyme d’un des personnages, M. Bonnini, dont l’épouse, aux trois quarts de Degrés, semble aller mieux. (Mais il n’est plus question (effet
instantané des
asperges) de papiers de couleurs variées.
19:40 Publié dans Ecrit(o)ures, Hors Touraine, Indignations, Lect(o)ures, Words Words Words | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Ligérienne, écriture, Littérature
Stambouli(t)otes
Sur la jaquette de couverture d’Istanbul, c’est le patronyme Pamuk qui est mis en évidence, alors que, sur la couverture crème, c’est le titre du livre qui ressort en grand. Peut-être est-ce le cas de tous les ouvrages de la collection « Du monde entier », mais cette remarque est particulièrement significative, s’agissant de ce bel ouvrage sous-titré ‘Souvenirs d’une ville’.
Istanbul confirme ce que j’écrivais il n’y a pas très longtemps, à propos de Moby Dick, dans un commentaire et en réponse aux deux François : le fait qu’un livre soit traduit par plusieurs (ici : trois) traducteurs n’est pas bon signe. Ici, il y a de très belles pages, mais aussi des phrases lourdes, voire fautives, sans qu’il soit vraisemblable que les lourdeurs en question soient des effets de style imputables à l’auteur. Soit les trois traducteurs se sont répartis la tâche, et l’un des trois est mauvais ; soit (et c’est plus probable) la traduction a été confiée à un premier traducteur, qui a complètement merdé, ce qui a nécessité la reprise (ou le reprisage) tant bien que mal par les deux autres.
Istanbul rappelle, par certains côtés, les textes autobiographiques de Leiris, que pourtant Pamuk ne cite jamais. Il n’est pourtant pas en peine quand il s’agit de citer les textes d’auteurs français et turcs, qui constituent le soubassement et l’un des motifs essentiels de sa méditation sur la tristesse inhérente à la vie imaginée vécue durant cinquante ans à Istanbul.
Ce qui m’a d’abord attiré dans ce livre – dans la mesure où je n’avais encore pas eu l’occasion de lire des romans d’Orhan Pamuk – c’est, bien évidemment, le mélange subtil et enivrant des textes et des (nombreuses) photographies en noir et blanc, dont les sources et les auteurs sont très divers. Ainsi, plusieurs sont des reproductions de gravures de Melling, qui datent de la fin du dix-huitième siècle.
Il me revient que Didier Goux avait lancé, comme une boutade, la grande ressemblance entre telle photographie d’Orhan Pamuk publiée dans le Magazine littéraire l’été dernier et ce que je serai moi-même dans vingt ans : or, les quelques portraits de l’auteur à la fin de l’adolescence ne sont pas sans rapport, en effet, avec mon visage photographié sur le coup de mes seize ou dix-huit ans. Affaire à suivre…
[Le texte ci-dessus – ébauche plus que débat – a été écrit le 29 décembre dernier à Hagetmau, sur mon vieil ordinateur portable, remisé sur la planche à tréteaux de la mezzanine ; entre-temps, j’ai achevé, dans les Landes, ma lecture d’Istanbul, et l’ai prêté à ma mère. N’ayant plus l’ouvrage sous la main, il m’est difficile d’en écrire plus : affaire à suivre, vraiment... ? Cependant, j’écoute les Bad Plus.]
16:20 Publié dans Hors Touraine, Lect(o)ures, Zestes photographiques | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Littérature, écriture, Ligérienne
Ben Okri / Starbook
Sans doute ai-je tenté pour la dernière fois de lire un roman de Ben Okri. Depuis la polylogie inachevée consacrée aux « aventures » – je place ce terme entre guillemets, car rien, au sens propre, n’advient – de l’abiku Azaro, son œuvre a pris une tournure par trop déroutante. Le précédent opus, In Arcadia, mêlait maladroitement mysticisme animiste et histoire de l’art européen, mais d’une façon qui renouvelait le genre romanesque. Cette fois-ci, le modèle du conte yorouba délayé sur 420 pages ennuie profondément.
D’une grande patience (ou conscience professionnelle ?), j’ai tout de même lu Starbook en entier – j’avoue toutefois avoir lu les 120 dernières pages en diagonale et donc en moins d’une heure. Dans Starbook, Ben Okri ne parvient pas à retrouver le fragile mais splendide équilibre qui faisait le succès de The Famished Road, et, dans une moindre mesure déjà, des deux romans qui en constituaient la suite (Songs of Enchantment et Infinite Riches).
Sur la technique, rien à redire : la structure du roman est très riche et très complexe (200 chapitres répartis en quatre parties d’inégale longueur, selon des multiples de 11 ou de 13 (26 + 78 + 74 + 22 = (8 x 13) + (4 x 13) + (4 x 11) = 200), la manière dont l’histoire du prince malade se noue à la jeune fille de la tribu des artistes est efficacement mené, et les différents ressorts possibles des mythes – ainsi que leurs paradoxes et leurs contradictions – savamment explorés. Toutefois, la sauce ne prend pas, et Okri s’embourbe dans une litanie d’abstractions mystico-kitsch qui le rapprochent plus de Paulo Coelho, hélas, que d’Amos Tutuola. Le long développement sur le vent blanc et les « trous » (gaps) appuie pesamment sur les aspects historiques du mythe (traite négrière), sans pour autant en approfondir les enjeux.
Comme je commençais à avoir quelques réticences à propos de l’œuvre de Ben Okri, j’ai abordé ce livre avec circonspection, mais désireux de voir « ce que ça donnait », « où il en était », car, jusqu’à présent, chaque livre d’Okri recelait de très belles pages, des trouvailles stylistiques, voire des questions irrésolues. Dans Starbook, encore, il y a de belles pages (par exemple, la vision du héron et de la mascarade, pp. 33-43), quelques belles phrases (par exemple, le redoublement de l’emprunt lassitude/malaise dans la description du vent blanc, p. 242), et même des énigmes narratives (comme le rôle du je rare), mais tout cela noyé dans un tel fatras allégorique qu’il n’y a pas grand-chose à espérer des livres suivants.
On peut retenir, comme l’un des thèmes essentiels de Starbook, le lien entre créativité et oubli (qui m’a longtemps taraudé, cf mes années oxoniennes) : “They believed it was important to forget for a civilization to be quantumly creative.” (p. 311)
Okri propose aussi, dans certains chapitres, une vision très puissante de l’art, notamment dans le chapitre II. 46, dans lequel les manque(ment)s de l’art du Mamba permettent de définir en creux l’esthétique des Maîtres :
“It did not have what they called shadow, or dark life, or hidden light. It was substantial, but it did not have the lightness of that which can writhe, coil and move effortlessly. It had power, but not simplicity, or sadness. It had strength, but not weakness, the weakness that all living things have. It had glory, but not heart. It amazed the eye, but not the vision. It did not set the masters dreaming.” (p. 170)
Autrement qu’en creux, et au sujet du Maître, le père de l’héroïne, Okri a défini, dans le chapitre II. 42, sa conception du geste artistique :
“The master conceals his work even when the work is evident. The master reveals only that which is the least of him. That which is taken for the works of the master are often his cast-offs, his rejects, his second thoughts, his diversions, his red herrings, his false trails, meant to mislead those who seek only the normal, the evident, the superficial power, the material power, the form and structure of the world, those who seek worldly mastery and fame. These the master traps in the labyrinths of false achievements.” (pp. 162-3)
Quoique l’on puisse – autant que dans le reste du livre – s’agacer des tonalités magiques et du style tout en paradoxes et antithèses, il me semble que l’on trouve, dans la conception de l’art proposée dans ces pages, ce qu’il y a de plus intéressant dans l’œuvre d’Okri – ce mélange de retour à l’animisme et d’universalisme déconstruit. Malheureusement, dans Starbook, contrairement à ce qu’il était parvenu à accomplir dans la polylogie inachevée (ou trilogie sans dénouement ?), Okri n’a pas trouvé la juste mesure.
11:00 Publié dans Affres extatiques, Hors Touraine, Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Littérature
samedi, 05 janvier 2008
Leaves of Grass, 1855
Rentrés hier soir, pas très tôt, nous avons découvert dans notre boîte à lettres – entre maintes factures et de non moins nombreux courriers divers – un envoi des éditions José Corti : l’exemplaire, tout fraîchement sorti des presses, des Feuilles d’herbe de Walt Whitman, dans la version de 1855, traduite et postfacée par notre ami Éric Athenot. Quoique le nez et le cerveau ravagés par un rhume rageant, j’ai passé plusieurs heures, hier soir, à découvrir la postface, mais aussi à lire les très belles traductions d’Éric, qui a su rendre avec maestria les ouragans de voix de l’immense poète américain.
J’ai aussi pu constater – comme lors de précédentes lectures d’ouvrages récents (Kubin, Thomas Hardy) – que les éditions José Corti s’enfonçaient plus que jamais, hélas, dans l’amateurisme : coquilles dans la postface et sur la quatrième de couverture, notes de bas de page qui ne figurent pas à la même page que l’appel de notes, incertitude quant à la collection qui accueille le volume (Domaine américain ou Domaine romantique ? les deux peut-être...).
En dépit de ces réserves formelles qui n’entachent nullement le travail impeccable d’Éric, je recommande chaudement cette belle édition, qui propose un Whitman épuré de tout l’habituel bastringue accolé en France à la figure du poète.
15:00 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : Poésie, Traduction, Anglais, Littérature, Ligérienne
samedi, 08 décembre 2007
Nus et vêtus
Emprunté avant-hier à la B.U. (dans les casiers réservés aux "ouvrages réservés", les piles s'empilaient : conséquence de la fermeture administrative du site) Nus et vêtus de Christian Combaz, dont j'ai lu les 70 premières pages en une demi-heure : le style est d'une indigence étonnante, et le sujet scabreux tout à fait prévisible.
Bien entendu, la vie est brève, et j'ai mieux à faire que de continuer la lecture de ce roman.
08:15 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Ligérienne, Littérature
dimanche, 02 décembre 2007
Plus bien bon
Hier soir, j'ai lu une très belle nouvelle de Henry James, "The Story of a Masterpiece", qui présente certains des aspects les plus rugueux (ou les moins arrondis) de ses récits de jeunesse, mais qui est d'une grande puissance évocatrice. Ce récit, qui oscille entre Le Chef d'oeuvre inconnu et Dorian Gray, tout en suggérant, dans la figure de Stephen Baxter, un frère d'âme de Roderick Hudson, est vraiment d'une grande beauté. La fin en est très ironique, et la figure de la jeune femme, Marian Everett, nourrie de contradictions jusqu'au terme.
Toutefois, ce n'est pas de cela que je voulais parler. En effet, le narrateur emploie, à un moment du récit, la structure comparative "more good", ce qui est possible quand good est un substantif ("He has done more good than he is ready to admit" : il a fait plus de bien qu'il n'est prêt à l'avouer), mais absolument pas quand good est un adjectif, ce qui était le cas dans le passage concerné. Cela m'a beaucoup perturbé, car, évidemment, lorsqu'on s'est habitué à considérer comme une faute grave, dans les copies d'étudiants, l'apparition (rare, au demeurant) de more good en lieu et place de better, on se sent plutôt mal à l'aise face à de telles occurrences sous la plume d'un maître.
Ce matin, bien entendu, il n'y a pas moyen de retrouver le passage en question. Comme la nouvelle n'est, semble-til, pas disponible sous format électronique (j'ai vérifié sur le site Online Books mais aussi sur New Platz), il faudrait la relire dans le volume emprunté à la bibliothèque (il s'agit de l'édition des nouvelles complètes de 'The Library of America'). J'ai aussi fait de nombreuses recherches dans les sept volumes de la grammaire de Jespersen, mais sans succès.
Par ailleurs, comme j'avais été très impressionné par la description de Marian Everett qui ouvre la nouvelle, j'ai cherché comment la traductrice française de l'édition "Pléiade", Nicole Moulinoux, avait su rendre
In complexion, she was a genuine blonde - a warm blond; with a midsummer bloom upon her cheek, and the light of a midsummer sun wrought into her auburn hair.
Comme le dit mon ami Eric, lui-même auteur d'une traduction de l'édition 1855 de Leaves of Grass, et qui, à ce titre, beaucoup pratiqué cet exercice : "il n'y a rien plus de bête que la critique de traduction". Assumant pleinement mon penchant pour la bêtise, j'écrirai tout de même ici que je ne trouve pas très heureuse, pour cette phrase, la traduction française :
Sa carnation était celle d'une blonde naturelle - d'une blonde chaleureuse ; ses joues offraient l'incarnat du plein été et ses cheveux auburn les reflets moirés d'un soleil estival.
Il me semble indispensable de rendre, dans une traduction, l'allitération triple en bl : blonde / blond / bloom. Plus importante encore me semble la variation blonde / blond, caractéristique du goût de James pour l'inconcinnitas, la légère asymétrie. Accessoirement, Nicole Moulinoux choisit un registre lexical trop archaïsant : complexion est beaucoup plus banal, en anglais, que carnation en français. Même remarque pour bloom / incarnat.
Je cherche encore...
11:39 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Traduction, Anglais, Littérature
dimanche, 25 novembre 2007
Palilalies de Huntington
Entre autres chantiers multiples, dans mes deux carnétoiles ou ailleurs affaissé dans l'écriture, il y a les Mots sans lacune, vieille et maigre rubrique de ce site-ci. Elle me revint sous la plume à l'heure même où je lus, hier soir, cette phrase :
Les murs ocre qui entourent le domaine et les toits qui dépassent d'eux ne me sortent pas plus de l'esprit que Coré l'absente ou Corée l'absente, ce qui prouve bien que l'architecture peut être un objet de battologie au même titre que la poésie, et qu'il existe une palilalie visuelle autant que langagière.
Renaud Camus. Corée l'absente. Paris : Fayard, 2007, p. 249.
Pour le substantif battologie, le Robert culturel propose une citation, tout à fait réjouissante d'ailleurs, de Raymond Queneau, alors que, pour palilalie, la définition n'est pas accompagnée :
PALILALIE. n.f. < 1908, A. Soques ; du grec palin "de nouveau" et lalein "parler", cf palikinésie >
Pathol. Répétition involontaire d'un ou de plusieurs mots, observée dans la maladie de Parkinson et dans d'autres maladies du système nerveux.
Il se trouve que, sans être involontaire, la palilalie (du simple rabâchage au style itératif) est une figure essentielle de l'écriture de Renaud Camus, notamment dans les Eglogues (au secours, Madame de Véhesse !), mais plus généralement dans le reste de l'oeuvre. Ainsi, les pages 229 à 241 de Corée l'absente en présentent plusieurs cas ; par exemple : "Il a fait toute la journée un temps magnifique. Il a fait toute la journée un temps magnifique. Je croyais avoir facilement le vertige, mais Pierre est bien pire que moi." (p. 229)
10:10 Publié dans Corps, elle absente, Lect(o)ures, Mots sans lacune | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Littérature, Langue française
samedi, 24 novembre 2007
Pageries d'automne
Il y avait déjà, en cours, Moby Dick (à petites doses, d'autant plus impressionnantes), In the American Grain (j'ai lu ce matin, dans le jardin, "Red Eric", quatre pages d'une durable puissance), Bruno Schulz (qui m'ennuie), les premiers mois de Corée l'absente, sans compter les lectures en vue du colloque Poets & Theory (Lew Welch, Sylvia Plath, Philip Larkin) et désormais, puisque C. travaille sur Le Tour d'écrou, se pencher sur les deux traductions empruntées mardi dernier (donc se replonger dans la novella en V.O.), et lire en anglais les nouvelles de jeunesse qu'elle lit en français, moi qui connais surtout, de Henry James, les nouvelles des années 1880-1910.
Tout cela explique pourquoi je n'ai pas encore écrit une ligne au sujet des Drift Latitudes, dernier roman paru de Jamal Mahjoub (en 2006).
17:47 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Littérature, écriture, Ligérienne
mercredi, 21 novembre 2007
Tasmanie alphabets
............ il épingla telle une médaille sur ma poitrine une Tasmanie rose, flamboyante comme le mois de mai, et un Haidarabad où fourmillaient des alphabets étranges, enchevêtrés ...................
Bruno Schulz. "Le printemps", IV. In Le sanatorium au croque-mort, traduction de T. Douchy.
23:20 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Littérature
Araucaria à la dérive
Aucun des quatre billets publiés le 21 novembre 2006 n'a reçu de commentaire : il y a des jours où même les quarterons n'attirent pas les foules.
Ce matin, dans l'ouvrage d'entraînement à la version et au commentaire de traduction de Sébastien Salbayre et Nathalie Vincent-Arnaud, j'ai lu un texte dElizabeth Jane Howard, extrait de son roman Confusion (que je ne connaissais pas) et où se trouvait l'expression monkey puzzle, que je ne connaissais pas non plus et qui désigne, semble-t-il, l'araucaria.
Le soleil a fini par se lever, le feignant des bureaux d'obsèques. (Cette apodose ferait, pour Bruno Schulz, un bon titre. Jean Dubuffet me souffle que c'est l'essentiel, quoique je sache désormais que je dois me méfier de ses dires, et plus encore de ses pinceaux ou de son fil à tailler le polystyrène.)
Dans The Drift Latitudes, le fils de Rachel saute sur une mine. (C. n'a pas aimé la troisième partie ; je me tâte.)
......... où Villandry signe blanc .........
15:15 Publié dans Comme dirait le duc d'Elbeuf, Le Livre des mines, Lect(o)ures, Moments de Tours, Un fouillis de vieilles vieilleries, Words Words Words | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : Ligérienne, Photographie, Littérature
dimanche, 14 octobre 2007
La Femme des sables
Je sors comme hébété mais aussi ravi – peut-être transformé – de la lecture de La Femme des sables. La 2ème et la 3ème parties sont brûlantes, fortes. Le récit devient plus intense, mais le côté un peu anodin, mystérieux mais léger, des soixante premières pages, renforce certainement cette impression progressive d’enfermement. Un démarrage un peu vacillant, pour mieux river le clou ensuite... ?
Le plus étonnant, dans ce récit, c’est l’ambiguïté fondamentale entre résistance et abandon. Par là j’entends bien sûr la tension constante, dans l’esprit et les actions du protagoniste, entre acharnement et désir de laisser filer, mais aussi la façon dont le narrateur ne cesse de lâcher la bride pour mieux et plus vigoureusement tirer dessus quelques pages ou quelques paragraphes plus loin. Ainsi, si les lectures allégoriques possibles du roman sont multiples, l’une d’entre elles consisterait à voir dans La Femme des sables un miroir déformé, criblé, de la relation entre un texte et son lecteur, entre un récit de l’enfermement et l’enfermement du lecteur lui-même. La métaphore centrale est évidemment celle des insectes pris au piège du sable, mais elle se double de nombreux aspects secondaires qui la minent.
L'hébétude et le ravissement du lecteur occupent les postes opposés de la résistance et de l’abandon. (On laisse filer le sable entre les doigts, car on ne peut, de toute façon, le retenir.) Le dernier chapitre est très énigmatique : quel rapport de fond entre la grossesse extra-utérine et l’évasion forcée de la femme, qui ne voulait pas s’échapper (et, de fait, s’échappe sans doute vers sa mort) ? tout empreint d’ambiguïté qu’il soit, le désir de l’homme de rester, en fin de compte, pour faire part de sa découverte à « la clique », relève-t-il, de la part de l’auteur, d’une célébration de l’esprit d’invention humain – dans toute sa persistance – ou d’un retournement ironique visant à montrer que la faculté d’auto-aveuglement de l’espèce ne connaît pas de limites ? À cette deuxième question, on serait tenté de répondre « les deux, mon commandant », au risque de se retrouver, en tenant les divers degrés de l’échelle de corde, de nouveau – avec le protagoniste – au fond du trou.
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C’est un ami qui nous a offert ce livre. Je n’avais, de l’œuvre d’Abe Kobo, qu’un souvenir précis de La face d’un autre (lu vers 1993, récit fantastique très bien mené mais qui souffre – à l’inverse de La Femme des sables – d’un essoufflement sur la fin) et le souvenir plus vague d’avoir parcouru le Cahier kangourou, emprunté à la médiathèque de Beauvais. E. – l’ami – m’a dit que le film, primé à Cannes dans les années soixante, était très décevant. De fait, La Femme des sables court le risque, transposé à l’écran, d’un net aplatissement. Si le réalisateur n’est pas imaginatif, l’échec guette.
10:40 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Littérature, Japon
samedi, 29 septembre 2007
Roderick Random for Dummies
" He gets into bed with about any woman stupid enough to get into the book." *
(Andrew Varney. References here.)
* Il se retrouve au lit avec toutes les femmes qui sont assez idiotes pour se retrouver dans le livre.
(Embarras traductif : comment rendre le jeu de mots, doublé d'une symétrie, que constitue get into ? La traduction ci-dessous est un peu curieuse, gauche. Surtout, ça efface en partie le côté "macho" du narrateur : se retrouver au lit avec une femme n'est pas la même chose que la culbuter, la sauter, etc. J'avais pensé aussi à employer le verbe fourrer, avec une variation actif/pronominal : Il fourre dans son lit toutes celles qui ont été assez idiotes pour se fourrer dans le livre. Mais on ne se fourre pas dans un livre ; on s'y fourvoie, à la rigueur, au sens où l'entendait Varney. J'ajoute que je n'ai pas relu Roderick Random depuis mes années oxoniennes, une poutre.)
20:10 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Littérature, Ligérienne
vendredi, 28 septembre 2007
Surtout
Je ne lis pas comme je voudrais.
Cette phrase a au moins trois sens possibles. (Mais surtout un.)
22:50 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Littérature, Langue française
mercredi, 26 septembre 2007
1694 - De saison
Dans le passage suivant des Mois de Jean-Antoine Roucher, poète de la seconde moitié du XVIIIème siècle injustement tombé dans l'oubli, on va du sep (or, que serait-ce aussi si c'était en ceptembre ?) au sceptre. De vigne en grappe, la voilà, la jolie grappe. (Non, non, Astolphe a disparu, semble-t-il.)
Nul sep n'est épargné. Par-tout je vois la grappe
Tomber sous le tranchant du couteau qui la frappe ;
Je vois deux vendangeurs de pampre couronnés
Et du jus des raisins goutte à goutte baignés,
Au pié de la colline où la vigne commence,
Descendre sous le faix d' une corbeille immense ;
Je les vois, dans les flancs de vingt tonneaux fumeux,
Faire couler des seps les esprits écumeux ;
Et sur un char, pareil au char qui dans la Grèce
De l'antique Thespis promenoit l'allégresse,
Ranger, en célébrant les louanges du vin,
Ces tonneaux, où s'apprête un breuvage divin.
Plus loin, règnent les jeux d'une aimable folie.
D'un geste, d'un bon mot l'un agace Ismélie,
Puis ravit en passant un baiser à Phylis :
L'autre écrase en ses doigts les grains qu'il a cueillis :
Et vient furtivement rougir le front d' Aline :
Un rire fou circule autour de la colline,
En éclats s'y prolonge, et se mêle aux travaux
Qui doivent d'un vin pur enrichir nos caveaux.
Cependant le jour fuit ; il se hâte d'atteindre
Aux portes d'occident, où ses feux vont s'éteindre:
Vesper a déployé ses humides drapeaux,
Et son sceptre d'ébène appelle le repos.
[ À force de chanter / ma vie / De faire des / haran-an-angues... ]
11:55 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : Poésie, Vin
samedi, 01 septembre 2007
Rangeoir aux épices
22:35 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Littérature, écriture
samedi, 19 mai 2007
Le défi de Procuste
------- à la demande de Madame de Véhesse -----------
Les 4 livres de mon enfance :
- la série des Jeannot Lapin (Enid Blyton) en bibliothèque rose
- Topaze de Marcel Pagnol
- Olé France (album bleu sur l'aventure des Bleus pour les éliminatoires du Mundial '82)
- L'arbre en poésie et toute la série des *** en poésie (Folio-Junior)
Entre l'enfance et l'adolescence :
- les deux "Pléiade" d'Eluard
- Les Trois mousquetaires
- Exercices de style
- Cyrano de Bergerac (on va dire)
Les 4 écrivains que je lirai et relirai encore :
Balzac, Thomas Bernhard, Breyten Breytenbach, Shakespeare.
Les 4 auteurs fétiches que je ne lirai probablement plus jamais :
Hervé Guibert, Inoué Yasushi, Robert Merle, Robert Pinget (encore que...).
Les 4 premiers livres de ma liste à lire (entre des vingtaines) :
- Thomas Hardy. The Return of the Native.
- Hans Henny Jahn. Le Navire de bois.
- José Eduardo Agualusa. La guerre des anges.
- Elsa Triolet. La mise en mots.
Les N livres que je suis en train de lire :
- Danièle Sallenave. Le Principe de ruine.
- Renaud Camus. Journal de Travers II (plus que 100 pages !).
- John Steinbeck. Cannery Row.
- Yves Bonnefoy. L'Arrière-pays.
- Les Poèmes de Pessoa dans l'édition scandaleusement pas bilingue de la Pléiade.
- Rémi Santerre. L'Ecart.
Les 4 livres que j'emporterais sur une île déserte :
Mémoires d'Outre-Tombe, les poèmes de Ronsard, Le Voyage vertical de Vila-Matas et Close Sesame de Nuruddin Farah.
Les derniers mots d'un de mes livres préférés :
Nous sommes entrés par la grand-rue dans le hameau, avons bu à la fontaine sur la petite place et demandé le chemin du sanctuaire, avons gagné le sanctuaire et vu la foule devant l'entrée et l'homme sur le banc, vu le vieux scribe marmonnant, balbutiant, dont la rumeur disait qu'il venait d'un monde ancien et connaissait la source de toute fable.
Claude Ollier. Qatastrophe (P.O.L., 2004, p. 228).
Je passe le morbac relais à dix de mes disciples camarades : Didier, Chloé, Simon, Fuligineuse, Aurélie, Philippe[s], Zvezdo, Jacques, Matthieu M.-M. et Mélisande.
15:51 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : Littérature
samedi, 12 mai 2007
"Anu noceo"
Satires de Lucilius, suite. On trouve, dans les fragments retrouvés du livre VII, les trois vers suivants, qui réussissent la prouesse d'être à la fois très clairs et tout à fait énigmatiques :
Hanc ubi vult male habere, ulcisci pro scelere eius,
testam sumit homo Samiam sibi anu noceo, inquit,
praecidit caulem testisque una amputat ambo.
... que l'on peut traduire comme suit :
Comme il veut la malmener et se venger de ses forfaits, *
l'homme saisit un tesson de Samos en disant "Au cul la vieille" **
et d'un coup il se coupe la queue et les deux testicules ***
Le sens du fragment (lui-même arraché à l'oubli comme un testicule à un corps évanescent (a foolish figure)) est très clair ; le récit dans lequel il s'inscrivait est plus délicat à reconstruire.
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* Hier soir, au lit, j'ai lancé la phrase suivante, qui s'est avérée être un alexandrin parfait, au rythme saccadé :
T'as toujours tes Cendrars dans ton confiturier ?
** Les adolescents latinistes ricanent toujours sous cape en apprenant qu'anus - us (substantif du 4ème groupe, et non du 2ème) signifie "vieille femme". Ici, le datif anu sert de boustrophédon à l'adverbe una (en même temps, de concert, d'un coup). Si j'ai, avec quelque liberté, rendu hommage à cette amphibologie, je n'ai pas trouvé de traduction honorable pour le jeu de mots testam/testis (tesson/rouston ?).
*** "Grossier personnage." (Aurélie)
09:55 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Latin, Poésie, Traduction
vendredi, 11 mai 2007
Satires de Lucilius
Les Satires de Lucilius (qui m'avaient intrigué avant-hier et dont l'auteur n'est pas le destinataire des célèbres épîtres de Sénèque) offrent une expérience de lecture plus étonnante que les fragments des Présocratiques même les plus fragmentaires.
En effet, la plupart des bribes qui nous sont parvenues de Héraclite disons, sont généralement encerclés de gloses, ont des significations complexes, philosophiques, etc., ce qui fait qu'un fragment reste encore lisible dans la perspective d'un tout. (Bon, je sais, la plupart des exégètes ou spécialistes hurleraient en lisant ce raccourci scandaleux. Je crois me rappeler que Kostas Axelos... Mais enfin, ce n'est pas le sujet...)
Dans le cas des satires de Lucilius, le lecteur qui emprunte, comme moi, un volume de la collection Budé se trouve face à des fragments d'un ou deux vers, sauvés de l'oubli grâce à divers compilateurs ou lexicographes, et dont on ne sait absolument pas, pour la plupart, quel pouvait en être le contexte. On regarde alors ces vers comme des morceaux de fresques qui ne sont plus que couleur ou mouvement purs, en s'attachant à telle expression, telle allitération, ou tel vague écho de préoccupations contemporaines. Il en est ainsi de ce vers où revient encore le tarbouif :
Si nosti, non magnus homo est, nasutus, macellus.*
ce que l'on pourrait traduire par :
Si tu le connais, ce n'est pas un géant, mais un malingre
au nez camusà gros tarin.
* 11ème fragment du Livre VI des Satires de Gaius Lucilius
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Ajout de 22 h 50 : échos aux Kleptomanies überurbaines par la route Selby Jr, voie d'accélération François Bon.
23:00 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Latin, Littérature, Poésie
dimanche, 29 avril 2007
Le temps des échéances
Dans la chambre obscure l'étendoir vide étend son quadrillage d'ombres ; il y a aussi les franges sombres que trace l'auvent en se balançant à la brise du soir, et le quadrillage des barreaux du balcon. Une chambre dans la pénombre, parcourue de traits...
Aujourd'hui, G. m'a offert, sans raison (ou si, bien sûr : par amitié), trois livres dont La Mise en mots d'Elsa Triolet, que je ne connaissais pas et dont j'ai parcouru les premières pages ce soir. Elle y parle de sa maladie, du terme prochain de son existence : "j'arrive au temps des échéances". Cela résonne aussi, pour moi, de la lecture, fraîche encore, des pages du Journal de Travers dans lesquelles Renaud Camus évoque ses rencontres avec Aragon, qui lui parle des dernières années d'Elsa.
Sans avoir rien perçu encore de ce fil ténu comme il en est tant, je leur ai offert, en retour et impulsivement, à tous les deux (G. et sa femme, P. (parce que ses parents à elle habitent dans le Gers)) mon exemplaire du Département du Gers.
22:40 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Littérature
mardi, 24 avril 2007
Dialoguer
Il y a ces moments où, pour trois fois rien, le texte vacille et le lecteur chavire. C’est souvent, bien sûr. Ça arrive d’autant plus souvent qu’on lit de plus en plus. Imaginez le décrochage vers quatorze ans ; avant, lisant beaucoup, je ne savais pas du tout lire ; à présent, je continue d’apprendre. Lors d’une conversation sur un tout autre sujet – et bien sûr je n’ai pas eu le temps de suivre les conseils de mon interlocuteur – il a été question de la lecture de Pynchon (Against the Day, bien entendu (interrompu vers la page 600 il y a trois mois (mais on reprendra (l’été approche (Aurélie m’a écrit qu’elle aimait beaucoup les parenthèses alors je ne vais pas me priver, hein… (quitte à oublier d’en refermer une (voir première phrase des Géorgiques de Claude Simon))))))) et notamment de la première lecture au ras, à essayer déjà de suivre sans chercher à démêler, relier, analyser, etc. C’est d’une lecture (au raz, peut-être) que je me réclamais dans mes (à peine esquissées) Pynchoniana.
Le lecteur chavire, pour peu qu’un détail soudain le sidère. Il faut que le détail soit tout à fait trivial, inattendu, sinon pas de cristallisation possible ; il faut que le lecteur puisse s’agripper à ce détail comme à quelque chose d’incertain – non, c’est moi qui en fais tout un plat, ça ne peut pas être si important… Lors d’un colloque qui, dans ma formation de chercheur, reste essentiel (Lire le détail / What’s in a detail ? (Reims, mars 2000)), j’avais argumenté, au sujet de Memory of Snow and of Dust de Breyten Breytenbach, qu’on ne pouvait échapper à la dialectique du détail-monade et du détail inclassable : dans l’attention portée au détail, le lecteur ne cesse d’aller et venir entre ce qui, du détail, éclaire des pans entiers de l’œuvre, voire fait l’objet d’une mise en abyme (avec un y (why !), c’est toujours plus classe), et ce qui, dans ce détail, ne colle pas, dépasse.
Pour l’anecdote, le détail dont il était alors question était un trait sémiotique : le lien, dans le roman, entre l’oiseau noir (black bird, syntagme nominal formé d’un adjectif et d’un substantif) et le merle (blackbird, substantif composé). (En simplifiant : l’oiseau noir est le sexe de l’amant, Mano ; pour la mère en devenir, Meheret, le merle est le fœtus.)
Ce soir, le détail qui me sidère, et dont je ne sais que faire (c’est le propre du détail), est une phrase apparemment anodine : « Il joue au tennis quelquefois, mais le plus souvent contre un mur. » ( Renaud Camus . Journal de Travers. Fayard, p. 724).
Le diariste évoque ici un amant de passage, avec qui il vient de passer une nuit d’amour particulièrement intense, dans la voiture de l’amant, en bord de voie ferrée. Cet événement, qui est relaté au début de l’entrée du 18 juillet, est écrit a posteriori, avec un retard de cinq jours. Or, la phrase en question se situe aussitôt après une interruption entre crochets et en italiques : Renaud Camus indique ainsi qu’il interrompt le récit des événements du 18 pour évoquer une situation immédiatement contemporaine de l’écriture du journal. Le passage entre crochets, long d’une vingtaine de lignes, est la retranscription d’un dialogue extrêmement tendu entre Renaud Camus et W., son ami, avec qui il se trouve, depuis plusieurs semaines et de façon tout à fait dramatique, au bord de la rupture.
La reprise, au moyen d’une phrase au rythme équilibré (double octosyllabe) et discrètement chiasmatique, fait l’effet, pour la lecture au ras, d’un simple retour au récit principal ; l’incise, qui constitue une sorte de dialogue enchâssé, servait à noter un incident qui, pour le lecteur, à ce moment-là, est considéré comme provisoirement clos (provisoirement, car il y aura bien sûr (ou du moins, on s’y attend) retour à l’incident dans l’entrée du 23 juillet). Pourtant, au moment même où je m’apprêtais à passer à la phrase suivante – et sans doute l’avais-je même déjà lue – , je me suis aperçu que la clausule, quoiqu’elle n’eût l’air de rien, était un peu, et même pas qu’un peu : en termes métaphoriques, se retrouver contre un mur, c’est être dans une impasse (autre métaphore), dans une situation bloquée (autre métaphore), etc. Surtout, dans la mesure où l’incise entre crochets et en italiques est une retranscription d’un dialogue qui montre, une fois encore, que le narrateur a l’impression de parler à un mur (d’avoir un mur en face de lui), la phrase de reprise peut être interprétée comme une phrase de transition, et même de commentaire indirect : l’amant d’une nuit joue réellement au tennis contre un mur (ce qui, pour ne pas être une métaphore, connote tout de même une forte solitude), mais le narrateur se trouve, dans son couple, face à un mur.
D’autre part – et là, la machine interprétative s’emballe toujours – le tennis est l’un des réseaux sémiotiques/sémantiques essentiels des Églogues (pour l’écriture desquelles le Journal de Travers devait servir et sert de matière première), etc. (Beaucoup de sous-entendus dans cet etc.-là.)
23:30 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (20) | Tags : Littérature