vendredi, 26 août 2005
Addendum à Plieux (II)
J'oubliai de signaler aussi, entre autres désirs brûlants, que la visite du château de Plieux m'a donné l'envie de me replonger dans L'Inauguration de la Salle des Vents (Fayard, 2003), maintenant que j'en connais de visu le principal et éponyme personnage. C'est un roman admirable, qui, de surcroît, fut le premier que je lus lors de notre emménagement dans la maison de Tours, où je viens de revenir.
15:59 Publié dans Hors Touraine, Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 25 août 2005
Voleur de voix
L'une des particularités de cette phase critique, c'est que je suis contraint de ne plus tricher dans le recours à l'écriture, et que je publie en direct les notes, n'ayant pas, de toute manière, l'occasion ni le temps de préparer des notes plus élaborées dans un document Word. Plusieurs projets de notes me traversent l'esprit, mais je suis affairé ailleurs, presque désintoxiqué de l'écran et du clavier, et elles restent dans les limbes.
Cet après-midi, première petite promenade à Tours, depuis la mi-juillet, et nous avons contemplé tout notre soûl les belles façades de certaines rues du vieux Tours, et notamment dans la rue du Mûrier, où je pris naguère une photographie reproduite par Simon sur son blog.
Comme j'ai commencé de lire, hier soir (en alternance avec Saint-Simon et les chants de Dante) Marelle de Cortazar, un texte qui se donne à lire selon plusieurs plans possibles, le plan de lecture totale étant non linéaire, je me suis surpris à commencer tout à l'heure la lecture de Pour en finir avec les chiffres ronds de mon cher Enrique Vila-Matas en faisant se succéder la 1ère notice, puis la 52ème, la 51ème, la 2ème, etc.
19:13 Publié dans Flèche inversée vers les carnétoiles, Lect(o)ures, Moments de Tours | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 21 août 2005
Deux nouvelles de Florian ("Claudine" et "Valérie")
Lues dans l’anthologie des Nouvelles du XVIIIème siècle (“Bibliothèque classique”, Le Livre de Poche), ces deux nouvelles présentent deux facettes résolument divergentes de Florian nouvelliste, lui dont je ne connaissais que les fables (qui n’ont, souvent, que peu à envier à celles de l’illustre La Fontaine). En effet, Claudine est un beau texte d’une grande ambiguïté thématique qui tend toutefois, de tout son long, vers une fin moralisante, Valérie paraît moins soigné, plus bâclé, mais, si la nouvelle est, dans ses thèmes, fort limpide, la structure et le sens de l’existence de la protagoniste éponyme restent bien indécidables, douteux d’un point de vue éthique, comme si l’inachèvement, l’(apparente) absence de polissage correspondait, de fait, à des sens plus détournés, plus sinueux. Voilà, de la part de l’auteur de l’anthologie, Jacqueline Hellegouarc’h, un choix fort judicieux, qui donne grande envie de lire d’autres proses de Florian, afin de s’en faire une meilleure idée.
Je n’ai pas lu la notice introductive de Jacqueline Hellegouarc’h, mais je viens de vérifier que ces deux «contes moraux» furent écrits en 1791. Je donne ci-dessous un extrait de la première page de Claudine, qui intéressera certainement les amateurs du roman gothique :
« Je résolus d’aller visiter les fameux glaciers de Savoie. […] Je ne décrirai point ce voyage: il faudrait, pour le rendre intéressant, imiter ce style exalté, sublime, inintelligible aux profanes, dont un voyageur ne peut guère se passer à présent pour peu qu’il ait fait deux lieues et qu’il ait une âme sensible; il faudrait ne parler que d’extases, d’étreintes, de tressaillements; et j’avoue que ces mots, devenus si simples, ne me sont pas encore assez familiers.» (édition citée, p.664)
08:55 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 20 août 2005
Visite de Plieux le jour de l'Assomption
(18 août, cinq heures de l’après-midi)
Quinze août, trois heures. La voiture s’approchait de Plieux, par le même chemin emprunté cinq ans auparavant, et le conducteur s’étonna du carrefour qui indiquait que le chemin de droite conduisait à Plieux (1,8 km) et que celui de gauche était recommandé pour le château (avec le sigle des Monuments historiques). Pourtant, si la visite de 2000 avait capoté car le site était fermé, une chose était sûre: le château était au cœur du village. Y avait-il là un désir particulier que les visiteurs arrivassent d’un côté plutôt que de l’autre, avec telle vue plutôt que telle autre? D’emblée, nous voici dans l’énigme.
Une fois la voiture garée sur la placette qui se trouve au bas du château, le conducteur, qui avait vu le grand portail en contrebas, s’imagina que c’était là la seule entrée, au lieu de se rendre directement au petit portillon situé tout près de la placette. (Dans tous les cas, cela doit ajouter trente mètres à l’itinéraire, et, si je fais remarquer cette autre bévue, c’est qu’elle semble montrer un goût poussé du maître des lieux, Renaud Camus, pour les ambages et bifurcations: pourquoi ce lieu aux choix cachés?)
Sonnons à la cloche! La cloche tinte! Un bruit de pas dans l’escalier. Un jeune homme finement barbu et moustachu vient nous ouvrir: ce doit être Pierre, le compagnon de Renaud Camus. Il nous demande gentiment de patienter en attendant la fin de la précédente visite (des Britanniques) et nous ouvre les deux salles jouxtant la tour, où se trouvent exposées plusieurs œuvres de Marcheschi: de quoi bellement patienter, indeed! Ces murs austères, cette pierre rugueuse et suave se prête merveilleusement aux grandes brûlures, aux jeux ignés et fuligineux du peintre. Longue admiration et déambulation.
Ensuite, notre guide revient, la visite commence, vite interrompue par un couple qui souhaite visiter mais a oublié l’argent dans la voiture. Pendant que le monsieur retourne à la voiture, nous discutons avec notre guide, qui nous explique le sens de la démarche et les techniques de Marcheschi. Trop timide jusque là pour avancer un pion, je lui fais comprendre que je connais l’artiste et la collection de réputation, mais que c’en est la première vision. “Ah, vous êtes des lecteurs du Journal, peut-être?” “Oh, du Journal et des autres pans de l’œuvre…” répondis-je.
Comme Monsieur Pierre (c’est une citation) comprend que je suis membre de la SLRC, il s’avoue confus de nous avoir fait payer. Je ne suis pas à jour de cotisation, mais la vraie raison en est que, parfois, on veut payer. (Je ne suis pas, contrairement à ma mère ou ma sœur, du genre à réclamer ma réduction enseignants à 5% dans les librairies, par exemple.)
Le monsieur revient enfin de son expédition en quête de sous, et la visite peut commencer. Je n’en dirai pas grand chose, car je crois qu’il faut visiter Plieux, non pour l’amour de l’œuvre de Renaud Camus, mais pour la singularité du lieu, qui ne ressemble véritablement à aucun autre château habité par des particuliers et ouvert à la visite que je connaisse. La «décoration» (thanked be Jean-Paul Marcheschi) y est pour beaucoup, bien sûr, et le goût du maître des lieux en matière d’ameublement et d’espaces épurés. Mais la vastitude des pièces et leur faible nombre tracent un trajet sans pareil.
Si l’on connaît l’œuvre du propriétaire, l’attente est sans doute importante, car de nombreuses pages ont servi à dessiner les contours de ce château, à faire deviner tel détail de telle pièce. La contemplation de la bibliothèque, par exemple, prend un sens différent selon que l’on est familier de l’œuvre ou non. Dans mon cas, la surprise est venue de l’escalier et de l’enchaînement des pièces, dont je n’étais jamais parvenu à me faire une idée exacte. Comme mes livres sont à Tours, je n’ai pu vérifier non plus où se trouvaient les pièces de commodité (salle de bains, cuisine), qui, naturellement, ne se visitent pas, et dont je ne parviens pas à comprendre où elles se trouvent. (Bon, j’ai une quasi-certitude, mais, plutôt que d’écrire des âneries, je préfère, pour une fois, passer pudiquement!)
Les Morsures de l’aube et Nuits sont certainement le fleuron des deux étages, mais une autre surprise est venue, pour moi, de nombreuses statuettes ou objets “primitifs”, que je pense africains (mais d’où exactement?), dont un cimier remarquable admiré dans la bibliothèque (et qui a détourné longtemps (longtemps, c’est-à-dire, à l’échelle d’une visite d’une heure au plus (hélas), deux minutes) mon attention des tranches). Héritage d’une “autre vie”, ou goût persistant de Renaud Camus pour l’art africain, dont je n’ai pas gardé le souvenir ou qui s’exprime dans des textes que je n’ai pas lus (ou qui constituerait le vrai jardin secret de l’écrivain…)?
Nous avons dû, évidemment, quitter les lieux à l’issue des quarante minutes de visite, non sans avoir posé plusieurs questions sur tel point d’histoire ou d’architecture (et notre guide fut, comme on pouvait s’y attendre, incollable). Sur le chemin du retour, une énigme n’a pas été résolue: quel pouvait être le Pléiade absent de son boîtier, entre Kafka et Mallarmé? (à vos méninges)
Une autre énigme, de mon point de vue, c’est la présence, sur les rayonnages, de toutes les pièces de Jean-Luc Lagarce, dont je ne connais qu’un seul opus, vu à Beauvais, et dont j’avais conclu qu’il s’agissait d’un dramaturge ultra-mineur, sans inventivité. La pièce que nous avions vue (en 1999) s’intitulait Derniers remords avant l’oubli, était sans intérêt tant pour son texte que pour la mise en scène, et a été montée plusieurs fois depuis, dont l’an dernier à Tours (à moins que ce ne soit une autre du même, j’ai un doute subit).
Cette fois-ci, nous ne nous sommes pas cassé le nez à Plieux. Sur le chemin de retour, nous étions encore sous le charme des prouesses brûlantes de Marcheschi et de cette rencontre curieuse, en léger porte-à-faux, entre une œuvre lue et sa matérialisation partielle.
15:20 Publié dans BoozArtz, Hors Touraine, Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (6)
jeudi, 18 août 2005
De Beckett
Une bouteille, du 1er avril dernier, qui n'était pas un poisson, quoique jetée à la mer, et qui rencontra un écho favorable auprès de sa destinataire, mais sans, à ce jour, de concrétisation.
Chère M°°°
j'ai l'esprit d'escalier, en ce moment, décidément, mais je viens de m'apercevoir que 2006 sera l'année du centenaire de la naissance de Beckett. J'étais en train de me dire... Irlande... France... arts du spectacle... culture... Beckett...?
Isn't there something to be done? Grand admirateur de Beckett prosateur, comme tu le sais, je m'associerais volontiers à un événement culture/recherche/(enseignement?)
Bises,
Guillaume
L'idée eût été, aussi, de ma part, de faire un film composé d'entretiens avec divers amateurs de Beckett (universitaires, théâtraux, écrivains, étudiants, etc.). Une autre possibilité était de créer plusieurs événements entre la date de naissance fictive et la date de naissance réelle de Beckett (soit entre le 13 avril et le 13 mai 2006, au centenaire). Maintenant que j'y pense, pourquoi pas un blog ponctuel??? A suivre...
13:05 Publié dans Ecrits intimes anciens, Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 15 août 2005
René Char, dans l’édition de la Pléiade
Cette formule (venue de là) appelle une notule. Le Pléiade en question m’avait été offert, à ma demande, pour mon dixième anniversaire. Mes parents s’étaient avoué sceptiques ou légèrement inquiets, car ils avaient lu quelques pages et s’étaient demandé quel démon me poussait. Bien sûr, un Pléiade est un si bel objet (je n’en possédais, auparavant, qu’un seul) que je dévorai les poèmes de René Char, qui exerçaient sur moi une véritable fascination, et dont je ne comprenais pas le tiers du quart, il va sans dire. Cette fascination enfantine, infantile peut-être, était liée à l’attrait des mots. Si j’avais demandé à recevoir en présent ce volume-là, c’est que j’avais lu quelques poèmes de Char au gré d’anthologies, et que ses rythmes, ses mélodies, la charpente de ses phrases, m’avaient harponné.
Il y avait peut-être un semblant de m’as-tu-vuisme, dont mon enfance ne fut pas dénuée et dont les derniers oripeaux ont dû choir sur mes vingt ans environ, à moins que l’on ne voie dans mon style chantourné l’écho lointain de ce tempérament poseur ou de cette curieuse affection pour la poésie hermétique du rude René.
Toujours est-il que je passai plusieurs années, avant l’adolescence, à lire (entre autres) René Char. Le plus étonnant est que, jusque sur mes quatorze ans, des romans pourtant jugés abordables me tombaient des mains, que je n’en comprenais pas l’intrigue, que je sautais des pages et les finissais sans avoir vraiment tiré profit de ces lectures. J’étais peut-être rétif au roman, et si ivre de mots que la poésie me comblait, au mépris parfois du sens. Je n’en tire aucune vanité, et suis sensible aux côtés les plus ridicules ou les plus mystérieux (même pour moi devenu adulte) de cette passion. Il m’arrive, quand je veux donner raison à l’enfant que je fus (et pourquoi toujours lui donner tort?), de dire que c’est justement cette lecture irraisonnée, sonore, qui rend le meilleur hommage à Char: quand les allégories et métaphores abstruses deviennent claires ou compréhensibles, le charme de sa poésie s’évanouit (ce qui explique aussi que je ne lise plus Char).
Je n’ai toujours pas abordé le point central de cette note (au début, j’écrivais notule (j’en ris encore)): ce fut longtemps un sujet de plaisanterie, ou de moquerie, de la part de C., qui, quand nous comparions nos enfances, nos expériences, me disait parfois: «oui, et toi, à cet âge-là, tu lisais René Char». Elle entendait par là que je ne pouvais pas connaître tel “tube”, telle série télévisée (de toute manière, les séries télévisées étaient interdites par mes parents, et je ne les en remercierai jamais assez), de notre adolescence. C’est une moquerie gentille, et qui met le doigt sur la vérité.
Toutefois, la vérité est multiple, et j’écoutais aussi, en classe de cinquième et de quatrième, tous les soirs entre cinq heures et six heures de l’après-midi, Star Max, le hit-parade de la radio locale Acqs 95, animé par Yoann (qui prononçait l’anglais comme une vache espagnole et parlait français en exagérant toutes les diphtongues). J’assume tout autant mon passé de gamin lisant un Pléiade par les après-midi pluvieux que ces scènes où je me revois gagner des “maxi 45-tours” après avoir joué, par téléphone, à classer “les cinq entrées de la semaine”.
18:55 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (1)
Un beau vers (4)
A tout prendre, un vers est rarement séparable des vers avoisinants, comme le montre éminemment le cas de l’enjambement, ou du rejet.
Il y a aussi les vers de la prose poétique — bien embarrassants, ceux-là — dissimulés qu’ils sont dans le corps de la prose.
Il y a, il y a… Bon, je lance des pistes…
14:50 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (1)
Un beau vers (3)
La technique seule ne permet pas d’expliquer pourquoi un vers nous touche, ni pourquoi on le trouve beau. C’est d’ailleurs ce qui rend le sujet Qu’est-ce qu’un beau vers? difficile ou pernicieux. La beauté d’un vers peut naître du moment où je le lis, où je l’ai lu, où il m’a été lu ; elle peut dépendre du don, si tel recueil m’a été offert par une personne que j’aime et qu’à chaque phrase, au détour de toute métaphore se glisse opportunément le regard de cette personne, ou sa voix, ou l’odeur de sa peau.
Ce peut-être un ensemble de vers, une suite que l’on ne peut interrompre, qui a son rythme propre. Il en fut ainsi, longtemps, pour moi, du distique qui ouvre le premier poème de René Char, dans l’édition de la Pléiade :
Brûlé l’enclos en quarantaine
Toi nuage passe devant
Pourtant, après de longues ruminations de ce distique, je me trouvai un jour à isoler le second vers, qui vint à désigner pour moi (et je le lui disais, parfois sérieusement, parfois en plaisantant) la femme aimée, que je ne rencontrai que longtemps après ma fréquentation de Char.
Ce qui est embarrassant dans cet argument-là, c’est qu’on ne voit pas très bien en quoi il s’applique spécifiquement à la poésie, et en particulier au vers. Par exemple, une jeune fille que j’aimais beaucoup (et qui me le rendait) m’offrit, à notre séparation, Aurélien d’Aragon. Je lus le roman dans les semaines qui suivirent, conservant mes facultés critiques, mais lisant, malgré tout, malgré moi, cette belle histoire d’amour au reflet de la nôtre. Aurélien, pour autant, pour être un superbe récit, n’est pas un beau vers !
La poésie a peut-être, plus que le roman, le don de me hanter (et ne dirai-je pas ici, en lieu de me, “nous”?). Enfant, un bref poème de Bruno Dey me taraudait. Je peux encore le citer de mémoire, sans y pouvoir isoler un beau vers:
rideaux de tergal blanc
conscients du vent du soir
reviendras-tu un jour
des mots donner les sens
Tout au plus est-ce un beau quatrain, dont le rythme devait me préparer à la fréquentation et l’amour immodéré de Guillevic, poète remarquable dans l’œuvre de qui se trouvent fort peu de beaux vers, car le vers n’est pas, pour lui, le centre de l’expression. Peut-être une unité de mesure, un battement, un éclat de silex qui n’a de sens, de son, de stupeur, qu’au contact des autres pierrailles. (A foolish figure, peut-être, mais Guillevic est un poète étonnamment minéral, donc j’assume.)
Où en étais-je ? (Ah, qu’il est agréable, sur un sujet de dissertation, de pouvoir divaguer, prendre méandres, à tel endroit prendre racine, puis s’envoler… Peut-être mes ruminations de la décennie passée sur ce sujet (Qu’est-ce qu’un beau vers?) n’attendaient que la cristallisation de ces pages de carnétoile…)
10:45 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (1)
Un beau vers (2)
Ce sujet complexe et controversé a bien d’autres angles d’approche. Entre autres, qu’est-ce qui permet de déterminer la beauté d’un vers écrit dans une langue étrangère que l’on ne connaît pas du tout (ou que l’on maîtrise imparfaitement)? Je sais que je ne lis de poésie qu’en ayant recours à l’original, ou à des éditions bilingues, à l’exception occasionnelle des poèmes écrits dans des alphabets que je ne sais pas déchiffrer (arabe, chinois, japonais), car j’aime pouvoir deviner, ou rechercher quel mot correspondant, ou quelles sonorités propose le texte d’origine.
Je connais fort mal le portugais, que je suis incapable de parler mais que je sais prononcer, et que je lis tant bien que mal. Je n’ai pas sous la main les ouvrages de poètes portugais que je pratique souvent, car ils sont à Tours, mais je pourrai prochainement donner des exemples de beaux vers dans une langue étrangère que je connais mal.
06:40 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (1)
dimanche, 14 août 2005
Le dernier taureau
Comme annoncé, voici un extrait de l’entrée du Journal III de François Mauriac intitulée “Le dernier taureau”:
Je fus donc à cette corrida de Saint-Vincent-de-Tyrosse. Il m’a fallu, ce jour-là, crever un de mes derniers ballons, renoncer à l’un de mes derniers plaisirs. Non! Plus jamais je n’assisterai à une course de taureaux. Sans doute serait-il injuste de les juger toutes sur celle-là qui fut au-dessous du pire, moins par la faute des matadors que par celle d’un bétail exécrable, fuyant, et comme on dit, “manso”. Mais nous eût-il été donné de voir une belle corrida et d’applaudir un Martial Lalanda, nous aurions dû tout de même subir ce qui, tout à coup, me paraissait horrible à crier: l’attachement de cette foule assise, inactive, abritée, embusquée, “planquée”, à un spectacle dangereux pour l’homme, mortel pour la bête. Quant à cet art que j’ai tant admiré, toute sa science repose sur le leurre: une bête seule contre dix, trompée, dupée jusqu’à la mort… L’étrange est qu’elle s’en aperçoive, parfois, qu’elle le devine. […]
Pourtant ce qui m’arracha soudain ce vœu : «Je n’y reviendrai jamais plus…», ce ne fut pas tant cette horreur toute physique, ce dégoût, cette pitié, ni même la honte que me donnait la présence des Anglais venus de Biarritz […] Non, la raison de mon désenchantement, elle m’apparut tout à coup : impossible d’ignorer, aujourd’hui, de quoi notre goût pour les corridas est le signe. Nous savons, nous ne pouvons plus ne pas savoir ce que dissimule dans son cœur cette foule qui hurle autour d’une bête couverte de sang. (Les Chefs-d’œuvre de François Mauriac, vol.11. Le Cercle du bibliophile, p.242)
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Javier Tomeo, versant traduction
Traduire est merveilleux, lire des traductions est indispensable ou inévitable. Mais qu’il est frustrant de se sentir pieds et poings liés en lisant ce qui semble être une mauvaise traduction. Ainsi, des Histoires naturelles de Javier Tomeo, que je lis en ce moment, dans une traduction de Denise Laroutis, au demeurant passeuse attitrée de cet Espagnol.
D’emblée, pourquoi traduire ce Bestiario par un doublon de l’œuvre de Jules Renard? La parenté littéraire et intellectuelle n’est pas nette, à moins de vouloir attirer à tout prix un lectorat francophone.
Et encore, c’est le seul mot d’espagnol dont l’on retrouve la trace. Pour le reste, seuls les mots de la traductrice nous sont offerts. Et, dois-je le dire, ce français-là est bien douteux. Mais, comme je n’ai pas le texte espagnol à ma disposition (et comme, de surcroît, je n’ai pas non plus une véritable connaissance de la langue espagnole dans mon bagage), le doute subsiste.
Ainsi, dans le texte intitulé “Les Pucerons”, la phrase suivante, en début du dernier paragraphe: «Nous sommes trop, nous savons nous reproduire, là réside notre force.» (Corti, 1993, p.40). Le contexte semble indiquer un sens voisin de “nous sommes trop nombreux”. Nous sommes trop n’a pas de sens, en français, à moins de sombrer dans la langue la plus familière et la plus négligée, ou de ressusciter les mânes de l’oublié Collaro (“ce mec est too much, ce mec est trop” (bon, on a les citations qu’on mérite)). Mais peut-être, se dit-on, cette faute, ou cet effet de style, est-elle/il dans le texte d’origine, et la traductrice fait preuve d’une grande habileté…
Autre phrase incorrecte, sans qu’il soit possible de trancher : «Mais j’avais à peine quatre semaines que je m’aperçus qu’il y avait en moi quelque chose qui me différenciait d’elles.» (“L’abeille”, in Histoires naturelles, Corti, 1993, p.60).
J’avais dans l’idée, au moment de créer ce carnet de toile, de le consacrer, non à la Touraine ou à mes diverses divagations, mais à la question de la traduction. Peu original, mais ouvert à de riches perspectives. Vous voyez, avec cette note, à quoi vous avez échappé…
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vendredi, 12 août 2005
Un beau vers de Chénier
Mon professeur d’anglais d’hypokhâgne et de khâgne, M. Jean Briat, nous avait dit un jour que le sujet suivant avait été donné naguère, pour l’épreuve de français du concours d’entrée à l’E.N.S.: Qu’est-ce qu’un beau vers?. Sujet merveilleux, disait-il. Il avait raison, sans doute. Toujours est-il que cette question, que je n’ai jamais eu à traiter en devoir, m’a hanté depuis sans relâche, et que je lui ai trouvé de nombreuses réponses, ou des tentatives, au moins. N’ayant jamais, en douze ans, jeté la moindre ligne à ce sujet, je pourrais pourtant, si était inventé le logiciel qui relie la pensée informe, non dite, non écrite, à un traitement de texte, proposer tout un livre d’ébauches.
C’est un sujet effroyable, car il est presque impossible de le traiter, a fortiori en six heures. Mais c’est un sujet merveilleux, car tout étudiant un peu amoureux des mots et n’ayant lu ne serait-ce que quelques poèmes peut y dépenser de l’énergie, et faire couler l’encre.
Ayant ouvert la brèche, je ne pousserai pas aujourd’hui mon avantage sur ce point. Mais je voulais seulement citer ici, extraire de son contexte un alexandrin de Chénier qui est, pour moi, un très beau vers :
Le lit de Vénus même est sans prix à mes yeux.
Justement, me dira-t-on, l’un des pièges du sujet posé au concours est qu’un beau vers ne doit pas forcément, pour être jugé tel, être soustrait à son contexte. (Le célèbre monostiche d’Apollinaire, “Et l’unique cordeau des trompettes marines”, est un cas d’école. Mais il est pourtant rattaché à un titre, celui du poème, Chantre, à un contexte implicite (l’image), et à une œuvre (les poèmes de Guillaume Apollinaire).)
Ce vers de Chénier est le dernier de la cinquième section de Fanny. Cette 5ème section elle-même se compose de sizains hétérométriques proches des sizains propres à l’ode française (AABCCB, le premier et le cinquième vers étant des octosyllabes, les quatre autres des alexandrins). Cela a son importance, car ce vers est beau aussi de venir en point d’orgue d’une strophe très élaborée dans son rythme, climax et clôture. Il est beau d’allonger le pas après le bref octosyllabe qui, le précédant, de surcroît, s’efface devant lui dans sa relative médiocrité: “Et quand tu daignes me sourire,/Le lit de Vénus même est sans prix à mes yeux”. Est-ce trop dire que cet octosyllabe prude, qui donne son sens et sa douceur, autant que sa flamme musicale, à l’alexandrin que j’ai isolé, en fait le lit, l’apprête, par sa pâleur ou sa fadeur en fait ressortir tout le sel, le piquant?
Il y aurait bien des arguments pour expliquer ce que ce vers a, pour moi, de beau. Ces arguments viennent a posteriori, quand j’essaie de comprendre pourquoi ce vers m’a frappé, m’a ému.
Entre autres, disons :
1) le contraste des deux syllabes de la déesse-métaphore, au sein d’un vers entièrement constitué de monosyllabes
2) la symétrie entre “lit” et “prix”, entre “même” et “mes”
3) le ralentissement que favorise l’emploi de “même” avant l’hémistiche, et qui rééquilibre, en douceur, la périlleuse symétrie entre le sujet (le lit de Vénus, pentasyllabique) et le prédicat (sans prix à mes yeux, pentasyllabique), pour la pousser jusqu’à l’alexandrin.
Mais peu importe. Pardonnez-moi, si vous le pouvez, ces piteuses, maladroites, techniques tentatives de justification. C’est un beau vers. Voilà. Cela est d’évidence.
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André Chénier et Robert Brasillach
Relisant Chénier, que je n’ai jamais fort goûté, mais dont la Lycoris, au moins, me parut avant-hier supportable et même empreinte d’équivoque et de beaux vers, j’ai lu aussi, mais pour la première fois, la très émouvante préface de Brasillach. Emouvante, non que je sois en aucun point d’accord avec le parcours intellectuel et politique de Brasillach, mais parce qu’il écrivit cette préface en prison, peu avant sa condamnation à mort, se devinant condamné, et parce que, si je souffre en pensée avec les nombreuses victimes du génocide juif et des exactions des régimes nazis et fascistes, si j’honore leur mémoire et si je souhaite que tous méditent toujours la leçon des exterminations de toute sorte, je peux aussi, pourtant, m’imaginer la situation de cet homme parvenu tout près de son exécution, et dont je comprends le parcours, dont l’œuvre aussi me touche.
La situation de Chénier et de Brasillach est voisine, car Chénier périt lors de la Terreur, après plusieurs mois passés en prison. Evidemment, le parallèle est, d’un point de vue historique, tout à fait choquant, mais il a une indéniable valeur littéraire : le poète et le romancier, proches de leur fin, et dans une geôle.
Voici ce qu’écrit Brasillach des Iambes de Chénier :
« Il faudra la prison pour que les Iambes naissent. Les Iambes ne sont pas de la “poésie pure”. C’est la poésie impure, au contraire, chargée de toutes les scories d’un temps fuligineux, et nulle poésie ne peut toucher davantage dans les heures révolutionnaires.»
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Journal de Mauriac
Comme je lis un peu, ces temps-ci, le journal de Mauriac, que je découvre plus subtil penseur et surtout meilleur styliste que je n’en gardais le souvenir, et comme ma mère vient d’achever la lecture d’un roman d’Anne Wiazemsky (cela, c’est plus qu’il n’est en mon pouvoir), j’apprends que cette petite-fille de Mauriac serait nettement plus âgée que mes parents, ce qui me surprend, et aussi qu’elle fut d’abord actrice, en particulier dans La Chinoise et Au hasard Balthasar (un Bresson que j’aime sans plus).
Il y a, dans le journal de Mauriac, plusieurs très belles pages, et notamment une entrée d’une grande profondeur sur le mirage de la corrida, sur l’impossibilité éthique de ce spectacle inhumain et avilissant. J’en donnerai de larges extraits prochainement.
Post-scriptum: j'ignorais, il y a peu, l'existence du journal de François Mauriac, m'en étant tenu à celui de Claude.
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mercredi, 10 août 2005
Cioran
Avez-vous remarqué qu’à une lettre près, son nom est celui du livre sacré de l’Islam, qu’en mon temps (et pour mes études surtout) je pratiquai abondamment? Cioran a tout, quoi qu’il en dise, du théologien. Un théologien du doute, de l’exécration de soi plus que du mécréant (encore que…)… mais théologien, dans le ton et le style, on ne le saurait être plus.
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Tariq Goddard, enfin???
Sa lecture achevée depuis (je pense) deux semaines, je devrais tout de même en dire deux mots. J’ai déjà différé d’en dire plus long. C’est, aussi, que le roman est resté à Hagetmau, et que je me trouve, jusqu’à mardi, à Cagnotte.
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lundi, 08 août 2005
D'épaisseur du cadavre
« J’aime lire comme lit une concierge : m’identifier à l’auteur et au livre. Toute autre attitude me fait penser au dépeceur de cadavres. » (Cioran. De l’inconvénient d’être né, VI)
Un titre alternatif, fortement ironique, pour ce carnétoile, pourrait être Le Dépeceur de cadavres. Mais il se trouve que je ne puis me résoudre à être d’accord avec Cioran, même s’il ébranle mes convictions.
Le “dépeceur de cadavres” n’a, au demeurant, aucun rapport avec le simple charognard, tout fait estimable puisqu’il empêche la propagation des épidémies et qu’il se nourrit, ce faisant.
18:55 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (0)
Sale lambeau
Il faut que je m’y remette. Du nerf, dirait M. Songe. Une idée pourrait consister à prendre comme contre-exemple le journal de Charles Juliet, geignard et marqué du sceau de la stérilité.
16:55 Publié dans Ex abrupto, Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (3)
lundi, 01 août 2005
Décès de Pierre Souquet-Basiège
Je viens de recevoir le courriel suivant des éditions Ibis Rouge:
C'est avec beaucoup de tristesse que nous venons d'apprendre le décès à Orléans de notre ami Pierre Souquet-Basiège.
Pierre nous a quittés ce dimanche 31 juillet 2005.
Pierre avait publié un ouvrage, Le malaise créole, un dérivé du mal français chez Ibis Rouge, ouvrage qui avait connu un très grand succès aux Antilles.
Toute l'équipe d'Ibis Rouge présente à sa famille ses plus sincères condoléances.
16:30 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (8)
Premier août
Depuis deux jours, je lis fort peu. J'écris moins encore, et, moins calme que jamais, ne trouve qu'un sommeil mal reposant. Je suis à mi-chemin dans ma lecture de A Fable de Faulkner, après avoir réglé leur compte à quelques nouvelles tardives de James, dont la très intéressante "Fordham Castle".
Hier soir, C° disait que les blogs sont tous des ramassis de petites notes intimes et de photographies ratées, preuve que ses informations sont de seconde main ou qu'elle ne sait pas trouver son chemin dans les arcanes de la Toile. No bragging there, je pense surtout à ces dizaines de carnets de toile que je lis régulièrement et qui traitent d'art, de littérature, de politique, d'autres sujets encore, et qui sont souvent supérieurs à bien des magazines ou journaux.
C°, avec les autres amis ici présents, revenait d'une corrida. Aujourd'hui, il pleut à verse, et j'espère fermement que la novillada n'aura pas lieu: si j'avais une âme de justicier, je serais bien embarrassé pour savoir si je dois liquider en priorité les toreros ou les aficions. J'ai de très bons amis parmi ces derniers, ce qui serait source d'un brin de confusion supplémentaire.
14:40 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 24 juillet 2005
Stuart Merrill
Ah, ça me traverse l'esprit...
Fort admirateur de Stuart Merrill, je cherche depuis longtemps une édition convenable de ses poèmes.
Voilà, la bouteille est à la mer.
21:10 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (9)
jeudi, 21 juillet 2005
De Bombard à Bernhard, en passant par Rimbaud
D’Alain Bombard, mort mardi, j’apprends qu’il vivait retiré, depuis plusieurs années, dans sa demeure de Bandol. Outre le vin, ce que suggère ce toponyme, c’est la bandoline de Mes petites amoureuses:
« J’ai dégueulé ta bandoline,
Noir laideron ;
Tu couperais ma mandoline
Au fil du front. »
La mort, à quatre-vingts ans, du « naufragé volontaire » de 1952, me rappelle des souvenirs d’enfance, et l’admiration mêlée d’agacement de mon père, crois-je, pour ce précurseur des défenseurs de l’environnement. Elle suscite en moi, également mais sans rapport avec l’histoire personnelle d’Alain Bombard, le souvenir d’une lecture qui m’a marqué, l’un des nombreux romans lus de Thomas Bernhard, Der Untergeher, peut-être parce que C., en défaut de lecture chez mes parents, a choisi la traduction française de Zerstörung, récit que je n’ai jamais lu, mais que m’avait envoyé, dans la collection “L’Imaginaire”, l’attachée de presse des éditions Gallimard, Hélène de Saint-Hippolyte, en 1990, suite à notre discussion relative aux démons littéraires de Hervé Guibert.
Ainsi, le premier des textes de Bernhard que j’ai eus en ma possession n’a toujours pas été lu, même en allemand, alors que j’en ai défriché, parcouru, arpenté depuis des dizaines d’autres, comme j’aime extrêmement ce remarquable écrivain, dont les traductions rendent assez bien, d’ailleurs, tout compte fait, la voix et le rythme si singuliers. C’est C. qui lit maintenant Perturbation, et cela devrait suffire à m’inciter à acheter et lireZerstörung.
Je suis sans doute incorrigible de ne pouvoir, partant d’un événement précis (la disparition d’Alain Bombard), m’empêcher de le ramener à l’évocation de mes marottes littéraires, ici Arthur ou Thomas. C’est sans doute l’une des questions que pose incessamment l’œuvre de Thomas Bernhard: faut-il se corriger? que signifie la correction (pour le dire en trois langues : ‘Korrektur’, émendation, ‘correctness’) ?
17:20 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (6)
mardi, 19 juillet 2005
(Sans avoir lu) Yann Kerninon
Je copie-colle ci-dessous la très brève recension de l’ouvrage de Yann Kerninon, Moyens d’accès au monde. Six tableaux pour trouer le désert, dans le dernier numéro du trimestriel Lettres d’Aquitaine :
« Ce livre est conçu comme un “manuel de survie en milieu désertique”, c’est-à-dire, aujourd’hui. Le ton est celui d’un essai philosophique, mais il flirte souvent avec la poésie, l’autobiographie, la fiction, le pamphlet, le manifeste. L’auteur côtoie Heidegger, Nietzsche, Deleuze, Héraclite, Stirner ou Fourier mais aussi Gilles Châtelet ou Cornélius Castoriadis sans pour autant les nommer. Il fricote avec le Dadaïsme, le Punk, la musique expérimentale ou les Monty Python. »
Plusieurs formules sont à vomir dans cette présentation, qui me donne tout sauf l’envie de lire ce livre : l’emploi des verbes flirter (familier, journalistique, inepte), côtoyer (dénué de sens ici, ou prétentieux (comment prétendre «côtoyer» Héraclite ?)) et fricoter, qui serait acceptable, dans sa familiarité même, s’il faisait l’objet d’une quelconque conceptualisation (le fricotage comme relation affective, sexualisée ou esthétique à un mode culturel ?).
Quoiqu’il soit ici dit de la multiplicité des genres, les huit auteurs cités comme les modèles ou les compagnons de route de Kerninon en disent long sur son prétendu éclectisme : il s’agit, à l’exception de Héraclite peut-être, du panthéon de la bien-pensance gauchiste européenne. Aucune originalité en cela. Ou plutôt : rien de neuf, du ressassé, de l’éternellement remâché.
La seule (maigre) interrogation qui subsiste, et qui pourrait donner au moins la curiosité de vérifier ce qu’il en est, c’est le sens que Kerninon donne à l’expression milieu désertique ; je vois vaguement ce dont il pourrait être question, mais je crains que quelqu’un qui prend la musique punk pour modèle, et qui n’a, pour seules lectures, que les lieux communs les plus rabâchés de la gauche dite alternative, ne soit lui-même un digne représentant de ce que j’appellerais, pour ma part, le dessèchement culturel.
L’ouvrage est publié aux éditions Le Bord de l’eau, sises à Bordeaux.
15:05 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (6)
samedi, 16 juillet 2005
Dehors, 2
Un remords me saisit, car je sais ne pas avoir très consciencieusement « recensé » le roman d’Eric Laurrent. Plutôt, j’ai noirci le trait, insisté sur ce qui m’agaçait. Il faut toutefois avouer que les descriptions sont souvent séduisantes, et qu’il émane d’elles une forme de picturalité objective, certes ludique, mais qui ne peut manquer d’évoquer certaines toiles, comme, dans l’extrait ci-dessous, des cieux turneriens :
« Quelques minutes plus tard, dès la sortie de Clermont-Ferrand, l’incandescence du crépuscule était à ce point prononcée, mélange très dense de sulfure de cadmium et d’oxyde de fer, qu’elle semblait tirée d’un effet de matière autant que de lumière, le soleil ayant pris l’apparence d’un vitellus orangé dont la membrane crevée eût laissé échapper autour d’elle, entre les phlyctènes pâteuses de quelques cumulus gris de Payne, un liquide homogène et visqueux qui se fût coagulé en larges plissures horizontales. » (Eric Laurrent. Dehors. Paris : Minuit, 2000, pp. 111-2)
Il y a aussi, pour faire justice au texte, de nombreuses références à des œuvres musicales, qui peuvent sembler contraintes, mais qui sont très convaincantes, si le lecteur les a en tête au moment de la lecture. Ainsi, de telle référence à Waterwheel de Hamza El Din (que je sais être, même si Eric Laurrent n’en dit rien, la version enregistrée par le Kronos Quartet) au cours d’une scène de fellation dans un taxi (oui, j’ai bien précisé auparavant que c’était très branché cul), on peut constater la grande pertinence.
22:30 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (2)
Dehors, d'Eric Laurrent
Lu, en un jour et demi, à mes moments perdus, ce petit roman pas désagréable mais qui n’a vraiment rien de transcendant ni de bouleversant. J’avais déjà lu, vers 2002, le premier roman de l’auteur, Coup de foudre, qui m’avait déjà paru fort léger, et exagérément contourné et précieux.
Celui-ci, Dehors, s’avère avoir outré encore les traits qui faisaient en partie le charme de la lecture, mais surtout provoquaient l’irritation du lecteur (enfin, la mienne, en l’occurrence) : débauche d’imparfaits du subjonctif, syntaxe délibérément labyrinthique, emploi abusif de substantifs et de verbes si inusités qu’ils doivent faire, pour la plupart d’entre eux, leur première apparition dans un texte littéraire en français. Ce fut d’ailleurs l’une de mes interrogations récurrentes : comment Eric Laurrent vient-il à employer, d’une manière qui semble couler de source, autant de néologismes littéraires empruntés, certainement, à des domaines techniques, ou de termes obscurs ? Je l’imagine volontiers s’être constitué, au fil des années, un répertoire de termes d’une absolue rareté, ce qui serait déjà un peu ridicule ; mais je le soupçonne même d’écrire un premier jet constitué de mots plus courants, et de remplacer ensuite un certain nombre des substantifs et verbes par des synonymes au moyen d’un thesaurus.
Publié en 2000, cet opus, le quatrième de son auteur, est le récit, entre douceur humoristique et satire en demi-teinte, d’une désagrégation : il narre l’éclipse sentimentale et domiciliaire vécue par le protagoniste, Léon Brumaire, au cours d’une demi-douzaine de mois environ. Mis à la porte du domicile conjugal par sa compagne, Eva, Léon hésite entre deux éventuelles « remplaçantes », Allicia et Pamela. Il se trouve pris dans un esseulement alcoolisé, dans les brumes de l’à quoi bon, le tout prenant une légère tournure invraisemblable (ou, si l’on veut se montrer plus positif, fantastique, ou fabulaire), notamment en raison du jeu sur les coïncidences et de la question de l’argent, qui n’est jamais posée en termes réalistes.
L’intrigue, vaguement inspirée des derniers romans d’Echenoz et très représentative, en son délabrement formel, du « nouveau » style Minuit, n’est qu’un prétexte aux jeux de langage signalés plus haut, et à l’exploration d’un certain nombre de fantasmes sexuels, qui prennent la forme de scènes ou de descriptions. Eric Laurrent semble se divertir beaucoup à mêler le style « noble » et abstrus, que lui offrent syntaxe alambiquée et registre technique, à des expressions franglaises branchées, et à des intrusions d’auteur, plus réussies.
Assurément, il a trouvé, avec son recours aux lexèmes les plus inattendus, un moyen d’échapper au mode de narration marquisard (« La marquise sortit à cinq heures »). Par exemple, il décrit en ces termes l’arrivée subite d’une averse :
« Estimons maintenant entre dix-huit et dix-neuf heures le moment où tous deux seraient contraints de quitter le parc. Marouflons à dessein une fronce bouffante, forcément néphélienne, sur la toile azuréenne du ciel, puis crevons-la brusquement et tirons-en de longues écharpes de tulle, illusion que nous effrangerons violemment jusqu’au sol et disperserons là en incessantes strasses de vapeur et d’écume – observons maintenant l’effet de ce déluge impromptu. » (p. 31)
Les tonalités scientifiques (lexique météorologique technique, usage de la première personne du pluriel) ne sont pourtant pas sans rappeler le recours de certains auteurs de la fin du 19ème siècle à des mots rares, souvent penta- ou hexasyllabiques. La différence en est que, chez Mallarmé ou Saint-Pol Roux, il existait une vraie force d’expression, un sens profond de la relation au monde, alors qu’Eric Laurrent ne propose, en fait, et en pleine conscience, qu’une sorte de sitcom ou de vaudeville pour gens de lettres.
Je ne sais s’il y a un avenir pour de telles entreprises. Avec moi, dans tous les cas, la sauce ne prend pas.
Reste à expliquer pourquoi j’ai lu ce roman, alors que Coup de foudre, déjà, m’avait laissé sur ma faim. C’est que, trouvant, immaculé et bon marché, l’exemplaire désormais en ma possession chez le bouquiniste de la rue Nationale il y a six ou sept mois, je ne résistai pas à la compulsion d’achat ; en général, si un livre se trouve dans ma bibliothèque, je le lis toujours, soner or later. C’est donc ce qui s’est produit, avec d’autant moins d’hésitations et de regrets que cette lecture m’aura pris trois ou quatre heures, peut-être.
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dimanche, 10 juillet 2005
Cimetière juif de Marrakech (Elias Canetti)
Les cimetières, dans d’autres parties du monde, sont organisés pour assurer la bonne conscience des vivants. On y trouve beaucoup de vie, des plantes et des oiseaux, de sorte que le visiteur, seul vivant parmi tant de morts, se sent ragaillardi et fortifié. Il lit sur les pierres tombales les noms des gens auxquels il a survécu. Sans qu’il en convienne, cela lui fait un peu imaginer qu’il a vaincu chacun d’eux en combat singulier. Certes, il est attristé par tant de gens qui ne sont plus, mais en compensation, il se sent lui-même invincible. Où, ailleurs, pourrait-il se trouver dans une telle situation ? Sur quel champ de bataille du monde resterait-il l’unique survivant ? Il est là, debout, au milieu de tous les gisants. Cependant, les arbres et les pierres tombales aussi, sont debout. Plantés là ou dressés, ils l’entourent comme un héritage destiné à lui plaire. Mais dans ce cimetière des juifs, il n’y avait rien. C’est la vérité nue, un paysage lunaire de la mort. Au fond du cœur du spectateur, peu importe qui y repose. Il ne se penche pas pour essayer de le découvrir. Ils sont tous là comme des gravats et l’on aimerait filer rapidement comme un chacal. C’est le désert des morts où il ne pousse rien, le dernier, l’ultime désert
(Elias Canetti. Les Voix de Marrakech. (1967).
Traduit de l’allemand par François Ponthier. Paris : Albin Michel, 1980, pp. 64-5)
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