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mardi, 24 mars 2020

Des cris d'orfraie sur le tombeau d'un ami

Suite au visionnage de la dernière vidéo d'Azélie Fayolle (qui m'a donné envie de relire enfin Stendhal (mais est-ce que cela adviendra ?)), je signale tout d'abord qu'à ce stade je n'ai pas retrouvé la trace de la citation attribuée à Sterne par Stendhal dans les deux textes principaux de Sterne lui-même, ni dans des sources secondaires. L'enquête a duré dix minutes, autant dire que je n'ai pas forcé.

La question reste posée : où, dans Sterne, pourrait-on trouver une formule telle que Stendhal la traduise par « Le tombeau d'un ami » ? Il y a deux passages dans Tristram Shandy qui peuvent suggérer cela, mais pas texto. Sans doute est-ce, comme le dit Azélie, une épigraphe fausse...

J'en profite, au détour de mon enquête, pour vous donner à étudier le début du chapitre XXXVII de la Seconde Partie, en français et dans deux traductions.

R&N 1.JPG

 

R&N 2.JPG

Horace B. Samuel (1916)

 

R&N 3.JPG

C.K. Scott-Moncrieff (1922)

 

Je ne commenterai ici que la traduction d'orfraie, ce mot que l'on n'emploie plus guère en français que dans l'expression pousser des cris d'orfraie (et encore...). Le terme d'orfraie n'est plus utilisé par les ornithologues depuis fort longtemps, et la principale référence en ce sens est Buffon, qui l'a utilisé pour décrire le pygargue. D'autres auteurs ont utilisé ce mot comme une sorte de mot fourre-tout plus ou moins synonyme d'aigle, et parfois pour parler du Balbuzard pêcheur (comme chez Michelet dans le tome 1 de son Histoire romaine).

Le TLFi, toujours précieux, précise qu'il s'agit bien d'un « oiseau de proie diurne » mais que le nom est très souvent employé pour désigner une chouette, par confusion avec effraie. Ainsi d'ailleurs dans l'expression pousser des cris d'orfraie.

Les deux traducteurs de Stendhal ont choisi d'identifier l'orfraie du donjon comme un balbuzard (osprey). Pourtant, voici ce qu'on lit quelques paragraphes plus haut : « Ses remords l'occupaient beaucoup et lui présentaient souvent l'image de Mme de Rênal, surtout pendant le silence des nuits troublé seulement, dans ce donjon élevé, par le chant de l'orfraie! » (II, xxxvi). Cela démontre qu'il s'agit bien d'un rapace nocturne, et donc, de toute évidence, d'une confusion avec l'effraie. Les deux traducteurs ont d'ailleurs traduit cette première occurrence par osprey, en bonne logique “interne” ou intra-textuelle.

Toutefois, si, pour un lecteur français, le terme vague autorise la compréhension par une confusion semblable à celle de l'auteur (le lecteur français lit orfraie mais peut tout à fait imaginer une chouette), les anglophones, globalement plus versés que les Français en ornithologie, n'y comprendront rien. Un certain nombre d'entre eux, en tout cas, tiqueront passablement en lisant ceci : “the silence of the night, which in this high turret was only disturbed by the song of the osprey” (Samuel, 1916).

Il faut donc, en ayant raison contre la littéralité stendhalienne, traduire orfraie par owl.

 

jeudi, 20 février 2020

*2002*

Levé à 6 h 35. Cela s'améliore, ces temps-ci.

Je découvre, grâce à Laelia Véron sur Twitter, qu'un certain nombre d'auditeurs (et -rices, sans doute) de Radio France et l'Académie française considèrent les interrogatives en "est-ce que" comme relâchées. Non seulement c'est absurde et contraire tant à l'histoire de la langue qu'à l'observation usuelle, mais je tombe aussi des nues. En effet, j'enseigne toujours, et notamment à mes étudiant-es d'échange allophones, que la seule tournure relâchée est la phrase déclarative avec intonation montante : Tu viendras ?

Viendras-tu ? : soutenu

Est-ce que tu viendras ? : courant (voire difficile à pratiquer convenablement)

 

... au point que je me demande si ce ne sont pas les interrogatives indirectes en "est-ce que" qui étaient dans le collimateur de ces auditrices (et -teurs) :

Je voudrais savoir est-ce que tu viendras. (Aaaargh.)

Je te demande est-ce que tu sais. (Re-aaaaargh.)

 

mardi, 07 janvier 2020

*0701*

Cinquième anniversaire des assassinats à Charlie Hebdo.

J'aurais pu prendre mille fois le temps d'écrire ici plus tôt. Après une nuit horrible (tenu éveillé par des douleurs abdominales puis gastriques avant d'être soulagé par deux Spasfon), journée vasouillarde, avec courbatures et vague-à-l'âme s'arc-boutant sur les flottements du corps*, mais j'aurai quand même corrigé 15 copies de L2 et 20 copies de L3.  Ça ne va jamais assez vite, mais bon.

C* a réemprunté au lycée l'édition dans laquelle elle avait lu Martin Eden car je me suis demandé s'il s'agissait d'une traduction intégrale. Il s'agit de la traduction de Claude Cendrée, sans date, et donc reprise en collection Bouquins il y a trente ans. À première vue, rien d'évident, si ce n'est que 270 pages en “Bouquins” contre quasi 500 en Penguin Classics, ça me paraît étrange. Le texte est annoncé comme intégral, ce qui, au vu des pratiques éditoriales sur les textes étrangers jusqu'à il n'y a pas si longtemps, ne veut pas dire grand chose. Je vois que Folio a confié la retraduction du roman à Jaworski : j'emprunterai celle-là à la B.U. et je comparerai avec quelques coups de sonde. 

Cela pourra d'ailleurs me fournir un support de cours pour le cours de traductologie du second semestre.

 

* J'essaie de faire mon Juliet ou mon Bergounioux, to no avail.

mercredi, 03 juillet 2019

Que faire de "factoid" ?

Dans un épisode de la saison 1 de The West Wing, le personnage de Josh reproche à son assistante (au sujet de l'Indonésie, je crois) de l'accabler d'informations douteuses et emploie à ce propos le terme factoids. Le substantif factoid, que je connaissais déjà, je l'ai trouvé régulièrement dans ma lecture très récente du très beau livre de Michiko Kakutani, The Death of Truth. Je m'étais imaginé que ce mot était récent, et vlan ! voilà donc que je l'entends, presque dans la foulée, dans une série de 1999.

Une recherche rapide dans l'Oxford English Dictionary m'a appris que la première occurrence imprimée remontait à 1973, sous la plume de Norman Mailer, dans son livre sobrement intitulé Marilyn :

Factoids, that is, facts which have no existence before appearing in a magazine or newspaper, creations which are not so much lies as a product to manipulate emotion in the Silent Majority.

 

Cette citation montre que, si le terme est suffisamment néologique pour que Mailer soit obligé de l'expliquer, ce n'est pas Mailer qui en est l'inventeur ; le néologisme a donc dû circuler dès les années 60, voire avant, dans les milieux journalistiques.

 

Cependant, l'article FACTOID de l'OED est intéressant à un autre titre. Il y a deux acceptions reconnues et courantes de ce substantif : en effet, factoid désigne soit "an item of information accepted as a fact, although not (or not necessarily) true" (soit le sens employé par Michiko Kakutani) soit "a brief or trivial piece of information". Cette acception marque un glissement vraiment passionnant, car ce qui est douteux ou faux peut aussi se trouver être anecdotique : si un fait est présenté comme trivial, quelle importance que sa véracité ne soit pas démontrée ? L'amphibologie elle-même désigne, dans une forme de métasémantisme, le problème idéologique que représente l'accumulation des "factoids" : si les faits ne sont plus importants, la vérité elle-même devient accessoire.

En termes de réception, cette polysémie trouble pose d'autres problèmes. En effet, j'ai compris la scène de The West Wing que j'évoque plus haut comme un reproche fait à l'assistante : on travaille à la Maison Blanche, ne nous embarrassons pas de faits non avérés. Or, si Josh emploie factoid dans sa deuxième acception, cela signifie au contraire que l'assistante lui soumet des détails avérés, mais qu'il ne se soucie que d'analyse globale. (En ce sens, d'ailleurs, cette scène relève d'une dichotomie sexiste qui traverse toute la série, ou, en tout cas, toute la saison 1.)

 

Dernier point, à propos de traduction. Je viens de survoler les 108 occurrences de factoid répertoriées dans le Corpus of Contemporary American English (ressource ultra-précieuse) ; il se trouve que presque toutes relèvent du sens n° 2 (information véridique mais anecdotique). Pour traduire convenablement ce terme, il faudrait qu'il y ait un terme spécifique en français ; or, ce n'est le cas pour aucune des deux acceptions, qui doivent donner lieu à des périphrases plutôt lourdes. Idéalement, il faudrait même un mot qui conserve l'ambiguïté liée à la polysémie <véridicité douteuse/information anecdotique>. Le plus compliqué, ce sont bien sûr les cas qui combinent les deux acceptions, comme cet extrait d'un article du Smithsonian d'octobre 2013 :

He was not, he emphasizes, trying to solve the JFK assassination or take on any of its larger questions -- he just wanted to nail down one little " factoid, " which had metastasized into a full-blown conspiracy theory of its own, complete with secret KGB-type weaponized rain gear.

 

 

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(Une remarque amusante, si on veut, et elle-même très "méta" : j'ai cherché sur YouTube la scène de The West Wing que j'évoque au début de ce billet. Les résultats de la requête "the west wing indonesian president" correspondent à un certain nombre de scènes de la série télévisée, mais également à un discours de Barack Obama et à un compte rendu de rencontre au sommet entre Obama et Widodo... Quand on parle d'entremêlement des faits et de fiction...)

 

samedi, 22 juin 2019

Haïku livresque

haïkuLivres.jpg

 

La mode, sur Twitter, des haïku composés à partir de titres de livres, est amusante.

Désolé de pinailler, peut-être, mais une des règles fondamentales du haïku c'est le schéma métrique 5-7-5. Il me paraît nécessaire de respecter cette règle ; après tout, même les anglophones, dont la poésie n'est pas syllabique, y parviennent généralement.

Pas trop difficile, même en se restreignant à des textes africains francophones (soit une contrainte supplémentaire) de composer des haïku 5-7-5 à partir de 3 titres de livres.

dimanche, 16 juin 2019

Lecteur que je suis

Dans le nouveau livre d'Ali Zamir, Dérangé que je suis, j'ai pu découvrir, entre autres, le nom “vénéfice”, le verbe “chabler” (dans son sens nautique), ainsi que l'expression libertine “la petite oie”.

mercredi, 07 novembre 2018

FAITES SIGNE AU CONDUCTEUR

On lit souvent, sur les panneaux lumineux qui se trouvent aux arrêts de bus, à Tours, le message suivant :

FAITES SIGNE AU CONDUCTEUR POUR QUE LE BUS S'ARRÊTE À L'ARRÊT

 

Je me suis fait deux réflexions :

 

  1. À force de rechercher la précision, cet énoncé — qui pourrait seulement sembler pléonastique — est en fait erroné. En effet, l'inscription apparaît à l'arrêt de bus, donc, en toute logique, cet énoncé implique que, si on ne fait pas signe au conducteur, le bus 'arrêtera quand même, mais pas à l'arrêt. Absurdité totale, bien entendu.

 

  1. En vertu de la tendance (générale et non systématique) de la langue anglaise à préférer un maximum de concision pour ce genre de message, je traduirais cela par WAVE TO HAVE BUS STOP. Ici, autre ambiguïté, qui ne gênerait vraiment qu'un allophone : stop est le second verbe d'une structure résultative, et non la tête d'un syntagme nominal bus stop. Toutefois, cette ambiguïté montre que, concision ou excès de précision, un énoncé informatif pourra toujours être détourné par un mauvais esprit.

jeudi, 13 septembre 2018

Albecker

« Les habitudes meurent difficultueusement. »

 

Même si ce n'est pas l'usage le plus adéquat/précis de cet adverbe, ça fait plaisir de le rencontrer à la fin d'un chapitre du roman qu'on lit.

(Et dont on parlera dans une prochaine vidéo, il va sans dire.)

 

dimanche, 09 septembre 2018

Façon lapine

lapine.jpg

dimanche, 22 avril 2018

Pourquoi j'aime Heaney. Réponse à une question que je ne me posais pas.

Claire Placial m'a interpellé récemment sur Twitter pour me demander, en gros, comment j'expliquerais mon amour pour la poésie de Heaney. Je ne me rappelle plus sa formulation exacte, mais l'idée était que, parmi les nombreuses personnes avec qui elle échange sur les réseaux sociaux, je serais celui-qui-aime-Heaney.

Cela, déjà, est un peu embarrassant, parce que, d'une part, je ne prétends pas connaître si bien que cela la poésie de Heaney (par exemple, je ne possède, comme édition, que les New Selected Poems 1966-1987), et, d'autre part, il y a plusieurs poètes de langue anglaise contemporains de Heaney que je place plus haut que lui qui comptent plus pour moi — par exemple, et pour le redire, car je ne le dirai jamais assez : Walcott.

J'ai encore écrit récemment que, si on exigeait de moi de ne garder qu'un seul poète de langue anglaise du vingtième siècle, ce serait — vrai crève-cœur pour les délaissés — Walcott. Mais là n'est pas le sujet.

 

Le sujet, donc, est Seamus Heaney, et cela doit faire une bonne semaine que j'ai différé ma réponse, tout en y réfléchissant. Il se trouve qu'hier j'ai lu, dans le dernier recueil publié de Leontia Flynn, The Radio, le poème composé le 30 août 2013, ou en mémoire du 30 août 2013, et donc, puisque c'est ce jour-là qu'est mort Heaney, en mémoire de Heaney. Il se trouve aussi que j'ai enregistré cette semaine une vidéo dans laquelle je suis revenu sur le roman de Robert McLiam Wilson, Eureka Street, dans lequel un des personnages caricature la poésie irlandaise, et notamment Heaney. Enfin, en travaillant récemment avec ma collègue Fanny Quément sur des traductions de Billy Ramsell, on a forcément pas mal repensé à Heaney, et parlé avec Ramsell de Heaney, vu que, notamment, Fanny a consacré sa thèse de doctorat à Heaney.

 

Bon. Cela doit faire assez d'adverbes et d'occurrences du nom Heaney dans un seul paragraphe.

 

Now, seriously...

 

Il faudra que j'approfondisse, mais, si je dois expliquer pourquoi je suis attaché à la poésie de Heaney, pourquoi elle compte pour moi, c'est parce que la langue est à la fois complexe et un peu rude. J'aime être malmené, c'est-à-dire que j'aime qu'un poème – ou une œuvre – résiste, mais pas jusqu'à l'abstrusion. C'est pour cela que, j'hésite à l'écrire, j'admettrai volontiers que la poésie de Celan est plus importante (whatever that means) que celle d'Ingeborg Bachmann ou de Rose Ausländer, mais que je suis incapable de lire Celan plus de vingt minutes d'affilée, alors que ce n'est pas le cas avec Bachmann ou Ausländer. Autrement dit, Heaney – comme Ted Hughes, pour évoquer une autre grande figure que j'ai beaucoup relu depuis Noël – est, d'une certaine façon, un poète classique, mais qui ne cesse d'accrocher. Il n'est pas délibérément moderniste ou provocateur, et pourtant chacun de ses poèmes dérange.

 

Dérangement... oui, de la langue mais aussi du lecteur. Et c'est, du coup, une poésie qui exige d'être dite à haute voix, ou à mi-voix.

 

Un autre aspect important, c'est que Heaney parle du monde réel, c'est-à-dire des choses, des objets, des sensations. Il y a, dans sa poésie, le corps humain, et il y a ce qui échappe à l'humain. De là vient peut-être aussi ce dérangement. La manière dont les poèmes de Heaney jouent de la prédominance des mots monosyllabiques dans la langue anglaise, des termes saxons, je la relie – sans doute à tort – à cette façon qu'ils ont, sur un autre plan, de confronter l'humain au non-humain. (C'est plus vrai encore de la poésie de Hughes.)

 

Je pourrais prendre quinze exemples, comme un seul. The Grauballe Man. Dans la forme brève, on voit – même sans connaître ces cadavres de tourbières – ce qui est donné à voir : un portrait. Mais ce portrait est aussi (surtout) un portrait sonore. De là l'émotion. Que ce poème fasse un accroc.

 

Ou un autre exemple, le huitième des sonnets de Glanmore. Le jeu avec la construction du sonnet, sans que ce soit pur jeu formel. L'irruption de l'adjectif composé allitératif blood-boltered, qui évoque Hopkins (alors quoi : est-ce que ça perle parle du Christ?), préfigure le tas de bois du vers suivant (woodpile) ainsi que l'identification finale du sujet du poème à du bois de bouleau : My all of you birchwood in lightning.

(Et le mot birch lui-même... passons...)

 

Je vais m'égarer. C'est inévitable. Disons, pour tenter de répondre à la question posée, que la plupart des poètes qui m'accrochent sont ceux dont les poèmes font naître un monde étrange tout en représentant le monde réel. Peu importe l'attention à l'objet, ou le lyrisme du lieu : en ce sens, je suis autant lecteur de Guillevic que de Ponge ou Maulpoix. C'est dire.

 

Il faudra, je le crains, répondre de cette réponse.

 

mercredi, 21 février 2018

66 secondes de lecture, 42 : macabre vigoureux

 

On a pris le livre presque par hasard chez le libraire, et c'est un beau texte, en fin de compte, un qui, une fois encore, donne envie d'aller plus loin et de lire d'autres livres de

Léon Werth,

qui ici, donc, trouve à l'adjectif macabre quelque chose de vigoureux. Ce n'est pas du tout mon impression, ma sensation pourrais-je dire.

Est-ce à cause de la présence des chevaux, qui, vifs, se cabrent ?

Toute une rêverie très structurée, à la Leiris, s'ensuit.

Et après, toujours pour ce moment de la guerre : relire La Route des Flandres ? (Giono : Le grand troupeau est sur la pile.)

samedi, 03 février 2018

37 shenanigans

37 shenanigans.PNG

lundi, 22 janvier 2018

66 secondes de lecture, 12 : le test du dictionnaire

Dans une journée de pleine panique au boulot, prendre un des rares livres pas trop pénibles sur une étagère (bureau 38 toujours) et en lire un passage.

En plus, ça fait écho à l'essai de Bill Bryson sur lequel on fait travailler les étudiants de première année.

jeudi, 21 décembre 2017

Fin de règne

La salle 29

Aux Tanneurs 

Fouette l'œuf 

Dur et le chou fleur.

dimanche, 05 novembre 2017

Momentum gridlock

Il existe donc un essai intitulé Nonsense upon Stilts (celui que je cherchais, indisponible à la BU, indisponible au SUDOC, 119 € sur Amazon) et un autre, qui m'intéresse tout autant en fin de compte, dont le titre est Nonsense on Stilts (indisponible à la BU, indisponible au SUDOC, 1,92 € sur Amazon).

Entre autres maintes conclusions, c'est la première fois, je pense, que je m'aperçois qu'un livre disponible d'occase pour trois fois rien sur Amazon n'est présent dans les collections d'AUCUNE B.U. française.

jeudi, 26 octobre 2017

Immortel·le·s au rebut

22814152_10155934686014165_5580082783103371668_n.jpgDeux néologismes douteux et deux fautes de ponctuation dont une pose un problème de syntaxe... Bravo les champion·ne·s de la langue française.

(On ne parlera même pas de la police sans sérif.)



Sinon, “les promesses de la francophonie”, on parle aussi de la Françafrique ou pas ? Du franc CFA qui enrichit mécaniquement la France en saignant l'Afrique de l'ouest ? Des centres culturels français à l'étranger qui servent aussi de base arrière d'opérations de défense peu ragoûtantes ?

Enfin, le néocolonialisme ne doit pas gêner des gens qui comptent Orsenna ou Carrère d'Encausse parmi les leurs... Pauvre Dany Laferrière, qu'allait-il faire dans cette galère...

jeudi, 05 octobre 2017

“Petits Biafrais”

Dans le film Animal Kingdom, vers la fin, la grand-mère dit à Josh : “You look Biafran”, ce que l'auteur des sous-titres a choisi de traduire par “tu es tout maigre” (ou “tu as maigri” — j'avoue ne pas avoir noté et ne pas avoir fait de photographie d'écran non plus).

Il s'agit là bien sûr d'un choix consistant à euphémiser, à sous-traduire... c'est ce qu'en traductologie on appelle une modulation lexicale avec effacement de l'image : au lieu de comparer son petit-fils à un Biafrais (image lourde de présupposés culturels), elle se contente, en français, de lui dire qu'il est maigre (concept neutre). Une telle modulation n'est jamais sans conséquences : dans l'intention de ne pas choquer le spectateur (ou de ne pas s'attirer les foudres de la censure ?), l'auteur des sous-titres rend le personnage de la grand-mère, tout à fait abominable par ailleurs, moins raciste. Pourquoi ?

Il me semble que cette image, dont j'ignorais qu'elle existât en anglais (elle est absente de l'OED, mais on trouve dans ce fil de forum quelques éléments complémentaires), est très marquée d'un sociolecte générationnel, celui de la génération de mes parents. Ma mère parlait effectivement des “petits biafrais”, peut-être pour décrire quelqu'un de très maigre ou alors pour évoquer — stratégie assez traditionnelle si l'on en croit les albums de Mafalda, par exemple — le statut privilégié des enfants qui avaient de quoi manger et les inciter à manger leur soupe (ou leur assiette de boudin purée, clin d'œil à ma mère — Maman, si tu lis ces lignes : je t'aime).

Que cette expression pût contenir ne serait-ce qu'un soupçon de “racisme ordinaire” n'est pas ce qui me préoccupe ici... Ce qui m'intéresse, tout d'abord, c'est de me souvenir ici que longtemps j'ai ignoré que cette expression désignait une population. Enfant, j'y voyais certainement quelque analogie avec le verbe bâfrer : biafré (comme je devais l'orthographier dans ma tête) était une sorte d'antithèse de bâfreur. Ce n'est pas très logique, mais bon. Quand j'ai appris que ce terme faisait référence aux habitants du Biafra, on n'a pas dû m'expliquer très clairement ce qu'avait été la guerre du Biafra, car la famine m'a alors paru semblable à celle qui frappait au même moment l'Éthiopie.

J'avais regardé, dès l'âge de sept ou huit ans, sans tout comprendre, le film de Jean Yanne Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Ce n'est qu'en le revoyant longtemps après que j'ai compris les différentes plaisanteries du générique de fin, dont certaine réécriture de Verlaine (autour de 1'25") et surtout le jeu de mots sur demi-Biafrais et demi bien frais (autour de 2'35"). (Je mets un lien vers la vidéo, en avertissant que c'est très Hara-kiri dans l'esprit.)

Dans les années 70, la guerre civile nigériane avait suffisamment marqué les esprits pour que de telles expressions entrent dans le langage courant, d'autant plus, sans doute, que la France avait soutenu militairement et financièrement l'armée sécessionniste. Ce que je constate encore de nos jours, quand j'anime un cours ou un séminaire sur Chinua Achebe, par exemple, c'est à quel point ces noms (Biafra, biafrais) ne disent rien, à quelques exceptions près, aux Français nés après 1980. L'enthousiasme supposé du lectorat français pour les romans de Chimamanda Ngozi Adichie n'y a pas changé grand chose : on lit des romans sans que la dimension historique ou politique soit au centre.

Il ne faudrait sans doute pas beaucoup creuser pour s'apercevoir que le génocide rwandais de 1994 est pris dans une semblable brume vaporeuse d'incertitudes autant historiques qu'idéologiques et géographiques. Et la quasi absence totale de “couverture médiatique” du lent mais tragique glissement vers la guerre civile au Cameroun confirme combien les tragédies africaines donnent lieu à une expression populaire et passagère dans le meilleur des cas...

 

mercredi, 20 septembre 2017

D'après un exercice de français de 6e

zagloss.PNG

dimanche, 22 janvier 2017

10+n traductions de Lyn Hejinian

(explications dans la vidéo du jour)

 

Les œufs de cane ont un goût plus “œufique”.

Les œufs de cane ont plus un goût d'œuf.

Le goûtd'œuf des œufs de cane est plus prononcé.

L'œuf de cane a un goût d'œuf plus œuf.

L'œuf de cane a un goût d'œuf plus œufien.

L'œuf de cane a un goût d'œuf plus œufique.

Les œufs de cane, ça vous a un goût d'œuf de chez œuf.

Les œufs de cane ont un goût plusœuf.

Les œufs de cane ont un goûtplusœuf.

Le goût des œufs de cane est plusœufien.

La cane pond des œufs qui vous ont le goût d'œuf...

L'œuf de cane, goût d'œuf puissance 1000.

L'œuf de cane, c'est la quintessence du goût d'œuf.

La goûtd'œufitude quintessentielle s'exprime dans l'œuf-de-cane.

(à suivre)

mardi, 03 janvier 2017

Fichaises

Words Words Words. — La rubrique date du tout début du blog. Son titre, pour être une allusion sans finesse à Hamlet, est également tout à fait explicite quant à son sujet. Je viens de vérifier qu'il y avait pas moins de 231 billets publiés à cette enseigne.

(231 : produit de trois nombres premiers. Son “pendant” est donc, pour moi, le nombre 715.)

En 2016, onze billets ont été publiés dans cette rubrique, qui, pourtant, comme tant d'autres, ne demanderait que cinq ou dix minutes de concentration une fois par semaine pour permettre la régularité. C'est tout le problème : ces cinq ou dix minutes-là sont les plus dures à trouver, à conserver.

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Il y a quelques jours, dans la pièce de théâtre — inédite jusqu'à sa publication en 2013 avec le reste du théâtre de Charlotte Delbo —La capitulation, j'ai été surpris de voir un personnage s'exclamer « Fichaises ! » . Je ne connaissais pas cet euphémisme de foutaises (déjà assez désuet, je pense (qui, parmi les adolescents d'aujourd'hui, s'écriera Foutaises plutôt que “WTF”, “bullshit” ou “nawak” ?)).

Huysmans_-_Les_Sœurs_Vatard,_Charpentier,_1880.djvu.jpg[J'ai entendu, il y a quelques mois, dans une conversation entre deux jeunes hommes, l'un des deux dire WTF comme un sigle français. Ça m'avait fait ma journée.]

 

   Sans rapport avec Delbo, mais en parfait accord avec la rubrique sur laquelle on revient aujourd'hui, je propose la page 196 de l'édition originale des Sœurs Vatard de Huysmans.

jeudi, 13 octobre 2016

Dylan & le Nobel. De quelques fausses évidences.

Ainsi, Bob Dylan se voit décerner le Prix Nobel de Littérature 2016.

Je m'attendais à des réactions épidermiques, ronchonnes, réactionnaires dira-t-on, mais pas à ce concert d'avis péremptoires de la part de gens qui, de toute évidence, parlent de ce qu'ils ne connaissent pas. Sur les réseaux sociaux fleurissent les bons mots annonçant la remise du prochain Prix Nobel à C. Jérôme ou Bézu...

Une discussion sur la littérature, et sur la valeur littéraire, doit s'appuyer sur des arguments solides, et, notamment (il paraît délirant d'avoir à le souligner) sur la connaissance de ce dont on parle.

 

Bob Dylan ne doit pas être “jugé” sur ses seuls textes, mais sur l'ensemble de son œuvre de créateur, qui inclut la performance, la mise en scène de ses chansons et leur musique, évidemment. Déjà, en 1997, pour Dario Fo, j'avais été étonné de tous ces prétendus experts qui jugeaient d'un auteur dramatique sans prendre en compte la dimension théâtrale (le jeu, la performance). Il est décidément bien ironique que l'un soit mort le jour où l'autre reçoit à son tour le Nobel.

On peut donc ergoter, et discuter du mérite supérieur de tel ou tel poète mondial, d'Adonis par exemple, dont le nom, d'ailleurs, est toujours associé à l'argument selon lequel, vu le contexte, “il aurait fallu récompenser un Syrien”. Voilà une belle connaissance de ce qu'est la littérature : le Nobel à un Syrien parce qu'Alep est noyée sous un tapis de bombes... (Adonis mérite, méritait le Nobel, mais pas sur de tels arguments : c'est insulter son œuvre et montrer qu'on ne connaît que son nom.)

Toutefois, il faut juger de l'œuvre de Dylan sur pièces, et, pour ne prendre qu'un exemple, moi qui ai tenté de traduire de très nombreux poètes contemporains de langue anglaise, américains notamment, je peux témoigner que certains textes de Dylan sont plus difficiles à traduire que bien de ceux de poètes dont le nom n'aurait pas fait se lever le moindre sourcil. (Sur Facebook, j'ai écrit, à propos de la complexité et de l'opacité de certains textes de Dylan : René Char, à côté, c'est de la gnognote. J'exagère, mais à peine.)

Donc, il doit y avoir débat, d'autant plus à partir du moment où tant de personnes qui se constituent en autorités littéraires parlent de gag à propos de ce Prix Nobel.

La vraie question, selon moi, est plus large : le Prix Nobel a-t-il valeur de prescription ? Si on répond oui, on aura tôt fait de décrier la remise de ce prix à Bob Dylan en disant que « tout le monde connaît déjà ». Contrer un tel argument est aisé. Ainsi, cédant moi aussi aux jugements péremptoires, j'écris aujourd'hui (et je pense, dans une certaine mesure) que Bob Dylan est un “auteur” (un “poète”) cent fois inférieur à Derek Walcott. Or, Walcott a eu le Nobel il y a plus de vingt ans, et il doit y avoir 200 personnes en France qui le lisent ou l'ont lu. Je grognasserais donc volontiers en disant que Nganang, Ngugi ou Raharimanana auraient mérité le Nobel cent fois davantage que Dylan (ce que je pense), mais la vérité est que ça n'aurait presque rien changé à la vraie popularité effective ( = qui les lit ou les lira) de ces auteurs. On ne peut donc en vouloir aux membres du comité Nobel de choisir sans tenir compte de la popularité ou de l'obscurité d'un auteur, mais sur des questions plus intemporelles de valeur et d'apport à la littérature mondiale.



Il y a un autre point  : c'est, à ma connaissance, la première fois qu'un Nobel est décerné à un auteur que beaucoup connaissent directement sans le truchement des traductions. Et donc aussi sans le truchement de l'écrit. Bien sûr, absolument personne ne signale ça dans les premières réactions entendues ou lues ici et là. En revanche, ce qui ressort, c'est que cette décision du Nobel semble illégitime car la littérature, ce sont (ce seraient) des textes. Voilà bien le problème : la littérature n'est pas seulement dans les textes, mais aussi dans leur performance : par exemple, dans le genre dramatique, analyser un texte sans le rattacher à  sa théâtralité, c'est un contresens que seuls commettent encore les étudiants de première année.

Si Ngũgĩ wa Thiong'o avait eu le Prix Nobel, je me serais plu à souligner qu'une partie essentielle de son œuvre, ce sont les pièces de théâtre en gĩkũyũ qu'il a créées et montées avec des troupes de paysans analphabètes, et la portée tant esthétique que politique qu'elles ont eue au Kenya.

Nuruddin Farah fait dire à un de ses personnages — dans Sardines — que Coltrane était un immense poète (such a great poet). Or, Farah vient d'une culture où la poésie était entièrement orale, et fameusement complexe d'ailleurs. La poésie orale somalie, extraordinairement codifiée, n'a commencé d'être transcrite que dans les années 60, et tous les Somaliens disent que ces transcriptions n'ont que peu de sens en elles-mêmes. Ainsi, vouloir compartimenter la littérature, mettre d'un côté les poètes et d'autre les paroliers, à ma droite les romanciers à ma gauche les vidéastes etc., n'a plus aucun sens.

Ce qui conserve tout son sens, c'est la discussion de la valeur littéraire. On peut tout à fait démontrer, sur des critères de valeur (mais en poussant vraiment l'analyse), que Dylan ne méritait pas le Nobel. Tout autre argument fleure bon le quant-à-soi et la poussière balayée sous le tapis.

dimanche, 09 octobre 2016

L'algorithme & la prégnance

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Je pense avoir deviné une partie de l'algorithme utilisé par l'application qui génère des nuages de « mots les plus employés sur Facebook ». En effet, je ne l'avais pas mise en route depuis longtemps, et j'ai été surpris de voir apparaître le mot loaded, que je ne pensais pas avoir employé du tout.

Une brève recherche des occurrences de loaded sur mon mur m'a prestement fourni la réponse : j'ai publié en tout et pour tout, depuis 2008, un seul texte incluant ce mot. C'était il y a quatre jours (donc le générateur de nuages privilégie des publications très récentes), dans un pastiche de Gertrude Stein que j'ai publié in extenso, et qui, pastiche de Stein qu'il est, joue sur la répétition des mots et des structures de phrase (donc le générateur de nuages se laisse influencer par une forte répétition dans un seul statut).

Je livre, pour l'occasion, le texte de Robert Duncan imitant Gertrude Stein :

This is the poem they are praising as loaded

This is the poem they are praising as loaded. This is as it is loaded and thrilling. Loaded with death's kingdom which is meaning. Loaded with meaning which is gathering the former tenants. Loaded with the former tenants speaking which brings weeping and fulfilling. Loaded with fulfilling which brings crises and then wealthy associations. This is the poem loaded up without shooting which is an eternal threatening.

The sadness of the threatening makes a poem in the poem's increasing. This is not an increasing in mere size but a more and moreness of pressure and precedence. An explosion that does not come but makes a partial exposure as a disclosure that substitutes for its period.

This makes an imposing poem, an imposter pretending to be what he really is, makes a great poem in collecting. This is the passing of the collection face. An anthology of human beings. A loaded folding up in which history is folded.

Robert Duncan

from "imitations of Gertrude Stein 1953-1955"
in Derivations: Selected Poems 1950-1956
[London: Fulcrum Press, 1968]

lundi, 03 octobre 2016

KK

C'est affreux ! Quoi? Alep dont les maternités,

Les écoles, les hôpitaux sont bombardés ?

Non ! Alors, plutôt que les fusils et les bombes,

Ces milliers de “migrants” dont la mer est la tombe ?

Non. Peut-être voulez-vous parler du chômage ?

Pas plus. De l'extinction de tant de vies sauvages ?

Non. De la pollution ? Vous n'y êtes pas du tout.

C'est affreux : KK* s'est fait voler trois bijoux.

 

* prononcer kay-kay (ou pas).

samedi, 01 octobre 2016

Horizontalement

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Le rideau de fer

De Radio Campus,

D'un vert

Plus forêt

Plus métallisé

Que celui que j'avais

Choisi pour ces carnets,

Je m'y reflète

Exprès

Que ma silhouette

Y soit d'un seul trait.

lundi, 19 septembre 2016

Rien la tronche.

20.09.2014.,

peut-être sous l'influence de Frankétienne ou de Tram 83

Ribouldingue pour les fous.

Rigodon pour d'autres farcis empiffrés.

Sarabande des mutiques.

Plein la panse.

Rien la tronche.

 

Bancroche à fond la foison des fieffés menteurs roule-mécaniques.

mardi, 24 mai 2016

D'un Cingal l'autre ▓ Ma nuit entre tes cils

Il y a quelques années, mon père, se trompant dans mon adresse mail, eut un échange hallucinant avec mon homonyme, un Guillaume Cingal ingénieur à Toulouse. Persuadé que c’était bien moi qui lui faisais une blague en prétendant être quelqu’un d’autre, mon père, qui n’est guère pétri de doutes, avait écrit cette phrase restée dans les annales de la famille : « Je n’ai pas de trou de mémoire : tu es bien mon fils. » Plus récemment, à la Toussaint je dirais, ce même homonyme, pauvre garçon qui doit décidément trouver encombrant son Doppelgänger gascon/tourangeau, m’a écrit pour me dire de rappeler mon adresse électronique précise à mes étudiants, car il y avait encore eu plusieurs erreurs.

Hameau de Cingal. Moulines (Calvados), dimanche 19 juillet 2009. Des Cingal, je n’en ai pas croisé beaucoup, n’ayant jamais vécu en Normandie, bastion originel de la famille. À l’époque du Minitel, je m’étais amusé à faire une recherche dans l’annuaire : un seul Cingal dans les Landes (mes parents), un seul en Gironde (moi), un seul dans les Hauts-de-Seine (ma sœur) etc. En revanche, des dizaines et des dizaines de Cingal dans le Calvados (où je me suis autoportraituré en 2009 à côté du panneau indiquant le lieu-dit, mais aussi avec mes fils devant la maison de mon arrière-grand-mère, à Chicheboville, où j’ai passé plusieurs jours pendant plusieurs étés consécutifs de mon enfance) et la Seine-Maritime.

Pendant ma thèse, je fréquentais – irrégulièrement (travailler en bibliothèque m’a toujours pesé) — la bibliothèque de l’INALCO, et avais alors découvert l’existence, la coprésence même, dans le vieux fichier aux cartons jaunis, d’un Cingal, Grégory Cingal, dont j’ai découvert tout récemment, à la faveur d’un voyage à la Rochelle, et d’un passage dans l’excellente librairie Calligrammes, qu’il est l’auteur d’un premier livre, Ma nuit entre tes cils, texte qui navigue entre le roman, la chronique et l’autofiction. Autofiction, puisque l’on voit, à la page 60 (comme le département de l’Oise — entre 1997 et 2003, il y avait un seul Cingal dans l’Oise, toujours selon le Minitel), la femme aimée et morte dont le livre dresse, de façon très émouvante, le portrait autant que le tombeau, donner une série de surnoms au narrateur : « grégouille, gregjoli, greg saint-graal ».

Bien sûr, la coïncidence – simple, à condition que ce Grégory Cingal soit le même que celui qui fréquentait l’INALCO – m’a amusé, et je fais partie de ceux qui peuvent lire le passage cité en le rapportant à leur propre expérience patronymique. Combien de fois dans ma vie ai-je dû, après avoir pourtant épelé mon nom convenablement et distinctement, faire rectifier le S inscrit en tête par mon interlocuteur en un C, sans doute du fait qu’en entendant le nom, l’immense majorité songe à un nom en Saint, même sans connaître la ville suisse (devant le panneau d’entrée de laquelle nous fûmes photographiés, en 1983, mon père, ma sœur et moi — mon père cachant le ‘en’ final du St. Gallen germanique) ? Combien de fois, dans mon enfance, ai-je entendu de quolibets sur cigale et cinglé, alors que mes fils me disent n’avoir jamais rien ouï de tel, ce qui ne cesse de m’intriguer : appauvrissement lexical des jeunes générations ou plus grand respect du nom de l’autre dans une société multiculturelle ?

13245345_10207560043773080_8424044630147788896_n.jpgAprès avoir noirci une pleine page de ces considérations oiseuses, je crains, si l’auteur de Ma nuit entre tes cils tombe dessus, qu’il ne s’imagine lui aussi abandonné, son livre – tout à fait émouvant et bien écrit d’ailleurs – relégué dans la marge au profit des élucubrations onomastiques du Cingal tourangeau/gascon. Pour ne pas encourir trop ce reproche, je préfère citer un passage du livre en encourageant ceux de mes lecteurs qui m’ont de temps à autre exhorté à démarcher des éditeurs de reporter leur déception de ne jamais voir mon nom sur une couverture sur ce beau petit texte des éditions Finitude. Réminiscence indirecte du très bel et très drôle essai Comment massacrer efficacement une maison de campagne en dix-huit leçons, ce passage qui décrit escapades et errances dans la campagne vendéenne – la Vendée, département dans lequel je n’ai jamais mis les pieds et où, vérification faite dans les Pages blanches, il n’y a aucun Cingal répertorié – pourra plaire aussi aux rinaldo-camusiens canal historique :

Seuls parmi les sentiers de son marais vendéen, à bord de l'antédiluvienne 205 grand-maternelle qui tremblait dès qu’on passait la troisième, stoppant à tout bout de champ la voiture pour s'embrasser, écouter le coassement des crapauds, contempler les écharpes de brume qui s'enroulent aux roseaux. Ou bien pour visiter quelques vieux mas à l'abandon aux murs dépecés par l'herbe folle, comme avalés par le temps, aux portes si étroites qu'on y pénétrait instinctivement de profil, aux cloisons effondrées par le zèle remarquable des pilleurs qui allaient jusqu'à desceller les frontons ouvragés des cheminées de pierre. Beauté poignante de ces ruines si préférable à la vogue de la pierre apparente qui se répandait comme un feu de brousse aux façades des maisons habitées, éradiquant un à un le crépi grisé de son enfance, vogue qui ne la révoltait pas moins que ces meubles anciens relookés au dégoût du jour, au point que je redoutais presque, lorsque nous passions à proximité de l'un de ces braves propriétaires occupé à gratter son mur, qu'elle ne baisse sa vitre pour l’abreuver d'insultes, ou qu'elle descende carrément de voiture pour lui arracher des mains sa maudite ponceuse.

(Grégory Cingal. Ma nuit entre tes cils. Finitude, 2016, pp. 37-8)