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vendredi, 29 avril 2016

De la sphère à la liane

Hier soir, tard, j'ai mis en ligne la trente-septième de mes traductions sans filet, que, vu son numéro d'ordre, j'aurais pu (dû ?) consacrer à mon département d'adoption...

Cette traduction, d'un poème en apostrophe et hommage à Thelonious Sphere Monk, je ne m'en avise qu'après coup, est un clin d'œil involontaire, par le patronyme, à ma traduction, publiée sur le site Zazipo, d'un poème d'Ian Monk choisi pour l'oulipien de l'année.

Peut-être, après amélioration, l'archiverai-je dans mes Darts on a slate.

dimanche, 24 janvier 2016

fée ▓ pharmacie

Une de mes facebook friends, Françoise Guichard — auteure, entre autres, de merveilleux sonnets biographiques consacrés à d'admirables femmes du temps jadis — ressuscite un jeu dont la mode m'avait échappé en son temps (il y a deux ans) et dont l'instigatrice semble avoir été, alors, une autre de mes facebook friends, Élisabeth Chamontin — auteure, entre autres, des Quatrains quotidiens.

Le jeu consiste à recevoir deux mots choisis au hasard dans le dictionnaire par un-e ami-e, à faire une requête sur Google en associant les deux mots et à publier le résultat.

Françoise m'a imposé les mots fée et pharmacie. Je choisis de publier ci-après un extrait de la première page proposée par Google (après avoir exclu, toutefois, les réponses avec l'orthographe pharmacy), mais aussi une des premières images proposées par Google Images, et enfin un extrait d'une œuvre littéraire trouvé grâce à la requête spécifique "fée pharmacie site:fr.wikisource.org".

Ce billet sera publié simultanément sur Facebook, et tout “likeur” se verra infliger deux mots choisis au hasard dans le dictionnaire, avec pour obligation minimale de poster sur FB une citation du premier ordre.

 

De Savéria Coste, je peux dire qu’elle détonne dans l’univers de la cosmétique. Docteur en pharmacie, son discours est pointu sur la formulation de ses produits, mais aussi très imprégné de fantaisie. La fondatrice de Garancia est une femme haute en couleurs qui ne cesse de développer sa créativité au service de la beauté."

(“Garancia, portrait de la fée des cosmétiques”, in Oh Mon Grimoire, 23.12.2015)

 

fée.jpg

Hélas ! pourquoi faut-il un lendemain à ces journées merveilleuses ? Pourquoi faut-il que la vie vous reprenne au rêve ? Jack savait maintenant qu’il aimait Cécile, mais il sentait aussi que son amour le destinait à toutes les souffrances. Elle était trop haut pour lui, et quoiqu’il eût bien changé en vivant à ses côtés, quoiqu’il eût dépouillé un peu de sa rude écorce, il se sentait indigne de la jolie fée qui l’avait transformé. L’idée seule que la jeune fille avait pu deviner sa passion le gênait auprès d’elle. D’ailleurs la santé lui revenait, et il commençait à se sentir honteux de ses longues heures d’inaction dans la « pharmacie ». Cécile était si vaillante, si travailleuse ! Que penserait-elle de lui, s’il continuait à rester là ? Coûte que coûte, il fallait partir.

(Alphonse Daudet. Jack. Paris : Dentru, 1876, p. 177. Chapitre XXII

mercredi, 20 janvier 2016

“Wazzock”, that's a good word.

wazzock 1.png

wazzock 2.png

(cliquer pour agrandir)

dimanche, 17 janvier 2016

Mettre en mue

Attaquant demain avec mes étudiants de première année la scène de l’acte 1 de Richard III dans laquelle, après avoir brièvement discuté avec Hastings de sa récente disgrâce, Gloucester poursuit son monologue en y exposant ses projets (I, i, 122-162), j’ai rompu des lances avec le beau distique du chambellan (132-3) :

More pity that the eagles should be mew'd
    While kites and buzzards prey at liberty.

Il va de soi que, pour les étudiants, je veux surtout insister sur les métaphores et sur l’antithèse (exprimée d’une manière dissymétrique, d’ailleurs : “more pity that.. while…”), mais, à titre personnel, j’ai un peu creusé ce ‘mew’d’, ici au sens 3 du verbe mew dans l’Oxford English Dictionary, terme de fauconnerie désignant une cage et, par extension, le fait de confiner un oiseau pendant la période de mue.

Je n’ai, sous la main, « que » trois traductions, celle de François-Victor Hugo (1866, reprise en GF), celle de Jean-Michel Déprats (Gallimard 1995) et celle d’André Markowicz (Les Solitaires intempestifs, 2010).

François-Victor Hugo – on trouve d’ailleurs le texte en ligne sur Wikisource – traduit en prose : « Tant pis que l’aigle soit en cage, — quand les milans et les buses pillent en liberté. »

Déprats :

« C’est grand dommage que les aigles soient mis en cage,

Quand milans et buses chassent leur proie en toute liberté. »

Markowicz, seul à tenter de rendre les pentamètres iambiques par des décasyllabes “classiques” (4/6), conserve, audacieusement, un terme de vénerie à peu près inconnu du fait de son archaïsme (on le retrouve dans le Littré) :

« Quelle pitié de mettre en mue les aigles

Quand les busards et les gerfauts sont libres. »

La restitution d’une métrique et d’un rythme proprement shakespeariens se fait au prix d’un effacement, le prey de la proie, qui n’est pas insignifiant, bien sûr. Ce qui me paraît le plus délicat, c’est la perception – et donc la compréhension – par un spectateur contemporain de ce terme de mue. J’ai vérifié la traduction du jeu d’échos entre cette occurrence et celle du monologue d’ouverture. En effet, Gloucester, dès le vers 38 : This day should Clarence closely be mew’d up

Markowicz, sans surprise, a été attentif à cet écho : « Ce jour verra Clarence mis en mue » — Déprats, nada : « Aujourd’hui même Clarence sera bouclé » — F.-V. Hugo non plus : « Clarence sera enfermé étroitement aujourd’hui même ».

 

 

(Dans une pièce très contemporaine de Richard III, Roméo & Juliette, Lady Capulet dit de sa fille : To-night she's mew'd up to her heaviness. (III, iv). Ce que F.-V. Hugo traduit par cloîtrée dans sa douleur.

À suivre...)

mardi, 12 janvier 2016

Autant de larcins

Il n’y a pas de très nette ou très bonne raison au choix du titre de cette série de textes, Larcins : paronymie du patronyme de Garcin, idée que mes petits textes sont comme des chourades à la dérobée, en lisant un écrivain à peine découvert, glissement vers une homophonie avec mon propre nom (Garcin → cin/Gar → CingaL < lar-cin).

 

Allons... c'est un beau mot... je ne peux m'y soustraire :

Allez donc ! Ce qu’ici vous perdez de moments

Sont autant de larcins à vos contentements ;

Et ce soir, destiné pour la cérémonie,

Fera voir pleinement si ma haine est finie.

(Cléopâtre, dans Rodogune, acte IV, scène III)

dimanche, 08 novembre 2015

De mande en bombe

Ce matin, tôt, j'ai cherché le mot “calemande” dans le Robert culturel, et ne l'y ai pas trouvé, non plus que dans le Littré. Une brève incursion dans le Web m'a permis de retrouver ce terme, emprunté à l'italien calamandra, et qui existe de fait sous plusieurs orthographes, celle choisie par Diderot étant plutôt singulière, guère attestée.

Le plus simple m'a semblé être de faire une capture d'écran de la page Calmande du CNRTL.

callemandre.png

 

En revanche, en feuilletant le Robert culturel, je suis tombé sur l'article calbombe/calebombe, mot que je ne connaissais qu'au sens argotique de tête et que j'associais du coup au plus courant “caboche”. Le Robert culturel ne propose nullement cette acception, et ne retient que les sens de “chandelle” et “lampe”, avec deux citations de Georges Duhamel et San Antonio respectivement. Je me suis alors demandé si cet usage de “calbombe” pour désigner plaisamment et familièrement la tronche (j'ai mal à la calbombe) était un régionalisme, voire une dérivation audacieuse particulière à une poignée d'irréductibles landais.

Une rapide recherche Google mal à la calbombe sans guillemets confirme le sens de lampe dans de nombreuses occurrences (y compris dans un Léo Malet *) mais aussi le sens de “tête”, notamment sous la plume de San Antonio (encore lui) :

Maintenant la salle est vide, et tout le monde est beurré, y compris moi-même. J'ai la calbombe qui s'est déguisée en turboréacteur. (San Antonio chez les gones, références non précisées)

 

On trouve aussi des usages récents, courants, du mot :

« Et ce matin… j'ai un peu mal… un peu mal à la calbombeun peu aux raticheset finalement j'aurais du rester maison…  » (“Une dent contre les dentistes”)

« On avait prévu de se goupiller un 45t avec les moyens du bord et de se faire un petit single familial, quoi, pas trop prise de calbombe…  » (“Interview de Nasty Samy pour le split fanzine Cool Death”, octobre 2010)

« Après mure réflexion, j'adresse des remerciements émus au Nouvel Obs, qui, grâce aux commentaires, qui, pour la majorité d'entre eux, sont le reflet des brimés, des extrémistes de tous bords, des coincés du bulbe, des oubliés de la promotion, des brimés sexuels, des perturbés permanents de la calbombe mirifique, etc. » (commentaire d'un lecteur à la suite d'un article du Nouvel Obs [oui, vous avez bien lu : il y a deux relatives, dont la première reste inachevée])

 

* Je donne tout de même, histoire d'être complet et de pallier une lacune du Robert culturel (objectif de la rubrique Mots sans lacunes) une de ces citations de Léo Malet : « Le couloir, mal éclairé par une calbombe anémique, dégageait un remugle composite de parfum à bon marché et de sueur axillaire. » (Drôle d'épreuve pour Burma, page non précisée)

 

mercredi, 03 juin 2015

Animaux-valises (avec métiers)

en famille, sur une proposition d'A.-G. J.

Pumaquignon.

Porc-épicier.

Okapiculteur.

Potamochercheur.

Lapingénieur.

Poulainstituteur.

Atélectricien.

Professeur des écolobes.

Cerf sikafetier.

Canartiste.

Colvérificateur.

Lapintre-en-bâtiment.

Lamaçon.

Furéboueur.

Chauve-souriziculteur.

Caprincipal.

Vervétérinaire.

Aurockeur.

Wombatteur.

Millepâtissier.

Tapirotechnicien.

Capybaramoneur.

Tatoubib.

Chameaudiste.

Watussidérurgiste.

Okapilote.

Flamandoliniste.

Makinésithérapeute.

Fossa-peur-pompier.

Gorfoutballeur.

Singérant.

Thylacinéaste.

Alligatorthodontiste.

Calamarchand.

Émeunuisier.

Dinosaurthophoniste.

Kangouroutier.

Pélicancérologue.

Chloropterrassier.

 

Galago-godancer.

Pécaripatéticienne.

Vendeuse-chez-Étamanoir.

dimanche, 17 mai 2015

Savannah — Un tatou mort avant nous

Le nouveau livre de Jean Rolin est un bref récit de son retour à Savannah, sept ans après y avoir séjourné avec sa femme, Kate, laquelle est morte dans l’intervalle. L’élément structurant de ces allers-retours entre 2014 et 2007, ce sont les films réalisés par Kate, que le narrateur décrit, dont il transcrit certains dialogues et qui lui servent aussi de guide pour repartir, le plus précisément possible, sur les traces du couple d’avant. Rêveries du veuf solitaire, les chapitres proposent une forme de condensé de la poétique de Rolin : attention aux détails incompatibles avec le tourisme, description des friches industrielles, mise en scène (au sens noble – il leur donne la parole) des laissés-pour-compte (je ne sais quelle expression convient le mieux pour l’anglais disenfranchised).

Outre que les chauffeurs de taxi jouent un rôle primordial (de passeurs ?) dans les itinéraires du récit, une figure prend plus d’importance au fur et à mesure qu’elle devient moins menaçante : celle du petit homme au parapluie à « l’allure invariable, mécanique » (p. 40) : Doppelgänger, image de l’errance déraisonnable et systématique, autre forme de passeur ?

Dans un récit qui gravite autour de la figure de Flannery O’Connor – dont je n’ai jamais rien lu, il me semble, et dont le texte a le mérite de   donner envie de lire la nouvelle ‘The Lame Shall Enter First’ – et de la visite à sa maison fatale, perdue en forêt, Rolin ne dissimule rien de l’atelier, ainsi quand il avoue que Google Maps est « cette espèce de miracle informatique grâce auquel je viens de retrouver le lieu exact de cet épisode » (p. 37). De même, si fasciné soit-il par les friches et par ce que je tente parfois moi-même de décrire dans mes kleptomanies überurbaines, il n’en déplore pas moins la banlocalisation généralisée (ce que Renaud Camus nomme aussi “le devenir-banlieue du monde”, et dont il fut question dernièrement pour la France) : « on se retrouve dans un paysage de désolation, celui d’un mall démesurément étendu et de ses métastases, dont seules quelques prémices étaient visibles en 2007 » (p. 88). Sans mise en scène macabre, très naturellement pourrait-on dire, le narrateur se livre à une sorte de mime de la mort, de doublement spectral, comme lors de la visite au cimetière sur les traces de l’hypothétique tombeau du père de Kate. À cette occasion, le lecteur comprend que, deuxième vidéaste, Jean Rolin filme également ce deuxième voyage à Savannah :

À Lionell, j’avais prétendu qu’il s’agissait de ma propre famille, ou de quelque chose de ce genre, afin qu’il ne soit pas surpris quand il me verrait sortir de la voiture, comme je le fis, et reproduire scrupuleusement, en les filmant, tous les gestes que Kate avait accomplis dans le même lieu. » (p. 110, c’est moi qui souligne)

En fin de compte, dans un récit tout en strates et traces, où toute figure devient à chaque instant spectre d’un autre ou d’elle-même, le seul cadavre véritablement inscrit (on ne peut dire ni vrai ni réel ici) est celui du tatou mort filmé par Kate en 2007 (pp. 73-6). Ici, c’est aussi d’un langage vivant et imparfait que le récit devient la trace, rendue parfaite et plus froide. En effet, les propos transcrits de Kate sont étranges, car, quoique anglophone, elle s’exprime d’une façon difficilement compréhensible pour le chauffeur :

Nous revenons vers la voiture, Kate dit à Willy : « It was a tattoo, he had so many maggots ! »

Ce mot de tattoo n’évoque rien pour Willy, dans la mesure où en anglais, comme en espagnol, tatou se dit armadillo. (p. 74)

Cette scène montre que ce qui se joue, comme chez Beckett, c’est l’aventure de la langue vivante figée dans la bande, et que le récit tente de reproduire, même de re-présenter. L’erreur sur le mot tattoo peut-elle vraiment venir de l’anglophone Kate ? Rolin ne nous invite-t-il pas au soupçon, ainsi qu’à une lecture dynamique des signes faussés ? Le tatou mort était là avant eux, et donc avant nous, lecteurs, avec ses vers et son magot de mots.

jeudi, 14 mai 2015

Peu de vouloir, beaucoup de blandice

Grisaille.

Je lis Franck Venaille et Jean Rolin, tout en écoutant le disque en trio de Pandelis Karayorgis ▬▬ ensuite, j'écouterai sans doute x versions de “Brake's Sake”.

En face, les nouveaux voisins prennent possession des lieux.

Grisaille et vent, tennis sur le rond-point.

Velléité de tout, et jouissance vague de tout également.

 

vendredi, 01 mai 2015

Anne Ain't Right

Read article about Anne Enright's views on “bonding time” and bedtime reading here.

 

This is such a silly point Anne Enright is making here. 

As a (small) child, I did not like being read to at all, much in the same way as I didn't like animated pictures very much. As soon as I could read, I started spending hours reading every day, with a keen love for poetry and drama, and have become a person for whom reading literary works and essays is fundamental. (I read an average of 3 to 7 books each week, always with my fingers in several pies simultaneously.)

Very early on, my wife and I would read books and stories to my elder son (he had a favourite dog story at the age of 4 months and a half). Then it was history books for kids, stories, Claude Ponti, complex documents about animals and wildlife, you name it. He was never bored and I remember suffering physically when I had to read Astérix comic books to him (have you ever tried reading a 48-page book full of speech balloons to a 6-year-old kid who can't read ? I'm not recommending it). 

Unlike him, his younger brother has never been really fond of being read to. We read a lot of stories to him, true, but, interestingly, this was almost never part of the bedtime ritual. So it's not that we as parents failed to have "quality time" with him. We had a lot of quality moments with him (cuddles, laughs, playing games, listening to music), but far fewer “reading” experiences than with his brother....... because he didn't especially want that !

So I'd like Anne Enright (whose work is crap anyway) to bear in mind that :

1. not all children are alike

2. educating a child is not only imposing things on him or her

3. the link between a dislike for bedtime reading and an uncultivated adult remains to be established

▬▬▬▬▬


On a different note : reading has always been a “niche activity”. When I was a child, I was some kind of an extraterrestrial just because I read novels and poetry. Besides, Anne, if you want to have people believe you are a writer and not some kind of moronic recycler of sociological claptrap, consider not using expressions like “bonding time” and “niche activity”.

 

vendredi, 06 mars 2015

Le cul de Judas

Comme, me semble-t-il, le dernier livre de Lobo Antunes encore inédit en français vient d'être publié et comme Lobo Antunes a dit qu'il n'écrirait plus, il me reste tous les premiers à lire, une bonne dizaine qui ne sont, pour moi, à ce jour, que des titres.

À la librairie Campus, j'ai donc acheté – avec Au bord des fleuves qui vont – ce fameux Cul de Judas, dans la collection de poche des éditions Métailié, et je suis en train d'en achever la lecture. Ce qui frappe le plus, bien sûr, c'est le caractère encore très lisible, très normatif, des chapitres ; pour résumer, on pourrait dire que Lobo Antunes faisait encore des phrases, structurait paragraphes et chapitres d'une manière, sinon conventionnelle, du moins beaucoup moins chorale qu'ultérieurement. Mais ce qui a le plus changé, dans l'esthétique de Lobo Antunes, c'est l'accumulation de références explicites, à des poètes, des poèmes, des tableaux, des peintres, des écrivains, des scènes mythologiques. La relation entre le narrateur et sa narrataire est également plus explicite, de même que la critique politique et historique.

On n'a pas l'impression, pourtant, de lire une esquisse, ou un croquis préparatoire. C'est quasiment un autre art, une autre langue, un autre regard – pour des obsessions déjà semblables. Peut-être est-ce un texte très largement autobiographique ; peu importe, en un sens : c'est un texte autobiographique du Portugal, d'une génération portugaise, comme tous les grands romans d'Antonio Lobo Antunes où semble s'entendre, de façon chorale, toute une génération irradiée d'une voix pourtant si singulière.

 

Un des motifs (mots, si l'on suppose que la traduction est scrupuleuse) les plus inattendus est celui de l'orbite, des orbites.

mardi, 24 février 2015

Poésie du gérondif — Jean-Pierre Minaudier

Ce petit livre, publié en 2014 aux éditions du Tripode, je l'ai acheté par hasard chez mon libraire. Intrigué par la quatrième de couverture, qui indique que l'auteur – non pas linguiste mais “amateur de mots” – s'est armé de “ses quelque 1 186 grammaires concernant plus de 800 langues”, j'ai feuilleté cet essai d'un genre bien particulier, et été forcément séduit par les 137 différents proverbes ou phrases en 137 langues différentes qui ornent les marges de chacune des 137 pages de texte. Donc, je l'ai acheté, et me dois de préciser qu'après l'avoir lu, j'en ai acheté un deuxième exemplaire, à destination d'un ami, et en achèterai encore deux ou trois autres d'ici peu, car je vois tout à fait qui ce livre séduira.

 

Poésie du gérondif n'est pas un essai de linguistique ; c'est plutôt une sorte d'autoportrait d'un linguiste amateur, d'un fou de grammaires, d'un collectionneur d'exemples et d'ouvrages portant sur les langues les plus rares du monde. L'argument de Jean-Pierre Minaudier, si tant est qu'un livre aussi riche puisse se réduire à un seul argument, est qu'en côtoyant une grande multiplicité de langues on s'aperçoit que la thèse des générativistes relatives à une “grammaire universelle” ne tient pas debout, et que les particularismes grammaticaux des langues les plus éloignées de la souche indo-européenne correspondent à des “visions particulières”. Un de ses exemples, assez classique il est vrai, consiste à partir des différents sens du verbe eimi en grec et de leur importance dans la constitution de la métaphysique aristotélicienne, et à montrer comment une telle métaphysique dépend étroitement de la langue qui la fonde (ou l'a fondée) — p. 51 notamment. Autre point fort de cette démonstration, le développement sur les évidentiels en tariana (pp. 120-2). Syr la question des genres, ou sur celle des pronoms – toutes deux assez attendues à ce stade – Minaudier offre une pléthore d'exemples très parlants et très convaincants.


Ainsi, en vrac, le futunien a deux pronoms de première personne du singulier, l'acehnais n'a pas d'adjectifs, le motuni compte jusqu'à cinq genres différents qui ne distinguent pas des “genres” au sens où nous l'entendons (gender), les locuteurs murinyapata comptent dans une combinaison de base 2 et de base 5 (de sorte que leur mot pour dire “100” a soixante-dix syllabes), le kalam n'a pas d'autres voyelles que le schwa, etc.

 

Ce qui doit recommander, par-dessus tout, cet ouvrage est qu'il n'est jamais cuistre, toujours vibrant de passion, et surtout extrêmement drôle. Hyperbole, images cocasses, humour de répétition (avec le gag récurrent  au sujet des inestimables éditions De Gruyter & Mouton, qui s'achève en apothéose dans l'Épilogue et dans la note 100), la drôlerie est le signe d'une subjectivité omniprésente et délibérée. Cela signifie aussi que cet essai en forme d'autobiographie partielle n'est jamais neutre, de sorte que Minaudier s'y autorise des jugements sur l'espéranto “hideux et grotesque avec son look de patois latin dégénéré” (p. 19), non sans aboutir à des développements d'une profondeur et d'une concision admirables. Ainsi, je tiens la page 119 pour une des synthèses les plus claires et les plus abouties sur les questions de plurilinguisme et de traduction. (Je ne la cite pas – achetez le livre. Ou, si vous êtes de mes amis, attendez de voir si je vous l'offre.)

 

Pour conclure, et comme c'est aujourd'hui le 55ème jour de l'année 2015, laissez-moi citer la phrase marginale de la page 55, en fidjien (j'ai un peu triché, ou, en tout cas, ça tombe bien – la plupart des langues citées ont recours à des lettres, accents ou diacritiques que je ne saurais pas trouver sur mon clavier, même avec les raccourcis Alt) :

Au taaleita'ini i'o va'alevu ca'e ti'o mai ina veisiga.

Je t'aime chaque jour davantage.

vendredi, 06 février 2015

Misdemeanours

Jeanie Deans was admitted into the jail by Ratcliffe. The gentlemen who waited upon Farmer Eccles went in obedience to her orders.

When the worthy magistrate asked the crime of which the prisoner had been guilty, the captors looked somewhat puzzled for the moment; since, in truth, it could not be shown that the Ensign had committed any crime at all; and if he had confined himself to simple silence, and thrown upon them the onus of proving his misdemeanours, Justice Ballance must have let him loose, and soundly rated his clerk and the landlord for detaining an honest gentleman on so frivolous a charge.

The Cockpit representations lasted but a few days. He is never more than half ashamed of having barked or bitten; and for those faults into which he has been led by the desire to shine before a lady of his race, he retains, even under physical correction, a share of pride.

vendredi, 23 janvier 2015

Chançon

à peine du bout du poinçon

sans craindre de malfaçon

le subtil maçon

a tourné ton colimaçon

citadelle de Besançon

« de rien, garçon »

 

bien sûr, il me vint un soupçon

le temps ne fait pas de façon

la grammaire en cheval d'arçon

saute sans verser de rançon

du coquelet à l'hameçon

.

lundi, 19 janvier 2015

Lines Written In A Derelict Pub After Reading Fifty Pages of Ali Smith and Drinking Very Unsavoury Tea Indeed

no pluck for the duck 

no good for the goose

no rain for the crane

no swim for the swan

 

I CHALLENGE YOU TO A GAME OF DARTS

dart this word and that verb

no dart for a fart

no nothing for a farthing

 

I CHALLENGE YOU

I FEAR YOU

go AWAY

 

in that pond of words

of stale ideas and sour words

a pond of nothingness

A VIOLIN GOES BERSERK YES A VIOLIN GOES BERSERK

and I'm

drunk on tea

dimanche, 04 janvier 2015

Treizain à chute (27.XII.2014)

le tanin des tristesses sur la langue 

un terreau plus friable 

dérouté par la tarentule du temps

(velue, ne tisse pas de toile)

 

le velours du sommeil dans la roue des journées 

autant de cristal que de tuf 

autant de brio que d'effroi

 

on se demande désormais 

ce que fut cette année 

engendrée au tamis de fleuves capricieux 

brassée d'azur et de grisaille 

 

grièvement désormais 

brasse

.

vendredi, 26 décembre 2014

“Everything Goes Into the Book” (Jamal Mahjoub, November 2004)

Le goal d'Ajaccio s'appelle Scribe.

Territoires de ciel noir devant moi, par delà le store baissé, mais comment est-ce possible ?

Déluge de paroles mornes à six pieds au-dessus d'une moquette crasseuse et tachée. —— Mais des tabourets de bar ! Mais de petites confortables tables pour faire peachpit !

 

Et qu'apprends-je ?

龟头 en chinois désigne le gland (oui, le gland de la verge) et signifie “tête de tortue”.

 

Je rouvre les stores.

Le gardien de l'A.C. Ajaccio s'appelle Scribe.

jeudi, 20 novembre 2014

Bricoles du jeudi matin

Avant de commencer vraiment la journée de vraie travail (jusqu'ici : allers-retours aux écoles, mails, concert de clarinette de Reicha, bricoles), je note que j'ai bientôt terminé de lire le dernier roman de Romesh Gunesekera, The Prisoner of Paradise, qui me laisse un peu sur ma faim, quoique Gunesekera demeure un extraordinaire styliste et un explorateur hors pair des drames de l'âme humaine. Je vais donc pouvoir commencer de lire les différents livres reçus en cadeau le week-end dernier :

  • Anarchy & Old dogs de Colin Cotterill (mon ami et collègue Éric R. a obtient sans aucun doute le prix de l'originalité pour ce choix)
  • Lupus de Frederik Peeters
  • Terminus radieux de Volodine (j'en suis tout de même à la page 56 — je ne résiste pas au plaisir d'avoir 4 fers au feu simultanément)
  • Entre fous de Jean-Luc Coudray

J'ai lu quelques poèmes de l'édition française des poèmes de Carlos Drummond de Andrade. Par ailleurs, notre ami libraire à La Rochelle m'a apporté l'édition française du roman de K. Sello Duiker, La sourde violence des rêves, ce qui m'a rappelé, très entre autres, que j'avais encore laissé en plan les conseils de lecture de Mathilde, qui datent de juin dernier (notamment Ivan Vladislavic et Marlene van Niekerk).

 

samedi, 25 octobre 2014

Carons et ronds

Le dédicataire du concerto pour hautbois de Martinů (avec un rond en chef sur le u) était (est ? fut ?) Jiří Tancibudek (avec un caron sur le r et un accent aigu sur le i).

Je vous parlerai un autre jour (vous — oui, notamment vous, chers amis australiens) de Dorian Le Gallienne.

dimanche, 05 octobre 2014

Vrai hasard lexical

Parfois, on parle du faux hasard des rencontres lexicales, l’impression – une fois que l’on a entendu ou lu (ou cru entendre ou lire ?) un mot pour la première fois – de le rencontrer sans cesse dans les semaines, les mois qui suivent. L’hypothèse la plus couramment avancée est qu’en fait la personne qui croit voir un mot pour la première fois l’avait déjà rencontré, mais sans y prendre garde, et que les occurrences ultérieures, si frappantes, sont le fait de cette prise de conscience retardée… d’où l’idée d’un « faux hasard ». (Il ne me semble pas qu’il y ait eu d’étude sur cette question. J’imagine que certains écrivains – Sarraute ? Leiris ? – ont pu en parler.)

Lundi ou mardi dernier, je tombai, par hasard, dans le Robert culturel, sur un haut de page où se trouvait le mot épreinte, et fus étonné de constater que le seul sens que je connusse de ce mot (les épreintes sont les excréments des loutres) n’y figurait pas, mais que la seule acception retenue par les auteurs du dictionnaire était un sens médical inconnu de moi. Or, le lendemain, ou le surlendemain, à la page 71 du Libera : « Ce qu’elle n’avait pas dit c’est qu’elle avait écourté son action de grâce pour une épreinte irrépressible, son affection congénitale lui jouant des tours… »

 

Il me semble qu’il y a là un vrai hasard, principalement du fait que ce mot est tout à fait rare (j’ai eu l’occasion de vérifier auprès de trois ou quatre proches que personne ne le connaissait, même dans son sens zoologique) : ainsi, tomber dessus dans le dictionnaire un jour ou deux avant de lire une des rares pages de prose française où il est employé, c’est un hasard. Ce qui me turlupine, c’est la chose suivante : si j’avais lu – comme il eût été possible, et même comme cela eût dû être – Le Libera il y a vingt ans, ou tout simplement il y a six mois, quand je l’ai finalement acheté, aurais-je été intrigué par ce sens médical, ou aurais-je conclu sans vérifier que Pinget faisait là une métaphore ? Dans cette seconde hypothèse, je n’aurais pas manqué de comparer cette analogie entre une figure (la Crottard) et une loutre avec les noms d’autres personnages (Loeillère, Lorpailleur, Latirail). Indépendamment de mes propres tergiversations et insuffisances lexicales, la question reste posée : Pinget emploie-t-il ce terme pour suggérer que ce que l’on entend, à ce moment-là, c’est la voix du pharmacien Verveine, ou, connaissant la signification zoologique, suggère-t-il un jeu onomastique ? [Plus loin dans le roman, la famille Ducreux boit à plusieurs gourdes : loutre → l’outre → la gourde / Le signifiant loutre suggère aussi l’outrance, l’autre (donc l’apocryphe et la hantise, thèmes éminemment pingetiens).]

mardi, 01 juillet 2014

Quand le Roselé est tiré...

Extrait d'un article d'un certain Sébastien Roselé, dans Le Point de cette semaine, à l'occasion de la parution du livre qu'Alain Pagès consacre à Zola :

En effet, c'est aussi cet esprit potache, voire graveleux, qui règne dans le petit groupe d'écrivains, l'auteur du Horla en tête, dont Zola, d'une dizaine d'années leur cadet, est devenu le mentor. Il a commencé à recevoir Huysmans, Maupassant, Céard, Alexis et Hennique à Paris d'abord. Dans sa nouvelle propriété ensuite. Le groupe dit "de Médan" était ainsi né. En 1880 paraîtra le recueil de nouvelles collectif Les Soirées de Médan, qui constituera l'acte fondateur du groupe d'auteurs naturalistes. 

 

Outre les erreurs de temps, de ponctuation, de syntaxe, je mets au défi quiconque de rétablir la structure “correcte” de la première phrase.

C'est une phrase-qui-rend-fou.

Le défi est d'autant plus difficile à relever que M. Roselé confond les mots aîné et cadet. (Oui, je sais, je suis dur : ce sont des termes complexes et d'un usage rare.) En effet, Zola, né en 1840, est nécessairement l'aîné de Maupassant, né en 1850, et donc, je le suppose, des autres auteurs dont j'avoue ne pas connaître l'état-civil.

 

mardi, 17 décembre 2013

Ayaux... taïaut !

« Promenade en forêt de Senlis : le sous-bois est jaune de jonquilles. Je n'avais jamais vu un tel déploiement d'ayaux. »

(Claude Mauriac. Le Temps immobile I [1974], Livre de Poche, 1983, p. 58)


Butant sur ce dernier mot, j'évoque rapidement, in petto, quelques hypothèses.

Puis je cherche. Robert culturel, TLFILittré... même Google, employé avec circonspection et doigté, ne me donne pas d'indication.

Régionalisme ?

Coquille ?

Je lance donc un appel, ainsi qu'une bouteille à la mer.

dimanche, 24 novembre 2013

Trippy, tricky

Jetant un œil aux commentaires situés en-dessous d'une vidéo sur youTube, je glane ceci :

Trippy pictures dude.


Il me semble comprendre que cet adjectif, trippy, est péjoratif. Rien de certain, toutefois. Peut-êtyre suis-je influencé par ma méconnaissance de l'adjectif, la proximité phonique de crappy, et enfin ma propre (piètre) estime du choix des images servant à illustrer cet enregistrement (pirate) de la Cinquième de Sibelius par Karajan.

Après vérification dans l'OED, il s'avère que cet adjectif est bel et bien dérivé de trip au sens hallucinatoire. Selon les auteurs de l'OED, cette somme ahurissante et sublime de plus de cent mille pages, la première occurrence de l'adjectif remonterait à 1969.

trippy


Toutefois, je ne peux que noter ici avoir déniché, en quelques clics seulement, une occurrence nettement plus ancienne, dans Holidays at the Grange, or A Week's Delight d'une certaine Emily Mayer Higgins (1889). Qu'il me soit permis de citer ici in extenso tout le paragraphe, aussi délicieux qu'énigmatique, de la page 32 :

So the game went on, becoming every moment more difficult and more ludicrous—as Charlie called it, more trippy—and by the time it went round the second time, none escaped the horns. Any thing will do for the genteel lady to own, and it makes it more agreeable to vary it each time it is played: for instance, an eagle with a golden beak, silver claws, diamond eyes, ostrich feathers, bird-of-paradise tail, a crown on its head, a diamond ring on its thumb, a gold chain round its neck, a pocket-handkerchief in its hand, and any other nonsense you can string together. A lady's étagère or what-not would be a good medium for collecting together absurdities—Mont Blanc at the top, a gridiron below, a gold thimble at the side, the poets in a corner, a breakfast set on one shelf, a card-case above, a smelling-bottle at the side, a work-box, a writing-desk, a piece of coral, etc. A genteel lady's description of her mansion—certainly an extraordinary one—would be suitable; a modern-built house, with a porto-ricco in front, and a pizarro in the rear, a summer-house contagious, andturpentine walks, etc.

jeudi, 21 novembre 2013

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« Maintenant, il m'arrive de lécher les icônes peintes à la mayonnaise sur les portières des poulaillers en rêvant de poulets rôtis à la diable. » (E.S., lettre à H.G., adressée à titre posthume) ¯¯°¯¯ «Le même homme, un peu plus tard, fait rouler la brouette de son père à travers le Kauwberg, dans la riche contrée uccloise. » (Fou trop poli, p. 18) 
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(((interrogations sur “the Babylonian wo”)))
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[ retrouvé le mauvais sonnet que je griffonnais à la tablette du wagon-bar et qui avait failli me faire louper St Pierre des Corps † les fils ramassaient les nèfles, moi les feuilles jaunes (la chatte dans les troènes) ‡ toujours pas envie de recopier ce mauvais sonnet ni les deux premiers neuvains joviens ]
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« Des rafales rageuses puis des explosions éclatèrent » (C. Majdalani, p. 184) ¯¯°¯¯ c'est bien de refeuilleter, et c'est bon de relire ¯¯°¯¯ « Le trou de la cheminée n'était pas bouché et personne n'avait pu gratter le stuc collé sur le porphyre de Quenast. » (Fou trop poli, p. 60)

mardi, 12 novembre 2013

I'm 39, so be it

——↨—— When the sotnik entered the dača (or dætʃə, as friends would have it), the children were all gathered around their mother.

Oddly enough, she was wearing a sotana. 

‘No need to be tossy, Lordy’, she solemnly declared.

‘For fuck's sake’, he ejaculated, ‘I'm not dealing in soterology’. —▬←▬→—

Jackoclocks

Something I post not because I'm completely convinced, far from it, but because of the weird words used : “Music that tries to be something that something else has been may be thrown aside as worthless. It will not endure although it may sometimes please the zanies and jackoclocks of a generation.” (Carl Van Vechten)