jeudi, 03 mars 2016
Mash
Si je devais, aujourd'hui, proposer de nouveau le cours sur l'humour britannique que j'ai assuré entre 2005 et 2007 (ou entre 2004 et 2006, j'ai un doute), je centrerais le propos autour d'une série de publications en ligne, singulièrement sur les réseaux sociaux. Qu'il me soit permis de citer, sans aucune exhaustivité, Very British Problems (dont je me suis largement inspiré pour mon site en sommeil Very Billish Problems), le compte Twitter du roi Henri VIII (ou celui, hélas inactif depuis deux ans, du Proust moderne) et le journal satirique en ligne The Daily Mash.
Trois articles récents du Daily Mash m'ont incité à écrire un billet de traductologie (rubrique plébiscitée).
Le premier s'intitule “Wenger quits to become tortoise”. Je le signale car il est tout à fait emblématique de ce qui, dans l'humour britannique, ne se retrouve que très rarement dans d'autres langues ou sous d'autres climats : une idée extérieure à toute logique et poussée jusqu'à son terme (ce que l'on nomme le nonsense, et qui n'est ni le simple loufoque ni l'incongru selon Jourde). — Outre la brièveté du titre, marque de fabrique de la langue journalistique anglaise, je voulais commenter le recours presque systématique, dans les chapeaux des articles du Daily Mash, à la proposition post-posée “it has emerged”.
ARSENAL manager Arsene Wenger has given up football in order to become a tortoise, it has emerged.
Parodie réjouissante des clichés journalistiques, cette formule creuse est difficile à rendre : commencer une phrase par il semblerait que n'a pas le même effet, ni la même fonction de parodie. Je proposerais plutôt : « Selon certaines révélations, l'entraîneur d'Arsenal Arsène Wenger vient de démissionner de son poste afin de se transformer en tortue. »
Le deuxième article s'intitule “Mum claims to get mistaken for daughter although that is clearly bollocks”. Ici, je veux plutôt pointer un risque de contresens dans le dernier paragraphe de l'article : Carol Hollis said: “It’s true that my mum does borrow my clothes. However they’re always stretched to fuck when she gives them back.” — J'imagine assez que des étudiants inattentifs traduiraient they're stretched to fuck par ils ont été étirés pour pouvoir baiser, ou, pour essayer de donner un sens (au mépris toutefois du sens de TO+V-), par ils ont été étirés par la baise. Ici, fuck n'a pas un sens sexuel, mais l'expression stretch to fuck fonctionne un peu comme reduce to nothing. Je proposerais donc : « C'est vrai, confirme Carol Hollis, ma mère m'emprunte effectivement des vêtements, mais il faut bien dire qu'ils sont toujours déformés de façon irrécupérable quand elle me les rend. » (La meilleure traduction de “to fuck” serait : ils sont tellement déformés quand elle mes les rend qu'ils sont bons pour la benne. Un peu long.
Le troisième article s'intitule “Rugby ‘can turn you into a bellend’” — Là encore, c'est le chapeau qui m'intéresse, avec l'adjectif composé trouser-dropping associé au substantif stunts.
THE risks of rugby include getting a taste for moronic drinking games and trouser-dropping stunts, it has emerged. — « Il ressort d'une étude que le rugby présente, entre autres risques, le fait de devenir accro à des jeux débiles liés à la consommation d'alcool et celui de se mettre à sauter dans tous les sens en enlevant son pantalon. »
(Je ne suis pas content de ma traduction de drinking games, ni de celle de trouser-dropping stunts, trop foisonnante. À suivre.)
13:39 Publié dans Translatology Snippets | Lien permanent | Commentaires (3)
... venaient naufrager
3 mars 2015
l'espadrille rayée
coincée sous la cuisse
annonciatrice de crampes
rayures du canapé
une torpeur de chrysalide
moisi piqueté de la lampe
et sa perdrix pâle flanche
à la porte de nos supplices
poètes morts avant quarante
ans symbolistes portugais
sur l'écran qu'un pouce biffe
un jour factice en microfibre
où des débris de tercets
venaient naufrager
.
11:26 Publié dans Sonnets de janvier et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)
Par les lettres, 6 : autour de R
Comme il m’est impossible de ne pas toujours tout compliquer – sauf quand je fais cours, où il m’arrive souvent, et fort heureusement, de simplifier à l’extrême – voici un nouveau bouquet, un qui n’est pas composé d’albums, mais de poètes.
J’ai choisi, sur cinq des six étagères du rayon poésie de la bibliothèque, cinq recueils dont l’auteur a le R pour initiale et me suis mis à écrire ce billet en lançant le disque de Joseph Racaille, paru en 1997 sans titre. [Première composition, sans paroles : “Cléo mambo”.]
Quelques animaux de transport & de compagnie est une mince plaquette de Jacques Rebotier publiée par Harpo& avec des bidulogravures de Virginie Rochetti (double R, donc (pas fait exprès)). Il s’agit d’un recueil de brefs poèmes en prose qui hésitent entre la notation facétieuse ou absurde et l’exploration du réel par le langage (à la Ponge). Prenant pour indice le travail de lundi dernier autour de la traduction de “et ça c’est du nougat ?”, je citerai
L E N O U G A T
Un tiers, un tiers, un tiers… Le nougat se démange d’être compté à la juste. L’espoir lui manque. A commencer par celui de ne pas être mangé.
D’abord le nougat n’a pas le temps ; et puis après, ça s’arrange.
[Lecture qui va à merveille avec “Le squelette humain”, deuxième chanson de l’album de Joseph Racaille — mandoline, violon & clarinette & nonsense.]
Instants de plus est un recueil de Joseph Rouffanche, publié aux éditions Rougerie en 2004. Il s’agit de haïkaï irréguliers, dont voici un que je trouve assez réussi et énigmatique :
Mâchure du cerveau pourtant,
tombes,
souches du cœur
(p. 32)
Régis Roux est un poète dont je ne sais à peu près rien. J’avais acheté Questions posées au paysage, son livre de poèmes en vers libres en 1999, par correspondance, directement auprès du Dé bleu, son éditeur, avec cinq autres. [Je m’interromps. “Maud l’esquimaude” est la seule chanson de l’album de Racaille dont je pourrais au moins chanter le refrain. Autant dire que je n’écoute quasiment jamais ce disque.] Pour en revenir au livre de Régis Roux, j’en reparcours une des sections, “Forge en ruine”, qui rappelle — pour l’attention à un lieu précis, le rythme et la manière dont les poèmes s’enchaînent en creusant le motif — à Guillevic, mais s’en distingue sur un point primordial : l’emploi de métaphores et d’images complexes. J’en extrais l’avant-dernier poème, très réussi pour la construction d’un univers visuel et sonore :
Dans le hangar désaffecté
Quelques pneus
Quelques plots
Et le tour d’une épave
Le capot
Se rabat dans un gong
(p. 43)
[Tiens, il faudra que je fasse écouter “L’Été” à Oméga : très beau solo de hautbois en introduction. (Le reste de la chanson est casse-pieds. Ce qui me frappe, c’est que Racaille chante quasiment faux, ainsi que dans “Jouets du destin” ou “Duel singulier”...) “Au fil de l’eau” est très fersenien. Rien d’étonnant : Racaille a signé les arrangements de plusieurs disques de Fersen, pile à la même époque.]
En remontant d’étagère en étagère, on s’approche de poètes plus connus. Notre quatrième larron, toujours français, est Pierre Reverdy, dont je n’ai qu’un seul volume, Sources du vent, en Poésie/Gallimard. Ce fut un de mes premiers cadeaux à C***, en 1992. Par paresse, j’en donne un beau poème (“Un cri dans la nuit”) en lien, qui pis est vers Google Books.
Dernière étagère, les Lettres à un jeune poète, dans l’édition bilingue de Poésie/Gallimard, dans la traduction de Marc B. de Launay. J’aurais pu hésiter entre ce recueil et celui des Élégies de Duino, ou les six tomes des Sämtliche Werke, mais mon choix se porte sur le célèbre recueil épistolaire, car, si ma mémoire ne me fait pas défaut (l’intéressée corrigera, si elle lit ce paragraphe, elle qui attend par ailleurs depuis des journées un travail que je lui ai promis), une amie m’a dit que c’était un des seuls livres qu’elle avait gardés quand elle était partie à l’aventure et à la découverte des danses et des cultures de plusieurs pays.
[Dans “Blues impérial”, romance sans paroles → → → dialogue entre hautbois et saxophone alto. Faire écouter ça aux garçons, décidément.]
N’ayant ni le temps, ni les compétences, ni la prétention de parler ici de Rilke, je citerai une phrase qui me semble particulièrement importante :
Die körperliche Wollust ist ein sinnliches Erlebnis, nicht anders als das reine Schauen oder das reine Gefühl, mit dem eine schöne Frucht die Zunge füllt; sie ist eine große, unendliche Erfahrung, die uns gegeben wird, ein Wissen von der Welt, die Fülle und der Glanz alles Wissens.
(Texte complet de la lettre ici, et traduction de la phrase là.)
Pour clore ce billet, en illustrant une part de l'univers loufoque de Rebotier avec une brève chanson de Racaille interprétée par Pascale Jaupart :
[Je publie ce billet à 9 h 18, sur les dernières notes de la dernière chanson, “Ne me parle pas”.]
09:18 Publié dans Par les lettres | Lien permanent | Commentaires (4)
Banc
C’était merveilleux, ai-je dit, ce banc de poissons que j’ai vu. Je l’ai vu très nettement, tu sais. J’écoutais ce que tu me disais, et je le voyais onduler devant moi. Je crois que c’est parce que tu m’as pris la main.
(Christian Garcin. L’embarquement. Gallimard, 2003, p. 100)
07:27 Publié dans Corps, elle absente, La Marquise marquée, Larcins | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 02 mars 2016
Se dépêtrer
Emmanuel a mis trois quarts d’heure à se dépêtrer de l’habituelle métastase des zones commerciales qui enserrent aujourd’hui toutes les villes, les étouffe sous leurs logos publicitaires comme le gui étouffe les vieux arbres. (“Les muets”, in La neige gelée ne permettait que de tout petits pas, 2005, p. 56)
Ce que je trouve, quand je marche sur les trottoirs fissurés au rouge passé, dans mon quartier d’amère banlieue, ce sont de vieux kleenex — ce que je foule, ce sont parfois des étoffes abîmées — pas grand-chose qui m’embrase (ce qui dans la phrase
de Garcin porte le nom de métastase.
)
18:18 Publié dans Kleptomanies überurbaines, Larcins | Lien permanent | Commentaires (0)
Par les lettres, 5 : Górecki, Guem, Guerbas
Cette rubrique — dont le titre, je m'en avise tardivement, est erroné (il serait plus judicieux de la nommer Par les initiales) et qui vient de faire l'objet d'une sorte de plébiscite parmi les cinq premiers votants du grand référendum d'initiative populaire, dans une veine “les auditeurs ont la parole” dont je m'étonne moi-même que j'aie pu y céder tant il s'agit là de menées démagogiques et de machinations afin de tenter de ressusciter un vague lectorat pour ce carnétoile qui, de fait, n'en a plus, et n'en a cure (s'il est permis de risquer la personnification, voire la métonymie) — est très vite restée au point mort.
Ce mercredi après-midi, pouvant compter sur mes parents, qui sont de passage, pour accompagner Oméga à sa leçon de formation musicale et de chant choral, je me suis installé à la table de la salle à manger et ai fait une petite sélection de disques selon le principe de voisinage alphabétique qui est le seul point de départ de cette rubrique. Le premier disque est la symphonie n°3 de Henryk Górecki ; le deuxième est une anthologie de compositions de Guem pour percussions (Le Serpent) ; le troisième est un disque de tarab arabo-andalou intitulé Nawba Hsin. Maître Sid Ahmed Serri et l'ensemble Albaycin dirigé par Maître Rachid Guerbas, que, de façon probablement fantaisiste, j'ai classé à Guerbas.
Górecki. Guem. Guerbas.
Se succèdent donc sur les étagères de ma discothèque.
Le disque de Górecki est le seul que je possède, même si on trouverait dans ma discothèque, dans certains coffrets ou sur certains albums classés au nom de leur interprète, d'autres pièces de lui. Il y avait quelque temps que je n'avais pas écouté la Symphonie n°3, son œuvre la plus connue, ici dans une version un peu marginale mais très émouvante, par l'Orchestre Philharmonique de Grande-Canarie sous la direction d'Adrian Leaper. La soprano est Doreen de Feis. La symphonie se compose de trois mouvements, tous lents, ce qui est déjà particulier. L'orchestre, à la fois poignant et coloré, est une synthèse assez habile de certains éléments avant-gardistes et d'une tradition plus habituellement qualifiée (péjorativement) de post-romantique. Le texte chanté dans le premier mouvement est celui d'une lamentation du quinzième siècle ; celui du deuxième mouvement est un appel au secours lancé à la Vierge Marie et gravé par une jeune fille emprisonnée par la Gestapo, Helena Błażusiak, sur les murs de sa cellule ; celui du troisième mouvement est un chant populaire silésien, repris sur un mode lancinant, répétitif, qui en fait, selon moi, le mouvement le plus marquant. La WP anglophone propose une analyse musicologique détaillée, qui ne vaut peut-être pas tripette mais me passe en tout cas en partie au-dessus de la tête : je laisserai les experts en juger. Pour une liste semble-t-il exhaustive des compositions de Górecki, on peut se reporter au site de l'University of South California. — Il y aurait, selon la WP francophone, seize enregistrements de cette œuvre. YouTube en propose plusieurs, dont une avec la soprano polonaise Zofia Kilanowicz.
Après une œuvre aussi émouvante, l'album du percussionniste algérien Guem demande un temps de pause... quelques minutes de silence... s'arracher au lent et beau finale de la symphonie de Górecki. Pour écrire ce billet, je n'ai réécouté que trois titres de ce disque que j'écoute souvent et qui me fut offert par ma sœur, à Noël 2001 je dirais (mon point de repère étant le salon de chez mes parents, à Cagnotte, et Alpha, notre fils aîné, tout bébé, ne tenant pas encore assis) : “Forêt vierge”, “Poursuite”, “Le Serpent”. On comprend bien pourquoi c'est ce dernier morceau qui donne son titre au disque : jamais polyrythmie ne fut à la fois plus entraînante et plus mélancolique. Pourtant, “Forêt vierge” reste mon morceau préféré, le plus audacieux dans sa façon d'associer bruitages, tambourinages, crotales.
L'album de tarab arabo-andalou est double. Il a été enregistré en 1997, publié en 2001... et je n'ai aucun souvenir de l'avoir acheté (cela arrive)... Suis en train d'en écouter le début, et c'est un travail tout à fait formidable à partir de la structure élaborée au fil des siècles, qui, si mes souvenirs sont bons, insiste sur l'alternance entre la suggestion du repos et le glissement progressif vers l'extase (attarab). Si j'écoutais sans rien faire (sans me distraire d'écriture, notamment), nul doute que je m'attarabiserais... ——— Cela posé, à chaque fois que j'écoute de la musique arabo-andalouse, comme des musiciens gnaouas ou — plus loin encore, bien que les affinités avec le tarab soient plus nombreuses — des interprètes de râg, je suis enthousiaste, curieux, mais n'ai jamais eu assez de goût pour aller plus avant dans l'exploration. Quelques disques isolés, rarement écoutés, témoignent de cette présence très à la marge.
14:48 Publié dans Autres gammes, Par les lettres | Lien permanent | Commentaires (0)
Le référendum continue
À l'heure où nous imprimons, le référendum lancé hier a reçu un nombre exceptionnel de votes (cinq).
Il n'est pas clos.
L'auteur du référendum s'avise que c'est une des rubriques pour lui les plus insignifiantes — et surtout, elle n'est qu'à peine ébauchée — qui fait l'objet d'un quasi plébiscite : 80% ! Il s'agit de Par les lettres, rubrique pour laquelle je vais m'empresser de composer illico un petit billet. Tant pis pour vous.
13:34 Publié dans Ex abrupto | Lien permanent | Commentaires (1)
mardi, 01 mars 2016
3777 — Le point sur les chantiers
La majorité des rubriques de ce site (et de l'autre) sont un chantier perpétuel, jamais achevé. Toutefois, après soixante jours en 2016 — nulla dies sine linea, pour l'un comme pour l'autre —, je veux faire le point :
- Aujourd'automne (commencé le 26 août 2015, dernière publication le 25 février)
- centenaire Léo Ferré (commencé le 8 janvier, dernière publication le 13 janvier)
- remémorations du séjour en Artois et Wallonie (commencé le 23 mai 2015, dernière publication le 25 février)
- projet autour de l'œuvre de Christian Garcin (commencé le 5 janvier, dernière publication aujourd'hui)
- 16 en 16 (commencé le 8 janvier, dernière publication aujourd'hui)
- phrases de Nuruddin Farah (commencé le 24 novembre 2015, dernière publication le 20 janvier)
- Untung-untung (commencé le 25 février, dernière publication hier)
- Par les lettres (commencé le 28 novembre 2015, dernière publication le 26 janvier)
- L'Atlas (1 seul billet le 9 janvier)
- stockage (trop) irrégulier des sonnets écrits (désormais) avec le smartphone ici et là
- Vagabondages (1 seul billet le 13 janvier)
- reprise assez soutenue des billets de traductologie
Il y a de nombreux projets que j'aimerais reprendre ou poursuivre, mais enfin, cela fait déjà un joli paquet.
Je propose, histoire de redynamiser la partie “Commentaires” de ce site, à tous les lecteurs (occasionnels, hein, je n'ai pas d'exigences) de voter pour les 3 chantiers sur lesquels je devrais, selon eux, me concentrer. Le vote peut être rédigé de manière télégraphique, par exemple : 1. Atlas 2. Untung 3. Farah.
10:39 Publié dans Ecrit(o)ures, Ex abrupto | Lien permanent | Commentaires (7)
Du dessus
Dans “Cheyennes et Inuits”, la dernière nouvelle du recueil publié par Christian Garcin en 2005, La neige gelée ne permettait que de tout petits pas, le protagoniste rencontre une hermine. Le texte relate d’abord la rencontre du point de vue de l’hermine, en insistant sur la manière dont cet homme est perçu par l’animal : « Elle huma son odeur et la rangea instantanément quelque part au tréfonds de sa mémoire, en compagnie de quelques odeurs inconnues et effrayantes, et d’autres expériences profondes, immédiates, qu’aucun mot ne saurait décrire. » (p. 85)
À la fin de la nouvelle, l’homme parvient à s’imaginer lui-même, comme vu de très haut : « Un grand silence se mit à vibrer très profondément en lui, et il se vit un instant comme du dessus, point minuscule au sein d’un monde immense et nu. » (p. 89)
C’est la confrontation à un autre monde, un monde sauvage radicalement autre, qui lui a permis de se voir ainsi comme du dessus.
08:08 Publié dans Larcins | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 29 février 2016
La biwa
Dans L'Encre et la couleur, un aveugle dit préférer “les voix bleues” (p. 29).
Dans un écho de la biwa accrochée au mur (Vidas, p. 136), le disciple déclare avoir “compris qu'aucun poète ne peut écrire, aucun musicien jouer de la biwa ou du luth sans l'acceptation de sa propre finitude” (L'Encre et la couleur, p. 37).
13:15 Publié dans Autres gammes, Larcins | Lien permanent | Commentaires (0)
L'Ivresse / Drunkenness
Pour un cours déplacé au lundi matin à 8 heures, il y avait certes quelques absents, mais nous avons bien travaillé. Les étudiants devaient chercher dix exemples de modulation dans les sous-titres anglais de l'épisode de Kaamelott ci-dessus.
Les échanges ont été nourris, et on a pu faire le tour de presque toutes les modulations les plus courantes.
Les présents auront même appris ce que sont un hyponyme, une brachylogie, une catachrèse — sans compter le rappel des fonctions poétique et phatique du langage selon Jakobson.
Il tabasse, le Cingal.
09:56 Publié dans Translatology Snippets, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 28 février 2016
3773 — Avec la flemme de mettre les liens
Hier, à onze heures du soir :
Ça y est, j'ai écrit 3773 billets dans Touraine sereine, mais comme certains (cinq) sont à publication différée, je ne peux encore savoir lequel portera, chronologiquement (ou plutôt : linéairement) ce numéro de matricule palindromique. Grave, hein. Bientôt, aussi, je me retrouverai à pondre le #2442 de MuMM. Le palindrome, c'est nickel chrome. Jongler dans le temps, ça va un temps, untung-untung. (Aujourd'hui ne pas se promener en tong. Ni en chemise de shantoung.)
Je flânai. Alors pas de flanelle.
Je m'arrondis, au cordeau. Alors, foin de villanelle.
J'ai vite arrêté les rotrouenges. Alors que passe un ange.
(When suddenly I realize that 3773+2442 = 6215. Can you believe it ?)
J'appelle de mes vœux le froid glacial.
Et la pluie par-dessus.
Je sonne à m'en péter la gorge la corne de brume et l'oliphant.
Et la voix de poubelle par en-dessous.
La poésie... la poésie... son mac n'a plus un rond.
Ce soir, je publie ce billet-ci, qui est le vrai 3773e.
20:52 Publié dans Chèvre, aucun risque | Lien permanent | Commentaires (0)
“avec encore des puzzles, et un géranium indifférent”
François Bon a publié aujourd'hui une vidéo, tournée en Auvergne, où il se trouve pour une quinzaine.
Dans cette vidéo, il lit le premier état d'un texte en cours sur les livres perdus ; le film, de neuf minutes, s'intitule Récrire un fichier perdu.
Comme toujours dans son vidéo-journal, il ajoute des surtitres, brèves notations expliquant ce que l'on voit à l'image, ou commentaires subjectifs. Ici, le caractère discrépant m'a particulièrement frappé. Sans doute y suis-je très attentif car la rencontre du concept de discrépance, quand j'ai dévoré les œuvres théâtrales et théoriques d'Isidore Isou, en 1995, m'a durablement marqué.
Ce qui me frappe, c'est qu'il devient difficile — au fur et à mesure que François Bon filme les pièces du gîte, tel ou tel objet insolite, telle porte ouvrant sur le vide, et qu'il y ajoute ses lapidaires légendes — de se concentrer sur le texte qu'il lit, pourtant essai sur un sujet qui m'intéresse. L'esprit n'est pas seulement partagé, divisé entre l'image et le son, qui sont en décalage (discrépance), mais aussi entre la forme de l'essai lu (prose théorique) et les légendes, qui s'apparentent souvent à des sortes de haïkus en vers libres. Le mien, d'esprit, a fini, au premier visionnage, par n'être plus happé que par le gîte et les notations en légende.
Heureusement, on peut relancer la vidéo...
Deux autres éléments, plus personnels, peuvent expliquer ma distraction :
- souvenirs (excellents) de notre séjour dans le Cantal, à Pâques 2014, dans le château de Jussac
- quand je regarde les vidéos de François (toutes), je me retrouve vite à tenter la traduction simultanée des légendes... ce qui n'est pas gênant quand le vlog ne propose que les images animées et les légendes [Je vais sans doute donner prochainement un extrait d'une des vidéos de François à traduire dans la partie “improvisation” de mon cours de thème de troisième année.]
▓▒░░▒▓▓▒░ Plusieurs fois, depuis un an et demi j'ai tenté de faire des billets de vlog, mais, outre que je ne prends pas le temps de travailler tout ça dans WMM, ma connexion est si lente qu'une mise en ligne sur youTube prend deux plombes pour un fichier de 8 minutes. ▓▒░░▒▓▓▒░
ceci / ɐןǝɔ
09:59 Publié dans Autres gammes, Flèche inversée vers les carnétoiles | Lien permanent | Commentaires (0)
Beggar-thy-neighbour
L'une des choses qui me fascine le plus, dans l'utilisation que font les médias dits “traditionnels” des réseaux sociaux, c'est la disparité très fréquente que l'on observe entre le titre d'un article au moment il a été posté sur la page FB, par exemple, du journal, et le moment où on consulte le site Web du journal en question.
Hier, le Guardian a publié un article, attribué à “Martin Farrer and agencies” (ce qu'en français on traduirait sans doute par "Martin Farrer, sur dépêches d'agence"), et intitulé (à l'heure où j'écris ces lignes), “G20 concludes Brexit would 'shock' world economy, George Osborne says”. L'URL démontre assez que ce n'était pas le titre original.
Sur Facebook, le statut annonçant l'article propose toujours le titre d'origine, avec son chapeau d'origine : « Finance ministers meeting in Shanghai have warned about the danger of Britain leaving the EU and beggar thy neighbour currency wars, Reuters reports. » — Bien que je connaisse le jeu de beggar my neighbour (une sorte de mistigri) et bien que j'aie identifié sans difficulté la fonction verbale ici de beggar thy neighbour et son sens économique, originalement attribué à Adam Smith, je pense que cela n'est pas évident pour tout le monde, notamment en l'absence de traits d'union à l'expression figée beggar-thy-neighbour, mais aussi parce que la fonction de ce verbe au présent n'est pas claire : si le sujet en était Britain, il serait au participe présent (avec la question difficile à résoudre : beggar-thy-neighbouring ou beggaring-thy-neighbour ?) ; si la syntaxe est ici correcte, le sujet en est nécessairement “Finance ministers”, ce qui signifie alors que les ministres des finances du G20 auraient explicitement dit qu'ils allaient se livrer à des politiques protectionnistes, de l'ordre du chacun pour soi. (Ces deux traductions conviendraient ici. Pour plus d'occurrences d'usage, cf Linguee.)
Tout cela m'a semblé étonnant, à la seule lecture du titre et du chapeau. J'ai donc lu l'article et constaté, tout d'abord, que le chapeau, modifié, était beaucoup plus compréhensible : « Finance ministers warn about danger of Britain leaving EU and pledge to use all policy tools to lift global growth ».
La seule occurrence de l'expression idiomatique renvoyant au risque de politiques protectionnistes se trouve désormais dans le corps de l'article, avec un sens opposé à celui qui demeure dans le chapeau visible sur Facebook : « It [= the draft's note] added that ministers pledged not to engage in beggar-thy-neighbour currency devaluations which could unleash a wave of dangerous deflation through the global economy. »
Ainsi, il y aurait eu, pour qui lit l'article ce matin, un engagement solennel des ministres du G20 à ne pas mettre en place de politiques protectionnistes de dévaluation, alors que, si on s'en tient à un premier état, encore visible sur Facebook, Reuters a tout d'abord souligné la menace de politiques protectionnistes lors du G20...
Que comprendre, et que croire ?
Doliprane 3000, comme dirait une amie...
09:46 Publié dans Translatology Snippets | Lien permanent | Commentaires (0)
Lent clapotis
… au cœur de la nuit, il y avait dans le lent clapotis des eaux noires toutes proches, et le grand silence de la mer qui emplissait tout l’horizon, quelque chose d’à la fois mélancolique et mystérieux qui me plaisait beaucoup. (C. Garcin. “Poisson chinois”, in La neige gelée ne permettait que de tout petits pas, 2005, p. 48)
02:02 Publié dans Larcins | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 27 février 2016
Blousés
“un spécialiste peut se blouser comme un autre homme”
(Gide, Journal, 1933, cité dans le Robert)
Au détour d'une page sur Kafka – que je n'ai pas assez relu depuis que je me suis fait offrir les Sämtliche Werke – Christian Garcin évoque Epépé de Ferenc Karinthy, et c'est un nouveau livre qui s'ajoute à la pile virtuelle.
Dans Labyrinthes et Cie, Garcin évoque aussi son travail de recherches sur la figure de labyrinthe chez Borges et déclare avoir « eu le sentiment d'avoir été proprement blousé, “promené” comme on dit dans le Sud, par un Borges infiniment trop malicieux pour moi » (p. 69).
Là où Garcin voit un méridionalisme (je suppose — je suis, comme on le sait, très réticent à une telle absence de nuance, ayant grandi en trouvant les Provençaux beaucoup plus étranges, dans leur parler et leurs habitudes de pensée, que les “Parisiens”), le Robert parle d'une locution figurée et vieillie : « promener quelqu'un, le mener en bateau, le lanterner ». Et cite le Dictionnaire de l'Académie : “voilà six mois qu'il me promène”.
En ce sens, la promenade prend le sens de déroute organisée, de désorganisation, de dédale interprétatif. (Et de mon remords de ne pas avoir assez lu Kafka depuis 2012 j'en viens au regret de ne pas avoir encore lu Der Spaziergang de Walser.)
J'en termine avec un fait brut, anecdotique : dans l'exemplaire du livre emprunté à la B.U. Se trouvait, outre ma fiche de réservation, une précédente fiche d'emprunt au nom d'Élodie Buttieu (“retour le 29/03/2006”).
13:13 Publié dans Larcins, Lect(o)ures, Nathantipastoral (Z.), Questions, parenthèses, omissions | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 26 février 2016
L'autre monde
Itinéraire chinois, 2001. — Comme le buffle, le macaque, “gros mâle très couillu” qui fit intrusion dans la chambre d'hôtel de Christian Garcin au Rajasthan, est le signe de l'autre monde auquel l'écrivain consacra plus tard un de ses meilleurs . Cette contemplation stupéfaite d'une sauvagerie irruptive et spectaculaire se traduit par la répétition du mot monde, son dédoublement, et le recours à la parataxe : « Il rongeait, seul au monde, le dos tourné, je l'observais sans bouger, la nuit allait bientôt s'installer, le monde suivait son cours. » (p. 89)
13:12 Publié dans Larcins | Lien permanent | Commentaires (0)
Déontologie
Conférence de rédaction à la NR
— Bon, y a le clash Aubry/Valls, faut titrer là-dessus.
— J'ai une super idée pour un titre original. Il doit traîner des photos de Valls ou Hollande sur un chantier. On pourrait parler de "démolition".
— Ah ouais, bien... Entreprise de démolition, tiens. Dis, toi, là, au lieu de glandouiller sur Twitter, cherche une photo de Valls sur la base de photos de l'AFP.
— ...
— Sur un chantier.
— OK.
(quelques secondes plus tard)
— Y a celle-là.
— Bien, super, il a l'air bien sur ses ergots, en plus, bien.
— Euh, y a une meuf à côté, on sait pas qui c'est.
— C'est pas grave, on n'a qu'à mettre une allusion à Aubry dans la légende. Comme ça avec le casque les lecteurs croiront que c'est elle.
— Ouais, boss, c'est pas top quand même, question déontologie.
— Question quoi ?!
— C'est enseigné dans les écoles de journalisme.
— Les écoles de quoi ?
12:26 Publié dans Indignations, Moments de Tours | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 25 février 2016
« La fameuse armée d'argile »
En 2001, dans Itinéraire chinois, Garcin revient, dans la septième des “Promenades”, sur sa visite de Xian, muée en récit romanesque l'année précédente dans Le vol du pigeon voyageur. Il cite Borges qui “soulignait une étrange et paradoxale parenté entre Qi Shi Huangdi et William Shakespeare” (p. 73), nomme la gigantesque armée “l'inoffensif point d'orgue d'une paranoïa aiguë”... inoffensif quoique bâtisseurs, architectes et concubines dussent être ensevelis vivants avec l'empereur à sa mort : “Ce furent donc un mort et des milliers de vivants qui habitèrent un temps le tombeau et ses multiples salles souterraines.” (p. 75)
13:11 Publié dans Larcins | Lien permanent | Commentaires (2)
mercredi, 24 février 2016
pays perdu oui
Hagetmau, 14.02.2016.
oui est un pays plaisant
au soleil de ce dimanche
le ciel découpé sous la branche
c'est la parade des ans
oui est un pays perdu
trouant votre coudée franche
le froid est là la neige est blanche
à nier ce qu'on a mordu
oui finit en oraison
c'est un pays sans saison
on ne sait pas ce qui le ronge
& dans vos cœurs mal embouchés
oui est fait de mots couchés
pour les poisons des oronges
22:12 Publié dans Gertrude oder Wilhelm, Hors Touraine, Sonnets de janvier et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 23 février 2016
—la noce en cueillant—
15.02.2016.
tu égrenais au seuil des nuits
des coups de pinceaux innocents
qui détruisaient fureurs et bruits
martèlements adolescents
tu as pu faire la noce en
cueillant dans l'ombre fleurs et fruits
exacerbant la haine au sang
& épatant quelques instruits
dont tu avais volé l'angoisse
à présent l'ombre que tu froisses
a des allures de tapin
dis ces dégoulinures noires
les lâches-tu pour d'autres foires
ou trouver le fruit sans pépin
10:10 Publié dans Sonnets de janvier et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 22 février 2016
Où revenir au vert
Au centre de ces formes insaisissables une tache verte, lumineuse, cristallisait le regard.
(L’autre monde, p. 37)
Nos regards s’étaient mêlés, accrochés, avaient durant quelques secondes que j’aurais voulu ne jamais voir s’achever plongé l’un dans l’autre jusqu’à ce que le renard, ayant vaincu la frayeur qui le paralysait, brusquement fît volte-face et courût vers un sombre taillis, l’éclat roux de son immense queue flottant derrière lui comme la bannière d’une armée victorieuse quittant le champ de bataille.
(L’autre monde, p. 33)
Il faut, pour approfondir le regard, un étendard vert. Mais il faut, pour écrire, être désarmé. Débrouillez-vous avec ça.
10:03 Publié dans Larcins | Lien permanent | Commentaires (0)
la fauvette @ la sauvette
15.02.2016.
elle se pose, la fauvette
sans que nul ne l'en ait priée,
sur l'arbre comme à la criée
un rai de soleil sur l'étal
elle regagne à la sauvette
un nid invisible, étrillée
par cette écriture embrouillée
& l'approche d'un caracal
n'est-ce plutôt une civette
qui s'approche pour que même à
l'affût d'un monde équatorial
ce bougre d'âne de Cingal
citant "la mouette c'est Emma"
nomme cette fauvette Yvette
07:07 Publié dans Sonnets de janvier et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 21 février 2016
Of Mice and Men (Sinise, 1992)
Regardé hier soir le film de 1992 adapté de Of Mice & Men — que j'enseigne ce semestre, donc je voulais me faire une idée. Occasion de faire découvrir l'œuvre à mon fils aîné aussi (je lui ai fait lire le dernier chapitre en traduction, pour lui montrer comment la schizophrénie de Lennie était évacuée dans le film au profit de sa “simple” débilité).
Il s'agit, globalement, d'une adaptation très fidèle, de et avec Gary Sinise (jamais entendu parler, jamais vu — auteur d'une très fidèle et assez belle adaptation).
John Malkovich, qui interprète le rôle de Lennie, est excellent, comme à son habitude, et campe merveilleusement (c'est-à-dire avec beaucoup d'habileté mais aussi d'humanité) le demeuré. Ce que je me demande, c'est comment il est parvenu à égrener ces litanies de "George" monocordes et semi-plaintifs sans être hanté en permanence par les versions parodiques de Tex Avery.
Tout est là, en quelque sorte, notamment les éléments très évidents de complicité homo-érotique... mais, à ce titre, l'ambiguïté de la relation entre George et Slim est tout à fait effacée au profit du seul couple Lennie/George. Pour cela, le texte reste plus subtil, avec notamment la belle dernière phrase, dans la bouche d'un lourdaud sans cœur, Carlson : “Now what the hell ya suppose is eatin’ them two guys?”. Ces hommes rongés, grignotés par leur humanité autant que par leur sexualité complexe, ce sont Slim et George Milton, eux qui, après la mort de Lennie, demeurent.
21:42 Publié dans Tographe, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 20 février 2016
“comme l'intérieur d'un insecte”
« Je dois dire aussi : l'écriture est l'offrande d'un balbutiement. »
(Marina Tsvetaïeva, d'après C. Garcin, p. 74)
La vingtième des 24 Vidas de Christian Garcin, un de ses premiers livres (1993), s'achève sur l'exécution d'Étienne Dolet, poète et imprimeur — j'avoue n'avoir connu, jusqu'alors, que l'imprimeur. Dans la description du geôlier qui vient chercher Dolet pour le mener à l'échafaud resurgit l'attention particulière de Garcin aux odeurs (comme dans les premières pages de Du bruit dans les arbres, 2002).
L'homme qui vint le chercher était jaunâtre et puant comme l'intérieur d'un insecte. Il ouvrit la porte du cachot, grogna quelques mots, baissa les yeux devant ce regard noir, scrutateur, cette absence de terreur. (p. 127)
Je ne suis “entré” pleinement dans le livre que tard. Ce sont les quatre portraits rassemblés dans la cinquième partie, “Oublis”, qui m'ont vraiment convaincu du projet; jusque là, j'étais réservé, trouvant ces vies brèves trop sommaires, justement, ou alors parfois trop évidemment inventées, comme manquant de variation stylistique, phrases faites au moule. C'est très méchant, et très faux, ce que j'écris, mais je le note quoique j'aie changé d'avis. Ayant commencé en léger décalé la lecture de L'Encre et la couleur (1997), il me semble que la recherche de phrases plus variées, moins rivées au rythme ternaire, risquant l'allongement, est devenue plus centrale au projet de Garcin. (Pour se faire une idée du premier style, abrupt et chantant, de Garcin, cf par exemple la vie brève de Peire Vidal, Vidas 63-67).
Vidas s'achève sur un portrait de Donatello ; le livre de 1997 s'ouvre sur Masaccio. Pour ce qui est de l'allongement, il concerne les chapitres, les “vies” elles-mêmes : alors que les deux livres sont de presque égale longueur, L'Encre et la couleur est constitué de sept chapitres, contre 24 dans Vidas.
Ce que l'on trouve déjà dans Vidas, c'est – outre l'odorat qui s'ouvre un chemin dans l'écriture – la façon qu'a Garcin de développer une phrase à partir des sonorités du mot – ou de l'expression – qui figure à son début, comme, ci-dessous, dans un extrait de la “vie” de Diogène :
Lors des joutes oratoires qu'il aimait provoquer, il avait toujours le dernier mot – soit que ses arguments déroutassent ses adversaires, soit que son outrance les déconcertât. (p. 142)
Parfois, ce travail part d'une anagramme partielle, comme dans la série soir → rosi (où l'on retrouve aussi la réminiscence du “beau ciel d'automne calme et rose” de Baudelaire) :
Contemporains, comme les parfums qu'apportait le vent du soir, et que Salluste, Cicéron ou Martial avaient sentis avant lui, près des mêmes colonnes, des mêmes architraves, sous le même ciel rosissant. (p. 146)
10:09 Publié dans Larcins | Lien permanent | Commentaires (0)