jeudi, 12 novembre 2015
Le slip, le buzz et les gogos
Enfin, rien de glorieux. C’est petit, il en faut beaucoup : l’homme rapporte pour les manger un sac d’oiseaux morts. Mais c’est comme insulte au monde : insulte à tout ce qui ne va pas dans le monde. Sa pelle, à ce vieux beauf, c’est sur notre tronche à nous tous un par un qu’il l’a balancée. À part que, dans le monde d’aujourd’hui, il y a toujours quelqu’un pour vous photographier au mauvais moment.
(François Bon, “homme en slip avec une pelle” —11 novembre 2015)
Quoique j'aie réagi le jour même des graves incidents qui se sont produits à Audon, dans les Landes, sur les réseaux sociaux mais aussi dans la rubrique des commentaires du quotidien Sud-Ouest, je me suis interdit de publier trop à chaud sur le sujet du braconnage et des gens qui donnent coups de pelle ou de pique comme à la parade. Bien m'en a pris, car, dès lundi, le riverain en slip a fait le bonheur des réseaux sociaux, amateurs de détournements et autres photoshoppeurs... au point, hélas, d'occulter en grande partie la gravité du problème et l'essentiel du débat.
Qu'on ne se méprenne pas, plusieurs des détournements m'ont bien fait rire, et j'ai trouvé assez réjouissant que soit ainsi révélée à des millions de gens l'ineptie de ces prétendus “chasseurs traditionnels”. Toutefois, la rigolade l'a, comme souvent, emporté sur la réflexion, au point que de nombreuses voix se sont maintenant élevées pour dénoncer le “parisianisme” des défenseurs de la nature, ou le “coup médiatique annuel” de Bougrain-Dubourg, en des termes qui rejoignent d'ailleurs, très souvent, le vieux fond rance de la “France d'en bas” version Sarkozy, voire l'antieuropéanisme et l'antiélitisme dont le Front National, entre autres, fait ses choux gras. Je comprends tout à fait qu'on puisse critiquer la “bien-pensance” de tel ou tel organe de presse, et par exemple d'un programme mélangeant divertissement et information comme Le Petit Journal (et qui m'exaspère plus souvent qu'il ne m'amuse).
Toutefois, il ne faut pas, pour être du côté de ceux qui vont à l'encontre de la “bien-pensance”, se mettre à mal penser, et j'entends par là : penser de travers, ne pas s'informer, avoir des avis tranchés sans examen préalable, se cantonner dans l'ignorance, arrêter de penser. Dans sa chanson sur les bobos, Renaud s'en tirait par une pirouette : « je fais peut-être partie du lot...» Et, de fait, s'il est souhaitable de ne pas s'interdire de critiquer la superficialité de certains modes de vie (bobos ou hipsters, si je suis à peu près la tendance actuelle) ou le caractère systématique de certains modes de pensée (la fameuse bien-pensance), il ne faut jamais s'interdire non plus de réfléchir.
Donc, pour en revenir à l'homme au slip, rétablissons quelques vérités. Tout d'abord, cet homme en slip n'était pas seul. L'ensemble des images (fixes et animées) montrent qu'ils étaient quatre, dont deux armés d'outils de jardinage potentiellement très dangereux. Le détourage, en supprimant, pour d'évidentes raisons techniques (le réemploi de la silhouette à la pelle dans les images retouchées), ces trois acolytes, a débouché – même inconsciemment, même pour ceux qui se sont moqués de lui ou de sa brutalité – sur l'image d'un homme seul... seul face à plusieurs militants anti-braconnage accompagnés de journalistes. Détourage qui a détourné l'attention en suscitant indirectement une image de cavalier seul. (Il n'est d'ailleurs pas impossible que, si moquée qu'elle ait été, sa demi-nudité n'ait semblablement débouché sur l'idée que cet homme seul était humble, dans le dénuement ; ne dit-on pas de quelqu'un qui a tout perdu on lui a pris jusqu'à son slip ?)
Ce cavalier seul est vite devenu, dans pas mal de sites d'extrême-droite (mais non strictement tels), chevalier des démunis ou de la ruralité face à la réglementation, Bruxelles, que sais-je... Après le chevalier au lion ou le chevalier à la charrette, voici le chevalier à la pelle, nouveau Bayard sans peur et sans futal. Comme pour les désormais fameux bonnets rouges, le tour de passe-passe, sémiotique autant que sémantique, viserait à faire passer pour des opprimés une petite caste de nantis refusant de se soumettre à la loi commune.
Interrogeons donc l'image de cet homme en slip et muni d'une pelle. Cet homme — qui (je l'écris afin de mettre fin à l'éternel argument de la violation de propriété privée) sort de chez lui, au lieu d'alerter les gendarmes, pour en découdre à coups de pelle avec un intrus pacifique entouré de journalistes — représente surtout une frange de braconniers dans l'illégalité : les pinsons (dont plusieurs individus ont été relâchés ce matin-là par les défenseurs des oiseaux) sont une espèce protégée, et le mode de piégeage à l'appelant est prohibé depuis plus de trente ans. Même sempiternelle histoire que pour les ortolans à la fin de l'été : espèce protégée en net déclin, braconnage à plusieurs niveaux, complicité des pouvoirs publics (il n'y a qu'à lire les incartades du boss Emmanuelli sur le sujet) et, souvent, de la force publique. L'homme au slip ne représente donc pas les pauvres faisant face à l'intrusion de la France d'en haut, mais la violation, réitérée depuis des décennies, du droit commun. De surcroît, bien de ces prétendus “chasseurs” revendent les oiseaux piégés illégalement sans déclarer leurs revenus (ça va sans dire), mais tout en bénéficiant, pour leur activité principale (agriculture), de subventions abondantes. Le “chasseur traditionnel” est donc, le plus souvent, ce qu'on nomme un trafiquant. Moi qui ai vécu seize ans dans les Landes et qui y retourne très régulièrement, je peux témoigner qu'on ne compte plus le nombre de menaces de morts, de dégradations de véhicules ou d'habitations, de pressions sur les élus pour que l'État ferme les yeux sur le business, ou de pressions sur les voisins pour que perdure l'omerta lorsque des journalistes viennent poser des questions.
Ainsi, ce genre d'individu ne devient pas plus ou moins sympathique d'avoir fait le buzz — à l'instar de Nabilla jadis ou de Serge le lama naguère — ou d'être la cible et la risée des “bobos”. Les défenseurs des oiseaux sont contraints d'en venir à des actions plus spectaculaires, dans la mesure où presse locale et autorités ferment les yeux, font durer les procédures, enterrent les affaires... Si un dealer de cocaïne accueille en slip avec un nunchaku, dans son appartement, un militant anti-drogues accompagné de journalistes, cela ne fera rire personne.
L'analogie est biaisée, je le sais : les dealers de cocaïne ne touchent pas des aides de l'État et de l'Union Européenne.
Si j'en risque une autre, celle avec le bijoutier de Nice qui avait défrayé la chronique et suscité une page de soutien pas vraiment exempte d'arrière-pensées politiciennes, ça ne marche pas non plus : Bougrain-Dubourg et ses proches n'étaient pas des cambrioleurs, et vendre des bijoux est autorisé en France.
Donc, pas d'analogie. Il faut penser ce dossier, cette histoire, dans toute sa vérité particulière, et on verra que, même si les braconniers sont défendus (comme il est normal, dans une démocratie, que tout le monde le soit), leur “combat” est — du point de vue de l'intérêt général, des libertés individuelles et de la morale — tout à fait indéfendable.
C'est sans doute une posture commode et d'être hostile à la bien-pensance et aux médias, encore faut-il ne pas tomber dans l'excès inverse et donner systématiquement raison aux hors-la-loi et aux poujadistes. Par ailleurs, ceux qui n'arrêtent pas de de dire que “Bougrain-Dubourg va faire un coup de pub une fois l'an et n'agit pas sur le reste du dossier” sont des ignares ou des manipulateurs. La L.P.O. agit pour toute la biodiversité, toute l'année, non seulement contre les braconniers qui zigouillent des centaines de milliers d'oiseaux protégés mais aussi contre les pesticides, l'urbanisme, la bitumisation et les projets pharaoniques aussi coûteux qu'inutiles (N.-D. des Landes, LGV...).
On le comprendra, j'en ai un peu assez de tous les ignares qui, découvrant une affaire à la faveur d'un buzz, prétendent, sans plus de renseignements, défendre la “France d'en bas” et faire d'un braconnier en slip la Liberté guidant le peuple des temps post-modernes, alors que cette clique est indéfendable.
19:56 Publié dans Hors Touraine, Indignations | Lien permanent | Commentaires (5)
mercredi, 11 novembre 2015
Sarihs
J'ai donc 41 ans, ai passé une agréable journée (nuageuse et tiède) en famille – dont un déjeuner tout à fait honorable au Bistrot de la Tranchée – ai été gâté, ai reçu plusieurs coups de fil, ai passé trois heures à déménager des étagères et à réorganiser tous les rayonnages de littérature étrangère en traduction (presque 7 ans après l'emménagement ici, tout un programme), et poursuis donc le plan quotidien de reprise des publications, à quoi s'ajoute le nouveau texte, sur l'autre carnétoile. En revanche, je n'ai toujours pas mis au propre ma recension du Lit des ombres de Victor Kathémo, dont j'ai terminé la lecture dimanche à l'aube... et j'ai peur que, les jours passant, je ne perde le fil de ce que j'avais à en dire.
L'artiste qui marquera ce jour est George Shiras, dont j'ai découvert – via le livre préfacé par Jean-Christophe Bailly – l'existence, et le travail précurseur.
Sur l'exposition, lire ici. ▓▒░ Sur les pièges photographiques, plus particulièrement : LÀ.
20:34 Publié dans 10 ans, BoozArtz, Moments de Tours | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 10 novembre 2015
Une suite & 1 photo
Juneteenth est une suite pour piano seul de Stanley Cowell. Sur l'album que vient de publier le jazzman américain, les 15 mouvements de cette suite sont précédés d'un titre en forme de prologue, “We Shall 2”. L'album est publié sur le label français de “musique narrative”, Vision Fugitive. L'occasion en est le cent-cinquantenaire de l'abolition de l'esclavage, qui fut célébré le 19 juin dernier.
Je connais mal Cowell ; un rapide survol de mes étagères me rappelle qu'il joue sur certains albums plus ou moins fétiches de ma discothèque (le disque de standards de J.J. Johnson au Vanguard, un Stan Getz...) Se proclamant narrative, Juneteenth s'inscrit pleinement dans cette optique, puisqu'il s'agit d'une suite dédiée à la mémoire des esclaves afro-américains et inspirée par une série de photographies et de documents liés à l'histoire de l'esclavage et inclus dans le livret, sans autre explication. Les titres des mouvements marquent assez nettement le rapport avec le sujet annoncé, mais j'avoue avoir beaucoup de mal avec la musique narrative... en d'autres termes, ne rien y entendre, stricto sensu. Cela est vrai de certaines symphonies de Beethoven, qui me bouleversent mais où je suis infoutu d'entendre tel épisode ou tel phénomène naturel que l'orchestre, sur ces mesures, est censé mimer, mais aussi d'autres œuvres, comme cette suite.
Pour ce que j'y entends (guère, je l'ai déjà écrit maintes fois), le piano, très improvisé/maîtrisé, de Cowell penche plus du côté d'Erroll Garner (“Ask him”) et de Debussy (voire de Stockhausen (cf le “Finale”)) que du negro spiritual, même si un des plus beaux mouvements, “Commentary on Strange Fruit”, est une longue variation à partir du thème de When the Saints. Le huitième est un blues lumineux et mélancolique. Le long mouvement final, “Juneteenth Recollections” est le plus complexe, peut-être celui où Cowell se livre le plus à une forme d'introspection : cette suite est-elle l'aventure d'une mémoire individuelle aux prises avec la mémoire collective ?
Une des photographies du livret m'a, plus que d'autres, intrigué. Elle représente deux ou trois familles de Noirs, très jeunes pour l'ensemble, sept ou huit adultes, et trois très jeunes enfants, dont l'un dort, au premier plan, allongé sur une sorte d'édredon très blanc. Presque tous regardent vers la droite et se trouvent sur une langue de terre entre deux grandes étendues d'eau (on voit des peupliers inondés, au fond, à gauche). Le titre en est “Refugees on levee, April 17, 1897”, et elle se trouve dans le fonds photographique de la Librairie du Congrès. J'avoue que mon ignorance me fait m'interroger sur ces “réfugiés”, quarante-deux ans après l'abolition de l'esclavage : a-t-on continué de nommer réfugiés, comme naguère les esclaves fuyards, les Noirs fuyant la ségrégation des États du Sud ? ou le titre joue-t-il sur le sens de réfugiés, car cette douzaine de sujets bien vêtus ont-ils simplement trouvé refuge sur la digue (la levée, dit-on en Touraine) ? et où cette scène a-t-elle été saisie ? Heureusement, la notice détaillée de la photographie dans le catalogue de la Library of Congress offre toutes les réponses : cette photographie a bien été prise à Grenville, dans le Mississippi, et si tous les adultes regardent vers la droite, hors cadre, c'est qu'ils se sont effectivement laissés piéger sur cette langue de terre et qu'ils attendent le navire qui va venir les secourir.
14:17 Publié dans BoozArtz, Jazeur méridional, Pynchoniana | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 09 novembre 2015
Appel à une traduction de Józef Szczepański
Hier soir, j’ai écouté le concert de Thiéfaine au studio 104, qui était diffusé en direct sur France Inter. Le concert m’a laissé sur ma faim, car, hormis dans deux ou trois chansons, les arrangements avec orchestre à cordes ne changeaient pas fondamentalement la donne. De plus, la présentatrice s’est sentie obligée d’ajouter quelques commentaires, soit de l’ordre de l’audiodescription (“Hubert-Félix Thiéfaine entre sur scène, costume noir” (elle aurait dû ajouter la marque et le prix, pour faire festival de Cannes, cette idiote)) soit de pure désinformation (“l’album Suppléments de mensonge est le premier sur lequel Thiéfaine a travaillé avec des ensembles de cordes”).
Thiéfaine ne semble pas varier du tout les annonces qui précèdent telle ou telle chanson : c’était, au mot près, ce qu’il disait il y a un mois au Vinci, à Tours. Nous étions ressortis enchantés, la tête dans les nuages, de ce concert ; là n’est pas la question. Mais, pour ceux qui iraient le voir plusieurs fois au cours de sa tournée, je me dis, variatio placet, non ?
Un de ces préambules (à la magnifique chanson “Karaganda Camp 99”) est une citation, qu’il présente ainsi : « Dans les ruines de Varsovie, un poète polonais a écrit : “Nous t’attendons, peste rouge, pour nous délivrer de la peste brune.” ». Entendant de nouveau cet introït, hier soir, je me suis dit que ce poète devait bien avoir un nom. Une brève recherche sur le Web m’a appris qu’il se nommait Józef Szczepański, né en 1922 et mort en 1944 lors de l'insurrection de Varsovie, trois jours après avoir écrit ce texte, peut-être son plus célèbre, “Czerwona zaraza”. Sur le Web, à tout le moins (il me reste à faire des recherches plus poussées, notamment dans certaines bases de données et sur le SUDOC), il semble que n’existe de traduction française ou anglaise de l’œuvre de ce poète assassiné par les nazis, et dont posséder seulement un poème chez soi était passible d’emprisonnement dans la Pologne sous contrôle soviétique. Il va sans dire que les outils automatiques de traduction ne proposent que d’infâmes gloubi-goulbas dans lesquels on ne peut même retrouver un mot à mot à reconstituer. Là, même Ariane avec son fil se ferait bouffer par le minotaure.
J’ai publié le premier quatrain du texte polonais sur mon mur, sur Facebook, et une discussion n’a pas tardé à s’ensuivre, jusqu’à l’intervention d’une ancienne étudiante, Gosia, que j’avais friend-requestée en 2009 ou 2010, quand elle n’était déjà plus mon étudiante ; on ne s’est pas revus depuis six ans, je crois, mais on se suit avec intérêt. Gosia, qui est polonaise, suivait mon cours de version de troisième année en 2007 ou 2008, et quoique, de son aveu, elle n’apprît le français que depuis deux ou trois ans, elle réussissait à avoir de meilleures notes en version qu’un certain nombre de ses camarades de langue maternelle française. Un esprit vif et intelligent, pour résumer. Hier soir, tout en s’excusant d’avoir « du mal à traduire de la poésie », elle a proposé une version française de ce quatrain, que je donne ici :
Nous t’attendons, la peste rouge,
Pour que tu nous sauves de la mort noire,
Pour que dans le pays que tu avais déchiré en morceaux
Tu sois la rédemption accueillie avec répugnance.
Il s’avère donc, entre autres, que la suite du poème semble encore plus belle que ce début déjà si prenant cité par Thiéfaine, mais aussi (surtout) que le texte de Szczepański ne répète pas peste.
Bref, il faut (faudrait) découvrir Józef Szczepański, et le traduire.
Je vais profiter de ce billet pour faire un bref plaidoyer en faveur des réseaux sociaux. Oui, ce sont des accélérateurs d’inculture, des bastions de l’illettrisme, mais, de mon point de vue, ce sont aussi, depuis plusieurs années, de formidables outils de travail, ainsi qu’un lieu où, chaque jour, je m’enrichis, fais des découvertes, trouve à nourrir ma curiosité intellectuelle. Quand j’ai commencé à tenir un blog, il y a dix ans et quelque, bien des collègues ou amis me disaient : ah non, les blogs, je trouve ça vain, tout ce déballage intime. C’était méconnaître alors l’existence de nombreux blogs dont l’objet n’était aucunement de déballer sa vie privée. C’était réduire les blogs aux skyblogs (qui ont disparu, justement, avec la vague Facebook). De même, avec les réseaux sociaux, la qualité intrinsèque du medium (ou ses possibilités) n’a aucun rapport avec l’usage majoritaire qui en est fait. Tout cela revient à dire, par exemple, qu’il faut casser toutes les télés parce que trop de gens regardent Les Marseillais à Cancun. Je suis certain qu’on trouverait, dans les archives, des textes de détracteurs du cinéma qui, dans les années vingt, mettaient dans le même panier, pour ne pas même être allé y voir de près, des niaiseries muettes et Murnau.
09:25 Publié dans Autres gammes, Chèvre, aucun risque, Questions, parenthèses, omissions, Translatology Snippets, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 08 novembre 2015
De mande en bombe
Ce matin, tôt, j'ai cherché le mot “calemande” dans le Robert culturel, et ne l'y ai pas trouvé, non plus que dans le Littré. Une brève incursion dans le Web m'a permis de retrouver ce terme, emprunté à l'italien calamandra, et qui existe de fait sous plusieurs orthographes, celle choisie par Diderot étant plutôt singulière, guère attestée.
Le plus simple m'a semblé être de faire une capture d'écran de la page Calmande du CNRTL.
En revanche, en feuilletant le Robert culturel, je suis tombé sur l'article calbombe/calebombe, mot que je ne connaissais qu'au sens argotique de tête et que j'associais du coup au plus courant “caboche”. Le Robert culturel ne propose nullement cette acception, et ne retient que les sens de “chandelle” et “lampe”, avec deux citations de Georges Duhamel et San Antonio respectivement. Je me suis alors demandé si cet usage de “calbombe” pour désigner plaisamment et familièrement la tronche (j'ai mal à la calbombe) était un régionalisme, voire une dérivation audacieuse particulière à une poignée d'irréductibles landais.
Une rapide recherche Google mal à la calbombe sans guillemets confirme le sens de lampe dans de nombreuses occurrences (y compris dans un Léo Malet *) mais aussi le sens de “tête”, notamment sous la plume de San Antonio (encore lui) :
Maintenant la salle est vide, et tout le monde est beurré, y compris moi-même. J'ai la calbombe qui s'est déguisée en turboréacteur. (San Antonio chez les gones, références non précisées)
On trouve aussi des usages récents, courants, du mot :
« Et ce matin… j'ai un peu mal… un peu mal à la calbombe… un peu aux ratiches… et finalement j'aurais du rester maison… » (“Une dent contre les dentistes”)
« On avait prévu de se goupiller un 45t avec les moyens du bord et de se faire un petit single familial, quoi, pas trop prise de calbombe… » (“Interview de Nasty Samy pour le split fanzine Cool Death”, octobre 2010)
« Après mure réflexion, j'adresse des remerciements émus au Nouvel Obs, qui, grâce aux commentaires, qui, pour la majorité d'entre eux, sont le reflet des brimés, des extrémistes de tous bords, des coincés du bulbe, des oubliés de la promotion, des brimés sexuels, des perturbés permanents de la calbombe mirifique, etc. » (commentaire d'un lecteur à la suite d'un article du Nouvel Obs [oui, vous avez bien lu : il y a deux relatives, dont la première reste inachevée])
* Je donne tout de même, histoire d'être complet et de pallier une lacune du Robert culturel (objectif de la rubrique Mots sans lacunes) une de ces citations de Léo Malet : « Le couloir, mal éclairé par une calbombe anémique, dégageait un remugle composite de parfum à bon marché et de sueur axillaire. » (Drôle d'épreuve pour Burma, page non précisée)
10:06 Publié dans Flèche inversée vers les carnétoiles, Mots sans lacune, Words Words Words | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 07 novembre 2015
Sans regret de la calemande
Comme souvent, lorsque je me prends à contempler ma vieille robe de chambre, à repenser aux circonstances dans lesquelles j'en reçus le présent – elle était neuve alors, j'avais quinze ans – je reprends le texte de Diderot, peut-être un de ses plus forts, à coup sûr son plus émouvant, et que ma professeure de français d'hypokhâgne (dont le sens de l'enseignement m'échappait à peu près) m'a fait découvrir, les Regrets sur ma vieille robe de chambre, texte inépuisable, dont on ne peut se lasser, d'où j'extrais ce soir cette phrase magnifique, parmi tant d'autres magnifiques :
Où est mon ancien, mon humble, mon commode lambeau de calemande ?
Décidément, les mots nous portent aux objets.
Je voulais seulement pondre, vite fait mal fait, une notule afin de tenir ma promesse pour novembre. (Aujourd'hui, sans avancer dans mon travail, j'ai été occupé à diverses utilités sociales (conseil d'école élémentaire...) et sottises chronophages (feuilles de néflier, luminaire à changer sans s'électrocuter, panne d'internet à régler, puis bibliothèque à reclasser).)
Donc, voici, la promesse sera tenue. En songeant aux minces trous et longs aplats élimés de ma vieillerie, et en envisageant que je pourrais en tirer ici quelque copie, cela m'a rappelé qu'hier j'ai remis une paire de chaussures neuves qui m'avait meurti atrocement les pieds quelques jours avant les congés de Toussaint, et qui, jeudi comme aujourd'hui, et surtout comme hier, m'a accompagné sans nul sévice, sans torture, sans brûlure, sans ampoule ni bleu. Hier midi, partant déjeuner, ce que je pensais pouvoir dire de cela se rattachait là encore à une autre œuvre, pour moi mythique aussi, Chaussure de Nathalie Quintane – je ne l'ai pas encore dit, mais au moment où je lus Chaussure je mettais la dernière main à un manuscrit dans lequel il était pas mal question de marches forcées, de promenades, de godasses. (Plus tard aussi, chez Roubaud comme chez Walser, m'a fasciné ce même thème si plat et si profond à la fois : comment on se promène, et par quels outils.)
Tout ça pour finir par extraire une phrase de Diderot pour noircir un peu ces carnets, et constater qu'y figure un mot, calemande, dont je ne pense pas, feignant que je suis, jamais avoir vérifié le sens ni l'usage dans le dictionnaire, de sorte que, selon toute probabilité, il pourrait figurer à la rubrique des Mots sans lacune, où je le place illico, sans plus chercher... on fera cela demain, il reste à faire, la soirée s'élime.
22:37 Publié dans La Marquise marquée, Mots sans lacune | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 06 novembre 2015
Vendredi, le jour
Vendredi, c’est le jour des valises. Couloirs et salles de cours où errent et marchent des étudiants au dos alourdi, ou dont le bras se prolonge d’une valise à roulettes. Mon voisin de tramway, ce matin, avait une de ces valises à roulettes, dont il était bien embarrassé, d’ailleurs, dans la cohue du matin – quel succès, ce tramway ! –, et lisait le tome II des Misérables en Folio. Peu après, il me devançait sur le chemin du site Tanneurs.
Vendredi, c’est le jour du quotidien gratuit. Rite vénéral, je prends, avant de me rendre à mon bureau, deux exemplaires de la NR sur le présentoir proche de l’amphi Thélème (l’Université n’a pas d’argent pour qu’on dispense des cours de langues à des groupes de moins de 50 étudiants, mais elle maintient l’abonnement à sept ou huit mille exemplaires de la NR du vendredi) et en pose un sur le bureau d’une collègue avant d’aller ouvrir le mien. Aujourd'hui, il est question, à la page 10, d'amphis bondés, et, à la page 11, de la ville de Tours qui veut réduire sa facture d'électricité. Que ne le fait-elle, déjà en supprimant les illuminations de Noël, ou en les restreignant à une dizaine de jours ? Que ne le fait-elle, en interdisant les panneaux publicitaires éclairés ou électriques ? Que ne le fait-elle, en ne faisant allumer (c'est techniquement possible) qu'un lampadaire sur deux ?
Vendredi, il pleuviote ; il règne une douceur extrême. — Même douceur, mais ensoleillée, un autre 6 novembre, lors de notre première visite en famille du château d’Azay-le-Rideau, il y a dix ans pile. Visite dont ces carnets, à leurs balbutiements, s’étaient fait l’écho, avec notamment tel propos rapporté d’Alpha, qui avait alors quatre ans.
Si je remonte encore, dans le temps, repensant à sacs & valises, je me retrouverai, moi, même pas majeur encore, ahanant le samedi matin, à Bordeaux, sous le poids d’un énorme et hideux sac jaune avec lequel, après les cours, j’allais directement prendre le train de 13 h 12 pour Dax, sans repasser par mon studio talençais. C’était samedi midi, et dimanche soir (19 h 40, attendre le dernier bus A direction Gradignan-Malartic place de la Victoire), le moment des valises.
09:21 Publié dans Blême mêmoire, Moments de Tours, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 05 novembre 2015
Une histoire de Grace ▓ Nicolas Servissolle ░ Éditions Myriapode
Une histoire de Grace est le premier roman (ou le premier roman publié ?) de Nicolas Servissolle. Il m'a été offert, suite à une rencontre avec l'écrivain qui s'est déroulée à l'excellente librairie Campus, à Dax. Le récit, bref mais d'une grande densité, est précédé, de manière inhabituelle et très in-your-face, d'une préface qui a tout d'un manifeste. Une telle préface, qui proclame – en se réclamant de Bonnefoy et Robbe-Grillet, rien moins – la nécessité de reprendre à nouveaux frais la tâche du nouveau réalisme que portait, sous des “écritures pourtant si différentes qu'elles découragent d'y déceler le moindre indice d'un mouvement esthétique commun”, le Nouveau Roman.
Ayant commencé par cette préface programmatique, le lecteur ne se retrouve donc pas à lire un roman. La préface, tout un programme, a actionné un certain nombre de leviers, suscité aussi quelques attentes. En d'autres termes, on attend de voir ce qui ressort d'une telle ambition.
D'emblée, puis au fil des 8+2 chapitres, le lecteur trouve tel écho de Sarraute (“Cela remue... Cela parle... Vous entendez?”, p. 15), tel clin d'œil à Butor (le je-tu modificatoire), tel dispositif caractéristique de la première manière de Robbe-Grillet (le personnage principal, enquêteur, se révèle être l'objet du récit/rêve par un autre scripteur). Sans la préface, ces éléments eussent certainement sauté aux yeux. De même, le reproche que l'on peut formuler, à savoir que Nicolas Servissolle écrit bien, et, en un sens, trop bien — ce que, par une expression fréquente que je n'aime pas trop employer, l'on nomme parfois se regarder écrire —, est si évident qu'il ne présente, au fond, aucun intérêt : cette mise en scène de l'écriture, cet agacement du lecteur, sont partie prenante de la stratégie d'écriture, et participent de cet essai de “nouveau réalisme”. Ainsi, les nouvelles laissées par la morte (et retrouvées par l'enquêteur dans son appartement au chapitre IV) constituent, plus qu'une mise en abyme du récit, un miroir qui nie toute possibilité d'enchâssement : comme chez Éluard, mais dans une perspective plus nettement lynchéenne, on peut poser la question sans y répondre : « qui de nous deux inventa l'autre ? »
Pour ma part, je préfèrerai toujours un écrivain qui écrit un peu trop bien (ce qui, dans d'autres cas, peut aussi se traduire par un débraillé délibéré, une écriture volontairement gauche) à un écrivain qui n'écrit plus à force de se fondre dans un moule de parlote collective. La double distinction barthésienne opposant, d'une part, l'écrivant à l'écrivain, et, d'autre part, le texte lisible au texte scriptible, ne m'a jamais paru aussi pertinente qu'en ces temps de profusion et de confusion.
De façon voisine, certains trouveront peut-être que l'auteur, nourri de peinture et d'histoire de l'art, a tendance à plaquer – ou, autre métaphore picturale, à diluer (hmmmm, oui, who am I to criticize those who overwrite?) – les références, ou s'agaceront du chapitre VII, dont l'interpolation des événements du récit principal et du dialogue relatif à La Grande Bouffe de Marco Ferreri m'a paru, au contraire, très intelligente et très réussie.
J'ai noté plus haut que le récit était bref (125 pages) mais d'une grande densité. Il m'est donc impossible de signaler tous les jeux d'échos, par exemple entre la Grace du titre et la Grèce... la fixation sur l'épisode d'Ulysse chez Nausicaa ou l'importance de plusieurs traditions philosophiques helléniques, dont la conception sophistique du logos n'est pas la moins importante. C'est au lecteur (à d'autres lecteurs = à ceux qui, je l'espère, liront ce livre après avoir lu ce billet) de tirer son épingle du jeu interprétatif, à refaire, autrement que moi, le parcours dans ce bref texte scriptible (Barthes aurait-il, à l'heure des nouvelles technologies, risqué réinscriptible ?) Il va de soi que les tenants d'un roman dont l'auteur s'interdit toute référence culturelle, toute discussion de questions théoriques sur l'art ou la littérature passeront leur chemin, et sans doute ne sont-ils déjà pas arrivés jusqu'ici dans ce billet. → ;-) comme on écrit.
Dans l'écriture même, m'a frappé l'usage d'une forme de présent de narration qui sert à mélanger les différents plans temporels. Servissolle s'en sert pour décrire, dans un même paragraphe, des événements qui se sont nécessairement déroulés à des moments très différents : appel à la reconstruction des “étapes” par le lecteur ? stratégie visant à rappeler que la distinction entre temps de l'histoire et temps du récit est un leurre quand la lecture se saisit simultanément d'axes censément distincts ? reprise (non décelée par moi) d'un procédé d'écriture (ricardolien ? (je mets ça au pif)) ?
Il y a quelques coquilles, étonnantes, mais, dans l'écriture même, j'aimerais opposer, de façon tout à fait subjective et sans chercher à m'en justifier, deux extraits dans lesquels le recours à un lexique rare produisent des effets opposés.
1. « Elle pleure, t'appelle son étranger, déplore ce qu'elle nomme la routine solite des couples où l'on se rend sourd à l'autre et à soi... » (p. 114)
2. « Haletant, le dos conte la porte, tu sens alors une présence étrange à tes côtés, comme si le passe-muraille de Marcel Aymé, la tête sortant de la cloison, te toisait en silence, sans bouger. Tu as un mouvement de recul. Une carafe d'orignal pend au mur, un trousseau de clés accroché à ses cornes ! Assurément, Grace possède un sens de l'humour bien à elle. » (p. 70)
Dans le premier, préciosité pure. Dans le second, le choix du substantif carafe dans une acception méconnue vient renforcer l'effet de saisissement et de duperie que la référence au passe-muraille aurait rendu, sans cela, plutôt plate.
13:13 Publié dans Lect(o)ures, Nathantipastoral (Z.), Pynchoniana | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 04 novembre 2015
Insectes.
Il y a trois ans, presque à l'heure près, j'apprenais — à Arzacq, of all places — la mort de mon grand-père maternel.
Je pourrais raconter des quantités d'anecdotes à son sujet, mais, pour poser aujourd'hui une pierre à sa mémoire, je rappellerai seulement qu'il m'apprit un jour, en me montrant un perce-oreilles vivant dans sa main, le mot forficule, et qu'un autre jour, il m'apprit que chiure de mouche était un pléonasme, étant donné qu'une chiure désigne spécifiquement un excrément de mouche.
16:31 Publié dans Hors Touraine | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 03 novembre 2015
Le Tricorne
Mon fils cadet participant, avec sa classe de CE2, à un projet autour de l'orchestre et de l'Opéra de Tours, avec — plus particulièrement — une répétition du Tricorne de De Falla vendredi prochain, je réécoute, pour la première fois depuis une bonne dizaine d'années, mon disque du Tricorne et de l'Amor brujo (ballet que je préfère nettement), acheté vers 1998, je pense, à un prix dérisoire, chez Gibert, à l'époque où chaque détour parisien était l'occasion de se ruiner en galettes.
Il s'agit d'une version enregistrée, en 1983, pour Decca, par l'Orchestre symphonique de Montréal sous la direction de Montréal, avec, pour l'Amour sorcier, la mezzo québécoise Huguette Tourangeau. (Au risque de déparer Touraine sereine, je l'affirme haut et fort : il n'y a plus que les Québécois pour se nommer Tourangeau !)
En tout cas, le professeur de hautbois d'Oméga, à qui le petit en a parlé hier, avait visé juste : il y a une belle partie de cor anglais dans le Tricorne, juste avant, d'ailleurs, une reprise très parodique de la Cinquième de Beethoven (aucun souvenir de ça).
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Ce billet (le 3.636e) signe-t-il (enfin) une reprise des chantiers ici ? Rien de moins sûr.
Allons à pas lents et discrets.
14:49 Publié dans Autres gammes | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 09 octobre 2015
Un chat à l'œil jaune
Sous le soleil encore tiède de ce midi d'octobre, revenant de mon petit tour à pied postprandial — lequel, coincé entre les rendez-vous & cours du matin et les cours de l'après-midi, réduit à sa plus simple expression le moment prandial proprement dit — vers la place des Joulins que j'aime tant, avec ses six beaux magnolias que je vois aussi de la fenêtre de mon bureau (38, je suis revenu au bureau 38, comme en 2002-2007) en écrivant ces lignes, rue de la Paix, m'a déboulé quasi entre les jambes un joli chat blanc fureteur, qui a tendu vers moi ses deux yeux, l'un tout bleu, l'un impeccablement jaune, yeux que, malgré mes tentatives et bien qu'il soit notamment venu se frotter à mes jambes de pantalon, je n'ai pu aucunement saisir avec cette saloperie sans nom mon merveilleux smartphone.
13:53 Publié dans Moments de Tours, WAW, Zestes photographiques | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 30 septembre 2015
“ombre grise de l'accenteur”
Hagetmau, 4 août 2015.
ombre grise de l'accenteur
furtive derrière des ronces
un chevreuil au poker menteur
jappe 43 semonces
toujours courir avec lenteur
où dans la chaleur on s'engonce
l'ombre s'éclaire l'ombre fonce
feu follet des pois de senteur
les ronces grifferont le deuil
dans la peau comme à un chevreuil
le faux moineau offre une esquisse
humble discrète sur le seuil
l'ombre s'attarde l'ombre glisse
sur la page bon pied bon œil
13:13 Publié dans Chèvre, aucun risque, Hors Touraine, Sonnets de janvier et d'après | Lien permanent | Commentaires (3)
mardi, 29 septembre 2015
Cessyle, un beau prénom
Comprendu-je l'enfant qu'elle s'appel Cessyle
Si que sa mère elle a une grosse imbessyle.
[N.B. : Les distiques ribéryens sont des poèmes composés de deux alexandrins, et délibérément truffés de fautes de français.]
17:50 Publié dans Distiques ribéryens | Lien permanent | Commentaires (0)
Pour un estuaire (ébauche de note pour moi-même)
Au loin, au-delà de la brume, des gens criaient. On nous prenait pour des créatures de race blanche. Voilà pourquoi on nous appelle dombe, qui est le nom que l’on donne aux poissons. Depuis des siècles qu’ils ont jeté l’ancre ici, on désigne ainsi les Portugais. Échoués sur les plages, venus de l’horizon liquide, ils ne pouvaient être nés que dans l’océan. Dont nous provenions, Arcanjo et moi.
Étendu à mes côtés, inconscient, le chasseur avait l’air mort. C’était mon cauchemar : Arcanjo et moi faisions naufrage sur une plage en fuyant dans une pirogue, en descendant le fleuve. Le courant nous jetait au-delà de l’estuaire jusqu’à nous déposer sur la grève, parmi les débris éparpillés sur le sable.
Mia Couto. La confession de la lionne [A confissão da leoa, 2012]. Paris : Métailié, 2015, traduction d’Elisabeth Monteiro Rodrigues, pp. 149-50
Je reprends ces pages, lues au printemps, à la lumière de La pluie ébahie, également de Mia Couto, que j’ai lu cette semaine, et où ce motif du fleuve et l’eau est plus présent encore. Il se trouve que, le hasard faisant les choses, je viens également d’achever de lire The Fishermen de Chigozie Obioma. Il me semble qu’à l’exception notable du deuxième roman de Ngugi, The River Between, ce motif du fleuve était beaucoup moins présent dans les récits africains de la première génération des Indépendances. Y a-t-il là un élément écocritique (comme cela est très net dans La pluie ébahie), un retour à certains mythes (dont le motif de la route engloutissante, déjà présent chez Soyinka puis Okri, serait un jalon romanesque moderne), une allégorie de l’histoire des nations africaines après cinquante ans – peu ou prou – d’indépendance ?
Dans La confession de la lionne, l’importance accordée aux chasseurs, et à leur rôle dans la libération d’une parole collective affranchie de codes narratifs “européens”, rejoint ce que je perçois de plus en plus nettement dans ma lecture de Tail of the Blue Bird, le roman de Nii Ayikwei Parkes que j’ai mis au programme de L3 et de M1 ce semestre.
11:35 Publié dans Affres extatiques, WAW | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 28 septembre 2015
AR POETIK (3 août 2015)
commence un nouveau paragraphe
bois l'eau à même la carafe
après la quinzième tournée
qu'importe un putain d'accent grave
ça doit sortir de ton néant
à chaque nouvelle fournée
vilain gribouillis de géant
ou fourmi dans un trou béant
ça doit sortir de ton zéro
après le quinzième apéro
fi de la rime chantournée
muse sévèrement burnée
bois le saint-estèphe au goulot
et allez bordel au boulot
06:00 Publié dans Sonnets de janvier et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 26 septembre 2015
“mangerez-vous”
31 août 2015, 21 h.
mangerez-vous de mandragore
y goûterez-vous pour plaisir
amour dont on peut se saisir
imprudemment que l'on dévore
un peu de ce pistil encore
sous le cagnard ou le grésil
qu'au gibet pousse le persil
ou la droséra carnivore
mangerez-vous au carnaval
l'heur de se bourrer festival
(pardon s'enivrer veux-je dire)
j'ai tout du voleur à la tire
et votre odeur je l'adore
dévorez-moi de mandragore
11:33 Publié dans Sonnets de janvier et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 23 septembre 2015
“bonsoir la vieille martingale”
8 août, 21 h 13
bonsoir la vieille martingale
avec le bonnet en bonus
les amis coincés du sinus
pris dans la toile de mygale
voyez ce dont on se régale
sous le couvert des abri-bus
calices que nous avons bus
& arnaques d'humeur égale
pour calice on va boire un pot
& s'acquitter de ses impôts
louer la déité fiscale
la pluie qui dehors tombe à seaux
fera renaître les ruisseaux
à l'assomption fraîche pascale
12:13 Publié dans Sonnets de janvier et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 20 septembre 2015
“va-t-on enfin courir”
6 août, 23 h 50
va-t-on enfin courir le lièvre
& même plusieurs à la fois
ou déterrer nos désarrois
pour pondre des élégies mièvres
va-t-on de l'élégant carquois
dénouer le long poil de chèvre
passer le pouce sur la lèvre
& tout lâcher d'un air narquois
avons-nous égaré nos flèches
& l'éléphant a-t-il tout pris
dans sa fuite vers l'autre siècle
il reste à chanter pour des nèfles
& à essuyer le mépris
en écrivant d'une encre sèche
23:50 Publié dans Sonnets de janvier et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 17 septembre 2015
“des trois frères”
27 juillet 2015, 7 h
des trois frères le dernier né
celui baptisé Onésime,
ce n'est pas pour la pantomime
écrivant comme un forcené
(je l'ai appris, est-ce minime,
il n'y a que quelques journées)
qu'il naquit près des Pyrénées
dans cet Orthez de tant d'estime
plus jeune de beaucoup, ma foi,
qu'Élie, venu à Sainte-Foy
de même qu'Élisée — ternaire
essaim se trouve avoir inclus
la triple mort septuagénaire
et leur nom célèbre, Reclus
12:39 Publié dans Sonnets de janvier et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 14 septembre 2015
“dans la lune où j'ai”
1er août, 8 heures
dans la lune où j'ai mes quartiers
où je roupille et je folâtre
teint d'endive plus que d'albâtre
maintien plus rigide qu'altier
savez-vous mon chant je le châtre
fruits d'or autour de Baratier
jappements de petit ratier
sa rage une écume blanchâtre
j'y passe des nuits et mes lunes
ça n'est pas vraiment pour des prunes
gueule Popov ou Médrano
ça a tout du foutu chantier
moins Jonas K. que Jack Lantier
cette lune sans Cyrano
12:44 Publié dans Sonnets de janvier et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 11 septembre 2015
“que soudain l'on entonne”
3 août 2015, 9 h 04
que soudain l'on entonne un thrène
avec l'ombre de l'ici-gît
nous égrenant ses élégies
clinquantes piécettes d'étrennes
& tout ce qui est doux revient
refait surface à l'unisson
redis-moi le temps de cuisson
du bonheur mon bon margoulin
je danse pour que vos migraines
emportent le monde à la traîne
je danse pour vos gabegies
je danse avec ce hameçon
coincé dans mes tripes rougies
je danse pour les charançons
12:52 Publié dans Sonnets de janvier et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 08 septembre 2015
“spectre tombé sur une nappe”
3 août — 20 h 10
spectre tombé sur une nappe
éclats de bouteilles brisées
déchets de laitues et frisées
un chien aboie un chevreuil jappe
& vous courez sur mes brisées
tout ce qui s'enfuit nous échappe
à grimper la mort en varappe
morts livides et vies misées
petite pluie sur les manèges
bémols partout dans vos solfèges
ah on en voulait des croupières
me tailler mais j'ai mon œdipe
envoyez le pousse-rapière
& un poème prototype
12:56 Publié dans Sonnets de janvier et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 06 septembre 2015
“rosiers taillés”
rosiers taillés au bleu de chauffe
nous couchés dans les prés fauchés
à ne mater regards touchés
pas même un vol de rhinolophe
à rimer gascon pour la strophe
normand allongé dans les choux
la lune nous est un réchaud
brûlera-t-elle ton étoffe
tu me dis tu es dans la lune
je te réponds et quand bien même
se jeter du haut du rocher
on ne le fait pas pour des prunes
la lune tu sais si je l'aime
c'est bien une faux pour gaucher
06:26 Publié dans Sonnets de janvier et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 05 septembre 2015
“la ville éternue”
la ville éternue
son plaisir de face
cambouis dans la glace
où la nuit remue
mémoire ténue
d'avenir qui passe
cambouis qui encrasse
votre robe nue
sous un blanc tergal
l'amour m'est égal
la crasse des villes
où ne s'insinue
pour des jours tranquilles
votre voix connue
09:23 Publié dans Sonnets de janvier et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 01 septembre 2015
“coing vert tombé”
coing vert tombé sur le goudron
avec juste une seule feuille
haché bigarré de marron
qu'un fil de gravillons endeuille
le ramasser de ce giron
milieu de rue où je le cueille
sans attendre qu'un escadron
de moucherons plus l'escureuille
fruit parfait rond tu ne dois pas
te rembrunir sous le compas
de mes doigts qui te ressaisissent
même échappé du cognassier
et jamais la couleur d'acier
ne t'imposera ses sévices
11:30 Publié dans Sonnets de janvier et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 31 août 2015
“belote pour”
belote pour des rififis
d'opérette ça va sans dire
& dont vos visages bouffis
ne retiennent ni joie ni ire
vous boufferez vos salsifis
dans l'euphonie d'une hétaïre
dardant des regards de défi
au pâle cavalier qui tire
sur le mors d'une bleue jument
à croire que le monde ment
si c'est le bazar dans ma prose
& le cauchemar des lentilles
pour des rififis des vétilles
s'apothéose dans mon prose
23:31 Publié dans Sonnets de janvier et d'après | Lien permanent | Commentaires (0)