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lundi, 09 novembre 2015

Appel à une traduction de Józef Szczepański

Hier soir, j’ai écouté le concert de Thiéfaine au studio 104, qui était diffusé en direct sur France Inter. Le concert m’a laissé sur ma faim, car, hormis dans deux ou trois chansons, les arrangements avec orchestre à cordes ne changeaient pas fondamentalement la donne. De plus, la présentatrice s’est sentie obligée d’ajouter quelques commentaires, soit de l’ordre de l’audiodescription (“Hubert-Félix Thiéfaine entre sur scène, costume noir” (elle aurait dû ajouter la marque et le prix, pour faire festival de Cannes, cette idiote)) soit de pure désinformation (“l’album Suppléments de mensonge est le premier sur lequel Thiéfaine a travaillé avec des ensembles de cordes”).

Thiéfaine ne semble pas varier du tout les annonces qui précèdent telle ou telle chanson : c’était, au mot près, ce qu’il disait il y a un mois au Vinci, à Tours. Nous étions ressortis enchantés, la tête dans les nuages, de ce concert ; là n’est pas la question. Mais, pour ceux qui iraient le voir plusieurs fois au cours de sa tournée, je me dis, variatio placet, non ?

 

Un de ces préambules (à la magnifique chanson “Karaganda Camp 99”) est une citation, qu’il présente ainsi : « Dans les ruines de Varsovie, un poète polonais a écrit : “Nous t’attendons, peste rouge, pour nous délivrer de la peste brune.” ». Entendant de nouveau cet introït, hier soir, je me suis dit que ce poète devait bien avoir un nom. Une brève recherche sur le Web m’a appris qu’il se nommait Józef Szczepański, né en 1922 et mort en 1944 lors de l'insurrection de Varsovie, trois jours après avoir écrit ce texte, peut-être son plus célèbre, “Czerwona zaraza”. Sur le Web, à tout le moins (il me reste à faire des recherches plus poussées, notamment dans certaines bases de données et sur le SUDOC), il semble que n’existe de traduction française ou anglaise de l’œuvre de ce poète assassiné par les nazis, et dont posséder seulement un poème chez soi était passible d’emprisonnement dans la Pologne sous contrôle soviétique. Il va sans dire que les outils automatiques de traduction ne proposent que d’infâmes gloubi-goulbas dans lesquels on ne peut même retrouver un mot à mot à reconstituer. Là, même Ariane avec son fil se ferait bouffer par le minotaure.

J’ai publié le premier quatrain du texte polonais sur mon mur, sur Facebook, et une discussion n’a pas tardé à s’ensuivre, jusqu’à l’intervention d’une ancienne étudiante, Gosia, que j’avais friend-requestée en 2009 ou 2010, quand elle n’était déjà plus mon étudiante ; on ne s’est pas revus depuis six ans, je crois, mais on se suit avec intérêt. Gosia, qui est polonaise, suivait mon cours de version de troisième année en 2007 ou 2008, et quoique, de son aveu, elle n’apprît le français que depuis deux ou trois ans, elle réussissait à avoir de meilleures notes en version qu’un certain nombre de ses camarades de langue maternelle française. Un esprit vif et intelligent, pour résumer. Hier soir, tout en s’excusant d’avoir « du mal à traduire de la poésie », elle a proposé une version française de ce quatrain, que je donne ici :

Nous t’attendons, la peste rouge,

Pour que tu nous sauves de la mort noire,

Pour que dans le pays que tu avais déchiré en morceaux

Tu sois la rédemption accueillie avec répugnance.

 

Il s’avère donc, entre autres, que la suite du poème semble encore plus belle que ce début déjà si prenant cité par Thiéfaine, mais aussi (surtout) que le texte de Szczepański ne répète pas peste.

Bref, il faut (faudrait) découvrir Józef Szczepański, et le traduire.

 

Je vais profiter de ce billet pour faire un bref plaidoyer en faveur des réseaux sociaux. Oui, ce sont des accélérateurs d’inculture, des bastions de l’illettrisme, mais, de mon point de vue, ce sont aussi, depuis plusieurs années, de formidables outils de travail, ainsi qu’un lieu où, chaque jour, je m’enrichis, fais des découvertes, trouve à nourrir ma curiosité intellectuelle. Quand j’ai commencé à tenir un blog, il y a dix ans et quelque, bien des collègues ou amis me disaient : ah non, les blogs, je trouve ça vain, tout ce déballage intime. C’était méconnaître alors l’existence de nombreux blogs dont l’objet n’était aucunement de déballer sa vie privée. C’était réduire les blogs aux skyblogs (qui ont disparu, justement, avec la vague Facebook). De même, avec les réseaux sociaux, la qualité intrinsèque du medium (ou ses possibilités) n’a aucun rapport avec l’usage majoritaire qui en est fait. Tout cela revient à dire, par exemple, qu’il faut casser toutes les télés parce que trop de gens regardent Les Marseillais à Cancun. Je suis certain qu’on trouverait, dans les archives, des textes de détracteurs du cinéma qui, dans les années vingt, mettaient dans le même panier, pour ne pas même être allé y voir de près, des niaiseries muettes et Murnau.

dimanche, 08 novembre 2015

De mande en bombe

Ce matin, tôt, j'ai cherché le mot “calemande” dans le Robert culturel, et ne l'y ai pas trouvé, non plus que dans le Littré. Une brève incursion dans le Web m'a permis de retrouver ce terme, emprunté à l'italien calamandra, et qui existe de fait sous plusieurs orthographes, celle choisie par Diderot étant plutôt singulière, guère attestée.

Le plus simple m'a semblé être de faire une capture d'écran de la page Calmande du CNRTL.

callemandre.png

 

En revanche, en feuilletant le Robert culturel, je suis tombé sur l'article calbombe/calebombe, mot que je ne connaissais qu'au sens argotique de tête et que j'associais du coup au plus courant “caboche”. Le Robert culturel ne propose nullement cette acception, et ne retient que les sens de “chandelle” et “lampe”, avec deux citations de Georges Duhamel et San Antonio respectivement. Je me suis alors demandé si cet usage de “calbombe” pour désigner plaisamment et familièrement la tronche (j'ai mal à la calbombe) était un régionalisme, voire une dérivation audacieuse particulière à une poignée d'irréductibles landais.

Une rapide recherche Google mal à la calbombe sans guillemets confirme le sens de lampe dans de nombreuses occurrences (y compris dans un Léo Malet *) mais aussi le sens de “tête”, notamment sous la plume de San Antonio (encore lui) :

Maintenant la salle est vide, et tout le monde est beurré, y compris moi-même. J'ai la calbombe qui s'est déguisée en turboréacteur. (San Antonio chez les gones, références non précisées)

 

On trouve aussi des usages récents, courants, du mot :

« Et ce matin… j'ai un peu mal… un peu mal à la calbombeun peu aux raticheset finalement j'aurais du rester maison…  » (“Une dent contre les dentistes”)

« On avait prévu de se goupiller un 45t avec les moyens du bord et de se faire un petit single familial, quoi, pas trop prise de calbombe…  » (“Interview de Nasty Samy pour le split fanzine Cool Death”, octobre 2010)

« Après mure réflexion, j'adresse des remerciements émus au Nouvel Obs, qui, grâce aux commentaires, qui, pour la majorité d'entre eux, sont le reflet des brimés, des extrémistes de tous bords, des coincés du bulbe, des oubliés de la promotion, des brimés sexuels, des perturbés permanents de la calbombe mirifique, etc. » (commentaire d'un lecteur à la suite d'un article du Nouvel Obs [oui, vous avez bien lu : il y a deux relatives, dont la première reste inachevée])

 

* Je donne tout de même, histoire d'être complet et de pallier une lacune du Robert culturel (objectif de la rubrique Mots sans lacunes) une de ces citations de Léo Malet : « Le couloir, mal éclairé par une calbombe anémique, dégageait un remugle composite de parfum à bon marché et de sueur axillaire. » (Drôle d'épreuve pour Burma, page non précisée)

 

samedi, 07 novembre 2015

Sans regret de la calemande

Comme souvent, lorsque je me prends à contempler ma vieille robe de chambre, à repenser aux circonstances dans lesquelles j'en reçus le présent – elle était neuve alors, j'avais quinze ans – je reprends le texte de Diderot, peut-être un de ses plus forts, à coup sûr son plus émouvant, et que ma professeure de français d'hypokhâgne (dont le sens de l'enseignement m'échappait à peu près) m'a fait découvrir, les Regrets sur ma vieille robe de chambre, texte inépuisable, dont on ne peut se lasser, d'où j'extrais ce soir cette phrase magnifique, parmi tant d'autres magnifiques :

Où est mon ancien, mon humble, mon commode lambeau de calemande ?

 

Décidément, les mots nous portent aux objets.

Je voulais seulement pondre, vite fait mal fait, une notule afin de tenir ma promesse pour novembre. (Aujourd'hui, sans avancer dans mon travail, j'ai été occupé à diverses utilités sociales (conseil d'école élémentaire...) et sottises chronophages (feuilles de néflier, luminaire à changer sans s'électrocuter, panne d'internet à régler, puis bibliothèque à reclasser).)

Donc, voici, la promesse sera tenue. En songeant aux minces trous et longs aplats élimés de ma vieillerie, et en envisageant que je pourrais en tirer ici quelque copie, cela m'a rappelé qu'hier j'ai remis une paire de chaussures neuves qui m'avait meurti atrocement les pieds quelques jours avant les congés de Toussaint, et qui, jeudi comme aujourd'hui, et surtout comme hier, m'a accompagné sans nul sévice, sans torture, sans brûlure, sans ampoule ni bleu. Hier midi, partant déjeuner, ce que je pensais pouvoir dire de cela se rattachait là encore à une autre œuvre, pour moi mythique aussi, Chaussure de Nathalie Quintane – je ne l'ai pas encore dit, mais au moment où je lus Chaussure je mettais la dernière main à un manuscrit dans lequel il était pas mal question de marches forcées, de promenades, de godasses. (Plus tard aussi, chez Roubaud comme chez Walser, m'a fasciné ce même thème si plat et si profond à la fois : comment on se promène, et par quels outils.)

 

Tout ça pour finir par extraire une phrase de Diderot pour noircir un peu ces carnets, et constater qu'y figure un mot, calemande, dont je ne pense pas, feignant que je suis, jamais avoir vérifié le sens ni l'usage dans le dictionnaire, de sorte que, selon toute probabilité, il pourrait figurer à la rubrique des Mots sans lacune, où je le place illico, sans plus chercher... on fera cela demain, il reste à faire, la soirée s'élime.

 

vendredi, 06 novembre 2015

Vendredi, le jour

Vendredi, c’est le jour des valises. Couloirs et salles de cours où errent et marchent des étudiants au dos alourdi, ou dont le bras se prolonge d’une valise à roulettes. Mon voisin de tramway, ce matin, avait une de ces valises à roulettes, dont il était bien embarrassé, d’ailleurs, dans la cohue du matin – quel succès, ce tramway ! –, et lisait le tome II des Misérables en Folio. Peu après, il me devançait sur le chemin du site Tanneurs.

 

Vendredi, c’est le jour du quotidien gratuit. Rite vénéral, je prends, avant de me rendre à mon bureau, deux exemplaires de la NR sur le présentoir proche de l’amphi Thélème (l’Université n’a pas d’argent pour qu’on dispense des cours de langues à des groupes de moins de 50 étudiants, mais elle maintient l’abonnement à sept ou huit mille exemplaires de la NR du vendredi) et en pose un sur le bureau d’une collègue avant d’aller ouvrir le mien. Aujourd'hui, il est question, à la page 10, d'amphis bondés, et, à la page 11, de la ville de Tours qui veut réduire sa facture d'électricité. Que ne le fait-elle, déjà en supprimant les illuminations de Noël, ou en les restreignant à une dizaine de jours ? Que ne le fait-elle, en interdisant les panneaux publicitaires éclairés ou électriques ? Que ne le fait-elle, en ne faisant allumer (c'est techniquement possible) qu'un lampadaire sur deux ?

 

Vendredi, il pleuviote ; il règne une douceur extrême. — Même douceur, mais ensoleillée, un autre 6 novembre, lors de notre première visite en famille du château d’Azay-le-Rideau, il y a dix ans pile. Visite dont ces carnets, à leurs balbutiements, s’étaient fait l’écho, avec notamment tel propos rapporté d’Alpha, qui avait alors quatre ans.

 

Si je remonte encore, dans le temps, repensant à sacs & valises, je me retrouverai, moi, même pas majeur encore, ahanant le samedi matin, à Bordeaux, sous le poids d’un énorme et hideux sac jaune avec lequel, après les cours, j’allais directement prendre le train de 13 h 12 pour Dax, sans repasser par mon studio talençais. C’était samedi midi, et dimanche soir (19 h 40, attendre le dernier bus A direction Gradignan-Malartic place de la Victoire), le moment des valises.

jeudi, 05 novembre 2015

Une histoire de Grace ▓ Nicolas Servissolle ░ Éditions Myriapode

 

Une histoire de Grace est le premier roman (ou le premier roman publié ?) de Nicolas Servissolle. Il m'a été offert, suite à une rencontre avec l'écrivain qui s'est déroulée à l'excellente librairie Campus, à Dax. Le récit, bref mais d'une grande densité, est précédé, de manière inhabituelle et très in-your-face, d'une préface qui a tout d'un manifeste. Une telle préface, qui proclame – en se réclamant de Bonnefoy et Robbe-Grillet, rien moins – la nécessité de reprendre à nouveaux frais la tâche du nouveau réalisme que portait, sous des “écritures pourtant si différentes qu'elles découragent d'y déceler le moindre indice d'un mouvement esthétique commun”, le Nouveau Roman.

Ayant commencé par cette préface programmatique, le lecteur ne se retrouve donc pas à lire un roman. La préface, tout un programme, a actionné un certain nombre de leviers, suscité aussi quelques attentes. En d'autres termes, on attend de voir ce qui ressort d'une telle ambition.

 

D'emblée, puis au fil des 8+2 chapitres, le lecteur trouve tel écho de Sarraute (“Cela remue... Cela parle... Vous entendez?”, p. 15), tel clin d'œil à Butor (le je-tu modificatoire), tel dispositif caractéristique de la première manière de Robbe-Grillet (le personnage principal, enquêteur, se révèle être l'objet du récit/rêve par un autre scripteur). Sans la préface, ces éléments eussent certainement sauté aux yeux. De même, le reproche que l'on peut formuler, à savoir que Nicolas Servissolle écrit bien, et, en un sens, trop bien — ce que, par une expression fréquente que je n'aime pas trop employer, l'on nomme parfois se regarder écrire —, est si évident qu'il ne présente, au fond, aucun intérêt : cette mise en scène de l'écriture, cet agacement du lecteur, sont partie prenante de la stratégie d'écriture, et participent de cet essai de “nouveau réalisme”. Ainsi, les nouvelles laissées par la morte (et retrouvées par l'enquêteur dans son appartement au chapitre IV) constituent, plus qu'une mise en abyme du récit, un miroir qui nie toute possibilité d'enchâssement : comme chez Éluard, mais dans une perspective plus nettement lynchéenne, on peut poser la question sans y répondre : « qui de nous deux inventa l'autre ? »

Pour ma part, je préfèrerai toujours un écrivain qui écrit un peu trop bien (ce qui, dans d'autres cas, peut aussi se traduire par un débraillé délibéré, une écriture volontairement gauche) à un écrivain qui n'écrit plus à force de se fondre dans un moule de parlote collective. La double distinction barthésienne opposant, d'une part, l'écrivant à l'écrivain, et, d'autre part, le texte lisible au texte scriptible, ne m'a jamais paru aussi pertinente qu'en ces temps de profusion et de confusion.

De façon voisine, certains trouveront peut-être que l'auteur, nourri de peinture et d'histoire de l'art, a tendance à plaquer – ou, autre métaphore picturale, à diluer (hmmmm, oui, who am I to criticize those who overwrite?) – les références, ou s'agaceront du chapitre VII, dont l'interpolation des événements du récit principal et du dialogue relatif à La Grande Bouffe de Marco Ferreri m'a paru, au contraire, très intelligente et très réussie.

 

J'ai noté plus haut que le récit était bref (125 pages) mais d'une grande densité. Il m'est donc impossible de signaler tous les jeux d'échos, par exemple entre la Grace du titre et la Grèce... la fixation sur l'épisode d'Ulysse chez Nausicaa ou l'importance de plusieurs traditions philosophiques helléniques, dont la conception sophistique du logos n'est pas la moins importante. C'est au lecteur (à d'autres lecteurs = à ceux qui, je l'espère, liront ce livre après avoir lu ce billet) de tirer son épingle du jeu interprétatif, à refaire, autrement que moi, le parcours dans ce bref texte scriptible (Barthes aurait-il, à l'heure des nouvelles technologies, risqué réinscriptible ?) Il va de soi que les tenants d'un roman dont l'auteur s'interdit toute référence culturelle, toute discussion de questions théoriques sur l'art ou la littérature passeront leur chemin, et sans doute ne sont-ils déjà pas arrivés jusqu'ici dans ce billet. → ;-) comme on écrit.

 

Dans l'écriture même, m'a frappé l'usage d'une forme de présent de narration qui sert à mélanger les différents plans temporels. Servissolle s'en sert pour décrire, dans un même paragraphe, des événements qui se sont nécessairement déroulés à des moments très différents : appel à la reconstruction des “étapes” par le lecteur ? stratégie visant à rappeler que la distinction entre temps de l'histoire et temps du récit est un leurre quand la lecture se saisit simultanément d'axes censément distincts ? reprise (non décelée par moi) d'un procédé d'écriture (ricardolien ? (je mets ça au pif)) ?

 

Il y a quelques coquilles, étonnantes, mais, dans l'écriture même, j'aimerais opposer, de façon tout à fait subjective et sans chercher à m'en justifier, deux extraits dans lesquels le recours à un lexique rare produisent des effets opposés.

1. « Elle pleure, t'appelle son étranger, déplore ce qu'elle nomme la routine solite des couples où l'on se rend sourd à l'autre et à soi... » (p. 114)

2. « Haletant, le dos conte la porte, tu sens alors une présence étrange à tes côtés, comme si le passe-muraille de Marcel Aymé, la tête sortant de la cloison, te toisait en silence, sans bouger. Tu as un mouvement de recul. Une carafe d'orignal pend au mur, un trousseau de clés accroché à ses cornes ! Assurément, Grace possède un sens de l'humour bien à elle. » (p. 70)

 

Dans le premier, préciosité pure. Dans le second, le choix du substantif carafe dans une acception méconnue vient renforcer l'effet de saisissement et de duperie que la référence au passe-muraille aurait rendu, sans cela, plutôt plate.

 

mercredi, 04 novembre 2015

Insectes.

Il y a trois ans, presque à l'heure près, j'apprenais — à Arzacq, of all places — la mort de mon grand-père maternel.

Je pourrais raconter des quantités d'anecdotes à son sujet, mais, pour poser aujourd'hui une pierre à sa mémoire, je rappellerai seulement qu'il m'apprit un jour, en me montrant un perce-oreilles vivant dans sa main, le mot forficule, et qu'un autre jour, il m'apprit que chiure de mouche était un pléonasme, étant donné qu'une chiure désigne spécifiquement un excrément de mouche.

 

mardi, 03 novembre 2015

Le Tricorne

Mon fils cadet participant, avec sa classe de CE2, à un projet autour de l'orchestre et de l'Opéra de Tours, avec — plus particulièrement — une répétition du Tricorne de De Falla vendredi prochain, je réécoute, pour la première fois depuis une bonne dizaine d'années, mon disque du Tricorne et de l'Amor brujo (ballet que je préfère nettement), acheté vers 1998, je pense, à un prix dérisoire, chez Gibert, à l'époque où chaque détour parisien était l'occasion de se ruiner en galettes.

Il s'agit d'une version enregistrée, en 1983, pour Decca, par l'Orchestre symphonique de Montréal sous la direction de Montréal, avec, pour l'Amour sorcier, la mezzo québécoise Huguette Tourangeau. (Au risque de déparer Touraine sereine, je l'affirme haut et fort : il n'y a plus que les Québécois pour se nommer Tourangeau !)

En tout cas, le professeur de hautbois d'Oméga, à qui le petit en a parlé hier, avait visé juste : il y a une belle partie de cor anglais dans le Tricorne, juste avant, d'ailleurs, une reprise très parodique de la Cinquième de Beethoven (aucun souvenir de ça).

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Ce billet (le 3.636e) signe-t-il (enfin) une reprise des chantiers ici ? Rien de moins sûr. 

Allons à pas lents et discrets.

vendredi, 09 octobre 2015

Un chat à l'œil jaune

IMG_20151009_133255.jpgSous le soleil encore tiède de ce midi d'octobre, revenant de mon petit tour à pied postprandial — lequel, coincé entre les rendez-vous & cours du matin et les cours de l'après-midi, réduit à sa plus simple expression le moment prandial proprement dit — vers la place des Joulins que j'aime tant, avec ses six beaux magnolias que je vois aussi de la fenêtre de mon bureau (38, je suis revenu au bureau 38, comme en 2002-2007) en écrivant ces lignes, rue de la Paix, m'a déboulé quasi entre les jambes un joli chat blanc fureteur, qui a tendu vers moi ses deux yeux, l'un tout bleu, l'un impeccablement jaune, yeux que, malgré mes tentatives et bien qu'il soit notamment venu se frotter à mes jambes de pantalon, je n'ai pu aucunement saisir avec cette saloperie sans nom mon merveilleux smartphone.

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mercredi, 30 septembre 2015

“ombre grise de l'accenteur”

Hagetmau, 4 août 2015.

 

ombre grise de l'accenteur

furtive derrière des ronces

un chevreuil au poker menteur

jappe 43 semonces

 

toujours courir avec lenteur

où dans la chaleur on s'engonce

l'ombre s'éclaire l'ombre fonce

feu follet des pois de senteur

 

les ronces grifferont le deuil

dans la peau comme à un chevreuil

le faux moineau offre une esquisse

 

humble discrète sur le seuil

l'ombre s'attarde l'ombre glisse

sur la page bon pied bon œil

 

mardi, 29 septembre 2015

Cessyle, un beau prénom

cessyle.jpg

 

Comprendu-je l'enfant qu'elle s'appel Cessyle

Si que sa mère elle a une grosse imbessyle.

 

 

[N.B. : Les distiques ribéryens sont des poèmes composés de deux alexandrins, et délibérément truffés de fautes de français.]

 

Pour un estuaire (ébauche de note pour moi-même)

Au loin, au-delà de la brume, des gens criaient. On nous prenait pour des créatures de race blanche. Voilà pourquoi on nous appelle dombe, qui est le nom que l’on donne aux poissons. Depuis des siècles qu’ils ont jeté l’ancre ici, on désigne ainsi les Portugais. Échoués sur les plages, venus de l’horizon liquide, ils ne pouvaient être nés que dans l’océan. Dont nous provenions, Arcanjo et moi.

Étendu à mes côtés, inconscient, le chasseur avait l’air mort. C’était mon cauchemar : Arcanjo et moi faisions naufrage sur une plage en fuyant dans une pirogue, en descendant le fleuve. Le courant nous jetait au-delà de l’estuaire jusqu’à nous déposer sur la grève, parmi les débris éparpillés sur le sable.

 

Mia Couto. La confession de la lionne [A confissão da leoa, 2012]. Paris : Métailié, 2015, traduction  d’Elisabeth Monteiro Rodrigues, pp. 149-50

 

Je reprends ces pages, lues au printemps, à la lumière de La pluie ébahie, également de Mia Couto, que j’ai lu cette semaine, et où ce motif du fleuve et l’eau est plus présent encore. Il se trouve que, le hasard faisant les choses, je viens également d’achever de lire The Fishermen de Chigozie Obioma. Il me semble qu’à l’exception notable du deuxième roman de Ngugi, The River Between, ce motif du fleuve était beaucoup moins présent dans les récits africains de la première génération des Indépendances. Y a-t-il là un élément écocritique (comme cela est très net dans La pluie ébahie), un retour à certains mythes (dont le motif de la route engloutissante, déjà présent chez Soyinka puis Okri, serait un jalon romanesque moderne), une allégorie de l’histoire des nations africaines après cinquante ans – peu ou prou – d’indépendance ?

Dans La confession de la lionne, l’importance accordée aux chasseurs, et à leur rôle dans la libération d’une parole collective affranchie de codes narratifs “européens”, rejoint ce que je perçois de plus en plus nettement dans ma lecture de Tail of the Blue Bird, le roman de Nii Ayikwei Parkes que j’ai mis au programme de L3 et de M1 ce semestre.

lundi, 28 septembre 2015

AR POETIK (3 août 2015)

commence un nouveau paragraphe

bois l'eau à même la carafe

après la quinzième tournée

qu'importe un putain d'accent grave

 

ça doit sortir de ton néant

à chaque nouvelle fournée

vilain gribouillis de géant

ou fourmi dans un trou béant

 

ça doit sortir de ton zéro

après le quinzième apéro

fi de la rime chantournée

 

muse sévèrement burnée

bois le saint-estèphe au goulot

et allez bordel au boulot

 

samedi, 26 septembre 2015

“mangerez-vous”

31 août 2015, 21 h.

 

mangerez-vous de mandragore

y goûterez-vous pour plaisir

amour dont on peut se saisir

imprudemment que l'on dévore

 

un peu de ce pistil encore

sous le cagnard ou le grésil

qu'au gibet pousse le persil

ou la droséra carnivore

 

mangerez-vous au carnaval

l'heur de se bourrer festival

(pardon s'enivrer veux-je dire)

 

j'ai tout du voleur à la tire

et votre odeur je l'adore

dévorez-moi de mandragore

 

mercredi, 23 septembre 2015

“bonsoir la vieille martingale”

8 août, 21 h 13

 

bonsoir la vieille martingale

avec le bonnet en bonus

les amis coincés du sinus

pris dans la toile de mygale

 

voyez ce dont on se régale

sous le couvert des abri-bus

calices que nous avons bus

& arnaques d'humeur égale

 

pour calice on va boire un pot

& s'acquitter de ses impôts

louer la déité fiscale

 

la pluie qui dehors tombe à seaux

fera renaître les ruisseaux

à l'assomption fraîche pascale

 

dimanche, 20 septembre 2015

“va-t-on enfin courir”

6 août, 23 h 50

 

va-t-on enfin courir le lièvre

& même plusieurs à la fois

ou déterrer nos désarrois

pour pondre des élégies mièvres

 

va-t-on de l'élégant carquois

dénouer le long poil de chèvre

passer le pouce sur la lèvre

& tout lâcher d'un air narquois

 

avons-nous égaré nos flèches

& l'éléphant a-t-il tout pris

dans sa fuite vers l'autre siècle

 

il reste à chanter pour des nèfles

& à essuyer le mépris

en écrivant d'une encre sèche

 

jeudi, 17 septembre 2015

“des trois frères”

27 juillet 2015, 7 h

 

des trois frères le dernier né

celui baptisé Onésime,

ce n'est pas pour la pantomime

écrivant comme un forcené

 

(je l'ai appris, est-ce minime,

il n'y a que quelques journées)

qu'il naquit près des Pyrénées

dans cet Orthez de tant d'estime

 

plus jeune de beaucoup, ma foi,

qu'Élie, venu à Sainte-Foy

de même qu'Élisée — ternaire

 

essaim se trouve avoir inclus

la triple mort septuagénaire

et leur nom célèbre, Reclus

 

lundi, 14 septembre 2015

“dans la lune où j'ai”

1er août, 8 heures

 

dans la lune où j'ai mes quartiers

où je roupille et je folâtre

teint d'endive plus que d'albâtre

maintien plus rigide qu'altier

 

savez-vous mon chant je le châtre

fruits d'or autour de Baratier

jappements de petit ratier

sa rage une écume blanchâtre

 

j'y passe des nuits et mes lunes

ça n'est pas vraiment pour des prunes

gueule Popov ou Médrano

 

ça a tout du foutu chantier

moins Jonas K. que Jack Lantier

cette lune sans Cyrano

 

vendredi, 11 septembre 2015

“que soudain l'on entonne”

3 août 2015, 9 h 04

 

que soudain l'on entonne un thrène

avec l'ombre de l'ici-gît

nous égrenant ses élégies

clinquantes piécettes d'étrennes

 

& tout ce qui est doux revient

refait surface à l'unisson

redis-moi le temps de cuisson

du bonheur mon bon margoulin

 

je danse pour que vos migraines

emportent le monde à la traîne

je danse pour vos gabegies

 

je danse avec ce hameçon

coincé dans mes tripes rougies

je danse pour les charançons

 

mardi, 08 septembre 2015

“spectre tombé sur une nappe”

3 août — 20 h 10

 

spectre tombé sur une nappe

éclats de bouteilles brisées

déchets de laitues et frisées

un chien aboie un chevreuil jappe

 

& vous courez sur mes brisées

tout ce qui s'enfuit nous échappe

à grimper la mort en varappe

morts livides et vies misées

 

petite pluie sur les manèges

bémols partout dans vos solfèges

ah on en voulait des croupières

 

me tailler mais j'ai mon œdipe

envoyez le pousse-rapière

& un poème prototype

 

dimanche, 06 septembre 2015

“rosiers taillés”

rosiers taillés au bleu de chauffe

nous couchés dans les prés fauchés

à ne mater regards touchés

pas même un vol de rhinolophe

 

à rimer gascon pour la strophe

normand allongé dans les choux

la lune nous est un réchaud

brûlera-t-elle ton étoffe

 

tu me dis tu es dans la lune

je te réponds et quand bien même

 

se jeter du haut du rocher

on ne le fait pas pour des prunes

la lune tu sais si je l'aime

c'est bien une faux pour gaucher

 

samedi, 05 septembre 2015

“la ville éternue”

la ville éternue

son plaisir de face

cambouis dans la glace

où la nuit remue

 

mémoire ténue

d'avenir qui passe

cambouis qui encrasse

votre robe nue

 

sous un blanc tergal

l'amour m'est égal

la crasse des villes

 

où ne s'insinue

pour des jours tranquilles

votre voix connue

 

mardi, 01 septembre 2015

“coing vert tombé”

coing vert tombé sur le goudron

avec juste une seule feuille

haché bigarré de marron

qu'un fil de gravillons endeuille

 

le ramasser de ce giron

milieu de rue où je le cueille

sans attendre qu'un escadron

de moucherons plus l'escureuille

 

fruit parfait rond tu ne dois pas

te rembrunir sous le compas

de mes doigts qui te ressaisissent

 

même échappé du cognassier

et jamais la couleur d'acier

ne t'imposera ses sévices

 

lundi, 31 août 2015

“belote pour”

belote pour des rififis

d'opérette ça va sans dire

& dont vos visages bouffis

ne retiennent ni joie ni ire

 

vous boufferez vos salsifis

dans l'euphonie d'une hétaïre

dardant des regards de défi

au pâle cavalier qui tire

 

sur le mors d'une bleue jument

à croire que le monde ment

si c'est le bazar dans ma prose

 

& le cauchemar des lentilles

pour des rififis des vétilles

s'apothéose dans mon prose

 

jeudi, 27 août 2015

Mauvaise monnaie

En raison d'une soutenance de thèse à laquelle je suis convié, je me suis mis à relire récemment Dangerous Love de Ben Okri, que j'avais dû lire à sa sortie et donc, je m'en avise, il y a bientôt vingt ans (!). À l'époque, le roman m'avait déçu, car j'y retrouvais, amplifiés, certains des tics d'écriture qui gâchaient légèrement mon plaisir avec la trilogie d'Azaro. Curieusement — ou pas, d'ailleurs —, le roman me plaît beaucoup plus aujourd'hui, peut-être car je suis devenu moins tâtillon sur la question du ressassement stylistique, ou parce que ce qui a valu de nombreuses critiques à Okri (la lenteur narrative) est justement quelque chose qui me capte, désormais. Entre autres, c'est un magnifique Künstlerroman.

 

Pour faire une pause à l'orée de la dernière partie, j'ai commencé la lecture du dernier Mabanckou, encensé par les médias officiels de la Kulture, Canard enchaîné ou Télérama en tête, mais que je n'ai pas acheté pour cette raison : pour la première fois, avec Lumières de Pointe-Noire, j'avais trouvé que Mabanckou parvenait à transmettre enfin une émotion non convenue dans une langue un peu travaillée. Las, et patatras ! avec Petit Piment, Mabanckou est retourné à ses travers : langue falote, personnages fantoches, discours rebattu et d'une invraisemblable platitude sur la décolonisation au Congo-Brazzaville et l'ère socialiste. On a l'impression de lire un récit de Monénembo ou de Gurnah, mais en vingt fois moins bien, sans énergie, sans âme, le tout écrit d'une plume froide, vétilleuse, en service commandé.

Pour la littérature africaine comme dans tant d'autres domaines, la mauvaise monnaie chasse la bonne : Mabanckou dans les journaux — Mabanckou aux devantures des librairies...

D'ailleurs, il semble que ce Petit Piment n'ait même pas vraiment été lu par son éditeur, ou par qui que ce soit dans l'entourage de l'écrivain, tant les erreurs grossières y pullulent : les 303 orphelins de la page 62 ne sont plus que 203 à la page 76 ; le directeur donne deux explications contradictoires à la page 87, mais la deuxième est introduite par “le directeur précisa cependant” ; le récit ennuyeux de Sabine n'est interrompu, à la page 97, que par un (très révélateur) “Tu t'endors ?” lancé au narrateur ; etc.

 

lundi, 24 août 2015

“perdu sous la tourbe”

27 août 2015

 

perdu sous la tourbe d'averses

regard fixé au néflier

faut pas que vous me gonfliez

avec hallebardes et herses

 

chiens & chats pour tous vos commerces

& le mufle inhospitalier

ne rompez pas si vous pliez

pluie leurs babines tu les gerces

 

la quarantaine du barbon

à devoir partir au charbon

comme dit prendre le collier

 

pour peu que le nord on le perde

le soleil pourra s'émollier

bientôt il pleuvra de la merde

 

vendredi, 14 août 2015

“farce la vie”

farce la vie quand on se caille

même au cœur du cœur du mois d'août

la pierre frémit sur le sout

est-ce pavane ou passacaille

 

vois-tu ton vieux chandail qui bâille

& l'aspirateur ce mammouth

je voudrais être un peu routmouth

pour le goupil et pour la paille

 

Gênes resplendit Audenarde

a lancé ses colifichets

& j'ai gobé tout l'hameçon

 

ne pleut-il qu'une hallebarde

notre langage a défriché

le réel de son écoinçon