lundi, 30 mars 2015
Quentin Meillassoux dans les jardins de l'archevêché
C'est à peu près tout ce qui me restera de cette fin de journée-ci, par un temps rafraîchi, qui ne m'a pas découragé pourtant d'aller lire un moment, vêtu de ma sorte de ciré, poursuivre la lecture d'Après la finitude.
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Je tire une tronche de silène. Pardon : de silure.
Normal, si près d'Amboise. (La professeure taïwanaise prononce “en bois”.)
18:33 Publié dans Ce qui m'advient | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 27 mars 2015
On nettoie / la statue de François
J'ai sprinté pour le bus, et sprinté pour le tram — dix-huit minutes de porte à porte (enfin, sans compter les deux ou trois qu'il me faut pour rallier mon bureau depuis la place Anatole-France). Ce matin, pour un peu, les transports en commun auront failli être aussi rapides que la bagnole.
S'essouffler n'est pas mauvais. (Benjamin Péret ??)
En tout cas, au sortir du bureau de tabac, le député socialiste affichait, je crois, Le Figaro.
Depuis le pont Wilson, sous un soleil resplendissant qui suffit à mettre en verve, aperçu encore trois cormorans, dont un volait en direction du pont, du tramway, de mon livre.
Entre la place et l'Université, me suis arrêté pour photographier Rabelais, à qui deux messieurs affairés refaisaient une beauté de marbre. Celui qui se trouvait en bas (à commander le monte-charge) m'a salué — quelle idée de saisir François reblanchi dans un nuage de buée qui cache l'inscription !
09:31 Publié dans Lect(o)ures, Moments de Tours, Zestes photographiques | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 26 mars 2015
Sens le latin
Les “défenseurs” des langues anciennes qui poussent des cris d'orfraie depuis deux ou trois semaines ont souvent le chic pour choisir les arguments les plus faux ou les moins convaincants. Mais là, on passe le mur du çon, comme on dirait dans le Canard enchaîné.
J'ai fait huit ans de latin et quatre ans de grec entre 1986 et 1994 — et j'étais au moins aussi inculte ( : avec une culture fragmentée, sans substrat) que le “jeune des années 2000” décrit par ce type idiot qui n'a jamais vu un jeune des années 2000.
Un seul exemple :
« Ignorant la langue, tu saisiras quelques tronçons de savoir objectif, mais le génie t’en échappera, la cohérence profonde t’en sera étrangère. Ce savoir effacé, cette mémoire perdue te priveront de fait du lien le plus direct avec Rabelais, imbibé de latin, avec Boileau, Racine, Corneille, La Bruyère, qui tournent sans cesse autour du paradigme antique ; tu ne saisiras pas les sous-entendus de la pensée des révolutionnaires de 1789, ni la sensibilité de Rousseau, lecteur de Plutarque ; tu ne verras pas bien ce que Victor Hugo peut bien avoir à nous rebattre les oreilles de Tacite et Juvénal pour moquer Napoléon le Petit ; tu resteras sourd aux envoûtements de la poésie symboliste, entichée des élégiaques latins ; tu te gratteras la tête lorsque Camus te parlera de Sysiphe [sic - M. Sylvain n'est pas très fort en orthographe hellène], Giraudoux d’Electre, sans même parler des auteurs italiens, anglais, espagnols, allemands tout imprégnés de culture grecque et latine jusqu’à ce jour. »
Je connais quelques certifiés de lettres actuellement en exercice et qui ne comprendraient pas la moitié de ce paragraphe. Donc le problème doit être ailleurs, ou plus lointain, non ?
Par ailleurs, la façon dont on m'a enseigné le latin jusqu'en première (pour ne rien dire du grec, pour lequel j'étais très mauvais) était totalement coupée de toute culture ou de tout élément historique, de sorte que des faits constitutifs aussi banals que les périodes royauté/République/Empire, je les ai découverts en hypokhâgne, ou peu s'en faut. Mon fils aîné, qui fait du latin depuis l'an dernier (5e) mais qui, surtout, s'est beaucoup passionné d'histoire antique depuis fort jeune, apprend le latin avec une méthode qui va beaucoup "moins vite" pour ce qui relève des déclinaisons et des conjugaisons, mais qui est très supérieure dans les rapports de l'enseignement avec la culture, l'histoire, et même la linguistique (sans jamais prononcer d'aussi gros mots).
19:00 Publié dans Indignations | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 25 mars 2015
Gulf Stream
“Almost at once, like the Gulf Stream breaking up an iceberg with its warm currents, dispersing it, their party disintegrated as it reached the ballroom and merged with the crowd.”
—— a sentence I read tonight in Durrell's Balthazar ——
Arctic melt leading to weakest Gulf Stream in a 1,000 years
Demain, j'en parlerai avec la mère de Julie : début de printemps froid — encore un mois de mai dégueulasse ?
23:18 Publié dans Chèvre, aucun risque | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 24 mars 2015
Michelet
« J'ai vu, non pas dans les marais, mais sur les hauteurs de l'Ouest, aimables et verdoyantes collines, couvertes de bois ou de prairies, j'ai vu d'immenses eaux pluviales séjourner sans écoulement, puis, bues d'un rayon de soleil, laisser la terre couverte d'une riche et plantureuse production animale, limaces, limaçons, insectes de mille sortes, tous gens de terrible appétit, nés dentus, armés d'appareils admirables, d'ingénieuses machines à détruire. Impuissants contre l'irruption d'un monde inattendu qui grouillait, s'agitait, montait, entrait, nous eût mangé nous-mêmes, nous luttions au moyen de quelques poules intrépides et voraces, qui ne comptaient pas les ennemis, ne discutaient pas, avalaient. Ces poules bretonnes et vendéennes, braves du génie de la contrée, faisaient cette campagne d'autant mieux, qu'elles guerroyaient chacune à sa manière. La noire, la grise et la pondeuse (c'étaient leurs noms de guerre) allaient ensemble en corps d'armée, et ne reculaient devant rien; la rêveuse ou la philosophe aimait mieux chouanner, et n'en faisait que plus d'ouvrage. Un superbe chat noir, leur compagnon de solitude, étudiait tout le jour la trace du mulot, du lézard, chassait la guêpe, mangeait la cantharide, du reste devant les poules respectueux et toujours à distance. »
Michelet, L'Oiseau, 1867.
Le savez-vous, le sais-tu, je n'ai toujours pas lu un seul livre de Michelet ; pourtant, je tourne autour depuis très longtemps. Dans le froid entre les étagères je pourrais creuser et faire remonter à la surface les billets dans lesquels peut-être j'ai déjà exprimé ce regret, cette envie, cet à-quoi-bon. Rien ne serait ramené dans mes filets, grande marée ou pas, sinon encore quelque allusion de côté aux oiseaux, via Cage finalement. Et j'écris désormais pour les oiseaux, j'entends les trilles des merles qui font leur nid dans le cyprès près du néflier.
20:20 Publié dans La Marquise marquée | Lien permanent | Commentaires (1)
lundi, 23 mars 2015
Après l'infinitude
Un grand soleil, ce lundi soir, et donc après m'être promené, avoir — comme lundi dernier — posé mes fesses en terrasse devant la gare de Tours.
Balthazar, un peu, qui m'ennuie.
Commencé la lecture d'Après la finitude de Quentin Meillassoux. Beaucoup aimé ce début, la pensée de l'ancestralité : voilà un projet compréhensible.
Ma déconcentration pourtant, forte, lorsque deux voisins fraîchement installés ont commencé à comparer les mérites du vodka martini et du picon bière, avant d'enchaîner sur la Fête de la bière et « les potes routiers qui font vraiment chier y en a ils parlent que de camions y en a même qui sont assez cons pour acheter des bavettes avec leur fric faut être con quand même ».
Marché de nouveau.
Puis attendu, comme chaque lundi, après avoir garé la voiture rue des Ursulines (pour une fois), au bas de l'escalier du Conservatoire, qu'en redescendît Oméga.
18:25 Publié dans Ce qui m'advient | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 22 mars 2015
Le Concert du dimanche
On a mégapuant au milieu de la foule
De l'Opéra de Tours les gogues qui refoulent.
Concerto symphonie qu'on connaître l'adage
Le parterre est 120 ans de moyenne d'âge.
On a beaucoup urgent d'appelle le samu
Vu comme le parterre ils sont tous clabotus.
On a beau Prokofiev Roméo et Juliette
Si ça roulit bien sur les fauteuils à roulette.
19:20 Publié dans Distiques ribéryens | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 21 mars 2015
Le yuzu ?!?
On a miam-miam le thé et le tiramissou
Japon qu'on s'a baigné solstice le youssou.
*
On s'a trompé de son ! Prend-on-me d'un zazou !
Ce distique est le bon rime avec pour “yuzu” !
*
On a aussi miam-miam de l'omelette aux œufs
Si qu'en vrai yuzu ça se prononçut yeuzeu.
17:35 Publié dans Distiques ribéryens | Lien permanent | Commentaires (0)
On Guptill's double ton
An exceedingly well-written piece on an amazing game.
—
“Bouncing off Guptill, New Zealand amassed 6/393, furthering the West Indies' recent record of quantum toothlessness.”
“The restless disposition of the crowd seemed to say that if they had wanted to see dots, they would have gone to an Australian aboriginal art show.”
“The Kiwis' blows were the whipcracks of the rampant. The Windies' were the flailings of the doomed.”
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Note de bas de page :
5.35 am
194* for 149.
In a few minutes I'll be able to say I've watched a little of Guptill's double ton live.10:36 Publié dans Ex abrupto | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 20 mars 2015
Les Bonheurs du concessionnaire (& alia)
Le compte CCP on a bien durillon
Clio qu'on est changé le boîtier papillon.
Cicéron golri changé les pneus la Prius
Et le surendettement on l'aurait durus.
*
Plus renard caramel qu'au fond d'un ramequin
On est vu le rugbyman hipster et rouquin.
Match qu'il est plus sopo que la mouche tsé-tsé
Italiens et Gallois qu'on marquut dizessé.
17:47 Publié dans Distiques ribéryens | Lien permanent | Commentaires (0)
Quixotry (n'est pas le quichottisme)
“The Egyptian Government, with the typical generous quixotry the Levant lavishes on any foreigner who shows a little warmth and friendliness, had offered him a means to live on in Alexandria.” (Justine)
J'ai lu cette page en me rendant à Paris jeudi matin, dans le train, et me suis dit que ce “quixotry” ferait un excellent exemple de terme qu'il serait faux de traduire de façon calquée - le contexte indique clairement qu'aucun mot français formé ou forgé sur ‘Don Quichotte’ ne transmettrait l'idée.
L'adjectif “quixotic”, plus courant ou attesté, est d'une extension sémantique très supérieur au français ?quichottesque. On le traduit généralement par chimérique ou irréaliste, ce qui affaiblit considérablement, bien entendu, l'allusion culturelle — mais comment faire autrement ? l'adjectif “bovaryen” dit encore autre chose.
——— Or, je n'ai rien dit de cet exemple encore frais de sa peinture l'après-midi au séminaire sur les Intraduisibles de ma collègue et amie Yen-Maï Tran-Gervat... mais c'est elle qui a parlé, dans un autre contexte, de... Don Quichotte !
10:40 Publié dans Translatology Snippets | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 19 mars 2015
Bribes d'un voyage
23:00 Publié dans Autoportraiture, Hors Touraine, Zestes photographiques | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 18 mars 2015
Bardo...
C'est dingue, comme tout le monde était (fut) Charlie, pendant huit jours au moins, et comme les exemplaires de Charlie moisissent dans les kiosques, tout le monde a recommencé à se foutre de la guerre mondiale qui se poursuit partout, a frappé aujourd'hui dans un musée magnifique, faisant 22 victimes (dont les assaillants).
19:02 Publié dans Chèvre, aucun risque, Indignations | Lien permanent | Commentaires (1)
Le “Pays de merde” & le géant suédois. Distiques ribéryens d'inspiration shellerienne.
Zlatan qu'il a distrait disparu quand il râle
Trouvu pays merdique au carnet à spirale. *
Ibra comprendu-je que tout le temps il gueule
Si toujours il courit et sent toujours tout seule.
Si comme alors qu'il y en a dormir aux fenêtres
Suédois il a tatoué même à l'urètre.
On a dur le feeling pour le pays de meurde
Si donnez-lui du ketchup pour son hambeurgueurde.
On a pareil Billy nettoie son saxophone
Que Zlatan postit excuses sur son smartphone.
Mégagolri-je le scopitone exocette
Sheller d'un péqunot en sandale et en chaussette.
* Är distraherad och arga grinig Zlatand
Han säger i en pärm taskig een skitland.
16 mars.
Vénér-il qu'est été battu les Girondins,
Zlatan est dit Frankreich ç'a shit (du gros crottin).
10:50 Publié dans Distiques ribéryens | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 17 mars 2015
Distique électoral
Golri-je très beaucoup qu'en guise de gros NAC
Frédérique Thomas mec du POI en sac FNAC.
Loin d'être en voie de disparition, après bientôt trois ans d'existence, la forme du distique ribéryen, toujours vivace sur Facebook, est contagieuse. En effet, depuis pas mal de temps déjà, mon épouse et moi correspondons par sms ainsi composés. De la sorte, elle m'a envoyé tout à l'heure, de l'école élémentaire où elle déposait notre fils cadet, ce témoignage de la campagne électorale. Pour mieux comprendre le distique susdit, je rappelle qu'un NAC est un Nouvel Animal de Compagnie — et pour le dire convenablement, à signaler que le sigle du Parti Ouvrier Indépendant se dit /poj/ (poï), comme dans les chansons d'Enrico Macias (poï poï poï zaï zaï zaï).
09:28 Publié dans Distiques ribéryens | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 16 mars 2015
Dîner dans l'herbe à Robinson
Il est crucial de ne pas laisser filer (s'effilocher) ce projet.
Lundi dernier, sous le coup (reprendre Oméga souffrant à l'école, appeler en urgence pour informer le Conservatoire de son absence), je n'ai rien écrit. D'ailleurs, j'ai passé près de deux semaines à ne pas écrire, si ce n'est sur Facebook (ce n'est pas rien).
Ce lundi, je parviens à me garer quasiment devant l'entrée du Conservatoire, donc on poireaute avec Oméga au premier étage en attendant le professeur. (Je conserve ce pseudonyme d'Oméga pour mon fils cadet, mais il y a, dans son groupe, une Calixte et un Robinson. Sociologie des conservatoires...) Tandis qu'on poireaute, j'ai le temps de lire deux poèmes brefs de Pieyre de Mandiargues (j'avais empoché fissa, avant de sortir de la voiture, le petit volume de l'ancienne collection NRF Poésie) et surtout un long poème en prose, beau quoique non dénué de quelque tendance à la chichiterie, dans un style très Julien Gracq première manière.
Après le début du cours, je dévale les marches, sors dans la rue, vais à la gare prendre mes billets au guichet automatique — procédure qui paraît déjà archaïque et que je préfère, pour ma part, à la réservation sur le Web et à l'impression en ligne, beaucoup plus lentes en fin de compte — avant de voir s'installer devant le guichet proche du mien, une star locale, Périco Légasse ; à cette apparition j'ai ensuite consacré un distique ribéryen. J'écoute quelque temps un jeune pianiste, mais l'acoustique est immonde, il a beau jouer fort bien on n'entend rien.
Je m'installe en terrasse (il fait meilleur dehors, au soleil d'avant-printemps, que dans le hall de gare balayé par un vent glacial), commande une Leffe — depuis combien de temps n'avais-je pas sifflé une bière... — et m'enquille la fin de Juste ciel. À la pharmacie, je rachète du Doliprane 500 en sachets, vais finir de lire mon Chevillard dans la salle d'attente du Conservatoire. Oméga finit par sortir, très content de la leçon ; pourtant, même la partie chant choral a été remplacée désormais par du solfège.
Le chronotope mue imperceptiblement ; cette fois-ci, j'ai traîné mes guêtres plus du côté de la gare. Il y passe un monde fou. Si j'avais décidé de décrire en direct passants et passantes, je me serais haché la main. Le nombre de gens qui parlent à voix (très) haute dans leur portable est particulièrement frappant. Sur l'esplanade, autour du limule géant en verre que battent de vigoureux jets d'eau claire, on se sent au centre d'une grande ville, d'une vie frénétique, sentiment que je n'ai presque jamais à Tours.
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22:12 Publié dans Ce qui m'advient | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 15 mars 2015
Zlatan et le “pays de merde”
Vénér-il qu'est été battu les Girondins,
Zlatan est dit Frankreich ç'a shit (du gros crottin).
19:00 Publié dans Distiques ribéryens | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 14 mars 2015
Autre questionnaire
Je ne me fais habituellement pas une opinion très rapide des gens, ou alors il s'agit d'une opinion favorable, parfois démentie par la réalité, hélas.
13:30 Publié dans Flèche inversée vers les carnétoiles | Lien permanent | Commentaires (1)
vendredi, 13 mars 2015
Distiques ribéryens martiaux
La buraliste est regardée moi un gogol
Si que je suis voulu acheté le MidOl.
*
On a franchement pénible et bien écœurant
Même que le curé est coupé le courant.
*
Je suis écrit avec les yeps, ça vous agace
Mais je suis écrit moins mauvais que Fred Vargace.
23:33 Publié dans Distiques ribéryens | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 09 mars 2015
Reprise différée
On n'y va pas.
Oméga est souffrant, donc pas de leçon de solfège. Je reste ici, avec lui, à la maison. Insérer description de notre maison, ou du canapé dans lequel, prostré puis, le Doliprane faisant son effet, joueur, il lit — regarde un documentaire à la télévision.
Description du sofa.
Ou itinéraire de l'indescriptible.
Some other time.
On n'y va pas. Ce lundi-ci.
17:10 Publié dans Ce qui m'advient | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 06 mars 2015
Le cul de Judas
Comme, me semble-t-il, le dernier livre de Lobo Antunes encore inédit en français vient d'être publié et comme Lobo Antunes a dit qu'il n'écrirait plus, il me reste tous les premiers à lire, une bonne dizaine qui ne sont, pour moi, à ce jour, que des titres.
À la librairie Campus, j'ai donc acheté – avec Au bord des fleuves qui vont – ce fameux Cul de Judas, dans la collection de poche des éditions Métailié, et je suis en train d'en achever la lecture. Ce qui frappe le plus, bien sûr, c'est le caractère encore très lisible, très normatif, des chapitres ; pour résumer, on pourrait dire que Lobo Antunes faisait encore des phrases, structurait paragraphes et chapitres d'une manière, sinon conventionnelle, du moins beaucoup moins chorale qu'ultérieurement. Mais ce qui a le plus changé, dans l'esthétique de Lobo Antunes, c'est l'accumulation de références explicites, à des poètes, des poèmes, des tableaux, des peintres, des écrivains, des scènes mythologiques. La relation entre le narrateur et sa narrataire est également plus explicite, de même que la critique politique et historique.
On n'a pas l'impression, pourtant, de lire une esquisse, ou un croquis préparatoire. C'est quasiment un autre art, une autre langue, un autre regard – pour des obsessions déjà semblables. Peut-être est-ce un texte très largement autobiographique ; peu importe, en un sens : c'est un texte autobiographique du Portugal, d'une génération portugaise, comme tous les grands romans d'Antonio Lobo Antunes où semble s'entendre, de façon chorale, toute une génération irradiée d'une voix pourtant si singulière.
Un des motifs (mots, si l'on suppose que la traduction est scrupuleuse) les plus inattendus est celui de l'orbite, des orbites.
09:59 Publié dans Hors Touraine, Words Words Words | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 03 mars 2015
Au bord des fleuves qui vont ▬·▬ le dernier Antunes ?
En quinze chapitres correspondant aux quinze journées d'hospitalisation (21 mars – 4 avril 20007) d'un personnage tantôt nommé Antonio (dans ses souvenirs d'enfance) tantôt M. Antunes (dans son présent d'adulte vieillissant et malade), ce texte plus bref et plus “facile” que les derniers grands livres de son auteur livre l'itinéraire de ce double de l'écrivain vers la mort, avec une inscription finale Exeunt omnes qui suggère la fin d'une œuvre, c'est-à-dire la sortie de tous les personnages, de toutes les voix, l'image de la mort dans le texte.
Par son nom, le cancéreux mourant est le double de l'écrivain, fantôme troublant pour le lecteur qui sait qu'en 2015, lorsque paraît la traduction de ce livre publié en 2010 en portugais, le vrai Antonio Lobo Antunes est toujours en vie. Les quinze chapitres orchestrent magistralement la confusion mentale constante du malade dont la conscience ne cesse d'osciller entre les événements de son hospitalisation et le surgissement (la résurrection) de souvenirs de son enfance et de son adolescence. L'esthétique de Lobo Antunes — qui se fonde depuis bientôt vingt ans sur le mélange des plans, le nivellement des voix, la récurrence obsessionnelle de motifs triviaux — trouve là à s'exprimer dans un sujet à la fois plus simple et plus définitif.
Ainsi, dans le onzième chapitre, les organes tels qu'ils se donnent à lire sur les écrans de la chambre d'hôpital “font des fautes d'orthographe, ils divaguent, l'hypophyse évoque les crépuscules d'automne quand les cigognes s'en vont, le thymus l'envie de revoir l'étrangère blonde, le sang fait allusion à un vélo autour d'un châtaignier et vraiment n'importe quoi ces vélos ces châtaigniers” (p. 167).
Comme toujours, le livre multiplie les hypothèses à la question encore reformulée dans le septième chapitre : “qui est-ce qui persiste à habiter en nous au centre d'on ne sait quoi dont notre vie dépend, combien de questions posons-nous sans rien dire et qui restent sans réponse, aucune différence entre nous et à mon tour moi” (p. 110).
[Très belle traduction, comme toujours, de Dominique Nédellec.]
08:49 Publié dans Lect(o)ures | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 02 mars 2015
Domme ou l'Occultation
Au cul de mon bol breton, à Saintes, le bol à mon prénom et que je retrouve car mes parents ont commencé à récupérer des bricoles dans la maison, mise en vente, de mes grands-parents, au cul donc, disais-je, “Domme” est inscrit. Or, je pense que la première fois que j'ai lu, en en gardant un souvenir, le nom de Domme, c'était dans l'appartement de Claire, à Talence, parmi les milliers de livres de ses hôtes, avant qu'en 1995 nous ne visitassions Domme avec Cyril – nous y sommes retournés avec les enfants au printemps 2011, et de nouveau en avril 2012. Ainsi, ce nom était inscrit au cul d'un objet que j'utilisais enfant à chaque séjour chez mes grands-parents paternels, et je n'en savais rien ; un bol breton périgourdin, aussi, quel sens cela a-t-il ?
08:47 Publié dans Blême mêmoire, Hors Touraine | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 26 février 2015
Vincent Eggericx – Mémoires d'un atome, Kyôto 2008-2012
Difficile de chroniquer un tel livre.
Il y a quelques années, j'avais écrit un billet, je crois, sur L'art du contresens.
Désormais, Vincent Eggericx s'est enfoncé dans le Japon. Ce livre est un journal, parcouru de journées mais sans datations précises, et, malgré cela, il semble plus fictionnel, plus romanesque que les livres précédents de son auteur.
Beaucoup de détails sur la vie professionnelle de V.E., ses rencontres, son abandon du kyudô — le kyudô est le grand absent, ainsi marqué, du livre, bien plus que l'accident nucléaire consécutif au tsunami. La catastrophe nucléaire de Fukushima est présente dans les marges, dans de furtives notations : Eggericx a-t-il voulu aller à l'encontre des attentes “catastrophistes”, à l'encontre du grand récit tel qu'on l'attend, ou a-t-il voulu montrer l'absence de gravité, l'absence d'un sentiment de tragédie (mais alors : pour qui ? pour les Japonais (cf p. 240) ou pour lui ?) ?
Donc, un journal centré autour de V.E. Ses lectures. Les promenades (jardins, topôs japonais). Son regard d'outsider contradictoire. Les douleurs, de dents et du crâne. Sa relation (très) tumultueuse avec sa compagne.
Malaise pour le lecteur (pour moi) : l'observation très dense, très épaisse, justifiée par une longue fréquentation, aboutit à des aphorismes d'un dualisme déconcertant (les Japonais vs les Occidentaux, par exemple p. 109). Pourtant, la langue japonaise semble coloniser en douceur l'écriture même de V.E. : « Monsieur Triangle disparaît sans même que je m'en aperçoive, filant tout schuss entre les portes vers la ligne d'arrivée après m'avoir propulsé dans la rue. » (p. 64)
… pour ne rien dire de l'importance du mode notationnel (p. 136 ou p. 217).
Un atome, donc. Aussi, pose-t-on des questions à un atome ?
14:41 Publié dans Questions, parenthèses, omissions | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 25 février 2015
Ligne & Fils (Trilogie des rives, I)
D'Emmanuelle Pagano, je n'avais lu que le très beau roman d'amour (triste et brûlant), L'Absence des oiseaux d'eau. Il y a deux ans, je n'avais pas été tenté par Nouons-nous, ce que je regrette aujourd'hui...
Emmanuelle Pagano vient de publier le premier volet d'une “Trilogie des rives”. Le titre en est Ligne & Fils. La polysémie possible de ce titre s'éclaire d'un nouveau jour en lisant ce récit ardéchois : Ligne, le nom de la rivière sur laquelle sont, de longue date, installés, les ateliers et usines textiles, a donné son nom à la lignée de la narratrice / Ligne & Fils est donc, très logiquement, le nom de l'entreprise depuis que le père-fondateur l'a léguée à son fils. Il va de soi (de soie) que les autres sens des noms ligne et fil occupent une place prépondérante dans la structure même du roman : la narratrice, photographe, se fait écrivaine, tire à la ligne en alternant les chapitres sur la généalogie, l'histoire de sa famille, les origines des usines, et ceux sur le drame qui la lie (la noue) à son fils ; la référence, très marquée et comme creusée, à l'industrie textile rend l'analogie entre l'écriture et le tissage tout à fait forte, très au-delà de ses avatars les plus ordinaires et les plus galvaudés. Il est évident qu'Emmanuelle Pagano, tout à fait consciente du caractère assez rebattu de cette analogie, a voulu la situer dans une histoire familiale technique. C'est ce qui explique la grande technicité de certains chapitres ; ce roman n'esquive pas ce qui faisait le fond d'une identité industrielle jusque dans les années soixante, à savoir un certain vocabulaire, un certain réseau d'us et coutumes, une certaine mentalité formée d'un langage particulier.
À cet égard, l'écriture de Pagano rappelle plus celle – méticuleuse, ouvragée, profonde – d'un Claude Ollier (récemment disparu) que les tentatives “techniques” (amirables aussi, là n'est pas la question) de Maylis de Kerangal. Dans les passages où la narratrice explore l'histoire des matériaux, sa voix demeure forte, douce, subjective. Son élément principal est l'eau, l'eau vive et vibrionnante des torrents ou des ruisseaux :
La soie à voile, la soie dont on faisait les voiles de navire, passait, par la magie du moulinage, de l'eau douce à l'eau salée. De la soie guerrière on tissait les toiles de parachutes qui prenaient l'air sans risquer le feu, parce que la soie est légèe et brûle difficilement. (p. 43)
Écrit de la rive, ou sur la rive, ou par l'attention porté aux rives qu'on imagine quand on ne s'y trouve pas (il y a deux rivières principales dans le roman, la Ligne et la Baume), le roman poursuit le motif de la marche au bord de l'eau même aux temps de sécheresse : “l'eau fantôme partout s'abîmait et chantait faux” (p. 195). La phrase que je viens de citer montre assez combien, sans emphase, sans effets de manche, l'écriture d'Emmanuelle Pagano produit beaucoup, signifie sans pourtant s'en donner l'air. L'abîme, ici, comme le nom de la Baume, suggère des échos très complexes avec l'histoire familiale ; c'est au lecteur de lier ces fils.
Une des particularités de ce récit mémoriel est qu'il est confié à, construit par une narratrice qui admet d'elle-même “confondre les fins et les commencements”, et situe ses souvenirs dans une topographie à la fois extrêmement précise et tout à fait idéale (au sens où elle est fabriquée par l'esprit, mentale). Cela se retrouve dans les croisements entre le présent de l'écriture et la petite enfance du fils :
Par la fenêtre de la chambre mère-enfant, je voyais le long train régional passer toutes les deux heures sur le viaduc au-dessus de la confluence de la rivière principale et du fleuve. C'était un bercement de plus. Ce train que je n'ai jamais pris délivrait des points de repères lumineux dans nos nuits, des nuits jamais complètement noires et plus feutrées encore que les jours qu'elles prolongeaient. Je n'avais pas sommeil, je guettais l'heure de la prochaine tétée : c'était celle des passages scintillants du train régional. (p. 156)
Même lorsqu'Emmanuelle Pagano retravaille un motif assez classique, celui de la carte postale (avec les réminiscences qui s'y attachent), elle y apporte un éclairage nouveau : sur la carte postale qu'achetaient tous les estivants dans les années soixante, la narratrice enfant et sa mère se trouvaient au premier plan, sans l'avoir su, alors. Par conséquent, selon la narratrice, sa mère et elle “f[ont] partie de ce drôle de collectif spatio-temporel […] composé de l'ensemble des gens sur la plage” (p. 178). La rupture esthétique, si elle s'y détermine, est discrète, d'une fabrication artisanale. Il est difficile de dire – avant la perspective qu'apporteront nécessairement les deux tomes suivants de cette trilogie – si Pagano fait ici le pari d'un changement de paradigme complet ou si, comme l'arrière-grand-père de la narratrice, elle se résout à “confluer plus haut ou plus bas dans la même rivière principale” (p. 75).
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mardi, 24 février 2015
Poésie du gérondif — Jean-Pierre Minaudier
Ce petit livre, publié en 2014 aux éditions du Tripode, je l'ai acheté par hasard chez mon libraire. Intrigué par la quatrième de couverture, qui indique que l'auteur – non pas linguiste mais “amateur de mots” – s'est armé de “ses quelque 1 186 grammaires concernant plus de 800 langues”, j'ai feuilleté cet essai d'un genre bien particulier, et été forcément séduit par les 137 différents proverbes ou phrases en 137 langues différentes qui ornent les marges de chacune des 137 pages de texte. Donc, je l'ai acheté, et me dois de préciser qu'après l'avoir lu, j'en ai acheté un deuxième exemplaire, à destination d'un ami, et en achèterai encore deux ou trois autres d'ici peu, car je vois tout à fait qui ce livre séduira.
Poésie du gérondif n'est pas un essai de linguistique ; c'est plutôt une sorte d'autoportrait d'un linguiste amateur, d'un fou de grammaires, d'un collectionneur d'exemples et d'ouvrages portant sur les langues les plus rares du monde. L'argument de Jean-Pierre Minaudier, si tant est qu'un livre aussi riche puisse se réduire à un seul argument, est qu'en côtoyant une grande multiplicité de langues on s'aperçoit que la thèse des générativistes relatives à une “grammaire universelle” ne tient pas debout, et que les particularismes grammaticaux des langues les plus éloignées de la souche indo-européenne correspondent à des “visions particulières”. Un de ses exemples, assez classique il est vrai, consiste à partir des différents sens du verbe eimi en grec et de leur importance dans la constitution de la métaphysique aristotélicienne, et à montrer comment une telle métaphysique dépend étroitement de la langue qui la fonde (ou l'a fondée) — p. 51 notamment. Autre point fort de cette démonstration, le développement sur les évidentiels en tariana (pp. 120-2). Syr la question des genres, ou sur celle des pronoms – toutes deux assez attendues à ce stade – Minaudier offre une pléthore d'exemples très parlants et très convaincants.
Ainsi, en vrac, le futunien a deux pronoms de première personne du singulier, l'acehnais n'a pas d'adjectifs, le motuni compte jusqu'à cinq genres différents qui ne distinguent pas des “genres” au sens où nous l'entendons (gender), les locuteurs murinyapata comptent dans une combinaison de base 2 et de base 5 (de sorte que leur mot pour dire “100” a soixante-dix syllabes), le kalam n'a pas d'autres voyelles que le schwa, etc.
Ce qui doit recommander, par-dessus tout, cet ouvrage est qu'il n'est jamais cuistre, toujours vibrant de passion, et surtout extrêmement drôle. Hyperbole, images cocasses, humour de répétition (avec le gag récurrent au sujet des inestimables éditions De Gruyter & Mouton, qui s'achève en apothéose dans l'Épilogue et dans la note 100), la drôlerie est le signe d'une subjectivité omniprésente et délibérée. Cela signifie aussi que cet essai en forme d'autobiographie partielle n'est jamais neutre, de sorte que Minaudier s'y autorise des jugements sur l'espéranto “hideux et grotesque avec son look de patois latin dégénéré” (p. 19), non sans aboutir à des développements d'une profondeur et d'une concision admirables. Ainsi, je tiens la page 119 pour une des synthèses les plus claires et les plus abouties sur les questions de plurilinguisme et de traduction. (Je ne la cite pas – achetez le livre. Ou, si vous êtes de mes amis, attendez de voir si je vous l'offre.)
Pour conclure, et comme c'est aujourd'hui le 55ème jour de l'année 2015, laissez-moi citer la phrase marginale de la page 55, en fidjien (j'ai un peu triché, ou, en tout cas, ça tombe bien – la plupart des langues citées ont recours à des lettres, accents ou diacritiques que je ne saurais pas trouver sur mon clavier, même avec les raccourcis Alt) :
Au taaleita'ini i'o va'alevu ca'e ti'o mai ina veisiga.
Je t'aime chaque jour davantage.
11:37 Publié dans Ecrit(o)ures, Le Livre des mines, Words Words Words | Lien permanent | Commentaires (2)