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samedi, 02 juillet 2005

Blogosphère (“dérange du globe”, suite)

Reçu aujourd’hui, par la Poste, le n° 14.1 du European English Messenger. Parmi les ouvrages recensés se trouve l’essai, publié en 2004 par le prestigieux éditeur néerlandais Rodopi, d’une certaine Viviane Serfaty. Le titre, je vous le donne en mille, en est The Mirror and the Veil : An Overview of American Online Diaries and Blogs.

Le parti pris de Viviane Serfaty semble être délibérément socio-psychanalytique, ce qui, déjà, me paraît une sauce bien risquée, ou, à tout le moins, d’un hétéroclite propre au brouillage plus qu’à l’éclaircissement. L’auteur de la recension, une certaine Dorota Smyk-Bhattacharjee (de Zürich, mais il semblerait que ce soit, à lire son nom, une Hongroise, ou peut-être une Tchèque mariée à un Indien), reproche d’ailleurs à Serfaty, une fois prononcés les différents éloges d’usage et proposé le résumé du plan de l’ouvrage, de noyer le poisson en citant inégalement ses sources, les dates de publication des différents carnétoiles consultés.

Il me semble aussi que le journal intime en ligne et le blog sont deux pratiques foncièrement différentes, et que, s’il est certainement productif de les mêler dans un essai, il ne faudrait pas pour autant les mélanger ou les confondre. Je prétends en savoir quelque chose, moi qui ai tenu, fort brièvement, deux journaux en ligne, en 2001 et fin 2004, avant de me rallier à la cause du blogos.

« Your frankly vulgar red pullover »

Ce matin, nous avons écouté plusieurs fois de suite Our Frank de Morrissey, car A. voulait danser dessus ; il se trouve que c’est, par un heureux hasard, l’une des meilleures chansons de l’album Kill Uncle (1991), que je n’avais pas écouté depuis des années. Je n’aime pas tellement la Britpop (litote), mais j’ai un léger faible pour les Smiths et la carrière solo de Morrissey.

J’ai découvert The Smiths à Oxford, en 1996. Mon affection est toute relative, car je ne possède aucun album du groupe, et un unique album de Morrissey.

La première chanson de Kill Uncle, bien écrite et subtilement composée, s’achève d’ailleurs par l’expression du désir de décérébration, ce qui n’a toutefois pas grand chose à voir avec les idiotes professions de «dionysisme» de certains «musiciens» techno. Morrissey se déclare lassé par les conversations profondes qui n’aboutissent à rien (“our frank and open / Deep conversations”) et en vient à se plaindre de sa propre intelligence (“Will somebody please stop me / From thinking all the time ?”).

C’est assez troublant.

"You spin me round"

Record de fréquentation du blog pour le 1er juillet, avec 134 visiteurs et 720 pages vues, chiffre sans doute gonflé artificiellement par mes propres visites, publications de notes, lecture des commentaires, etc.

Dans l'édition du Monde daté d'aujourd'hui, intéressant article consacré à un portrait de Tristan Egolf.

On y lit, notamment le paragraphe suivant, que j'inclus car je crois savoir que, passé quelque temps, les articles ne sont plus consultables gratuitement:

Un soir d'hiver 1995, Patrick Modiano entre dans la chambre de l'hôte pour y fermer une fenêtre. "J'ai été un peu indiscret , confesse-t-il. Il y avait sur la table une masse de feuilles hallucinante. Rien qu'à voir le manuscrit, j'ai eu une intuition." Modiano comprend mal l'anglais mais ne résiste pas à la tentation de s'attarder sur cette écriture microscopique avec ses mots serrés, ses ratures et ses rajouts. Il pense aux manuscrits du Suisse alémanique Robert Walser. "C'est horrible à dire , raconte-t-il, mais je n'avais pas besoin de lire son roman. Je savais. Peut-être parce que je suis du métier ? Rien qu'en voyant cette masse, et ce type qui passait ses journées à écrire... c'est difficile à expliquer. Ça m'a semblé bizarre que ce type de 23 ans, à la fin du XXe siècle, écrive encore à la main avec des ratures."

Vêtements

V-ue m'a écrit ce matin un courriel dont je vous livre un extrait, car il répond à une note précédente sur la tenue des professeurs:

Je lis ton blog, souvent voire plusieurs fois par jour et il y a toujours de nouvelles notes, certaines me font bien sourire. Raconte-moi Guillaume, quelle tenue faut il adopter pour enseigner ou plutôt "Do you think teachers should wear a uniform?"et le costume cravate quand on est une fille, ça donne quoi?
En quoi les fringues, oui les fringues font elles partie de la conscience professionnelle? Tu comprends, en ce moment c'est les soldes alors j'aimerais profiter de tes conseils parce que je suis loin d'être experte en décoration corporelle. C'est bien décousu tout ça...


J'adore ce mail, et la dernière phrase plus encore. Encore un effort, my dearest, l'adresse électronique n'apparaît pas quand tu postes un commentaire!

******

Voici un fragment de ma réponse:

Il me semble que, si la société dans son ensemble (et pas seulement les collégiens, les lycéens, les étudiants) ne respecte plus véritablement les professeurs, c’est qu’ils ne se respectent pas eux-mêmes, qu’ils n’ont pas le moindre égard, en général, pour la fonction qu’ils occupent, qui n’est pas uniquement un métier. C’est vrai également des médecins, pour élargir le propos. La représentation, la distance entre le moi privé et le moi social, l’apparence, tout cela me semble de plus en plus évacué, depuis mai 68 peut-être, dans notre société, et dans notre milieu professionnel aussi, à mon grand regret. Cela semble sans doute réac, mais j’assume volontiers mon côté réac.

Il y avait des exemples qui ponctuaient mon argumentation, mais enfin, j'aurais scrupule à divulguer une partie significative de ma correspondance privée...

vendredi, 01 juillet 2005

1er JUILLET (10ème note du jour ?)

Lu à l’instant, et terriblement d’actualité :

«They called it the rentrée, which meant that the lemmings were rushing home from the coast. This was a nation that claimed to represent the soul of European culture, the seat of her intellect, yet they all chose the same month for their annual vacation, set off in a bunch as if a gun had been fired for the start of a mammoth marathon amphibian race, for the cars that clogged the traffic nearly all dragged or carried on their roofs yachts, sailing boats, catamarans and other floating craft, and that was the way they re-entered Paris […] setting off as if by arrangement so that they arrived at the same time in Paris, honking, cursing and gesticulating more from ritual instinct than from purpose or realistic expectation of any change in the snail’s pace of their repossession of a city they had abandoned to a much despised but lucrative season of tourism.» (Wole Soyinka. Ibadan. London: Minerva, 1995, p. 58)

Juditha triumphans

J’écoute de nouveau la Juditha triumphans de Vivaldi (RV 644). Quel opéra oratorio somptueux, d’une diversité et d’une beauté à couper le souffle (mais pas les oreilles, fort heureusement). Comme il s’agit d’un opéra oratorio découvert récemment, je pense qu’il n’en existe pas d’autre version (Naïve 2001 : OP 30314) : l’Academia Montis Regalis est placée sous la direction d’Alessandro De Marchi, le Chœur des Jeunes de l’Académie Sainte Cécile sous la maîtrise de Martino Faggiani. Les cinq voix sont Magdalena Kozena (Judith), Anke Herrmann (Abra), Maria José Trullu (Holopherne), Marina Comparato (Vagaus), Tiziana Carraro (Ozias).

Ecoutant attentivement le premier acte, et notamment, dans l’ordre des plages 7, 9 et 11 (sur le premier CD), l’air de Vagaus, Matrona inimica, l’un de mes préférés, l’air de Judith, Quocum Patriae me ducit amore, et l’air d’Abra, Vultus tui vago splendori, je remarquais que je trouvais le chant de la dernière voix très inférieur, non techniquement car je n’y connais rien : s’agit-il d’une moindre qualité de la chanteuse jouant le rôle d’Abra (Anke Herrmann) ou, plus profondément, d’un goût moindrement marqué, de ma part, pour les soprano colorature ? Le choix de confier la partition d’Abra à une colorature est, d’ailleurs, à en croire le livret et les notes d’Alessandro De Marchi, un choix audacieux, qui n’allait pas de soi. Je ne peux que regretter, à titre personnel et non point pour l’équilibre général de l’opéra (qui se satisfait sans doute grandement de la structure en quinconce des voix), que le chef n’ait pas choisi, pour Abra, une voix plus proche de celle de Marina Comparato (qui est, toujours dixit De Marchi, «un mezzo-soprano aigu et léger »)

Je ne suis pas certain de m’exprimer fort clairement dans le paragraphe qui précède. Mais c’est un point qui me tient à cœur. J’ai écrit cette note en écoutant l’air de Judith, Veni, me sequere fida, qui se trouve sur le deuxième CD. Les longs maintiens, entrecoupés de soudains trilles, font parcourir, en moi, le frisson de la merveille.

Montaigne dans le texte

En recopiant, à partir de l’édition Garnier jaune (en deux volumes, texte édité par Maurice Rat en 1962, exemplaire paternel), la citation de Montaigne qui me sert à illustrer, à mon échelle, le projet quelque peu fourre-tout de ce carnet de toile, je me suis rappelé une discussion avec F***, dans sa turne du 46, rue d’Ulm, vers février ou mars 1995. Il venait de s’acheter une édition des Essais. Assez sottement, ou snobinardement (mais c’était moins grave, car F*** est cent fois plus snob que moi), je lui fis remarquer que le texte était en français modernisé. Il se choqua de ma remarque, disant que, de toute manière, il ne parviendrait jamais à lire le texte original.

Or, je maintiens que c’est simple affaire d’entraînement, d’habitude, de se jeter à l’eau, comme lire, dirons-nous, des nouvelles contemporaines en anglais pour qui s’est contenté de suivre des cours d’anglais au lycée. Et le gain en est grand.

Ainsi, dans le passage que je citais, cela ne changerait pas grand chose de lire de quoi au lieu de dequoy. Ni le sens ni la prosodie n’en seraient changés. On pourrait même arguer que peu gagnerait à être éclairci en son moderne équivalent pu.

D’un point de vue sémiotique, en revanche, fantasie n’est pas le moderne fantaisie ; il se rapproche d’imaginations, voire d’élucubrations ; de plus, à qui est versé en la langue angloyse (et en la germanicque aussi), cette belle phrase rappelle d’autres beaux textes, contemporains des Essais, sur l’imaginaire, ou, pour le romantisme allemand, sur la Phantasie. Du point de vue des effets poétiques, comment « rendre » la première phrase en français modernisé sans perdre l’allitération en [s] ? Qui cherche ici de la science, qu’il la pêche où elle se loge. C’est là ma propre traduction, à la va-vite, et je ne doute pas que les éditeurs savants des éditions modernisées auront fait mieux ; mais sans perdre beaucoup de la poésie de ces phrases, j’en doute. Fortement.

J’aime aussi, je l’avoue franchement, me trouver aux prises avec une langue qui est la mienne mais dont tout me démontre qu’elle a une histoire, qu’elle est ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. Langue autre, qui m’invite à une traversée des siècles, de l’histoire. Lire Montaigne dans un français contemporanéisé, c’est déjà en faire mon contemporain, et, si je comprends tout ce que peut avoir de positif l’idée qu’un écrivain ou un philosophe a su rester actuel (et Montaigne l’est, étonnamment), je n’ai pas envie qu’il soit mon contemporain, je le lui souhaite moins que tout, car j’aime aussi en Montaigne l’auteur ancien, celui qui, débarquant ex nihilo dans notre monde, s’y trouverait moins à sa place et plus effrayé que s’il s’était retrouvé, avec Cyrano, à visiter les états et empires de la Lune. (Je suis sûr cependant, qu’une fois la dextérité nécessaire acquise, Montaigne tiendrait un blog.)

Tout ce qui nous éloigne de la langue de communication, du français des canards ou des conversations de rue, dans une œuvre littéraire, m’est cher. J’ai beaucoup arpenté, la semaine dernière, les terres impeccablement cultivées du Pour un Malherbe de Ponge, et ce n’est pas lui qui va me convaincre du contraire.

Qu'écris-je?

« Qui sera ici en cherche de science, si la pesche où elle se loge : il n’est rien dequoy je face moins de profession. Ce sont icy mes fantasies, par lesquelles je ne tasche point à donner à connoistre les choses, mais moy : elles me seront à l’adventure connuez un jour, ou l’ont autresfois esté, selon que la fortune m’a peu porter sur les lieux où elles estoient éclaircies. Mais il ne m’en souvient plus. » (Montaigne. Essais, II, X, « Des livres »)

Qui me lit, 2 (Cent-unième note)

V-ue me demandant, dans un courrier électronique, qui peut bien me lire, je n’aurai de réponse que technique : l’étiage régulier des statistiques de ce blog se situe à 120 visiteurs quotidiens pour un nombre de pages consultées plus irrégulier (entre trois cents et 550).

Fort peu laissent des commentaires, et j’imagine que beaucoup s’égarent ici en provenance de la page d’accueil de l’hébergeur (laquelle indique non seulement les derniers blogs mis à jour, au rang desquels le mien se situe fréquemment, mais aussi les dernières communautés mises à jour (or, j’ai la perfidie sans nom de publier certaines de mes notes en les inscrivant dans telle ou telle communauté, afin d’attirer maléfiquement d’innocentes mouches dans ma toile d’opilion)) ou d’un moteur de recherche. En effet, l’une des raisons de mon hyperactivité créatrice sur ce carnet de toile est que j’ai constaté que mes notes étaient fort bien placées (thanks be to HautEtFort! (“loud and clear I make my point, dear!”)) dans les pages de résultat de Google, ce qui ne m’était jamais arrivé avec mes précédents sites personnels.

Comme dirait Marione (de Simon, a priori, et je ne me sens pas du tout concerné), l’égocentrisme ridicule bat son plein. A moins qu’égocentrisme ridicule ne soit un pléonasme ?

L’égotisme ridicule ? L’emphase statistique ?

Du passé faisons paperasse

Je n’ai pas de très hautes références, aujourd’hui :

La vie, la vie, la vie,
Ce qui lui donne du prix
C’est le plaisir gratuit.

(Ricet Barrier)

Comme j’aimerais me convaincre, moi, que ce qui donne du prix aux moments de loisir intellectuel, de passion, d’érotisme, d’oisiveté, ce sont, par contraste, les longues heures passées à des tâches ingrates. Pourquoi faut-il que le gagne-pain soit souvent si vil ? S’il n’était question que de donner des cours, lire, écrire, conseiller des étudiants, même corriger des copies, quel bonheur ce serait ! Mais il est dit que le travail administratif aura ma peau.

Purple Hibiscus de Chimamanda Ngozie Adichie

Hier soir, j’ai commencé la lecture de Ibadan de Wole Soyinka. Après Purple Hibiscus, la semaine dernière, je traverse une phase nigériane, que je ne quitte jamais vraiment, en fait.

J’ai lu deux fois l’avant-propos, qui est d’une richesse presque infinie. Le début du premier chapitre est savoureux, si drôle et si vif, si précis, comme un scalpel.

*******

Je voulais écrire une note sur Purple Hibiscus, mais ce serait mieux avec le livre sous la main, à portée de clavier, non loin de moi, etc. Il s’agit du premier roman d’une Nigériane qui a trois ans de moins que moi (ça, c’est le genre de détail qui vous donne un bon coup de vieux, comme d’imaginer que vos premiers étudiants ont pu, depuis belle lurette, décrocher des diplômes et, par exemple, devenir professeurs, journalistes titulaires, cinéastes, auteurs de bandes dessinées, etc.). Chimamanda Ngozie Adichie est très influencée par la première trilogie de Chinua Achebe, et en particulier par Arrow of God.

Kambili, la narratrice, est une jeune adolescente élevée par un père qui représente, par ses succès d’entrepreneur qu’il met au service de la libre expression, en finançant notamment un journal d’opposition, la volonté de démocratie et de lutte contre un pouvoir politique corrompu ; mais l’ambiguïté fondamentale du récit repose sur la vraie nature de ce père, fervent catholique, qui est, dans son foyer, un parfait tyran. Pour convaincre ses enfants des voies de Dieu, il ne recule devant aucune règle, et surtout devant aucun châtiment corporel. Un séjour imprévu de la narratrice et de son frère chez une tante croyante mais libérale, professeur d’université, conduit le fils aîné à se rebeller, et à la jeune fille à laisser s’épanouir ses sentiments pour un jeune prêtre particulièrement attrayant.

La structure du roman est fort inventive : Adichie commence in medias res, par raconter l’incident qui marque la rébellion du fils, Jaja, avant de consacrer une longue partie à ce qui s’est passé avant ; la deuxième partie, puis l’épilogue, reprennent le récit après le refus de communier de Jaja. Cela met en lumière l’autre prouesse du roman : la description, sans ambages mais avec force ambiguïtés, des dérives fanatiques du catholicisme. La connaissance (et le tissage, au cœur du récit) de multiples rites ecclésiastiques témoigne, de la part d’Adichie, d’un mélange d’admiration intellectuelle et d’inquiétude métaphysique.

Ce que j’ai moins aimé, c’est le style, très Booker Prize shortlist, avec juste assez de petites inventions pour ne pas paraître trop académique mais suffisamment peu, tout de même, pour ne pas être inventif, et la description des émois de l’adolescente, qui sont sans doute très justes, ou pertinents, mais qui donnent une impression de déjà-lu. L’image éponyme de l’hibiscus pourpre, métaphore de l’éveil des sens mais aussi de l’empreinte du sang, est assez pesamment rabâchée.

Toutefois, l’écriture a l’avantage de son défaut : elle atteint souvent une profonde sensualité, qui touche à la nourriture, à la chair, à l’odorat plus encore peut-être.

Chimamanda Ngozie Adichie est un écrivain à suivre, en tout cas, et c’est là un début fort prometteur. Déjà, son livre tient la route, et la distance. Il a déjà été traduit en français, ce qui, pour un auteur africain anglophone publié en 2004, montre combien le livre a été encensé et porté aux nues outre-Manche et outre-Atlantique.

Pour plus d’informations, je me permets de vous renvoyer à la note écrite par Heileen sur son carnétoile La Muselivre, car elle comprend de nombreux liens, tant en anglais qu’en français. Cette recension est aussi, je le crains, bien plus approfondie que la mienne, mais si j’avais le livre tout auprès, me jouxant, libro aperto, etc., ce serait mieux, juré !

Elisa, de Jacques Chauviré

Qu’ai-je lu récemment ?

Je devrais plutôt commencer par décrire objectivement ma table de chevet (mais je suis à l’université), puis expliquer que j’ai toujours une demi-douzaine de lectures en train simultanément (voilà c’est fait).

Hier soir, j’ai lu Elisa, très bref récit de Jacques Chauviré, que j’ai moyennement aimé dans son ensemble ; mais il est indéniable que le dernier chapitre donne une force particulière à cette histoire, poignante et jamais sirupeuse, qui livre en douce pâture la passion d’un petit garçon de cinq ans, dans l’entre-deux-guerres, pour la jeune domestique de dix-huit ans que sa mère et sa grand-mère avaient employée, quelque temps, avant qu’elle ne finisse par se marier.

J’ai noté quelques belles phrases, que je rapporterai sur ce site une fois chez moi (mais vous pouvez d’ores et déjà en lire un fort bel extrait). Le livre m’avait été offert, fin avril, par un ami, libraire à La Rochelle. Comme il m’a aussi apporté, à l’occasion de sa venue avec H***, sa compagne et l’amie de C. depuis leurs années bordelaises, deux autres livres, et comme je n’en avais encore ouvert aucun, un scrupule m’a saisi et j’ai commencé à lire Elisa en surveillant A. au bain.

Assurément, J*** et moi n’avons pas tellement les mêmes goûts littéraires. Il m’avait dit, d’un ton doux et enthousiaste, que ce bref récit était une pure merveille. Je suis loin de partager son avis. C’est un petit récit, in more than one sense. Ce qui me gene aux entournures, c’est qu’il me semble facile, ou sans risque particulier, d’écrire des textes de ce genre, avec un art de l’épure, une retenue particulière, des phrases le plus souvent fort courtes. Ce genre, la notation elliptique, n’est généralement (et à de notables exceptions) elliptique de rien : peu est dit, car il y a, de fait, peu à dire. Dans tous les cas, je préfère les écrivains qui prennent le risque du baroquisme, du ressassement, de l’outrance, de la phrase éclatée ou étendue, élargie. C’est peut-être une manière de me rallier à ce propos que m’a tenu, il y a longtemps, mon père : on ne peut écrire, en fin de compte, comme si le 20ème siècle n’avait pas existé. D’un point de vue stylistique, Chauviré est un bon petit écrivain de la fin du dix-neuvième siècle, dans une version, comment dire, ramassée ou accourcie.

Lecteurs lassés de mes exigences, vous pouvez lire ici, ou ailleurs encore, des points de vue plus positifs sur ce texte, dont au demeurant j’admire beaucoup la force et la tendresse.

Tripalium et otium

Heureusement que Marione me demande ce que j’enseigne, et non ce à quoi un enseignant-chercheur passe ses journées. Là, par exemple, je viens de passer deux heures à signer des relevés de note, en ma qualité de président de jury de Licence L.E.A. 1ère année, puis à mettre au point, avec la secrétaire du département d’anglais, la fiche d’inscription en Licence 3ème année, pour la rentrée universitaire prochaine. Par ailleurs, quoique les délibérations aient lieu, pour les diplômes d’anglais, lundi prochain, et que le délai de remise des notes par les enseignants ait été fixé à lundi dernier, je viens d’hériter d’un paquet de treize copies d’explication de textes 2ème année, cours que je n’enseigne même pas. La raison en est que la collègue est occupée au jury de CAPES, ce qui est légitime ; ce qui l’est moins, c’est que, la responsable de cycle ne s’étant pas préoccupée du problème, je me retrouve, devant le désarroi compréhensible de la secrétaire, à dépanner le département, une fois encore (mon bon cœur me perdra !).

Hier, c’était bien aussi : délibérations de première année de L.E.A., qui se sont étendues sur presque toute la matinée en raison d’un défaut de calcul inattendu dans le logiciel Apogée. Etc.

La maîtresse de mon fils, qui me lance ce matin - comme c'est le dernier jour d'école et comme elle doit s'étonner de me voir toujours en partance pour mon travail - "pour vous, ce n'est pas fini, encore?", se trompe bougrement. Tous les "enseignants", il est vrai, n'ont pas les mêmes congés ni la même conscience de leur travail. Pour ma part, je n'ai pas soufflé depuis Noël, et les week-ends chômés se comptent sur les doigts de la main.

Cela dit, et pour véritablement répondre au commentaire de Marione, non, la curiosité n’est pas un vilain défaut ; en revanche, je trouve légèrement contradictoire, peut-être, que l’on s’intéresse à la vie des autres et moins au genre autobiographique. Je ne parviens pas non plus à comprendre en quoi Enfance de Nathalie Sarraute est «fleur bleue» ; certes, c’est le texte le plus abordable de son auteur, mais il recèle une telle ironie, un tel dédoublement des voix, qu’on peut difficilement, me semble-t-il, en trouver le point de vue naïf ou kitsch… ou fleur bleue.

Les Mots est sans doute l’un des textes les plus supportables de Sartre, ou l’un de ceux qui a le mieux vieilli. (L’un de ceux qui ont le mieux vieilli ?) Je me rappelle avoir beaucoup aimé la retenue de l’auteur, à laquelle se mêle un vrai souci d’approfondir les failles, les blessures, les bonheurs.

Si c’est un homme, pour être essentiel, est un texte qui m’a profondément ennuyé. Primo Levi, de manière générale, m’ennuie.

Je reviendrai dans une prochaine note sur mes lectures du moment et sur ce que j’enseigne, en essayant de tenir ma promesse, c’est-à-dire de n’être fidèle ni à ma partie normande (paternelle), ni à ma partie gasconne (maternelle).

Diminution de mes FAQultés

Cher Simon,

vous avez mille fois raison, mais le fait est que, tant pour les colonnes que pour les jolies bannières, je ne sais pas comment faire. En général, je suis assez débrouillard, mais je dois avouer que l’aide de HautEtFort m’a fort peu convaincu ou assisté, en la matière. Que la colonne centrale soit aussi étroite, voilà qui m’horripile depuis la création de ce blog.

Parmi les nombreux détails qui m’échappent, comment créer des liens hypertextuels qui ouvrent une nouvelle fenêtre ? Je sais le faire sous plusieurs logiciels HTML, mais le module en ligne de HautEtFort, là encore, me désarçonne.

C’est tout, je crois, ce jour, pour la Foire aux Questions.

Les Joulins

Hier midi, j’ai déjeuné de fortune et en quatrième vitesse aux Joulins, joli bistrot, presqu’annexe de la faculté, puisqu’il se situe, comme son nom l’indique, place des Joulins, au bas de la passerelle reliant l’université au vieux Tours.

Ce bar propose des tartines chaudes tout à fait succulentes, surtout aux papilles de qui, comme moi, n’aime pas trop ce genre-là, d’ordinaire. A la belle saison, il offre, de surcroît, trois tables en terrasse, avec des fauteuils bas en plastique étonnamment confortable. Un petit garçon de dix-huit mois, Pierre, achève de rendre le tableau agréable, dans son jeu constant au ballon.

Je suis rentré prendre le café au comptoir, et, le (jeune) patron m’ayant demandé si j’étais professeur, le jeune homme assis près de moi a fait remarquer que j’étais inhabituellement bien vêtu pour ma profession. De fait, je suis en général habillé en costume-cravate, ou, à tout le moins, avec pantalon de ville et chemise. Cette remarque m’a fait songer à la remarque de Finkielkraut, que rapporte Renaud Camus, sur les enseignants qui ressemblent, de loin, dans leurs manifestations, à des clochards. J’en sais la justesse, hélas, et même à l’université, où nous sommes plus nombreux à garder une certaine conscience de notre fonction, plusieurs collègues, surtout parmi les quinquagénaires d’ailleurs, se présentent aux étudiants, aux réunions, et même aux occasions les plus solennelles, dans des accoutrements passablement négligés.

Revenons aux Joulins, adresse que je recommande vivement pour un moment de pause, pourvu que l’on ne veuille pas déjeuner de manière élaborée. Le propriétaire des lieux est un garçon d’une très grande beauté, d’ailleurs, ce qui ne gâche rien.

La conversation qui s’est ensuivie était intéressante, d’ailleurs, puisque mes deux interlocuteurs connaissaient plusieurs étudiants inscrits cette année en première année de master ; j’ai d’ailleurs donné mon adresse électronique à celui qui m’avait fait remarquer le caractère distingué de mes vêtements, car son amie prépare le CAPES l’année prochaine.