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mercredi, 04 janvier 2006

In the mood for translation (Lost in love)

A deux jours d’intervalle, le 30 décembre et le 1er janvier, nous avons vu deux films, qui, en leur temps, il n’y a guère, firent grand bruit et que nous n’avions jamais vus : In the mood for love de Wong Kar-wai, sorti en 2000, et Lost in translation, de Sofia Coppola, sorti en 2003. Ces deux films ont soulevé l’enthousiasme de nombreux cinéphiles, et de plusieurs de nos proches : il semblerait d’ailleurs que les amateurs du premier aient également « craqué » pour l’autre. De fait, ces deux films sont voisins, au moins dans leur refus de filmer la passion assouvie. Ce sont, de manière assez différente, des films qui ont pour sujet la rencontre de deux êtres qui se prennent, l’un pour l’autre, d’une passion progressive, forte et brûlante, mais à laquelle ils ne succombent pas.

Chacun de ces deux films a ses réussites, incontestables, mais il m’a semblé qu’il était exagéré de les avoir pareillement porté aux nues. Ce sont, en un sens, de petits films. J’entends par là, non des films de deuxième zone ou dénués de talent(s), mais des films qui manquent d’ambition : une histoire simple, traitée de manière extrêmement académique, voire conformiste (pour Lost in translation), ou précieuse (pour In the mood for love). Dans l’un et l’autre, la fin est ratée : conventionnelle et banalement « romantique » pour le film américain ; d’un mysticisme new age bien pénible dans le film taïwanais. Célébrer ce genre de films moyens montre bien combien notre époque se méfie de l’ambition, de l’élévation : rien de sublime là-dedans. Bien entendu, le sublime court le risque de l’emphase, du ridicule, ou du ratage ; mais, à tout le moins, les artistes qui choisissent de telles voies prennent des risques. Rien de risqué dans Lost in translation ; pas la moindre corne de taureau à l’horizon ; c’est gentillet.

Là s’arrête la comparaison entre ces deux films, d’ailleurs : l’un des deux est nettement meilleur que l’autre, parce que Wong Kar-wai, même avec ses excès, est un véritable artiste, un cinéaste qui donne un sens profond à chaque cadrage, alors que la fille Coppola n’a guère hérité de la vista paternelle : cadrages fades, plans ternes, direction d’acteurs très inégale. Je pourrais ajouter   – pour ne rien celer de ma réaction –   un certain agacement, de ma part, à regarder ce film qui se moque, pas si gentiment que cela, des Japonais : il semble que la passion ne puisse naître, dans cet hôtel, qu’entre deux Américains, parce que les Japonais sont minuscules et ridicules. Jamais la morgue ou l’ignorance culturelle des Américains ne fait l’objet d’une semblable satire. Que la critique française se soit montrée, dans mon souvenir, aussi unanime sur ce film aux relents xénophobes montre bien que l’antiracisme est, en notre pays, bien sélectif : tout film qui se livrerait à de semblables clichés sur les Israéliens, les nord-africains, voire, plus généralement, les Juifs ou les musulmans, serait descendu à boulets rouges. Être mesquin ou ignorant vis-à-vis des Japonais, voyons, ce n’est pas du racisme, me dira-t-on… Il y a quelques années, le succès du roman d’Amélie Nothomb, Stupeur et tremblement, avait manifesté la même absence de gêne des critiques et des lecteurs vis-à-vis de ce recueil ambulant de clichés et de lourdeurs xénophobes. Vous me direz peut-être que le vrai crime d’Amélie Nothomb, c’est d’écrire comme un pied gangréné, et là, je vous donne raison.

Pour en revenir aux deux petits films, je ne pourrais clore cette note ô combien lacunaire et subjective sans dire que, par un autre hasard tout aussi frappant, j’avais en tête, pendant ces journées, la chanson de Moby, We’re all made of stars. Il se trouve que, par ses paroles mais aussi son esthétique, cette chanson ferait, pour ces deux films, une illustration sonore très pertinente. C’est peut-être, les cimentant ensemble, cette chanson qui relèvera, dans mon souvenir, ces deux œuvres, si décevantes par ailleurs. In the mood for love et Lost in translation sont des films sur le désir amoureux – or, sans triangulation, pas de désir !

Ajout du 6 janvier : après discussion avec Arbor, je tiens à rapporter son interprétation, qui souligne combien les clichés ethnocentristes émanent surtout du personnage principal, désorienté et presque incapable de faire un pas vers les autres, lui-même cliché ambulant de l'Américain buveur de whisky. Il me semble toutefois que les clichés évidents liés à l'identité américaine font l'objet d'une distanciation ironique de la part de la cinéaste, notamment dans les scènes de filmage ou de photographie des publicités pour le whisky, justement. En revanche, les Japonais restent des étrangers sans profondeur, massés en vrac, indistincts, sans individuation. Il est possible de voir, comme Arbor, cette indistinction comme le fait du personnage principal, incarné par Bill Murray - mais je me demande si ce n'est pas là un moyen assez commode de "sauver" le film en lui refusant par principe tout dérapage idéologique. Enfin, peu importe... je ne suis pas pour qu'on relance la chasse aux sorcières, même contre les xénophobes.

(Arbor, tu as le droit de formuler ton interprétation mieux que je ne l'ai ici résumée et trahie, certainement.)

11:35 Publié dans Tographe | Lien permanent | Commentaires (4)

Valentin Conrart, deuxième

Délirant, il y a quelques jours, sur le nom fascinant du brave Valentin Conrart, j'étais loin de penser qu'il me serait impossible de trouver, sur la Toile, des textes de cet écrivain  - certes méconnu -  du XVIIème siècle. En revanche, on trouve aisément plusieurs liens vers la biographie critique et historique de Nicolas Schapira.

10:45 Publié dans Ex abrupto | Lien permanent | Commentaires (1)

Deux sourcillements

Deux motifs d'étonnement aujourd'hui : l'inepte Driout qui réécrit un sonnet de Mallarmé, Salut, parce qu'il n'a pas compris (entre autres) l'image finale ; et Google, qui apparaît en braille. Ce doit être la journée mondiale des aveugles.

Pour Driout, c'est dommage : pour la première fois de sa petite existence de minable, il avait écrit un paragraphe entier qui était assez bien vu (celui qui commence par "Jean d'Ormesson est un anti-anti-sémite"). Bien sûr, le paragraphe en question est, comme d'ordinaire, truffé de fautes de français et de fautes de style, mais la verve satirique y est assez convenablement dosée. Tout cela pour retomber, aussitôt après, dans la mégalomanie prétentieuse de bac à sable... quelle pitié !

Réveillon apollinien, et après... ?

La nuit du Réveillon, je l'ai passée dans des débuts d'insomnie, avec pour compagnie le tome I des Œuvres en prose de Guillaume Apollinaire, relisant certaines pages  - qui m'ont paru toujours aussi fortes -  de L'Enchanteur pourrissant, lisant  - pour la première fois -  le décevant et si vieilli Poète assassiné, lisant plusieurs contes (intéressants) de L'Hérésiarque & Cie, parcourant deux des Trois Don Juan que je n'avais pas lus, et qui ne sont rien d'autre qu'une pochade compilée... d'où il ressort que, malgré les efforts rhétoriques des spécialistes, et de l'auteur de l'édition en Pléiade, Apollinaire était, dans l'ensemble, un assez piètre prosateur, comme il est, d'ailleurs, des pages manquées dans ses poèmes.

La nuit qui vient de s'écouler, étouffant d'un mal de gorge renouvelé, et hanté par des musiques, des visions, des souvenirs, je l'ai passée sur le canapé, ne pouvant m'endormir, lisant certains des textes épars rassemblés par Caio Fernando Abreu dans ses Brebis galeuses (traduites posthumément aux éditions Corti). Etrange écrivain, que je ne connaissais pas. Parfois, je me demande si ses bizarreries sont liées à la traduction, ou à de réelles idiosyncrasies de style.

(La traductrice est Claire Cayron, dont il a déjà été question sur ce carnétoile, au cours d'un échange avec Alina. D'ailleurs, l'éditeur mentionne en début d'ouvrage la liste des "traductions de Claire Cayron", mais nullement les autres œuvres d'Abreu, ce qui me semble aller un peu loin, tout de même, dans la préférence accordée au traducteur. Le plus amusant est que l'on comprend fort vite, par les notes de bas de page, que de nombreux textes et romans d'Abreu sont traduits chez d'autres éditeurs ; c'est d'autant plus amusant que c'est la traductrice qui est l'auteur des notes, d'où le soupçon qui se porte alors sur l'éditeur, qui ne semble pas vouloir faire de publicité pour ses concurrents. Rien de commun, indeed...!)

Il y a, dans l'un des premiers textes, la merveilleuse image de la grand-mère tricotant un chandail qui finit par recouvrir le sol de la maison. Dans le fragment intitulé "Introduction à Passo de Guanxuma", l'image qui sert de description originelle est celle des quatre points cardinaux qui servent à distinguer les quatre points d'entrée (ou de sortie) de cette ville imaginée par Abreu et qui, à ce que je comprends, sert de décor à plusieurs de ses romans. Les quatre points cardinaux sont représentés par les quatre pattes d'une araignée fabuleuse : là encore, l'erreur entomologique, grossière, est-elle délibérée ou non ? J'en suis réduit à supposer que oui.

Halcomanie, 1

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Hervé Guibert écrit, dans L'Image fantôme, quelque chose comme [je promets de retrouver la citation exacte] :
"Ce que je préfère, ce sont les photos ratées, mal cadrées ou prises par des enfants, etc."
Et ça m'arrange...

mardi, 03 janvier 2006

Paysage et autoportrait

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... que je reste de glace ...

 

 

 

 

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... aucun monde ne te remplace ...

lundi, 02 janvier 2006

L’essoufflante soif de ces poèmes

31 d.

Qui es-tu, Valentin Conrart ?

Dans la noire encyclopédie, aux pages de crème et d’argent, ta face noble se cristallise. Tu fus, au dix-septième siècle, l’auteur d’Epîtres et de Psaumes, que je meurs de lire, et le premier secrétaire perpétuel de l’Académie française, semble-t-il.

…………

 

Le cobalt déteint sur la bure.

Le blason de Chinon est de brèches, ornées de trois castels à trois donjons d’or, accompagnés de trois fleurons de même messe agencés.

La Marelle de Cortazar n’est pas le labyrinthe de Touraine.

Apollinaire, Don Juan des Flandres

Le pied fleuri de Daphné suit la trace des premiers émois. Ce petit roman n’est pas un roman. Ce libertin ne se repentit pas. Cet autre, là, n’agit pas à rebours. Ces fleurs ne pourrissent pas, car la famille ronfle ses prières.

…………

Et ce volume de la Pléiade était le seul, avec son compagnon le tome II des proses, à être resté dans la maison de mes parents.

D’un visage d’Arnold Schönberg [sonnet décomposé]

31 décembre, cinq heures du soir, après un appel déchirant.


Ce visage
Couronné comme de nuages
Me fixe d’orbites lunaires

Où s’extasie communément
La folie rouge,

Ce carnage
De la peau brunie, décharnée
Par l’implacable calenture.

Le serpent des yeux
– Stries sans fin
Puits sans fond –
Berce la brume près du mur ;

Et la fumée s’envole
De la moustache du cadavre.

Bonnes résolutions

31 décembre. 10 h 45.

Comme nous avons composé hier soir, dans le salon, après avoir fini de regarder In the mood for love, une liste pour que C. n’oublie rien des différents objets, cadeaux, vêtements oubliés à Hagetmau et qu’elle est allé chercher aujourd’hui, je pourrais amorcer dès ce dernier jour de 2005 une liste – même pas traditionnelle, car c’est un rituel auquel je ne sacrifie guère, d’ordinaire – de bonnes résolutions, sinon pour ma vie (qui est perdue, je crois bien), du moins pour ce carnet de toile qui navigue gentiment – même avec les journées de reflux, de maigreur ou de vacance qu’il vient de connaître – vers ses sept mois d’existence. Je pense que cette note, comme la précédente écrite, ne sera publiée que dans deux jours, une fois de retour à Tours, ce qui ne rend pas si intempestive que cela la rédaction d’une telle liste.

................

Il fau(drai)t donc que :

1) je reprenne les chroniques de disques, car c’est un exercice salutaire, difficile ; d’autre part, quand je parle de musique, j’obtiens plus de retour par les commentaires que pour n’importe laquelle de mes autres rubriques (hormis, peut-être, les fameusement infâmes autoportraits)

2) je me relance dans la réflexion amorcée l’été dernier autour de la question Qu’est-ce qu’un beau vers ?

3) j’écrive de brefs textes sur les sites ligériens qui me tiennent à cœur

4) je recense, au moins une fois par semaine, un des livres qui m’ont influencé au cours de ces (cinq à dix à quinze) dernières années, en particulier dans la perspective d’un prosélytisme africaniste dont je me suis, à ce jour, gardé

5) la série des Célébrations improbables prenne un nouveau tournant, un tant soit peu plus infernal, et où s’abolisse le sens, même calendaire

De rerum iustitia

31 décembre 2005



Narcisse tue son chien de son safran bâtard.
A peine a-t-il tenté de fuir qu’un sot fêtard,
Enivré, aux propos décousus, le taraude
Et, lui barrant le passage, désobéit
A ses cris. Tous deux luttent devant l’abbaye
Jusqu’à alerter un vieux gendarme en maraude.

Le cadavre du chien, dans la mare aux têtards,
Flotte suavement. On entend des pétards
Echappés d’un sonnet, de quelque bizarre ode,
Ou d’un poème bruitiste. « Dans mon pays,
Pense Narcisse, un œil est, comme à Pompéi,
Un miroir taciturne aux extases faraudes. »

Mutisme ! dérision ! enfer dans les ordures !
Les jardins aux parfums subtils, et aux bordures
Soignées, de ce Satan subissent la morsure.
Narcisse a dévasté les visages nombreux
Du fêtard, du gendarme,
                                   et l’hydre des miroirs,
Où cent mille rictus déplaisants et scabreux
S’échappent de ses dents comme de cent tiroirs.
Le chien mort refleurit au milieu des mouroirs,
Loin des fiers aquilons et des veufs ténébreux.

Ces rivages

31 décembre, dans l'après-midi.

 

Je n’écris rien de ces rivages, où nous avons connu l’atrocité et l’angoisse. Les sillons profonds, peu fiables, où l’on se tord le pied, qu’ont creusé des années de calamités – ce sont des prismes trompeurs.

[…]

Dans la nuit de décembre à janvier, seule dans son lit d’enfance, le froid peut-être s’empare de son cœur noué et de ses souvenirs. Mon cœur chavire, et je respire près de toi.

11:45 Publié dans Ex abrupto | Lien permanent | Commentaires (0)

Ton ombre sur mon front

30 décembre.

 

Ton ombre sur mon front

 

La rondeur de la lune

Eclaire les folies d’autrefois

 

Aux mûrissements nombreux et nourris des saisons

La peur s’arque

boute hors du territoire

un espoir de paix dénudé

Aluni parmi les cyprès

Appréciée de la nue éparse
Ton ombre sur mon front

Eden, dernière

31 décembre. 10 h 30.

C’est le dernier jour de l’année. Bruit fou de l’aspirateur, serpent de bois désarticulé qui chasse les trains miniatures. Un globe illuminé mutile les yeux de l’histoire. Aveuglé, je contemple les saisons qui passent, avec le camion-citerne en panne sur la route enneigée, verglacée. Rumeur du monde et des saisons, mousse des frimas oubliés. Que signifie la fin d’une année, hormis la pure convention, et le glacis vénérable des souvenirs amassés près de Pau, à l’aéroport ? Et le nombre 31, premier et synonyme, dernièrement, de l’âge qui s’avance, sans compter les syllabes du tanka, la forme noble et hiératique du gabay, le sonnet en son extension tertiaire, comment se fier à lui, si ce n’est pour célébrer le premier janvier, ou tout premier du mois qui se présente, comme à cette invraisemblable comédie du temps cosmétique, décoratif, empesé, empressé, qui file vers la mort avec l’amas des adjectifs, égrenés sur la pelouse avec leurs signes de ponctuation, leurs accents, leurs indécentes farandoles – une pelouse qui gèle, avec ses mots ossifiés qui marinent dans l’intervalle, à la folie du nombre ?

En écoute : « Why does my heart feel so bad? » (Moby. Play. 1999)

dimanche, 01 janvier 2006

Il y a 210 ans...

... mourait Alexandre-Théophile Vandermonde.

samedi, 31 décembre 2005

Il y a 209 ans...

Alvise Pisani fut nommé Sage du Conseil le 31 décembre 1796.

vendredi, 30 décembre 2005

Autoportrait en hommage à Bacon et Munch (rien que ça)

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Guillaume Cingal, rejouant la dernière scène de Lost Highway ?

dimanche, 25 décembre 2005

Découragement, cynisme, béatitude

“I abhor poems. I read them and teach them and abhor them. I even write some. I teach them to students (of course not my own bits of offal, for God’s sake) and squeeze what I can out of them, make them laconic when they are verbose and posturing, wise and prophetic where they are clumsily speculative. They say nothing so elaborately, they reveal nothing, they lead to nothing. Worse than wall-paper or a notice outside the departmental secretary’s office. Give me a lucid bit of prose any day.” (Abdulrazak Gurnah. By the Sea. Bloomsbury, 2001, p. 74)

..........

Le feu brûle dans l’âtre, mais aujourd’hui, la brume persistant, la chaleur ne se répand pas comme une traînée de poudre. Depuis trois jours, le salon achevait sa course à 22°2 précisément, au moment du coucher du soleil, entre cinq et six, puis se maintenait à cette température avant de sombrer légèrement, de faire résonner à nos oreilles la cendre duveteuse des bûches consumées. Je sourcille, les mots mûrissent. Pour que toute la maisonnée s’embaume d’une chaleur si douce au toucher, il faut bien qu’il fasse un peu trop chaud près de l’âtre. Ce sont les plaisirs délicats des jours difficiles qui passent. La braise rougeoie sombrement, comme l’habit radieux de l’Arétin dans le célèbre portrait du Titien. J’écarquille les yeux, avec circonspection.

(C'était jeudi matin, vers neuf heures.)

samedi, 24 décembre 2005

Pluie jaune

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« Le temps est une pluie patiente et jaune qui éteint doucement les feux les plus violents. Mais il est des brasiers qui brûlent sous la terre, des crevasses de la mémoire si sèches et profondes que jusqu’au déluge de la mort ne suffirait pas, quelquefois, à les faire disparaître. On essaie de s’habituer à vivre avec ces plaies, on amasse silence et rouille sur le souvenir et quand on croit qu’on a tout oublié, il suffit d’une simple lettre, d’une photographie, pour faire éclater en mille fragments la dalle de glace de l’oubli. » (Julio Llamazares. La pluie jaune. Traduit par Michèle Planel. Verdier, 1990, p. 54)

 

Autour des lauzes

L’arbre usé zigzaguait, élancé, seul ; dans le vent, la bourrasque, autour de nos pierres tombales, seul un murmure se détend ; les mots zèbrent l’espace, tels des coups de fouet.

Menu fretin : l’aquarium a sa raison d’être.

Nous dansions, aimables, frénétiques, rougeauds et ivres de bon vin, faciles entre nous, au pas gracieux et mesuré, nous dansions de tous nos sourires.

C’était un rêve : ne l’éveillez pas.

Danse des asphodèles – où que nous nous trouvions leur chair verte et vénéneuse, leur suc adorable et nimbé de ces coutures d’autrefois. Le dé en est jeté, à la face du monde.

Sur ton ardoise, enfin, le tic-tac de l’horloge.

vendredi, 23 décembre 2005

Un colchique s’unit à ma voix

Jeudi 22 décembre, 13 h 30.

 

Il y a quelques jours, écoutant la radio, j’ai appris que le mot colchique était masculin. Mon fils, quelques jours auparavant encore, m’avait appris les derniers vers de la chanson Colchiques dans les prés, qu’il venait d’apprendre, au début du mois de décembre, assez intempestivement donc :

Et ce chant dans mon cœur

Appelle le bonheur

 

Colchique, donc, est masculin. Mais la Colchide, elle, à l’inverse du faisan qui en est originaire, nous sert-elle encore à nous guider, entre Hagetmau et Uzein ? Le brouillard, épais comme du coton, avant la nuit noire de poix, il faudra le fendre avec la voiture de M.-J., que nous allons raccompagner, avec sa fille, à l’aéroport de Pau-Pyrénées. La brume, ce matin, ne s’est pas levée ; le givre n’a pas quitté les branches des chênes ; le gel est resté accroché aux branches mortes du saule. « Il nous faut de l’abstrait et du métaphysique. »  C’est masculin, vraiment, colchique ?

 

……… ... ... ...

Autrement dit, à bas débit, tu n’as rien d’aryen. Tu as froncé, Français, tes sourcils bruns. L’Anglaise est en glaise et le manteau du Belge, beige. A quoi bon poursuivre, si colchique est du masculin ?

Cela m’alerte. Ou, allègrement, je me souviens d’un déjeuner, un jour froid, au Petit Mesclun, place de Châteauneuf ; ce restaurant, dont plusieurs collègues ou amis m’avaient vanté les mérites, nous nous y retrouvâmes, avec C., un jeudi dirais-je, puisque je me rendais ensuite à l’une des séances de l’atelier de traduction d’André Markowicz, rue Rapin. Le plat principal, ce furent des ribbetjes. Le dessert, qu’en sais-je ? Déjeuner honnête, sans plus. Patron visiblement alcoolique, et patronne singulièrement cordiale (cordialement singulière). Ce jour-là, encore, j’ignorais que colchique était de genre masculin. (C. aussi.) Quelle mesclagne, mes aïeux ! (J’en frémis de maints trémolos… Circonflexes d’avant, servez-moi de rempart !)

 

………

On n’en dit jamais trop, paraît-il, dans ces villages des vallées où les paysans abandonnés, solitaires, prétendument taiseux mais en fait bavards comme des pies, regardent fondre les caractères poisseux du journal régional. Passent les bondrées, la tristesse s’installe. Passent les pouillots, ravalons nos larmes.

Laurent Tailhade (j’ai déjà déclaré ma préférence pour Stuart Merrill) écrivait, dans Les noces de Messidor : « les sveltes colchiques déroulent frileusement leurs pétales de gaze mauve ». Le choix de l’adjectif invariable, hein Laurent, n’est-ce point commode ?

Colette (n’ai-je point dit qu’elle ne m’était rien, près de Virginia ou Nathalie ?), dans un texte complètement inconnu de moi, L’étoile Vesper, qualifie « le colchique d’automne » de « vénéneuse veilleuse ». Dans un livre qui semble tirer son nom de l’étoile du berger, Venus, cette allusion au venin n’est-elle point délibérée ?

Le grand Robert vert en six tomes (dont j’ai déjà dû dire tout le bien que j’en pensais, dans une note d’août ou de juillet) signale certains noms populaires ou alternatifs du colchique : flamme nue, narcisse d’automne, safran bâtard, tue-chien, veilleuse, veillotte. Colette s’est donc contentée de réemployer un nom régional ou plus ancien et de lui adjoindre une allitération. Ces noms – loin de la chanson populaire et si jolie que mon fils a rappelé à mon souvenir – appellent aussi le souvenir de l’une des plus énigmatiques de Gérard Manset :

On dit que Jeanne est revenue

Lancer au ciel sa flamme nue

 

Je pourrais improviser un monostiche tout aussi énigmatique :

Narcisse tue son chien de son safran bâtard.

 

Resterait alors à écrire, partant de ce seul vers, le poème, qui répandrait sans doute ses venins, repeindrait les champs estivaux de ses vers vertigineux, répondrait peut-être enfin à la question : pourquoi colchique est-il de genre masculin ?

Images de la folie et du monde fœtal

“His relatives took everything even before he was born, shared it all out between them while he was still contentedly rocking in his amnesiac broth, wrapped tight in his amniotic caul. He was born after his father’s death, an orphan, and his male relatives took what there was and shared it between them while he was still pending, leaving nothing for him. Not even a length of cloth for a shroud, as older people used to say.” (Abdulrazak Gurnah. By the Sea. Bloomsbury, 2001, p. 178)

 ...

« longue nuit où pour la première fois la folie déposa ses larves jaunes dans mon âme » (Julio Llamazares. La pluie jaune. Traduit par Michèle Planel. Verdier, 1990, p. 50)

jeudi, 22 décembre 2005

Je rev(o)is

« Comme une rivière barrée, tout à coup le cours de ma vie s’était arrêté et, maintenant, devant moi, seuls s’étendaient l’immense paysage désolé de la mort, l’automne infini où habitent les hommes et les arbres qui n’ont plus de sang, la pluie jaune de l’oubli. » (Julio Llamazares. La pluie jaune. Traduit par Michèle Planel. Verdier, 1990, p. 43)

………

Je revois, au ruisseau qui coulait, l’hiver, près de notre maison, ce grillage qui séparait le bois de l’enclos à moutons des voisins – et où, depuis belle lurette, il n’y a plus de moutons. Le grillage retenait les brindilles, les petites branches, les feuilles fanées et mortes de l’automne, de sorte que l’amas finissait par former un véritable barrage, juste avant le pont, masse informe et ligneuse que nous dégagions régulièrement  – à la pelle ou à la main –  pour permettre aux eaux du ruisselet de suivre leur cours. De l’automne au printemps, j’adorais marcher dans ce ruisseau, large d’un mètre tout au plus et jamais profond de plus d’un demi-mètre, remontant délicieusement son cours du grillage posé par les voisins jusqu’à la fontaine de pierre, où il surgissait de sous la terre.

Sur la carte I.G.N. la plus détaillée, il apparaît en pointillés bleus, ce qui signifie que c’est un « cours d’eau intermittent ». A la limite de la propriété de mes parents, il cesse d’être souterrain, pour aller se jeter, à quelques kilomètres de là, dans le Bassecq.

Je le revois, je revois le menu barrage de brindilles, je me revois en bottes, marchant dans le lit du ruisseau. J’en suis loin, de tout cela, pourtant.

Lourdes

Tu ne disais pas la moitié
de ce que fronçaient tes sourcils
Ton monde se dépliait
infiniment comme les vents que l’on voit
venir le soir sur les collines

Tu ne chantais pas la moitié
du temps à la cime des arbres
Et si le monde dévoilait
lentement ses ondes sonores
à la gambade des autans, tu te levais
et chantais pour le faire éclore

Tu ris
tungstène décoloré
aimable brasero
de mes songeries creuses

Dit de mémoire

« Nous croyons parfois avoir tout oublié, que la rouille et la poussière des ans ont désormais complètement détruit ce que nous avons un jour confié à leur voracité. Mais il suffit d’un son, d’une odeur, d’un contact furtif et inopiné pour que soudain, les alluvions du temps tombent sur nous sans compassion et que la mémoire s’illumine avec la brillance et la fureur de l’éclair. » (Julio Llamazares. La pluie jaune. Traduit par Michèle Planel. Verdier, 1990, p. 33)

 ...


 

“I want to look forward, but I always find myself looking back, poking about in times so long ago and so diminished by other events since then, tyrant events which loom large over me and dictate every ordinary action. Yet when I look back, I find some objects still gleam with a bright malevolence and every memory draws blood. It’s a dour place, the land of memory, a dim gutted warehouse with rotting planks and rusted ladders where you sometimes spend time rifling through abandoned goods.” (Abdulrazak Gurnah. By the Sea. Bloomsbury, 2001, p. 86)

mercredi, 21 décembre 2005

Le calendrier n’a pas disparu

Le calendrier n’a pas disparu ; Simon, tu exagères.
Le temps, non plus, ne s’est pas évanoui. Le temps de l’écriture a pris la peine d’une pause bienvenue. Pourtant, ce n’est pas le travail qui manque, et sans doute aussi m’étais-je meurtri à continuer d’écrire – c’est-à-dire, plutôt, à continuer de jeter des fragments imparfaits, dans l’épuisement et la nonchalance.
Le temps n’a pas disparu. Un soleil radieux règne dans ces contrées, avec de froides nuits et de belles journées. Le repos – de trimer en ramassant les feuilles ! Des monceaux de copies aussi m’attendent, chaudement assemblées dans les soufflets de mon cartable. Je préfère entretenir les bûches sifflantes d’un âtre bienveillant.
Derrière une baie baignée de soleil, le dos presque calciné – comme lorsque nous recevions hier soir des amis de mon beau-père, et que j’étais dos à la cheminée crépitante –, j’écris, ayant décidé de ne pas laisser passer, tout de même, ce premier jour (officiel) d’hiver, et, dans tous les cas, le solstice.
………
La plume vaut-elle le balai à gazon ?
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Il règne un vague-à-l’âme difficile ; seuls les pinsons du Nord peuvent me comprendre, eux qui piétinent les graines de tournesol, entre les soubresauts des mésanges bleues et les piaillements frénétiques des charbonnières. Pas de verdiers cette saison, mais un gros-bec nous fait, de temps à autre, l’honneur de sa présence. Il faut écrire comment le temps passe, au moins sous ses aspects les plus agréables.
J’ai embarqué à bord d’un navire, la nef des fous où se complaisent les souvenirs. L’âme suit ici, depuis dimanche, un cheminement douloureux. J’ai relu By the Sea, qui, dans le prolongement d’Amriika, a déroulé ses enrubannades et fleuri ses feux d’artifice. La pluie jaune, maintenant, correspond mieux à mon état d’esprit, et à mes journées. Quand la bûche siffle, il faut laisser se figer la souffrance. Ainsi, elle est plus douce. On ne dort jamais deux fois dans les mêmes bras.
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L’encre des vaisseaux vaut-elle le sang des valves de mémoire ?
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Je vous parle de ma mémoire, mais les souvenirs des uns et des autres ne crépitent jamais de la même façon. C’est ce que, jadis, j’aurais voulu nommer la mêmoire ; c’est là une écriture dont je n’ai jamais pris le temps.
Pourtant, indubitablement, le calendrier n’a pas disparu.