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jeudi, 29 septembre 2011

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Au cours de l'été 1991, entre une année de Terminale étincelante et une année d'hypokhâgne qui allait être l'une des plus stimulantes, entre autres intellectuellement, de ma vie, j'écoutais presque chaque jour, et souvent plusieurs fois par jour, à Cagnotte, l'album de Gérard Manset qui date de 1974 et dont ma soeur venait de me "repiquer" un enregistrement sur cassette audio. Je découvrais l'album, un peu plus d'un an après que mon ami Christoph m'eut fait découvrir Manset.

Cet été-là, plus que les albums Lumières et Prisonnier de l'inutile (dont le souvenir est lié, pour moi, aux journées hivernales de mon année de Terminale), c'était donc l'album de 1974. La cassette audio est foutue depuis longtemps, et, selon la stratégie habituelle de Manset, la version remastérisée en CD ne contient pas toutes les chansons d'origine. Même dans les best-of ou coffrets, certaines n'ont toujours pas reparu, condamnées à l'instar de toutes celles du premier album, et du troisième album. Entre autres, Un homme étrange, que j'avais dans la tête presque en permanence cet été-là — et dont je juge encore aujourd'hui que c'est une composition d'une très grande subtilité, qui tient à merveille l'équilibre entre chanson populaire, texte insolite et arrangements ambigus — semble avoir été voué aux oubliettes. Il m'arrive régulièrement de chercher, sur youTube ou autres sites, telle ou telle de ses chansons. Comme l'éditeur de Manset et Manset lui-même sont très vigilants, on ne trouvait, jusqu'à naguère, aucune de ces chansons condamnées (ni les autres d'ailleurs). Or, il semble que le blocus soit levé, ou qu'EMI soit moins vigilant ces temps-ci, puisqu'il y en désormais toute une fournée sur youTube.

Pour plus de sûreté, et dans l'hypothèse d'une prochaine razzia EMI d'autant plus idiote que des vingtaines de chansons ne sont disponibles que par de vieux vinyles, je viens de télécharger Un homme étrange. Outre l'été 1991, la semaine en solitaire à Madrid, ou d'autres moments plus furtifs (fugitifs ?) venus plus tard (ou dont mon souvenir s'accorde à les fixer un peu plus tard dans la chronologie), cette chanson me rappelle combien ma soeur aimait à se moquer des rimes de Manset (dans cette chanson-ci : "fait comme une branche de céleri / mais gare à celle qui rit"), et, sans doute, par ce biais, de moi, de mon goût pour Manset. Cet été-là, aussi, en écoutant Manset, j'ai écrit des brassées de poèmes, à l'Olivetti sur du papier pelure, feuilles qu'ensuite je reliais, minces recueils de douze ou quinze poèmes que je me rappelle partiellement et imparfaitement, mais que je ne renierais aucunement.

 

(Le vrai punctum, le point absent, la ligne de mine de ce texte, c'est Christoph.)

jeudi, 22 septembre 2011

Matière et mêmoire

Rougequeue noir. Châteaux de Lastours (Aude), 17 juillet 2011. Parfois, la photographie, comme l’écriture, se contente de consister.

Parfois, la photographie, comme l’écriture, se contente de consister en un croisement de coïncidences — un rappel vif, aigu, de l’épaisseur du temps.

Parfois, la photographie, comme l’écriture, se contente de constituer, par des rapprochements, cette forme de mémoire que, depuis quelques années, je m’échine à tenter de cerner et que j’ai nommée mêmoire.

Le Rougequeue noir prisonnier, château d'Oiron, 23 mai 2010. III Parfois, la photographie consiste à saisir sur le vif, posé sur un rocher, un rouge-queue noir, puis, en retrouvant l’image (la phrase, dans le cas de l’écriture), à faire immédiatement un lien avec une autre image, pas si ancienne — très précaire ou malhabile celle-là, mais il n’y avait pas le choix : l’oiseau voletait nerveusement, la vitre était sale, le contrejour difficile à éviter. Pourtant, le rapprochement de ces deux images devient essentiel, substantiel, consistantiel. Le lien donne matière à. (Il lie : transitivité indirecte.) Le lien donne matière. (Il s’avère pour lui-même : intransitivité.)

Parfois, la photographie, comme l’écriture, se contente de consister.

jeudi, 01 septembre 2011

Rectificatifs (= c'est l'écriture)

J'ai passé un moment assis dehors, sur la terrasse, à profiter d'une des dernières soirées, peut-être, de lecture vespérale, entre les 244 étourneaux perchés sur l'immense grue Potain du chantier voisin, la tourterelle sur l'antenne télé et la pie (qui se trouvait, ce soir, dans la gouttière des Huppenoire), et à aller d'un livre à l'autre -- le livre à couverture parme (Max Aub) et le livre à couverture orange (Elsa Morante) -- tout en essayant de rendre hommage, par la pensée, à la chaise défoncée sur laquelle j'étais assis et qui achève de rendre l'âme sous mes fesses : cette chaise, que, comme ses trois congénères, nous avons achetée (très d'occasion, à la Trocante) lors de notre installation dans l'appartement de la rue du 51ème R.I., à Beauvais, pourrait témoigner, avant d'aller à la benne à laquelle je finirai bien par la condamner, de bien des moments de notre vie au cours des quatorze dernières années. Cela mérite sûrement, pour ouvrir le mois de septembre, une double citation.

Il lui semblait voir Venise, comme une mer tranquille, sur laquelle d'énormes anges de marbre marchaient sans toucher l'eau, les pieds nus, avec de longues robes tombantes. *

Ils rectifient. Ils ont des visions. **

 

Tous les anges, dans leurs robes (étourneaux criards, pies volages), ont des visions, et nous, nous rectifions.

 

 

* Elsa Morante. "Le voyage", traduction de Sophie Royère - in Récits oubliés (Verdier, 2009, p. 136)

** Max Aub. Campo del Moro (1963). Traduction de Claude de Frayssinet. Les Fondeurs de brique, 2011, p. 26. [Il s'agit du tome 5 du Labyrinthe magique.]

lundi, 11 juillet 2011

Pierre, pitance, in-pace

C'était le même édifice en pierre noire ou grise baigné de la même lumière morte où l'on servait la même pitance intemporelle à des jeunes gens transférés de leurs humides oubliettes dans l'in-pace de l'internat.

(Pierre Bergounioux. Le premier mot. Gallimard, 2001, p. 30)

 

N'ayant pas été logé, pour mon hypokhâgne (ni d'ailleurs par la suite), à l'internat, et n'ayant pas non plus quitté l'âpreté de la Corrèze pour la morne Limoges, je n'ai, de mes années de classe préparatoire, que des souvenirs lumineux, éblouissants aussi de sérénité. J'étais sans doute plus décomplexé, et sans attentes, que P.B. Aussi: j'ai pu avoir des professeurs plus enthousiasmants que lui. Néanmoins, néanmoins… Se peut-il que les lieux comptent plus que tout pour donner le ton d'une année, ou pour infléchir ce que l'on comprend d'un cursus ?

samedi, 02 juillet 2011

Le Rouge et le bleu

Le Nietzsche peint par Munch de la collection Thiel n’est pas celui que j’avais cru, celui qui était reproduit sur la couverture d’Ecce homo dans la collection “10-18”, je crois bien. Celui d’ici est à dominante bleue, alors que l’autre est à dominante rouge – au moins dans mon souvenir. Et comme l’autre m’est plus familier, au moins en reproduction, celui-ci m’a un peu déçu, d’autant qu’il occupe le fond d’une grande pièce à lumière zénithale, un peu glauque comme on dit à tort, et qu’il faut le contempler entre de hautes palmes de salon d’hiver, un peu gênantes. (Renaud Camus, K. 310, journal 2000 – entrée du 27 mars 2000. P.O.L., 2003, p. 83)

 

Je croyais me souvenir d’un Nietzsche de Munch très rouge (pas Nietzsche, le tableau). Ce Nietzsche rouge doit être ailleurs, je ne sais où. Celui de Thiel a des dominantes bleues et brunes, un peu éteintes. Il m’a légèrement déçu. Je serais curieux de voir ce que j’en disais en 2000. La collection des Munch de M. Thiel est néanmoins très impressionnante. (Parti pris, journal 2010 – entrée du 2 août 2010. Fayard, 2011, p. 314)

 

Même persistance d’une grande acuité dans le doute (« je crois bien », « je ne sais où »).

Même incertitude sur la source de première vue (la couverture de l’édition de poche d’Ecce homo aura servi d’écran premier).

Même relativisme de la déception (« un peu », « légèrement »).

Même point de départ : la croyance (« cru », « croyais »).

    è Ce que je nomme la (blême) mêmoire – avec son accent circonflexe.

 

Munch_Nietzsche.jpg  M0254.jpg  nietsche_3.jpg

(Sinon, pour ce qui est de l’existence de deux toiles (une rouge, une bleue), je me demande, après avoir consulté rapidement la Toile, s’il n’y a pas un seul tableau (celui de droite, ci-dessus, provient de la collection Thiel), mais que le maquettiste de l’édition de poche mentionnée par Renaud Camus aurait accommodée au moyen d’un filtrage rouge.)

mercredi, 06 avril 2011

Cinq hommages/images, au prieuré de Saint-Cosme

Prieuré de St Cosme, dimanche 27 mars 2011 - le dortoir. Prieuré de Saint-Cosme. La Riche, samedi 20 mars 2010. Eglise. Vers cinq heures et demie. Prieuré de Saint-Cosme, de nuit. Vendredi 20 mars 2009. Prieuré de Saint-Cosme. La Riche, samedi 20 mars 2010. Eglise et Logis du prieur. Vers quatre heures de l'après-midi. Printemps musical de Touraine, Prieuré Saint-Cosme, 16 mars 2008 : le logis du prieur (Logis Ronsard)

samedi, 05 février 2011

L'Arbre candélabre

Entre autres merveilleuses résolutions que je finirai bien par prendre (fût-ce bien après la saison des résolutions) et même par traduire en actions concrètes, 2011 (au moins en sa fin) devrait (et déjà je sens que la syntaxe de cette phrase qui en est à sa troisième (4ème) parenthèse ne sera pas seulement complexe, mais même carément solécistique (solécique ?)) me voir relancer des chantiers de traduction, et même de menus projets de recherche.

On ne se lasse jamais des rengaines du type qui voit le temps lui échapper, sur son clavier.

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Depuis hier soir, j'ai lu deux brefs romans de Sébastien Doubinsky. Il s'agit de tourner la page. I'm a great page turner, yet I'm not a book - who am I ? Tourner la page, et la saison des énigmes ne succède pas pour autant à celle des bonnes (ou merveilleuses) résolutions. Je me suis interrompu, afin d'écrire ce billet, dans la lecture du plus bref encore dernier texte paru de Sébastien Doubinsky, car le début du roman me met en mémoire trois choses :

  • le recueil fabuleux de Michael Ondaatje, et la communication pitoyable que je lui avais consacré en juin 2002 (2003 ?) lors d'un colloque de poésie à Paris-VII
  • les débuts de Début (Nathalie Quintane)
  • mon peu de souvenirs du Jutland, et plus généralement du Danemark (hormis livresque, peut-être) - j'ai visité le Danemark en famille à l'âge de treize ans

 

De fil en aiguille, je me pose plusieurs questions essentielles, cruciales, a matter of survival : que sont devenus Vic Moan et Fred de Fred ? Baule est-elle une commune plus attachante que La Baule ? quand penserai-je à remettre sur ma boîte à lettres une affichette interdisant le dépôt de prospectus ?

 

samedi, 11 décembre 2010

Rue du Bercail, 1

Cet écran est d'une saleté... (Ces douleurs intercostales ne sont pas cardiaques.) Du haut de la tour où se trouve la B.U., on voit les nuées brumeuses (smog ?), avec, tout juste à l'est, une longue strie orangée. Il crâne avec les captures d'écran.

BERCAIL = IL-CRABE => CANCER (le C de CRÂNE, le M des MERES)

Tant de textes, si peu de temps. Tant de mois de stérilité. Et devant soi ? La vie ? (Ces douleurs intercostales ne sont pas cardiaques.) Reste à creuser, toujours, la question des ornières : il me semble qu'adolescent déjà je souhaitais écrire un roman dont le titre serait Ornières (ou y avait-il le mot "ornières" dans le titre ?).

Ce qui suggère => Santiago A. Un adulte mutique.

mercredi, 01 décembre 2010

Fidélité aux goûts d’enfance, bis

 

« Plus de choses à dire en matière de musique. »

En effet.

 

Vers l’âge de vingt-trois ou vingt-quatre ans, j’ai eu la curiosité – à l’époque où je faisais des razzias chez Gibert – d’acheter en CD le premier disque des Talking Heads, qui faisait partie de mes cassettes favorites vers l’âge de neuf ou dix ans (avec, pour m’en tenir à la pop de langue anglaise, Sparks et Manhattan Transfer*). J’avais été surpris de trouver aussi bon et aussi original ce disque, après quinze ans et de nombreuses découvertes dans cette zone (Bo Diddley, Zappa, les Yardbirds, les Clash)**. Bien sûr, il est difficile de savoir ce qui relève de la nostalgie, du souvenir d’enfance, et ce qui tient le coup, malgré tout, résiste à un jugement plus « adulte » - j’allais écrire objectif, ce qui serait une belle ânerie.

Même chose récemment avec les Sparks (j’en ai déjà touché un mot), dont je viens d’acheter 5 albums ; cela ne m’étonne pas du tout que ce duo fraternel ait poursuivi sa carrière et écrit des chansons comme ‘How Do I Get to Carnegie Hall’ ? (2002) ou ‘Let the Monkey Drive’ (2008). Deux hypothèses : soit j’ai toujours des goûts aussi pourris qu’à huit ans, soit mes goûts ont évolué, mais des îlots de mes goûts d’enfance surnagent car j’avais eu quelques intuitions.

 

Le plus surprenant est que, en général, le temps a pour effet de me conduire à aimer des chanteurs ou des genres musicaux que je trouvais inaudibles quelques années auparavant. Ainsi de l’opéra : adolescent, j’aimais bien (ce qui veut dire que je n’aimais pas, mais pouvais écouter) la musique symphonique, mais pas du tout l’opéra – mon goût a changé peu après mes vingt ans, par le truchement des Noces et de Don Giovanni, puis de Britten (Gloriana). Ainsi de Léo Ferré ou, plus récemment, de Claire Diterzi (dont le second album m’agace tout de même prodigieusement). Ainsi de la musique baroque, voire Renaissance, qu’Alpha, avec son goût très marqué, plus jeune, pour les châteaux du Moyen-Âge tardif et de la Renaissance et pour tout ce qui s’y rapportait, m’a fait entendre.

À ce stade de la réflexion, je ne sais pas si l’affection durable pour le premier album de Talking Heads (mais guère pour les suivants, d’ailleurs) relève de l’exception, ou d’une règle contradictoire dans un système complexe mêlant formation progressive du goût, mémoire, nostalgie, paradoxes internes.

 

 

* Il y a le cas particulier d’Ian Dury & the Blockheads. En effet, mes parents n’avaient que le 45-tours de ‘Hit Me With Your Rhythm Stick’. Quand j’ai acheté le CD correspondant à l’album Do It Yourself, j’ai découvert toutes les autres chansons, dont la plupart sont bien meilleures, et plus complexes, plus résistantes à de multiples écoutes que « Hit Me… », qui est rigolo et bien fait, sans plus.

** … et sans parler des découvertes musicales d’un autre ordre, dans le domaine du jazz (depuis l’âge de 19 ans, sous l’influence très marquée et heureuse de mon beau-père) ou de la musique-classique-comme-il-ne-faut-pas-dire (découvrir vraiment Bach et Alban Berg, ça vous change un homme).

 

 

mardi, 30 novembre 2010

Lectures d'enfance

(Ce billet promet d'être fort long. Or, il s'agira, je pense, d'un vaste copier-coller******. (Je ne sais jamais si, dans la forme substantive, il vaut mieux utiliser un infinitif ou un participe passé. Préoccupations d'un autre âge.))

 

À la faveur d'un test assez stupide que propose Facebook (Have you read more than 6 of these 100 books?), et que j'ai eu la faiblesse de copier-coller [là, au moins, on est sûr que c'est un infinitif, NDLR] dans mon profil, en ayant soin de mettre en gras les ouvrages que j'ai lus et en italiques ceux que j'ai commencés ou parcourus, je viens d'avoir une conversation très intéressante avec Madame de Véhesse :

GC - Ah ça, Tolkien et C.S. Lewis, faut avouer...

VS -  Guillaume, je ne sais pas ce que tu lisais enfant (si en fait, je sais, Char à douze ans, c'est ça?) mais j'ai toujours placé haut la fidélité à ce qu'on a aimé. Penses-en ce que tu veux, je reste persuadée qu'il y a un rapport étroit entre nos rapports à la littérature et ceux à l'enfance.

GC -  Valérie, tu te méprends. Je reste extraordinairement fidèle à Topaze, à La guerre des boutons (que je viens de reparcourir à la faveur de sa découverte par mon fils aîné), aux Trois Mousquetaires (mais pas à Monte Cristo, que, justement, je n'ai pas pu lire enfant et ai été incapable de lire adulte), ou à L'Île verte de Pierre Benoît.  (Quatre exemples seulement ; j'espère qu'ils achèveront de te convaincre que cette histoire de "Char à dix ans", pour être vraie, ne suffit pas à me résumer.) Ah si, il y a aussi tous les volumes Folio Junior d'anthologies : L'arbre en poésie, La liberté en poésie, etc., dans lesquels j'ai découvert Guillevic, un des grands poètes de ma "formation", entre 18 et 24 ans*******, disons -- et René Char, donc. 

 

J'aurais certainement pu ajouter Mon amie Flicka (et la suite de cette... quoi ? trilogie ?), mais, sur ce coup-là, je ne peux empêcher d'éprouver un peu de honte rétrospective*. Toutefois, à chacun des ouvrages que je viens de citer (Mon amie Flicka inclus), me remontent en mémoire, aux yeux, à l'esprit, les lieux où je les ai lus, les moments, les heures, le détail du grain des pages, la typographie peut-être, le titre de certains chapitres, ou certaines bribes de phrases. Oui, ce que nous lisons dans notre enfance nous structure.

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Or, je m'aperçois à l'instant (car j'ai passé une heure à recevoir deux étudiants puis une secrétaire entre le début de ce billet et maintenant [10 h 36]) que Madame de Véhesse m'a encore répondu :

VS - Guillaume, on ne va se (re)disputer. Char était une pique un peu en dessous de la ceinture, je le reconnais, mais qui voulait surtout souligner qu'on lit enfant en fonction de ce qu'on trouve autour de soi et de ce qu'on vous donne. C'est la différence entre visiter une forêt vierge avec un guide et la visiter tout seul: on met plus longtemps à s'orienter et à repérer les détails de la flore et la faune.

 Lewis : à 7 ans ; Tolkien : à 12, ce qui compte tenu de notre différence d'âge me l'a fait lire bien avant qu'il soit devenu ce qu'il est devenu en France (aux US, c'était le début des jeux de rôle et de donjons et dragons. Je suis très contente d'avoir vu ça naître, comme je suis heureuse d'avoir connu avant/après internet, avant/après les portables, etc.)

 Lewis et Tolkien : les deux prêtés par des amis.

 Tu avais plus ou moins des guides, pas moi. Très peu de livres à la maison, tout emprunté à l'instinct (et grâce aux extraits donnés en exemple dans mes livres de grammaire : je ne sais pas comment j'aurais fait aujourd'hui avec les exemples qu'ils donnent !)

 

 

Curieusement, je ne me rappelle pas du tout m'être disputé avec qui que ce soit (et donc pas non plus avec elle) au sujet de Tolkien. Par ailleurs, je ne crois pas que notre différence d'âge soit bien grande, car j'ai vu apparaître, moi aussi, les jeux de rôles (j'étais adolescent), Internet (à Normale Sup' puis dans la société at large) et les téléphones portables (je n'en possède toujours pas).

De plus, je crois que mon admirable interlocutrice surestime un peu mon entourage. Moi aussi, j'ai découvert bien des auteurs grâce aux manuels de grammaire (Nathalie Sarraute en 3ème, par exemple (mais il est vrai que ma mère lisait certes John Irving mais aussi Robbe-Grillet, ce qui me demeure une énigme)). Il y avait beaucoup de livres à la maison, et je voyais ma mère passer des heures à lire, à la plage ou en vacances, mais aussi parfois dans la vie quotidienne. (Mon père, pas du tout. Il était déjà à fond dans son trip associatif (dans l'écologie et la protection de la nature), qui ne le conduisait pas encore, comme aujourd'hui, à Bali, Bruxelles ou Athènes on a nearly monthly basis, mais déjà à Caupenne, Tartas, Puyol-Cazalet, et surtout fait qu'il n'a pas ouvert un livre (de littérature, disons) depuis 35 ans.)

Les lectures de mon entourage n'ont eu qu'une influence modérée sur moi, en fin de compte. Je veux dire : sur mes goûts d'à présent ; sur la longue sédimentation qui a fini par produire mon goût en matière de littérature à ce jour. Face à la lecture, on est finalement toujours seul**.

 

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* De lectures "purement" enfantines, comme les Jojo Lapin d'Enid Blyton, je n'ai absolument pas honte. Alpha n'a pas du tout lu ces livres de la bibliothèque rose à fleurs, mais je me suis surpris, quand ma mère, il y a trois ans, les a remontés d'une armoire du sous-sol pour les mettre dans mon ancienne chambre, à Cagnotte, à les relire, à rechercher tel ou tel passage, vérifier que c'était bien là, dans le premier "roman" jamais lu que j'avais été heurté ou dérouté par les mots pouah et gredin.

** Il y a aussi***, comme moment de cristallisation, mon opération pour une péritonite, à l'âge de quinze ans****, et mon séjour subséquent d'une semaine à l'hôpital puis de deux semaines à la maison, dans l'oisiveté, et, par conséquent, la lecture. Ma grand-mère maternelle m'avait apporté quelques livres, dont L'Eglise verte de Hervé Bazin, et mon camarade, Marc Foglia (qui n'était pas un camarade au sens strict, mais je ne peux entrer ici dans les détails), m'avait apporté La Montagne magique. J'ai été bouleversé par La Montagne magique, que j'ai lu en trois jours, je crois, tandis que je ne pouvais ni me nourrir ni même boire, mais j'ai aussi lu L'Eglise verte. C'est certainement la dernière fois que j'ai lu un livre en me laissant influencer par mon entourage familial*****.

*** Cette note à double astérisque, je l'ajoute après une nouvelle interruption. Je viens de recevoir, pendant une bonne demi-heure, deux étudiantes de l'I.U.T. de journalisme, dont Mlle Géraldine Cornet-Lavau, qui venaient m'interviewer sur la question des enseignements en visioconférence. Le "sujet" passera en janvier dans l'émission Matafac, sur TV Tours.

**** Quinze ans : d'après Renaud Camus, c'est l'âge auquel, en matière de culture, de capacité à se cultiver, tout est joué.

***** L'influence, en soi, n'a rien de péjoratif, n'est pas à proscrire. Je ne cesse d'être influencé. Mais la simple influence ne suffit pas à former le goût.

****** Finalement, la part du copier-coller n'est pas si grande. Et je suis loin d'avoir épuisé le sujet. Sur la question de la fidélité à ses goûts d'enfance, j'aurais, après réflexion, beaucoup plus à dire en matière de musique.

******* Une dernière anecdote : je n'ai jamais pu retrouver, dans aucun des recueils de Guillevic, le premier poème de lui que j'aie lu, grâce à ces anthologies, et que je connais par coeur :

Il se ferait pommier,

Lui, dans l'espace détendu.

 

Il aurait cette frondaison,

Ces pommes, la patience.

(&c.) 

dimanche, 28 novembre 2010

"Je parle à mon bonnet..."

Nous allons aujourd'hui à La Flèche (par une journée qui promet d'être froide et grise), et, fort opportunément (mais, me semble-t-il, par hasard) nous avons regardé hier soir, avec Alpha (qui appréhendait, je pense, d'être confronté à une pièce de Molière, pensant cela trop difficile pour lui (alors que je savais, pour avoir été exposé au répertoire classique dès l'âge de sept ou huit ans, qu'il mordrait d'emblée à l'hameçon)), la version filmée de la mise en scène de L'Avare par Catherine Hiégel avec Denis Podalydès. Alpha ne s'y est pas ennuyé un instant, est allé se coucher encore hilare et tout excité, répétant les répliques qui l'avaient le plus fait rire ("les beaux yeux de ma cassette ?") au point d'avoir du mal à s'endormir. Tout juste avons-nous eu besoin de deux ou trois "pauses", le temps de lui expliquer ce qu'était une entremetteuse et ce que celle-ci (Frosine) venait faire dans cette galère, ou la situation de quiproquo entre Cléante emprunteur et Harpagon prêteur à usure.

Du coup, je pense  -- le connaissant --  qu'Alpha va lire tout ce qui, de Molière, pourra lui tomber sous la dent, et être enthousiaste à la moindre proposition de regarder Le Malade imaginaire ou Tartuffe. Je suis allé lui dégotter Le Médecin malgré lui dans une vieille édition des Classiques Larousse, et L'Avare, bien sûr, dans l'exemplaire de ces mêmes Classiques Larousse qui appartenait à mon père et à partir duquel ma soeur et moi avions entrepris d'écrire, dans un cahier Héraklès, une version pas même modernisée... une réécriture, au plus, ou une réappropriation (je devais avoir huit ans, et elle douze).

Sur la mise en scène elle-même, pas grand chose à dire, ni à redire. Escalier bien mis à profit, Podalydès très drôle quoique parfois trop virevoltant (son interprétation du monologue me laisse partagé : admirable, en un sens, elle n'a de sens justement que pour quelqu'un qui connaît déjà bien la scène -- or, le méta-méta, s'il convient aux classiques, a tout de même tendance à m'ébouriffer, au théâtre), interprétation globalement bonne quoique penchant vers l'hystérique, et à l'exception d'une Elise dramatiquement mauvaise et dont, au moment de la distribution, au générique de fin, nous avons constaté qu'elle avait un nom maghrébin ; ses origines n'avaient pas pu nous frapper, tout d'abord parce qu'elle n'appartient pas visiblement aux minorités dites visibles, mais surtout parce qu'elle a très bien intégré un mode de jeu que l'on pourrait qualifier d'exécrable à la française.

Et, comme je lis depuis hier après-midi, le journal 2009 de Renaud Camus, Kråkmo, cela m'emmène dans des réflexions en spirale sur la culture, les générations, la discrimination positive etc. Est-il possible que cette actrice se soit retrouvée à la Comédie Française par un simple effet de discrimination, et malgré ses piètres dons (c'est un euphémisme) pour la comédie ? Si c'était le cas, voilà un exemple qui ferait bien du tort, à rebours, aux Roschdy Zem et Sami Bouajila, pour citer deux acteurs que je crois maghrébins, également, et qui sont absolument excellents (et n'ont sans doute pas eu besoin de discrimination positive pour en arriver là où ils en sont, juste d'avoir du talent et de le travailler (ce qui n'est pas rien)).

 

samedi, 27 novembre 2010

Dents, arceaux, percussions

Lena nYadbi, 2008.jpg   Ce mardi-là à Canberra, parcourant à pas comptés (et la tête échauffée, solitaire et attentif) les salles de la National Gallery of Australia consacrées à l'exposition Emerging Elders, pouvais-je, en contemplant, me rappeler ce texte de Daudet étudié dans un de mes cours de traductologie deux ou trois ans auparavant, et dans lequel l'expression "salons en enfilade" peut donner lieu à de subtils développements sur les métaphores figées, les changements d'image d'une langue à une autre, ainsi que sur les doubles sens involontaires (anachroniques), d'autant que, la sueur perlant à mon front, peut-être, après une promenade dans le jardin des sculptures, je n'avais pas encore lu (ni même acheté : c'était place de Strasbourg le 29 août 2010) le bref et assez vain (quoique (ou parce que) habile) roman de Christophe Claro dans lequel, à la page 74, l'Esprit de la cave prend son envol ?

 

Parfois, il arrive qu'ils me croisent. Le noir leur tombe dessus comme un rat d'une canalisation haut perchée - un bruit mat et lourd, puis plus rien, même pas le grattement des pattes, juste son poids, sa trompeuse chaleur -- et alors, ALORS, ils me sentent. Ils sentent l'Esprit de la cave. des peurs d'enfance leur griffent l'entrecuisse, une toux sèche leur noue le thorax, un invisible pic à glace leur taquine l'échine.

Ni vigile d'une vulgaire Lascaux, ni tour-operator de je ne sais quelle catacombe, j'halète et grince et sue, tenu à de solitaires inspections, à de très chiantes circonvolutions dans cet univers de cadenas et de minuteries.

 

 

Ne trouve-t-on pas, dans le nom même de Lena Nyadbi, l'image même du tissage...

"Bo Diddley Meets the Monster". Self-Portrait with one of Bert Flugelman's Cones. National Gallery Sculpture Garden, Canberra, May 11, 2010.

... et, dans les cônes de Bert Flugelman, une rencontre quasi incestueuse avec l'Esprit de la mêmoire ?

mardi, 09 novembre 2010

Etincelles d’un lundi

 

(Il faudrait en terminer de ces petits exercices d’écriture frustes, en ça frustrants. Mais ne serait-ce pas en terminer, déjà, de l’écriture, de sa reprise ?)

 

Infiltrations du 2ème sous-sol. Université de Tours, site Tanneurs, lundi 8 novembre 2010.Hier, patraque, rentrant de la fac plus tôt que prévu : la pluie torrentielle du matin se déversait au parking du 2e sous-sol [insérer litanie : avec l’argent dépensé pour les ridicules commémorations du 40ème anniversaire, on aurait pu colmater etc.], avec quatre heures de décalage, alors que brillait au-dehors, étincelant sur la statue dorée du monument aux morts comme sur les moindres hideurs de la ville, un magnifique soleil d’éclaircie automnale.Monument aux morts, quai Anatole-France, Tours, lundi 8 novembre 2010

 

Le soir, guetté par l’insomnie, glandouillant : passé presque une heure à écumer l’œuvre récent du duo des frères Mael, Sparks, le seul groupe anglo-saxon (avec Talking Heads) que j’aie vraiment aimé dans mon enfance.  Revient alors la fureur grise des circonflexes, vous vous en doutez : journées de novembre passées près du gramophone (qui n’en était pas un, mais le mot n’est-il pas poussiéreusement désuet ?), à me passer les toasts noirs de Charlélie Couture ou de Sparks, justement, dont les chansons, avec leur rose vivacité ou leur violette mélancolie, donnaient un cadre sonore à mes plus banales imaginations. Dans le sous-bois, après (disons que j’avais neuf ans ?), ou pataugeant dans la rivière, plus loin (onze ?), je pouvais soit me taire pour observer tel ou tel troglodyte en chantonnant That’s Not Nastassia in petto, ou chanter à voix douce, audible de tous les oiseaux qui allaient alors s’enfuir, Tips for Teens (juste un exemple : je ne possédais qu’un vinyl de Sparks, que mes parents ont ramené d’Angleterre, je m’en avise maintenant, en avril 1985 – donc mes années Sparks furent forcément pré-adolescentes, comme on ne disait pas (aujourd’hui, l’adolescence ne dure-t-elle pas vingt ans au bas mot, de la prépré à la post-post ?)).

 

Méandres du circonflexe, certes. Soyons perplexes. Je ne connaissais que l’album Whomp That Sucker ! – qui, incidemment, fut ma première introduction à la nuance entre les déictiques this et that, puisque l’index des morceaux des deux faces figurait sur une seule étiquette : j’avais donc appris, avant d’apprendre l’anglais, que les morceaux de « this side » étaient du côté de l’étiquette écrite, alors que les morceaux de « that side » étaient du côté non écrit. Ce seul album, noir (oxymore après la synesthésie, 2010 est une année trop laborieuse). Cet unique recueil de 10 chansons. Pendant vingt-cinq presque trente ans. Les chansons de Sparks, toutefois, ont mené, dans mon existence, dans ma mémoire, une course souterraine. (Et je m’en ravise, en fait, mes parents avaient ramené l’album de notre périple familial en caravane, été 1982. [Très vague souvenir d'une de leurs amies, Edna (?), qui tenait (?) un magasin de musique. Où ? Dans le nord de l'Angleterre ?] J’avais donc raison en me revoyant enfant, vraiment pas grand. D’où le barré dans la phrase pénultième.) À peine plus tard, ma tante maternelle m’avait parlé, peut-être parce que j'avais chanté Wacky Women (j'adore, surtout la rime Russell / muscle)), de « Pineapple », que je n’ai entendu qu’hier. Course souterraine : j’ai mis plus de vingt ans à avoir la curiosité minimale de chercher la version originale de « Pineapple », dont je me rappelle très précisément comment ma tante l’avait chanté, cette seule et unique fois.

Curieuse chose, livide mais aussi bien vive, soudainement passée à la flamme, la mémoire.

Je ne vais pas en faire fromage. (Il faudrait etc.) Quel âne à nasse.

 

Divers verts. Tours, lundi 8 novembre 2010.En tout cas, hier soir, j’ai découvert certaines chansons des derniers albums de Sparks, années 2000, et j’ai décidé de me faire un petit cadeau, automne oblige, en commandant 3 albums, soit anciens soit récents. Assumant un héritage compliqué de mon enfance. M’assommant sous de diffus souvenirs. Les panthères rugissent, pas les félins. Et pour le reste, il y a le vert de la sérénité.


mardi, 26 octobre 2010

Désarmes miraculeuses

......... four en thème ........

 

Ce n'est pas grand chose, pourtant, la scénographie d'une vie. J'ai l'impression d'avoir vécu deux décennies dans ces trois années. Et, malgré tout, maugréant ou explosant de joie, je dois constater que les expériences, les moments professionnels, restent d'une récurrence, d'une similitude, d'une répétitivité quasiment insurmontables, et -- à coup sûr -- désarmantes.

----- J'écris toujours cela à l'avant-veille de ma sieste, ou à la veille de ma mort. Qui jouera du trombone sur mon tombeau ? ------

D'autre part, les vitres n'ont pas été lavées. Alors la mémoire, pâle, comme Charon, comme le c alourdi par une cédille ou surmonté d'un caron, déguisé à la façon d'un effaré de carnaval, se résigne à froncer les sourcils, à ne plus se reconnaître telle - à n'avoir rien d'identique avec elle-même, à n'être plus l'ombre du reflet du souvenir de... etc. Ni fardée ni passée à la poudre de riz. La mêmoire. Encore.

 

mercredi, 14 juillet 2010

Boulevards de ceinture, 69-70

Je sais bien que le curriculum vitae de ces ombres ne présente pas un grand intérêt, mais si je ne le dressais pas aujourd’hui, personne d’autre ne s’y emploierait.

Course des ombres, vitesse pour rien, nous ne savons ni qui nous sommes -- ni pourquoi nous rêvons. (Brenne : froid léger, puis douceur moite au zoo. 30 avril 2006.)

 

vendredi, 25 juin 2010

Terrassé

Au Valmy, ce midi, bruschetta à la tapenade et Carlsberg à la pression. Il y a quinze mois, déjà, sous un soleil d'avant-printemps très beau (après une manifestation réussie), c'était la même terrasse, même si je n'étais pas celui qui avait commandé une bruschetta à la tapenade.

Aussi, la sainte Eléonore ravive des souvenirs annexes (mais centraux).

Comment survivre aux souvenirs, seul, au soleil, à la terrasse du Valmy ?

De terre et d'eau, la mêmoire - de fibres et par ficelles, toujours à raccorder comme le boyau d'un fragile instrument baroque, et solide aussi comme un tank avec ça... De terre et d'eau, elle file entre nos doigts avec ses grains. Elle irrigue mes douleurs, avec ses graines. Comment survivre, seul, au soleil, aux souvenirs, s'ils vous terrassent ?

 

mardi, 15 juin 2010

"Everything goes into the book"

Que se passe-t-il, en juin pourri ? Des travaux partout à Tours, et ce n'est même pas pour le tramway.

Everything goes into the book. (Créneaux ratés, multiratés, voiture qu'on ne retrouve pas dans ce foutu parking Vinci de la gare de Tours, créneau encore, sourires en coin, novembre tiède 2004.) Everything goes into the book. Je n'ai pas de nouvelles de Jamal Mahjoub. (Lui n'en a pas de moi. ---- My friend forsake me...) Je n'ai pas non plus de nouvelles de John Clare, mais c'est moi qui ai renoncé à en demander.

Jamal avait une légère barbiche, fort courte, juste au menton... a modern goatee en quelque sorte, et je n'ai jamais vu qui que ce soit d'autre ne pas avoir l'air ridicule avec cet appendice -- au contraire superbe et plein de prestance.

Je crois me rappeler mot pour mot, phrase à phrase, sa conférence du vendredi. Ce doit être une illusion. La mêmoire ne dédouble rien, mais trouble toutes les inventions.

 

Everything goes into the brook : tout va à vau-l'eau, même la vie ornée de, structurée par parenthèses.

 

mardi, 08 juin 2010

"Sur un E.P. tourne ma vie"

Dans le précédent billet, j'ai évoqué, de fil en aiguille, un disque de carton où figurait la chanson Monsieur Crocodile. Grâce au Web, qui jamais ne laissera notre mémoire demeurer blême (et être mêmoire), je découvre que cette chanson est attribuée à Richard Gotainer. Or, je suis certain que la chanson "carte postale" n'était pas chantée par ce zigoto à la voix reconnaissable (et que mon ami E*** croise régulièrement chez son fromager (c'est une autre histoire)). De plus, il me semble comprendre que le disque en question serait daté, d'après les deux ou trois sites qui le répertorient en l'attribuant à Gotainer, de 1984 (ou juste avant ?). Une chose est certaine : ma soeur écoutait ce disque sur son électrophone noir quand nous habitions à Saint-Paul-lès-Dax, et donc avant 1981.

Le mystère s'épaissit.

Si je commençais à partir en vrille sur les diamants des tourne-disques, je pourrais sans doute pondre des "Pléïade" (en quantité, pas en qualité (hélas)).

Psaumes d'électrophones

Bien entendu, il ne sert à rien - non plus - d'entretenir d'éternels regrets sur tout ce que j'aurais pu constituer, comme corpus, si je n'avais pas arrêté d'écrire depuis presque deux ans. Ici, même, au moment où j'écris, fort symboliquement je suis à moitié allongé dans le canapé, avec le netbook blanc sur les mollets, et, quoique j'aie apporté avec moi, au moment de me lever, deux livres dont je pensais qu'ils pourraient, comparés l'un à l'autre, constituer un bon sujet de billet, je sais qu'une telle position ne favorisera jamais l'écriture critique. Alors, me lever (du canapé) ? Accepter (ma paresse) ? Raconter comment, de manière assez régressive, j'ai passé une partie du week-end, non dernier mais précédent (pénultième ?), à écouter des vinyls (disques noirs ? 33 tours ?) après avoir enfin trouvé, au Troc de l'Île où nous étions allés acheter un "petit lit de grand" pour Oméga, une chaîne d'occasion comportant un tourne-disques (un électrophone) ?

C'est un bon sujet de billet aussi, qui va renvoyer le pauvre Werner Kofler, et le non moins déshérité Max Aub, dans les oubliettes de ces carnets. Déjà, pour le lexique : j'ai toujours dit "tourne-disques", quand, avec les cassettes, c'était le seul moyen, pour moi, d'écouter de la musique. Mais, depuis, à l'époque du laser (du CD ?), j'ai écouté en boucle (il y a sept ou huit ans) le Psaume 151 : "les psaumes sont écrits sur les magnétophones" -- qui entraîne dans son sillage tous les suffixes en -ophone... L'expression "disque noir", que personne n'employait -- justement -- avant l'ère du laser (du compact disc ?), est comique : ma soeur n'avait-elle pas un 33 tours de Plastic Bertrand (oui, je sais...) qui était entièrement rose (oui, je sais - bis) ?

Et, j'y songe, ma soeur possédait aussi un 45 tours en forme de carte postale, et dont la matière était effectivement une sorte de carton. La carte postale représentait un crocodile, et la chanson, de type comico-enfantin, avait pour paroles : "Dans sa crique, Monsieur Crocodile / Malgré son [xxx] n'est pas d'humeur facile / Bien qu'il vous paraisse doux et sympathique / Evitez de partager ses petits jeux nautiques".

Le [xxx] mis à part (ou à cause de lui ?), ce billet va pouvoir alimenter la rubrique Blême mêmoire, mort-née, me semble-t-il, puisqu'elle fut créée peu avant l'arrêt de l'écriture dans ces parages verts, ou même lors d'une de ces innombrables retours de flamme qui furent des feux de paille. (Je croise les doigts en écrivant cela ; j'espère que vous vous rendez compte combien c'est malaisé, avec l'ordinateur sur les mollets, et l'estomac dans les talons.)

 

dimanche, 22 novembre 2009

No swanage here

SWANAGE (pl.n.)
Swanage is the series of diversionary tactics used when trying to cover up the existence of a glossop (q.v.) and may include (a) uttering a highpitched laugh and pointing out of the window (NB. this doesn't work more that twice); (b) sneezing as loudly as possible and wiping the glossop off the table in the same movement as whipping out your handkerchief; (c) saying 'Christ! I seem to have dropped some shit on your table' (very unwise); (d) saying 'Christ, who did that?' (better) (e) pressing your elbow on the glossop itself and working your arms slowly to the edge of the table; (f) leaving the glossop where it is but moving a plate over it and putting up with sitting at an uncomfortable angle the rest of the meal; or, if the glossop is in too exposed a position, (g) leaving it there unremarked except for the occasional humorous glance.

 

(See here)

lundi, 20 juillet 2009

Fendaison

Lors de l'un des trois ou quatre séjours que je fis à Cambridge entre novembre 1995 et mai 1996, l'émotion esthétique la plus forte fut, sans conteste, la visite de St John's, avec ses couloirs mi-obscurs, ses enfilades de quads, ses grenadiers, ses voussures. À l'époque, je pris peut-être huit ou neuf photos, le comble de la débauche en ces temps argentiques.

En lisant les pages que Valery Larbaud consacre dans son Journal, en octobre 1919, à son bref passage (dans le cadre de ses recherches sur Samuel Butler), "a peu que le coeur ne me fend"*.

"Bon, mais il faut partir." **

 

* Villon

** Larbaud, p. 541

mercredi, 15 juillet 2009

What's in a name ?

.        Dans l'exemplaire de La Reprise que je vais rendre aujourd'hui à la B.U. se trouvaient, outre la classique fiche de format A6 portant mon nom et les conditions de prêt, deux fiches semblables, l'une entre la couverture et la page de faux-titre, l'autre entre les pages 108 et 109, et toutes deux au nom de Kasereka Mutisyano.

Sur ces fiches de format A6, qui ne sont insérées que dans les ouvrages archivés en magasin et commandés par voie informatique, je gribouille souvent des notes prises en cours de lecture, des numéros de pages, tout un système d'abréviations dont je ne fais rien en général, si ce n'est garder les dites fiches dans un autre livre une fois restitué l'ouvrage emprunté. Ainsi, il peut m'arriver de retrouver, dans un volume de poèmes italiens, une fiche attestant que j'ai lu -- et même griffonné quelques notes à ce propos -- telle pièce de théâtre russe du dix-neuvième siècle.

Trouver, dans un roman qui n'est (assez pesamment d'ailleurs, à sa lynchienne façon) que sosies, doublures, échanges, transferts de personnalité et surtout vertigineux dédoublements narratifs, deux fiches signalant que la même lectrice (car le nom de Kasereka Mutisanyo me semble indubitablement féminin, quoique plus douteusement japonais) a emprunté ce livre consécutivement les 21 février et 6 mars 2003, a de quoi troubler un pauvre dément de mon espèce. Cela m'a aussi rappelé un épisode de mes premières années tourangelles : au printemps 2004, interrogeant un trinôme de classes préparatoires (activité dans laquelle je m'étais laissé embarquer pour dépanner une amie mais que j'ai abandonnée après dix mois, tant les "colles" sont répétitives et ennuyeuses), j'avais échafaudé tout un univers romanesque formel autour du seul nom d'une des candidates : elle se nommait Silithone Phothirath, et était, de surcroît, très jolie.

Les noms Kasereka Mutisyano et Silithone Phothirath ont en commun (outre leur caractère censément évident d'étrangèreté orientale) leur léger déséquilibre numérologique, qui est ce qui les rend particulièrement obsédants pour moi :

Silithone Phothirath : 9 + 10 = 19 (nombre premier de rang 8)

Kasereka Mutisyano : 8 + 9 = 17 (nombre premier de rang 7)

 

Il se trouve, après quelques rapides recherches, que le nom trouvé en double exemplaire dans La Reprise ne serait ni japonais (ce qui, effectivement, me paraissait sujet à caution), ni féminin : il s'agit, selon toute probabilité, d'un nom d'homme africain, peut-être congolais ou rwandais. Ce qui complique l'enquête, c'est que Kasereka, placé sur les deux fiches en position de prénom, semble plutôt être un patronyme : c'est notamment le nom du garde du corps qui assassina, en 2001, Laurent-Désiré Kabila. Le Service Commun de Documentation s'est-il trompé en inscrivant l'étudiant aux nom et prénom trop exotiques pour être distingués l'un de l'autre ? Pas forcément : il existe au moins un chercheur africain, spécialiste d'ailleurs de Valentin Mudimbe (qui est auteur d'un roman que j'iame beaucoup, intitulé L'Ecart (ça ne s'invente pas)), et dont le prénom est Kasereka (le patronyme Kavwahirehi).

Nul doute que Robbe-Grillet aurait pu tirer un roman fort habile d'un tel écheveau...

 

jeudi, 01 mai 2008

Name-dropping...

C. lit Avant la nuit, l'autobiographie de Reinaldo Arenas, dont elle avait découvert La Couleur de l'été au printemps 2007.

De mon côté, pas plus tôt descendu de ma noire calèche, après avoir mis la charrue devant les boeufs et lu Magic Seeds de V.S. Naipaul avant même d'avoir mis la main sur Half A Life, je suis encore en vie, fasciné par ce dodécalogue, et j'ai commencé de lire Le Plan déchiqueté d'Abe Kobo.

(Il y a longtemps, rue du 51ème Régiment d'Infanterie, j'avais lu La face d'un autre. À l'automne dernier, je m'étais enlisé avec délices dans La Femme des sables, offert par un ami cher, avant de m'engluer dans les méandres cauchemardesques du Cahier kangourou.)

J'avais oublié, sur mes étagères, et depuis belle lurette, ce Plan déchiqueté, jamais lu, et dont j'ai vu, ouvrant le livre à la première page, que je l'avais acheté dans un vide-grenier, à Laversines, le 1er mai 2003.

Il y a cinq ans, exactement.

Lorsque cinq ans seront passés.

After Lorca : Spicer, aussi -- je t'ai trahi -- dans le vaste bureau rue du 51ème R.I.

dimanche, 20 avril 2008

17 avril, point de lendemain

Le temps que le vent laisse filer l'ombre, se mettre à couvert sous de chaudes frondaisons.

Les Armes miraculeuses : livre lu, dans la difficulté et l'épanouissement, vers seize ans. Le Cahier d'un retour au pays natal reste moins chargé d'émotion, de douceur comme de douleur, au moins dans ma mémoire. Peut-être est-ce en l'honneur d'Aimé Césaire que j'envisageai un jour d'arpenter le terrain de la mêmoire.

Point besoin d'aller folâtrer avec les chantres de la tigritude ; la poésie, seul combat, suffit.

dimanche, 17 février 2008

Sens aigu de la propriété

Refus de partager


Il n'y a pas si longtemps, pour pouvoir accéder aux magnifiques stalles de la cathédrale d'Amiens, il fallait attendre qu'un vieux fou ouvre le lourd portail avec la clef qu'il était seul à détenir, puis subir sa "visite guidée", toute en approximations et en imbécilités dignes de figurer dans les meilleures anthologies. Un jour, nous l'entendîmes, un ami et moi, décrire comme suit la sculpture, très belle et sobre, représentant Joseph et la femme de Putiphar : "elle ressent ce que les femmes ressentent dans ces cas là... pire que les fumerolles du Kamchatka... vous voyez, c'est plus chaud qu'un film X, il y a des godasses dans tous les sens..."
Une autre fois, quand je m'y trouvai avec mes parents, il avait lancé au public déconcerté : "quand vous aurez admiré notre belle cathédrale d'Amiens, vous pourrez aller voir la catastrophe de Beauvais".
Une autre fois encore, comme, selon notre ordinaire, nous refusions délibérément d'écouter ses sornettes et préférions admirer les détails des stalles, nous nous entendîmes semoncer de la belle façon : "on n'ouvre pas les stalles pour flâner mais pour écouter quelqu'un".

J'espère que ce vieux schnock ne sévit plus à la cathédrale d'Amiens, et qu'il n'a pas trop dégoûté de touristes dans sa carrière de mufle professionnel.


Le détail ci-dessus représente, en une légère discrépance ici encore hommage à Isou, une miséricorde de l'abbatiale de la Trinité (Vendôme, Loir-et-Cher).

samedi, 09 février 2008

Petite nuit II : sac-à-papier

" Maman, que veut dire schismatique, sac-à-papier, schlague ? qu'est-ce qu'un zouave ? le knout ? un jaunet ? des brodequins ? Elle suspend un instant la lecture, lève les yeux vers les petites filles, le knout est un fouet, finissez ce que vous avez dans l'assiette sinon je ferme le livre. "

(Marianne Alphant. Petite nuit. P.O.L., 2008, pp. 35-6)

 

Dans les souvenirs des premières lectures, les mots sur lesquels on bute, qui demeurent obstinèment opaques, ressortent de manière particulièrement vive. Ainsi, je me rappelle être resté pantois devant un Pouah ! tout à fait incompréhensible, au beau milieu de l'une des premières pages du premier "vrai" livre que je lus seul, Les Aventures de Jojo Lapin.

Pouah !


Sinon, ce passage du livre tout récemment paru de Marianne Alphant m'évoque, par son style, certains textes de Robert Pinget, en particulier les romans "monologiques" (Le Fiston), à moins qu'on n'y retrouve la voix toute en diaprures de Monsieur Songe (Du nerf). La piste Alphant-Pinget ne semble guère briller par son évidence, à moins qu'on ne pense au truchement de Beckett : après tout, Marianne Alphant fut, l'an passé, avec Nathalie Léger, commissaire de l'exposition Objet Beckett.

L'expression sac-à-papier est aussi, si l'on en croit Olivier, l'une des interjections distinctives de Tryphon Tournesol.