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mardi, 30 août 2005

Elégie

Dans les feuilles, l'insecte net prêt à voler
Sur cette terriblement violacée mûre
Nous surprend dans le flou d'un monde inconsolé
Où s'obstinent ma voix mauve et ton doux murmure.

Un beau vers de Baudelaire

Le propre d'un beau vers ne serait-il pas d'appeler le lecteur, qu'il lise pour soi ou à voix haute, à le relire, à le prononcer, à lui trouver des inflexions nouvelles, à en changer le rythme, subtilement?

Je relisais quelques poèmes de Baudelaire. Dans "La servante au grand coeur", cette élégie remarquable, équivoque, voici un vers, dont il est difficile de dire qu'il se hisse au-dessus des autres tant le poème entier est splendide, mais dont je puis au moins affirmer qu'il m'a incité à le relire, le redire maintes et maintes fois:

Vieux squelettes gelés travaillés par le ver

Quelle musique, quelle délicatesse, à mille lieues du sordide ou de la chansonnette... Est-ce le rythme tour à tour croissant et décroissant (1-3-2 dans le premier hémistiche, 3-1-1-1 dans le second), ou l'ouverture de l'adjectif dérivé en un participe passé (gelés) sur un participe passé passif (travaillés), ou encore l'homophonie si baudelairienne entre le signifiant macabre (ver) et le vers poétique, ou -qui sait?-, pour le lecteur déjà familier du poème, l'appel du vers suivant par la rime ver/hiver?

Il m'arrive de m'indigner. Que je m'indigne un peu contre moi-même, d'une erreur que je découvre: quand je me récite ce poème, je dis ainsi le dix-neuvième vers:
Grave, et venue du fond de son lit éternel
Alors que c'est:
Grave, et venant du fond de son lit éternel
... ce qui change tout! En effet, le participe présent donne tout son sens à l'apparition du spectre, alors que le participe passé tiendrait la mère revenue à distance, dans une action déjà figée. Venue, c'est un tableautin; venant, c'est une hallucination foudroyante.

Premier fragment volé au château d'Ussé

Le château d'Ussé: ses Italiens innombrables, jusque dans les nombreux graffiti gravés dans la pierre; les belles stalles de sa chapelle; le relatif ridicule des salles costumées célébrant la Belle au Bois dormant; les très belles tapisseries belges du XVIème, dans l'une des premières salles; le bureau Boulle où l'orbe du regard s'égare; les tours qui ont dû inspirer Viollet-le-Duc pour sa restauration pataude de Pierrefonds; des autoportraits absurdes immortalisant plus ma face de carême que le château lui-même.

Faire une scène…*

Eve s’excusa avec douceur. Mais la concierge tenait une scène, et, comme un sculpteur fait de sa glaise, elle voulait la parachever, la polir, en tirer une œuvre d’art qui embellirait sa journée. Eve fut soupçonnée de vol, de mendicité, d’espionnage, d’adultère** et de mille autres forfaits plus graves.

.

(Lise Deharme. Eve la blonde, p.256)

 

* Ce passage, séparé de ce qui suit, perd une partie non négligeable de son sens.

** J’aime bien la gradation ascendante : le pire crime imaginable, c’est l’adultère.

La Place du Tertre

Fragment dédié au Vrai Parisien :

Malgré ses guinguettes et le caractère peut-être imaginaire de ses souterrains, l’endroit reste l’un des plus parfaitement lugubres qui soient. Quand il ne fait pas beau et que le paysage s’estompe dans la brume, la place du Tertre est comme la nacelle d’un ballon perdu.

(Lise Deharme. Eve la blonde, p.96)

La duplicité

Il n’y a guère que les chiens qui n’aient qu’un regard. On croit aimer un personnage noble, ce n’est qu’un pitre, un porc respectueux de la police, des usages établis, prêt à toutes les souplesses d’échine.

(Lise Deharme. Eve la blonde, p.45)

Où Freud ne reste pas de bois

Que l’histoire du monde serait belle si les hommes se contentaient d’un petit bâton poli pour jouer ; quelle leçon de sérénité ligneuse pour tant de gestes inutiles, pour tant d’armes dangereuses sans âme, et si vite tombées dans le magasin des accessoires absurdes. Oh ! mademoiselle d’Arc, votre petit bâton… et Gilles de Rais – quel dommage que l’histoire ne nous parle point des histoires mystérieuses de l’âme.

(Lise Deharme. Eve la blonde, p.158)

02:30 Publié dans Ex abrupto | Lien permanent | Commentaires (0)

lundi, 29 août 2005

Leaves of Eve

A la devanture d’un photographe chez qui Eve faisait développer les innombrables clichés de feuilles d’arbre qu’elle prenait à longueur de journée, il y avait l’image flétrie d’une petite fille en robe de fée ; une robe longue, bordée d’une ruche. Elle tenait une petite baguette magique entre ses doigts frêles ; sur ses cheveux épandus, une étoile, une grande étoile.

(Lise Deharme. Eve la blonde, p.139)

Discours agile


– Moi, ça m’est égal qu’on soit ou ne soit pas curieux
– Si indifférente ?
– Je hais tous les indifférents, à part un seul, celui de Watteau. Non, mais lorsque quelqu’un me plaît, il devient un mystère si insondable et si passionnant que tout ce qu’il peut m’expliquer sur son caractère me paraît absurde.
(Lise Deharme. Eve la blonde, p.105)

20:20 Publié dans BoozArtz | Lien permanent | Commentaires (4)

Nouvelles informatiques

J'ai récupéré ce soir mon ordinateur portable, dont l'écran ne fonctionne pas mais que je vais pouvoir relier à l'écran du vieux PC (c'est simple, l'informatique...). D'ici quelques heures (dans l'immédiat ce sera le dîner de mon fils, puis le nôtre, avant une soirée de travail et d'écriture), je pourrai enfin récupérer mes courriels, dont quelques-uns doivent m'attendre. J'imagine le pire: huit jours pleins sans consulter ma boîte ni pouvoir écrire. Comme des myriades de petits emmerdements me sont tombés dessus à l'université aujourd'hui, je suppose que les courriels d'étudiants auront poursuivi leur course également (ça n'a pas arrêté de juilet et août).

A suivre...

18:08 Publié dans Ex abrupto, WAW | Lien permanent | Commentaires (2)

Eve la blonde, de Lise Deharme (2)

Lise Deharme. Eve la blonde. Paris: Gallimard, 1952, 272 pp.

 

C’est le récit, en deux parties, de l’itinéraire atypique d’une femme parvenue à la quarantaine, qui se réveille dans une institution religieuse en ayant perdu la mémoire, avec quelques effets, dont une photographie. Persistant dans l’amnésie, qui lui plaît, elle mène une vie de bohême, de séductrice, choisissant, par anticonformisme, de s’enterrer dans une petite bourgade normande où il ne se passe rien. Le texte est cousu de petites descriptions, moments légèrement oniriques, dans un style intermédiaire entre les moments of being de Virginia Woolf (dans lesquels certaines voient l’une des caractéristiques de l’écriture féminine: l’attention portée à l’interférence entre le monde matériel proche et le corps (du délit? de l’écriture? de la femme-sujet?) et les tropismes de Nathalie Sarraute, mais avec plus de légèreté, comme une fuite en avant papillonnante au mépris du sérieux. Par une suite de coïncidences qu’Eve n’assume ni ne refuse, elle ne cesse de se trouver confrontée à des récits ou des souvenirs d’une famille qui aurait fort bien pu être la sienne, en particulier une petite fille danoise ou germanique qui a marqué les esprits. Le dénouement… ne disons rien du dénouement…

Quoique se situant à l’opposé de l’esprit de sérieux, le roman n’a rien d’aisé, et a même dû paraître, sinon avant-gardiste, à tout le moins trop lent et trop abstrait pour les critiques de l’époque (je n’ai mené aucune enquête, ne me suis livré à nulle recherche). Il m’a fait penser, je ne saurais pas forcément dire pourquoi, aux premiers textes échevelés de Robert Pinget, en particulier au Renard et la boussole, qui, si ma mémoire est bonne, date aussi de 1952. Même réflexion, mine de rien, sur petites et grandes choses, sur les causes et les effets du temps, une forme de roman existentialiste sur le mode mineur peut-être (les lecteurs nés après 1970, comme moi, ont sans doute tendance à sous-estimer l’influence énorme de l’existentialisme sur de nombreux écrivains eux-mêmes tombés dans l’oubli).

Pour celles & ceux que ces deux minces paragraphes laisseraient sur leur faim, je publierai prochainement des passages choisis du roman.

…………

En écoute : Heaven-Haven (extrait du cycle des poèmes de G.M. Hopkins mis en musique par Britten sous le titre général A.M.D.G. / Chœur Polyphony, sous la direction de Stephen Layton / Hyperion Records, 2000 – CDA67140)

Eve la blonde, de Lise Deharme

Cela fait bientôt deux semaines que j’ai lu, au cours d’une journée indécise, par à-coups ou petites touches, ce roman de Lise Deharme. Vous saurez que j’avais commandé ce roman auprès d’un libraire d’occasion, qu’il m’a coûté dix euros, port inclus, et que c’est une édition originale (ce que ne signalait pas la fiche descriptive du site Web (la cerise sur le gâteau en quelque sorte)). Comment m’était venue l’idée de lire un roman de Lise Deharme, qui ne m’était connue, jusque là, que de nom, sorte d’égérie des surréalistes, figure un peu dix-huitiémiste et salonnarde, une égarée, ou plutôt non, une intempestive – comment donc était née cette idée saugrenue? Dois-je l’avouer? L’idée m’en vint, ainsi qu’à ma mère, après la lecture d’un article du dernier Bulletin de la Société de Borda paru, car Lise Deharme passa quelque temps dans les Landes, à Tartas je crois (j’ai déjà tout oublié de cet article, et il est chez mes parents).

Au cours de ma lecture, je cornai certaines pages, fort proprement, comme je l’ai vu faire, afin de retrouver facilement des passages distingués, à mon ami F***, lors de nos années normaliennes, et mon respect des livres était tel que je trouvai cela sale, ou ne me convenant pas, avant de finir par adopter quelquefois ce système, par commodité, mais persistant, une fois les passages utiles notés ou employés, à décorner les pages, de sorte que, reprenant le livre longtemps après, la traque des pages distinguées est plus subtilement ardue encore, à moins que je n’aie préféré, comme il m’arrive, noter sur un morceau de papier les numéros de page, parfois assortis d’une notation brève, système auquel je viens d’avoir recours lors de ma lecture de Napoléon VII de Javier Tomeo, petit roman sur lequel je ne désespère pas d’écrire prochainement une note, en essayant de moins me perdre en oisives circonlocutions et inactifs préambules et ronds-de-jambe rhétoriques, comme pour celle-ci, que vous lisez, vous demandant, à quand Eve la blonde?

Elle arrive, justement. Je dirai peu de mots du roman, mais je recopierai ensuite quelques extraits de ce roman introuvable, qui correspondent aux pages cornées.

……………

En écoute : "God’s Grandeur" (extrait du cycle des poèmes de G.M. Hopkins mis en musique par Britten sous le titre général A.M.D.G. / Chœur Polyphony, sous la direction de Stephen Layton / Hyperion Records, 2000 – CDA67140)

 

Codicille au précédent poème

Codicille au précédent poème

(écrit deux minutes plus tard)

 

Sans avoir seulement écrit le mot nocives

Alors que telle était, pourtant, mon intention,

Je viens d’user mes yeux comme on saigne gencives

Comme on pleure d’amour et hurle de passion

………………

J’ai, dans ma soif de vivre et ma chanson fardée,

Deux virgules qu’ici je ne peux encadrer

Après-midi de demi-brume

Le monde Cet émoi enamouré du monde

Je reprends le violent

vertige de ma vie Une étincelle brûle

Au creux de ma paupière un silence se fait

 

 

Dieu que ce clavier est sale que cet ordinateur est vieux que l’écran est près de mes yeux

 

 

Jamais je ne saurai à laquelle féconde

seconde de ma vie Ce monde le sait bien

Ô ce monde adoré ô cette pénitence

Je reprends le volant

des mains de l’adversaire Et nul ne peut me taire

Un avenir radieux se love dans un creux

 

 

Installé dans ce ghetto dans la chambre dite " aux corbeaux "

Cet ordinateur oubliait que le monde allait de son train sans lui sans ses pannes ses refrains

 

 

Ici dans cette pièce assis à ce bureau

Je regarde alentour et tout n’est que poussière

Araignées téméraires fanfares timides

Les novices se sont approchées sans bruit de mon fauteuil

Elles disent répètent hèlent enfin la nuit

où bêlent les brebis galantes du Seigneur Juste un coup d’œil

 

 

Ses psaumes tendus

La bécane esseulée revit renaît respire

 

 

Et les premiers mots que je vois

- Sur ce papier violet mon regard prend racine -

" A la honte de la chair " ne sont pas de moi Je reprends

le fil mal dénoué de l’écheveau diurne

et violemment me tais Je persiste au silence Et je résiste au sel

du seul sempiternel mot qui m’affronte

Cet émoi enamouré de la honte

 

 

Tours, chambre aux corbeaux, 27 août 2005

Codicille à la note intitulée "… ce que je crois"

Dimanche, deux heures et demie post meridiem.

 

Cette note appelle bien des commentaires de ma part, entre autres sur son caractère agaçant, elle est pénible à lire, j’en suis conscient, elle fut écrite au dos d’une fiche bristol de format A5, et heureusement, car allez savoir où m’aurait conduit ma logorrhée sur une feuille A4, ou face à un clavier (comme c’est le cas actuellement), mais le principal commentaire que je voulais faire portait sur une relative tricherie, en ce sens que, recopiant cette note, je n’ai pas modifié la structure de la phrase ni ajouté le moindre mot, mais j’ai corrigé une ou deux formulations maladroites, malheureuses, pour écrire tout de même un texte digne d’être publié dans ce carnétoile. Sinon, nulle tricherie, j’ai dit la stricte vérité, ma mémoire ne me jouant pas de tours car l’épisode narré est récent (je le daterais de février ou mars) et, de plus, ce genre de rendez-vous avec un couple d’étudiants n’est pas monnaie courante, d’autant moins quand les deux sont beaux, et, l’écrirai-je, oui, surtout la demoiselle, car c’est ainsi, j’aime les femmes et j’en suis heureux (voir à ce propos mes deux commentaires ici).

Dominique et Dante

J’ai retrouvé avec plaisir, en rentrant ici, à Tours, mercredi dernier, notre demeure, et notamment ma table de chevet, plus chargée de livres que la barque de Dante. Justement, j’ai repris ma lecture, interrompue début juillet pour cause de vacances, de La Divine Comédie, dans l’édition bilingue parue il y a peu aux éditions La Différence (très belle traduction de Didier Marc Garin).

 

Jeudi soir, je lus les chants XXX à XXXIV de l’Inferno. Par une de ces coïncidences si fréquentes, et qu’accentue la lecture simultanée de quatre ou cinq livres au minimum (as is my wont), j’ai lu vendredi, le lendemain donc, l’opuscule de Dominique Fourcade, en laisse, dont le meilleur texte est d’ailleurs, à mon avis, celui qui donne son titre au recueil et s’inspire de l’une des photographies représentant les sévices subis par les prisonniers irakiens dans les geôles américaines. Fourcade cite à deux reprises le tercet suivant, extrait du chant XXXI :

Cercati al collo, e troverai la soga
che’l tien legato, o anima confusa,
e vedi lui che’l gran petto ti doga.*

 

On pourrait, je pense tenir un répertoire de ces coïncidences souvent frappantes, et qui éclairent les œuvres lues sous un jour nouveau, qui est peut-être celui, aussi, de la maigre existence du lecteur

 

* Traduction de Didier Marc Garin :

Cherche à ton cou, tu trouveras la sangle
qui le** tient attaché, âme confuse,
et vois-le** qui barre ton grand poitrail

** Les deux pronoms le font ici référence au cor de Nemrod, auquel Virgile ici s’adresse.

Fourcade, lui, traduit différemment, avec un faux-sens sans doute délibéré qui lui permet de relier, justement, ces beaux vers à la situation infernale que représente la photo du soldat irakien tenu en laisse comme un chien : cherche au cou tu trouveras la laisse qui te tient lié (Dominique Fourcade. en laisse. Paris: P.O.L., 2005, p.46).

Il y a 214 ans

Non, à votre grande surprise, il ne sera pas question des heures les plus houleuses de la Révolution française, mais d'un autre événement mineur, car qu'apprend-on sur les sites de modélisme (source improbable où m'a conduit Monsieur de Gougueule)?

 

Le H.M.S. Pandora était un bateau de 24 canons, construit à Deptford en 1779. Les bateaux de 2 à 24 canons étaient les plus petites frégates de la NAVY. Le Pandora est connu pour être allé à Tahiti, dans le but de capturer les mutins du Bounty. Quatorze membres de l'équipage furent capturés sur place, et quatre autre se noyèrent lors du voyage retour, le 29 août 1791.

Je publie cette note alors que je suis réveillé depuis une heure; je viens de publier "en avance" plusieurs notes qui émailleront cette journée, car j'avais accumulé quelques fonds de tiroir depuis deux jours, et je vais passer la journée à travailler à l'université.

Esprit, es-tu là ?

Hier soir, dans la courette sise entre la rue et notre maison, A., mon fils, jouait.

Confortablement installé dans un fauteuil de jardin, je feuilletais – quoi ? un numéro récent de la revue Esprit. Puis j’entrepris de lire le premier article, par un certain Jacques Dewitte, et consacré à la question du mal dans le dernier livre publié par Coetzee, Elizabeth Costello. Le sujet m’intéresse à plusieurs titres: la littérature africaine est mon domaine d’étude principal, et j’ai, à ce titre, publié plusieurs articles sur certains écrivains sud-africains, Breyten Breytenbach notamment; j’ai lu la plupart des grands romans de Coetzee, pour qui j’ai une admiration modérée et dont j’essaie toujours de comprendre pourquoi, aux yeux de la quasi totalité de mes collègues, c’est un tel géant des lettres; j’ai lu Elizabeth Costello, dès sa sortie, et donc juste avant l’attribution du Prix Nobel de Littérature 2003 à Coetzee, et c’est un livre qui m’a fasciné et tourmenté nettement plus que les autres textes de cet auteur, à tel point que, sous le coup encore de cette lecture, je fus presque convaincu, début octobre, que Coetzee n’avait pas volé son Prix Nobel (alors qu’il s’agit en partie d’une usurpation ou d’un malentendu).

Ultime raison de m’intéresser à cet article, j’avais vu, en parcourant la revue, qu’il était essentiellement consacré à la sixième "conférence" de l’écrivain imaginaire éponyme. Or, à l’automne 2003, ce texte-là avait d’autant plus d’intérêt pour moi qu’il y était longuement question de Paul West, que j’avais découvert depuis plusieurs mois, que je lisais assidûment, et que je finis par rencontrer en octobre 2003, à l’occasion du colloque qui lui était consacré à l’Université François-Rabelais (colloque organisé par ma brillante collègue américaniste Anne-Laure Tissut). De quoi titiller particulièrement ma curiosité, donc.

Pour résumer le propos de cette sixième partie du livre de Coetzee, Elizabeth Costello, écrivain entièrement fictif sorti de l’imagination de Coetzee et personnage principal du livre, s’apprête à donner, au cours d’un colloque, une conférence plénière sur la relation entre le Mal et l’esthétique. Sa conférence repose entièrement sur une lecture qu’elle vient de faire, et qui l’a hantée et tourmentée: il s’agit d’un roman de Paul West intitulé The Very Rich Hours of Count von Stauffenberg dont le sujet est le nazisme, et le personnage éponyme un tortionnaire nazi. Elizabeth Costello décide de dénoncer l’écrivain qui, en représentant le Mal, y participe et aggrave encore les crimes des nazis. Point de vue moral et esthétique qu’elle éclaire longuement, dont il est difficile de dire à quel degré Coetzee lui-même, l’auteur, le partage. Bref, si cette question vous intéresse (et elle mérite votre intérêt, ainsi que le livre de Coetzee dans son entier), le mieux est de se reporter au texte (en anglais, ou en français, comme M. Dewitte, qui, semble-t-il, n’a pas travaillé à partir de l’original).

Voici maintenant où je voulais en venir. Je lus donc l’article de M. Jacques Dewitte, qui me sembla enfoncer quelques portes ouvertes, décrire plutôt qu’analyser, autant dire qu’il n’apportait rien de neuf, aucun éclairage particulièrement saisissant, mais que, faisant le tour de la question, il s’agissait d’un article plus érudit qu’incisif, bref, un article de critique honnête. J’insiste sur cet adjectif (honnête), car je ne m’attendais en rien au coup de théâtre qui m’a cueilli à froid, à l’avant-dernière page de ce texte qui en compte vingt-et-une. Figurez-vous qu’après avoir consacré toute sa recherche au discours critique d’Elisabeth Costello (écrivain fictif et héroïne de Coetzee) sur un roman de Paul West, écrivain américain connu, reconnu, prolifique, traduit en français… eh bien, M. Dewitte écrit ceci :

"Il peut se produire chez celui qui lit une décharge d’énergie irréductible à une simple "représentation". C’est ce dont a fait l’expérience Elizabeth Costello, personnage imaginaire de J.M. Coetzee, en lisant le livre imaginaire de Paul West, autre romancier imaginé par Coetzee : un choc bien réel, une rencontre effective avec le Mal qui n’est pas seulement décrit, représenté, mais transmis par ce canal comme un courant électrique..." (J. Dewitte. "La dupe de Satan. Une réflexion de J.M. Coetzee sur le Mal". In Esprit, juin 2004, n°6, pp.24-5, gras ajouté)

Insensé ! Pour le coup, le choc bien réel, c’est moi qui l’ai subi de plein fouet. Ainsi donc, ce chercheur n’a pas cherché plus loin que le bout de son nez, et, par l’omission de ce qui devait lui sembler un simple détail, fait s’effondrer tout son échafaudage tel un château de cartes balayé par une porte claquée! C’est du joli, comme on dit familièrement. Paul West appréciera de devenir seulement un personnage de Coetzee. Je crois savoir, déjà, qu’il n’a pas tellement apprécié le point de vue avancé au sujet de son roman, ni le portrait peu flatteur que le texte brosse de sa personne (car West, et c’est là l’une des astuces de la sixième "conférence", est présent lors du colloque).

Comment, mais comment un critique peut-il s’atteler à un sujet dont il ne connaît pas le premier mot! Toute la subtilité du texte de Coetzee vient justement du fait qu’il mêle la lecture d’un écrivain célèbre fictif et d’un roman qui existe réellement. Si on ne voit pas cela (par défaut d’érudition, de curiosité intellectuelle ou peut-être d’intelligence), on ne comprend rien à l’argumentaire équivoque de Coetzee, qui attribue justement le discours éthique sur la réalité de l’effet d’une œuvre d’art à un personnage, et non à une personne réelle; la double pirouette réside dans l’objet de la critique costellienne, le roman de Paul West, qui existe, et dont le lecteur réel peut prendre connaissance afin de mieux comprendre la distance possible entre ce que dit Elizabeth Costello (ce que Coetzee lui fait dire) et le point de vue de Coetzee, lui-même créateur.

Dans la courette de gravier, j’eus le souffle coupé. Il va de soi que ma désapprobation n’épargne pas la rédaction de la revue Esprit, que je tiens pourtant en haute estime mais qui, semble-t-il, ne procède pas toujours à toutes les vérifications. A tout moment, dans une telle situation, l’affaire Sokal peut se reproduire… Errare humanum est, certes, mais les humanités sont tombées assez bas, quand même.

Propos de garçonnet, 9

Voici le premier oiseau, le hibou. Il est aussi né que la chouette; né pareil, le même jour. Voici aussi le premier oiseau primitif, le toucan, et l’oiseau préhistorique, qui s’appelle l’aurochs pacifique. Tout ça, eux, qui va attaquer le chantier.

dimanche, 28 août 2005

Vous allez rire...

... mais j'ai écrit de nombreuses notes et recopié d'autres sur le désormais fameux "vieil ordinateur", je profite à présent d'une connexion en cours sur le non moins célèbre "Mac de C." (toujours avec la majuscule, hein!), et j'ai la flemme de déplacer la rallonge, de la transférer de cet ordinateur-ci à cet ordinateur-là afin de publier cet amas de notes. De plus, le vieux PC n'a qu'un lecteur de disquette (ni graveur de CD-Rom ni clé USB) et le Mac de C. n'a pas de lecteur de disquette.

(Bon, le temps que tu nous dises tout ça, tu aurais déjà installé la rallonge téléphonique dans l'autre pièce, tu te serais connecté à H&F etc.)

22:32 Publié dans Ex abrupto | Lien permanent | Commentaires (0)

Un frisson fou

Un soleil, samedi, embaumait mon jardin. Je lui criais Va-t-en ! éperdument. Si bien qu’il se moqua. Je lui criais Va-t-en sans cesse et plus doucement, si bien qu’il s’en alla.

Il me restait quatre soleils. (Ce n’est pas tant que ça, pour écrire un poème.)

La vie passe, et si tu la rates : un soleil s’évanouit.

Meule de foin dans le lointain : elle emprisonne le soleil à l’instar d’un miroir.

Le sort en est jeté, le soldat tombe : le soleil l’éclaire, l’éblouit, explose au feu de son armure.

Une méharée : feu le soleil.

Ce fut la nuit. Dans mon jardin la nuit. Dans ce jardin la nuit a fondé son empire.

… ce que je crois.

Samedi 27, onze heures.

Griffonnant au dos d’une autre fiche bristol, je pourrais (comme j’ai remarqué en silence ou sans encre que Pauline, au recto de la fiche précédemment utilisée, était née un 31 mars 1986 à Albi, ce que je n’avais jamais su ni lu car il ne faudrait pas croire que les professeurs se font un devoir d’apprendre par cœur l’état-civil de leurs élèves ou étudiants, ces fiches ne servent pas souvent, et seulement dans des cas précis, particuliers, pour vérifier un renseignement, associer un nom et un visage quand la photographie d’identité (ou une photocopie de mauvaise qualité) a été fournie, chercher éventuellement les coordonnées de l’impétrant(e)) noter, et vais le faire (car c’est là l’objet, le seul objet de cette note manuscrite qui vous démontre notamment que les longues périodes interminables avec maintes parenthèses ne sont pas le seul fait de l’écriture par ordinateur), que cette étudiante-là, Caroline, qui n’avait pas remis de photographie, était l’une des plus jolies, née à Bombay le 15 juin 1986, et était venue me consulter, en compagnie de son ami, étudiant qui se trouvait suivre aussi mes cours, dans une autre filière et à un autre niveau (en première année), pour obtenir des renseignements sur les séjours à l’étranger et mon avis (assorti si possible de corrections, que je ne manquai pas de leur suggérer) sur leurs C.V. et lettres de motivation respectifs, un fort joli couple à la vérité, elle métisse d’Indienne et d’Européen, teint mat et yeux verts, lui d’origine antillaise, plus " banlieusard " mais d’une grande déférence non feinte, doux et poli, peut-être plus amoureux d’elle qu’elle de lui, encore qu’il soit difficile de se convaincre de telles conjectures d’un regard extérieur, car ce n’est pas toujours évident ni aisé à déterminer même pour le couple d’amoureux lui-même, et d’autant moins d’ailleurs que l’épreuve des faits ne vaut rien en l’espèce, puisque, si Caroline est effectivement la moins amoureuse des deux, c’est peut-être Cyril qui la quittera ou la trompera le premier, car le principe des vases communicants aura joué, et peut-être même est-il impossible de parler de vases communicants, l’amour n’étant pas du tout une question de dosage ou de réciprocité, ce que je crois.

18:05 Publié dans WAW | Lien permanent | Commentaires (7)

" Notre langue française s’abîme ", dit-il

L’autre jour, dans Sud-Ouest (que je ne lis plus, ayant regagné la Touraine et ne vivant pas dans un foyer rivé à la presse régionale), un journaliste attribuait à un responsable socialiste, peut-être à Ségolène Royal, la pétition suivante: "nous demandons le retrait de la suppression des lignes Corail". Je ne sais s’il faut vraiment attribuer cette ineptie au dignitaire politique cité, ou au journaliste, mais, quoi qu’il en soit, il y a bien quelqu’un que cela ne gêne pas de retirer une suppression… Il se trouve, accessoirement, un journal pour accueillir ce genre de sottise.

Avant-hier, un exemple voisin dans Le Monde, niché dans le très intéressant dossier consacré à l’extinction des langues rares (La mondialisation menace la planète Babel, Le Monde daté du 26.08.2005, p.17): cette fois-ci, la faute de français est attribuée, dans un entretien, à Bernard Caron, directeur de laboratoire au CNRS. Je cite : "Certaines langues peuvent subsister avec moins de locuteurs, en isolation."

Voilà une faute de lexique (et de sémantique) que je m’évertue encore à sanctionner dans les versions d’étudiants de première année, en rappelant la règle par un moyen mnémotechnique dont je pense détenir les droits exclusifs: "isolement" rime avec "solitairement", "isolation" rime avec "maison". Si même un directeur de laboratoire (ou un journaliste) parle comme le dernier des illettrés, à quoi bon se débattre?

L’ironie, sans doute, est qu’il s’agit de propos attribués à un linguiste dans un dossier consacré aux menaces qui pèsent sur la diversité linguistique.

107 ans ont passé

Le 28 août 1898, il y a cent sept ans, Charles-Alfred Mallarmé, alors âgé de cinquante-six ans, devenait contre-amiral de la Marine française. Il était aussi directeur l'Ecole Supérieure de la Marine.

Enfin! (ou: paille & poutre)

Après avoir noirci l'équivalent de deux ou trois mille pages d'imprimerie dans son blog (je juge à vue de nez), Pierre Driout a enfin écrit, non une phrase sans faute (car, depuis que je lui avais gentiment tiré les oreilles, il fait l'effort de se corriger*, notamment sur sa ponctuation qui était ridicule) une phrase drôle.

Enfin une goutte d'inspiration, car, dit-il parlant de son prénom, qui est toujours en vogue:
"Non, je vous assure je ne suis pas agent immobilier."

Evidemment, ce que j'écris ici, assez perfidement, de ce cher Pierre Driout (qui me vomit dessus à longueur de pages, donc je me crois autorisé à la perfidie), je me l'applique aussi à moi-même: qu'as-tu écrit de valable en trois mois d'écriture sur carnétoile?. Je fais le tour, et je conclus qu'il y a une quarantaine de notes, au moins, qui méritent d'être sauvées, de manière non relative. C'est un peu mieux, tout de même, que la phrase de Pierre Driout.

* Ce n'est pas là présomption de ma part: je me suis aperçu que Pierre Driout, qui crache sur tout le monde, est extrêmement influençable et qu'il tient compte de tout ce qu'on dit de lui. Je ne connais personne d'autre pour attacher une pareille importance, ou conférer tant de valeur, à ce qui s'écrit sur la Toile.

J'aimerais...

... aller écouter la conférence de Jean-Louis Pautrat le 29 septembre à 20 h 30 ("Le nanomonde, révolution de l'infiniment petit", Salle Thélème, 3, rue des Tanneurs, entrée libre)

... me renseigner enfin sur les spectacles du C.C.N.T. (Centre chorégraphique national de Tours), qui propose pas moins de douze dates cette saison

... visiter l'exposition De l'arbre à la forêt au Muséum d'Histoire Naturelle de Tours (jusqu'au 18 septembre)

... aller voir les photographies de Henri Goarnisson aux Archives municipales, place Saint-Eloi (superbe bâtiment) (l'exposition ne commence que le 17 septembre)

... visiter, d'ici le 11 septembre, la petite exposition Eric Garin aux galeries Mathurin & Passerelle (juste en face de mon bureau à l'université)

... faire un tour du côté des Bons Enfants voir les photographies de Sandra Daveau et les sculptures de Christiane Robichon (le lieu d'exposition propose des artistes d'un niveau très inégal...)

... trouver, sur la carte de Tours puis "en vrai", le square Roze et la chapelle Sainte-Anne (si quelqu'un a une idée, je suis preneur, parce que j'ai eu beau chercher, même en dehors de Tours, sur le plan Ordex-Chevalerias, ça ne semble pas exister)

... aller à l'inauguration du nouveau Petit Faucheux, le 1er octobre

... écouter l'Ensemble vocal de l'Est tourangeau, à la salle Ockeghem, le 21 septembre à 20 h 45, dans un programme consacré à Mendelssohn, Brahms, Schubert, Schumann, Holst, Verdi Rossini (malgré les trois derniers)

... me procurer la brochure de la Saison lyrique de l'Opéra de Tours, qui me semble bien curieuse

... faire un tour, tout ouïe, au Festival de Musiques anciennes, qui se tient du 17 septembre au 16 octobre, en divers lieux.

Et j'en passe.