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samedi, 25 février 2023

Splendor

Hier, O* et moi avons joué à Splendor, pour la première fois depuis les vacances de Noël, il me semble.

Les deux premières parties ont été disputées avec l’extension Cités, et la dernière en combinant l’extension Cités et l’extension Pavillons. O* a gagné les trois parties. Les deux premières, c’était sur le fil du rasoir : il m’a manqué à chaque fois une seule carte pour pouvoir acheter la cité à 14 ou 16 points et donc contrer son achat de la cité à 13 points (dans les deux cas, je crois). Lors de la troisième partie, j’ai perdu 13 à 9, je crois, et les deux cités restantes étaient à 16 et 17 ; autant dire que j’étais loin du compte. Je crois que, comme on ne joue pas souvent avec les pavillons, j’ai très mal géré cet aspect-là, en réservant surtout des cartes à forte valeur (des rangs 2 et 3) au lieu de bloquer – comme O* l’a fait, fort intelligemment – les cartes dont aurait besoin de l’adversaire au vu de la stratégie qu’il commence à développer.

Depuis longtemps – sous l’influence du grand recueil de Roubaud, – j’ai dans l’idée d’écrire des textes, voire un livre, à partir de tel ou tel jeu, en prenant appui sur des parties réellement disputées. Toutefois, outre ma flemme, je n’ai jamais donné suite, car il faudrait noter de nombreux éléments pendant le jeu (et, vu les jeux auxquels nous jouons depuis quelques années, j’ai bien assez de mal à me concentrer sur les tenants et les aboutissants de ma partie) ou filmer intégralement les parties.

 

samedi, 21 janvier 2017

Un texte inachevé (un de plus)

Une année de 398 jours — Au rythme de plus en plus lent où j'écris ce testament, je ne suis pas au bout de mes peines, surtout si, après ce blog-ci, je m'attelle à faire le bilan de toutes les rubriques du blog anthracite.

Cette première phrase, ça ne fait aucun doute, est le signe que je tourne autour du pot. Et pourquoi y aller par quatre chemins, si ce n'est que je n'ai plus la moindre idée de ce qu'était cette série — inachevée — de textes publiés entre le 20 novembre et le 28 décembre 2011 . Plus la moindre : exagération. Je me rappelle que j'avais constitué, au préalable, un calendrier avec des mois de — de combien ? de 37 jours ? un truc dans le genre... de sorte que j'ai abouti à une année de 398 jours et que l'idée était de publier un texte sur 398 jours, ce que je n'ai évidemment pas fait. Je veux dire que je ne me suis pas tenu à ça, ça a tenu 39 jours, la bonne blague.

Il m'arrive d'être tenté de supprimer des blogs toutes ces rubriques presque vides, avortées, insignifiantes, et puis je me dis que non, qu'il vaut mieux que ces traces restent là ; les deux sites sont alors le reflet du grand bazar de l'écriture, à ce détail près qu'avec l'architecture des blogs, on retrouve facilement la moindre feuille volante.

Pour ce texte-ci, ce que je me rappelle le mieux, c'est qu'une partie des billets devaient être des traductions (fictives) de poètes totalement imaginaires (Stanisław Kucžbōrski, Bedri Rahmi Eyüboğlu, Eugeniusz Żytomirski...), et que, sur Facebook, certains pensaient que je traduisais vraiment du polonais ou du turc, langues dont je ne connais pas le premier mot. C'était il y a cinq ans et demi. Ces poèmes “traduits” sont donc de moi...

mercredi, 28 décembre 2011

3413 / Un mystère

Signaux de briquet dans la brume. Rien à l'horizon, à peine une feuille de salade mâchonnée par un escargot, au carrefour aménagé.picnikfile_fLn91A La crypte, ce n'est pas encore assez, même s'il faut répéter à l'envi les caractéristiques d'un monde disparu. Numance se tait, on ne comprend pas pourquoi. Nouveau mystère au milieu des décombres. Un mystère un peu jaune, comme de la brique sale.

mardi, 27 décembre 2011

3313 / Dans les planches

Le gris, le beige, et l'écru, puis encore le gris. le brouillard d'hiver a une saveur particulière. Enfermé dans ma guérite, je traduis cet improbable poète polonais imaginaire, tout en essayant de me méfier de la prolifération des adjectifs, qui guette, inéluctablement, de même que celle des averbes, qui me nargue, me menace, sans que je puisse transiger.

lundi, 26 décembre 2011

3213 / Rien ne demeure

Au petit matin, après le réveil brusque, tous les liens entre le rêve fraîchement éclos (éclaté telle une bulle, au réveil, au petit matin) et les lieux imaginaires du rêve, les décennies passées, les autres lieux rêvés -- tous ces liens se firent avec la force de l'évidence. Il reste plusieurs images fortes du rêve, mais des enchaînements écrits qui s'imposaient dans la première veille, au petit matin, rien ne demeure.

(Lu quelque chose de semblable dans le journal de Claude Ollier, la semaine dernière. Et dans un texte de jeunesse de Dubuffet. Et dans Jesus macht nicht mehr mit. Et je ne suis plus en Touraine, je ne traduis plus le poète polonais imaginaire.)

Les liens se sont effacés. Du rêve restent des fragments. Des phrases qui s'enchaînaient avec la force de l'évidence, rien ne demeure. Même en octanes je n'arrive plus à compter.

Il n'est plus question de Numance.

À chaque jour suffit sa ligne.

dimanche, 25 décembre 2011

3113 / Invention du Palindrome

Le palindrome construit des marionnettes, avec de la ficelle et du papier.

 

------------- que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami que je suis leur ami ------------

 

La marionnette construit des palindromes, avec du papier et de la ficelle.

samedi, 24 décembre 2011

3013 / Causerie

--- poème de Stanisław Kucžbōrski

 

― Ce brave artiste me saura gré de lui montrer ce chef-d'œuvre de la nature, et il voudra faire tout de suite sa statue...

― Pourtant tu me disais encore ce matin que tu les détestais.

― J'ai besoin d'être seul ici un instant.

― Je te regardais à l'éclat des bougies, avec ta robe blanche et tes beaux bras languissants dont tu semblais honteux, et ton sourire mélancolique dont la candeur contrastait avec l'impudence mal replâtrée de toutes ces bacchantes !

― On ne chantait plus les stances d'Arélin.

 

Un instant de silence, puis un cri.

― C'est ce qu'il voulut me faire croire lorsqu'il m'annonça ses projets, et je n'y ai pas apporté d'obstacle.

― Frère Côme, puisque vous avez ouï parler de cette horrible histoire, sachez que je n'aurais pas eu besoin de l'aide de mon mari pour repousser des tentatives aussi détestables. 

― Il faut qu'il parte à l'instant pour Florence.

― Mon devoir est de ne pas vous induire au péché en vous résistant.

― Le carnaval fut toujours une circonstance favorable aux amants, aux jaloux et aux voleurs.

― Ah! tout inconstant qu'il est, Antonio est encore l'amant le plus magnifique que j'aie eu, et ce n'est pas toi qui me ferais un pareil cadeau.

― Quoi que ce soit, Marc, je te défends d'exposer ta vie en faisant résistance. 

vendredi, 23 décembre 2011

2913 / Naissance de la forêt

--- poème de Stanisław Kucžbōrski

 

Un chêne de cinquante-six ans n’est encore qu’un adolescent.

Un olivier de cinquante-six ans, un enfant sorti des jupes de sa mère.

Et moi, mon corps noueux, ma sève qui s’épuise – qu’en dire ?

jeudi, 22 décembre 2011

2813 / Rêve de rien

--- poème de Stanisław Kucžbōrski

 

Une petite dame en fichu bleu bonnet vert vient sonner à ma porte en fichu bleu bonnet vert et me lance d’un coup en fichu bleu bonnet vert Tenez c’est pour vous, et me tend un paquet en fichu bleu bonnet vert, attendant ensuite la pièce en fichu bleu bonnet vert, le pourboire qu’elle pense être son dû en fichu bleu bonnet vert, de sorte que, ne comprenant pas son geste en fichu bleu bonnet vert, je la dévisage en fichu bleu bonnet vert, je la regarde en fichu bleu bonnet vert, et lui demande ce qu’elle fait là, en fichu bleu bonnet vert, à rester en fichu bleu bonnet vert tandis que j’ouvre le paquet ; et dans le paquet, que j’ouvre sous les yeux de la petite dame en fichu bleu bonnet vert, je découvre fichu bleu bonnet vert.

mercredi, 21 décembre 2011

2713 / La bonne odeur du café

--- poème de Stanisław Kucžbōrski

 

La bonne odeur du café, tirilikloupi tirilikloupa, réveille les enfants, les vieillards – et même le soleil !

Voici jusqu’à nous venue, en ce matin glacial, la bonne odeur du café.

Tout revigore tout.

Le café.

mardi, 20 décembre 2011

2613 / La Pologne

--- poème de Stanisław Kucžbōrski

                 

Dans les épaisses forêts où vivent des espoirs ternis, dans les épaisses forêts de la vie, dans les épaisses forêts, dans les forêts renaît toujours pour moi une Pologne sans symptômes.

Dans les noires forêts où s’exhalent de lourdes plaintes, dans les noires forêts de la contrainte, dans les noires forêts, dans les forêts sombre toujours pour moi une Pologne de fantômes.

Dans les forêts dort la Pologne.

Dans les forêts vit la Pologne.

Dans les cendres et la suie, dans le vent et les hautes branches des bouleaux, dans les nuages et dans la suie – vit et dort la Pologne.

Dans les forêts toujours revivra la Pologne.

Dans les forêts toujours renaîtra la Pologne.

lundi, 19 décembre 2011

2513 / Retouche à l’identité

--- poème de Stanisław Kucžbōrski

 

Je n’y suis pour personne.

dimanche, 18 décembre 2011

2413 / Bribe de bribe de bribe

Finger-lickin’ good

So good

Finger-lickin’ fine

So fine

 

Personne ici peut plus bien marcher droit.

 

samedi, 17 décembre 2011

2313 / Utopie

Notre force naît de rien. De n’être rien. De ne pas naître.

Nous ne comptons ni les octanes ni les octaves.

Je suis perdu, dans l’océan des informations, des correspondants, des friends (qui ne sont pas des amis) et des followers (qui ne m’emboîteront jamais le pas).

vendredi, 16 décembre 2011

2213 / Dystopie

Nous ne marchons pas droit.

jeudi, 15 décembre 2011

2113 / Au pichet même

Numance ne pense pas comprendre grand-chose à ce que je lui écris. Der Kellner brachte das Verlangte. Autant rompre, c’est mon avis. Mais il ne l’entend pas de cette oreille. The chick that’s in him pecks the shell. Il m’envoie, comme autant de dictons, des encouragements à poursuivre. Era forse l'una pomeridiana. Le dernier en date, un peu imbécile je trouve : « La pluie peut glacer l’épiderme, il n’en faut pas moins y trouver la plus subtile chaleur. »

 

Comment faire pour que les phrases ne forment pas des flaques ?

O quantum est in rebus inane !

mercredi, 14 décembre 2011

2013 / Perdita

« Tout ici est un puis sans fond. »

 

Mince, elle est bonne… Que devrais-je dire, moi, de mes journées perdues ? Pourtant, ça vaut le coup, alors je continue. Lui, il perd son temps, c’est vrai, mais peut-être aussi trouvera-t-il bientôt, parmi son fatras d’exégèses et de traductions d’auteurs méconnus, une véritable pépite, qui nous engagera tous, et pour longtemps. Chacun sa mission ; moi, je suis mon sillon. Au point de l’épouser.

 

« Tout ici est un puis sans fond. »

 

Je crois me rappeler un autre jour d’automne, il y a longtemps, un mercredi je crois – ainsi comptions-nous… ce jour n’était-il pas dédié à quelque dieu tutélaire propice aux messages ? – un jour où je lus en une seule journée (je vous prie de me pardonner pour la redondance, la lourdeur de l’expression) pas moins de cinq romans de ce même auteur contemporain français. Comment se nommait-il ? ma mémoire n’a pas la force de le nommer… son écriture très puissante s’attachait, dans la plupart des livres que je lus ce jour-là, à des situations qu’on aurait pu qualifier de sociologique. Je m’étais photographié, de quatre façons différentes, avec trois des cinq livres. On faisait n’importe quoi, c’était le bon temps je suppose. Octobre ? est-ce qu’il a existé, à une autre époque, un mois qui se nommait octobre ?

 

« Tout ici est un puis sans fond. »

 

Delphine revient, alors qu’on n’attendait plus ses promesses.

mardi, 13 décembre 2011

4311 / Déréliction

Aujourd’hui, rien. Je m’excite pour rien, je m’énerve pour rien, et je ne me tiens à rien.

Vaurien.

Fainéant.

Clamse, claque ton beignet.

 

Tout ici est un puits sans fond.

Je me décourage.

 

Pourtant, ce ne sont pas même les premiers alpages.

lundi, 12 décembre 2011

4211 / Trophonius, suite

Parmi les bizarreries que l’on trouve, à ce que m’écrit Juliane, sur les rayonnages de sa librairie – librairie qui compte, à ce qu’elle m’écrit, près de quatorze mille ouvrages – il y a l’intégralité des romans de Vaughan Kester, en anglais et en traduction. Juliane semble craindre beaucoup qu’un jour un acheteur se montre intéressé par cet ensemble qui constitue l’un des fleurons de sa librairie. Pour ma part, je ne comprends pas du tout, ni pourquoi elle ne veut pas les vendre, ni pourquoi, ne désirant pas les vendre, elle ne les garde pas tout simplement par devers elle. Juliane me répond invariablement qu’il faut que l’ensemble de ces livres soit disponible à la vente pour qu’ils soient vraiment l’un des fleurons de sa librairie – c’est son expression – mais qu’elle ne peut pas non plus inscrire un prix prohibitif sur la page de faux titre, car elle craint d’attiser les convoitises de bibliophiles un peu ignorants qui, s’imaginant qu’il s’agit là d’absolues raretés (alors que ce ne sont, à ce qu’elle m’écrit, des raretés que relatives, des raretés en tant que collection complète dans une librairie d’occasion en Europe – les romans de Vaughan Kester n’ont pas une cote très élevée, ni en anglais ni en traduction (et ce alors même, pensé-je dans mon for intérieur, que personne ne sait que Vaughan Kester a été traduit)), se précipiteraient pour les lui acheter tous au comptant, faisant de la sorte la fortune et le malheur de Juliane. On doit toujours tâcher de ne pas se compliquer la vie : c’est ma devise.

 

 

Juchée sur la chaise blanche, la chatte joue avec un des lutins de bois du sapin de Noël, puis, toujours boxant, fait tomber une des boules dorées, qu’elle poursuit ensuite sur le carrelage. —— Je ne sais plus qui m’a écrit en ajoutant cette phrase en-dessous de sa signature. Irène, peut-être ? Ou Philippe ?

dimanche, 11 décembre 2011

4111 / « Ergaphilos ressuscite dans Cagliostro »

Il me faut creuser un chronotope, ou plutôt l’écart entre deux chronotopes.

The century was a maze of crosscurrentsIl s’agit de souvenirs, d’une mémoire enfouie – la mienne – qui ne demande qu’à faire des incartades, des embardées. Deux moments distincts, semblables et si différents – d’humeur, de tonalité. Un peu comme ce que l’oreille perçoit en écoutant successivement Pétrouchka et Apollon Musagète.

Un vendredi, à onze heures du matin, en décembre, je conduisais une petite voiture gris métallisé, vieille et sale, et traversai le pont Wilson du sud vers le nord, quand j’aperçus une grande aigrette qui volait, sous un brouillard laiteux plus que poisseux, en descendant la Loire ; la certitude qu’il s’agissait d’une grande aigrette, et non d’une aigrette garzette, me vint immédiatement du fait de la taille et de la noble majesté de l’oiseau, alors que la garzette m’a toujours semblé recéler, dans son vol comme dans son nom, la plus absolue gracilité. En 1911, nous eûmes Pétrouchka, merveille d’entrain et de fraîcheur. Je ralentis, stoppai ma voiture en pleine voie, observai longtemps la grande aigrette s’éloigner lentement de son vol chaloupé – jusqu’à réagir aux klaxons furibards et à reprendre ma course, du sud vers le nord.

Un lundi – était-ce le lundi suivant ? c’est que ma mémoire ne parvient pas à déterminer avec certitude – , à neuf heures quarante, je traversai le pont Mirabeau du sud vers le nord, au volant d’une berline noire presque neuve mais éraflée et cabossée sur tout le flanc droit, et, ne voyant aucun oiseau, sous un ciel aussi bleu que celui du vendredi – du vendredi précédent ? – était cotonneux de brume épaisse, me régalai du spectacle des îlets sur la Loire enfin débarrassés des étalages de boue sèche qui leur avaient servi d’écrin douteux tout au long de l’été, tout au long de l’automne. The century was a maze of crosscurrents.

Ce qui me rend fou, c’est de ne pouvoir croiser vraiment – ou subsumer – les deux moments, un peu comme l’on entendrait, si l’on diffusait en même temps, sur deux chaînes stéréo placées dans la même pièce, un enregistrement de Pétrouchka et un enregistrement d’Apollon Musagète, une épouvantable cacophonie.

 

samedi, 10 décembre 2011

4011 / Les Reposoirs

Enfermée dans sa petite échoppe de bouquiniste crasseuse et mal chauffée, Juliane m’écrit sans cesse pour me demander des conseils, sur tout, sur rien. Elle me raconte par le menu ce qu’elle lit au long des journées, soit enfoncée dans le vieux fauteuil orange décoloré soit en déclamant à haute voix dans les allées de sa librairie, quand elle y est seule, mais aussi les achats des clients, leur allure ; ce qui semble l’obséder tout particulièrement, ce sont les livres que les clients consultent et puis reposent. Ce local était plus long et plus ténébreux que l’antre de Trophonius. Je me demande si Juliane ne compte pas publier un jour, sous forme de livre avant-gardiste un peu fou, l’ensemble des lettres qu’elle m’écrit, ou du moins le paragraphe dans lequel elle énumère avec précision les livres pris et puis reposés par tel ou tel client. No one fares so ill in a crowd as the man who is wedged in the middle. Ce paragraphe, tout à fait long et indigeste, par lequel elle termine chacune des missives électroniques qu’elle m’envoie, suit toujours la même structure : à chaque client une seule phrase le décrivant puis décrivant l’ensemble des livres consultés et puis reposés, ce qui, dans les cas, pas si rares, où un seul client a tripoté une vingtaine de couvertures dans des rayons différents avant de n’acheter qu’un livre de poche, voire rien du tout, a dû contraindre la bouquiniste à de savants espionnages, et l’épistolière à des efforts de variation syntaxique assez impressionnants – efforts qui me suggèrent de plus en plus fortement l’hypothèse que Juliane cherche, par là, à faire œuvre, à mes dépens, en quelque sorte. Et je n’ai pas de temps à perdre à jouer les cobayes, en quelque sorte, d’une œuvre aussi avant-gardiste qu’interminable, moi qui ai encore découvert hier que, pour ajouter à la longue liste de mes tâches sisyphéennes, je devais traduire les poèmes de Stanisław Kucžbōrski, dont tout le monde connaît les huiles et les pointes, mais dont j’ignorais – et bien d’autres avec moi l’ignorent, je pense – qu’il eût écrit des poèmes en prose. Enfermé, enchaîné à ma table de travail, dans ce pays de ma naissance, il m’est impossible de différer plus longtemps ce nouveau labeur.

vendredi, 09 décembre 2011

3911 / Un échange bizarre

Je n'en peux plus, des romans d'amour comme des histoires de cul. Notre soleil tire sur le rouge, dit le Sirien.

L'héritière des sacs Lancel m'écrit pour me demander si je veux relire sa traduction d'un roman de John Buchan dont j'ignorais jusqu'à l'existence, ce qui me laisse sans voix, même au clavier. Elle me jura que si je voulais être ferme, quels que fussent les inconvéniens que nous éprouvassions, nous serions pour toujours l'un à l'autre. Puis, je me suis aperçu que personne n'avait pensé à célébrer le centième anniversaire de Nelson Cavaquinho, ce qui ne m'étonnait pas tout à fait vu que, dans notre monde bizarre, tout le monde confond salsa et samba, moi le premier, mais qui m'a donné une excellente idée de réponse pour l'héritière (qui se prénomme Orlane). Prenant prétexte du fait que le dédicataire du roman qu'elle avait traduit était dédié à Hugh Archibald Wyndham, et arguant que j'avais l'esprit de l'escalier, je lui fis un bref exposé de mes propres difficultés quand j'avais traduit Les Faulx-Saulniers de Nerval – je ne sais toujours pas comment traduire l'archaïsme dol – avant d'évoquer les ombres tutélaires d'Auden, Brassens et Carl Lewis.

Bref, je lui dis non. Brutalement. Qui était Barnabé Brisson?

Orlane me relance, c'est pénible. Douze gendarmes, commandés par le vaillant Bondéduit, l'escortaient, sabre au clair. Je traduis des poèmes pour oublier ses messages harcelants. J'invente des sévices. Détestant la prose stupide de Buchan, j'imagine que je fourre la tête de l'héritière des sacs Lancel au fond d'un gogue. J'hallucine d'autres sévices encore. Pour me calmer, j'écoute une version somptueuse de l'opéra de Julia Smith, Cockcrow. Notre soleil tire sur le rouge, dit le Sirien. Il me tarde de voir poindre l'étoile du berger.

jeudi, 08 décembre 2011

3811 / Les Nons-du-Père

Les gens qui me voient passer avec ma hotte et me dévisagent d’un air admiratif ne laissent pas de me surprendre. Ce n’est pas comme si j’avais inventé – mon rêve d’une vie, mon rêve jamais abouti – le procédé qui permet, comme Panoramix dans Le Domaine des dieux, de faire pousser des chênes en un tournemain – en un éclair ? à toute vibure ? Le langage me pèse presque autant que de tels regards. Je voudrais tout envoyer bouler, paroles et regards.

mercredi, 07 décembre 2011

3711 / Crochet intérieur

Tout cela, bien entendu, ne pouvait pas avoir lieu ailleurs qu’en Touraine. Mon ordinateur portable a vingt-deux ans ; il est normal qu’il fasse un bruit de vuvuzela, un boucan d’avion à réaction. J’entends du remue-ménage dans la rue, je m’interroge, et je vais – lentement, précautionneusement, trop lentement – jusqu’à la fenêtre. Derrière la vitre, je guette, oh pas longtemps, car bientôt je vois passer le camion des éboueurs, puis cet homme étrange qui semble fuir, s’éloigner, baissant les yeux, et trimbale avec lui un gros sac de voyage très voyant (il est de couleur jaune vif, dans une matière proche du plastique), s’enfuit comme s’il avait le diable aux basques. Même s’il ne dit rien, c’est lui qui fait tout ce chambard.

Je n’ai jamais compris.

mardi, 06 décembre 2011

3611 / (V)ivre

Octave alors a passé le relais à Nicolas, qui ne savait pas comment insérer la microcarte dans l’ordinateur portable. De toute façon, peu lui crucial. Vous avez eu la preuve que même les éditeurs n’arrivaient pas à lire ce pavé répétitif et indigeste. Le new age ne permet pas tout. Pourtant, c’était assez beau, dans la ruelle, de prendre son temps en regardant les ramasseurs de feuilles de platane. D’un vert tendre comme les jeunes mousses. Manuel n’a plus écrit, et, tout en repensant aux beaux jours de cette jeunesse (la ruelle, les feuilles de platane), j’ai perdu ma journée à regarder les matous se pourchasser dans le jardin, et à me demander pourquoi Manuel ne m’écrit plus. Il m’a fallu beaucoup de volonté pour me remettre à mes traductions. Quand je lis un texte traduit, même si je ne connais pas du tout la langue d’origine (la langue-source, comme disent les linguistes), je sens le calque ou la mauvaise traduction à deux mètres. Il eut une séance de sexe intense avec sa petite amie. Aussi m’a-t-il fallu beaucoup de volonté pour honorer la dernière commande ; un petit éditeur, qui a pour seul trait distinctif de changer à chaque nouvelle publication la couleur des couvertures, même avec d’infimes variations, m’a demandé de traduire un florilège de poèmes d’Allen Curnow. De minuscules nuances animaient le texte sans pour autant l’abîmer.

J’aurais préféré poursuivre ma lecture de Václav Čtvrtek, car l’œuvre du Néo-Zélandais – mort à l’âge de quatre-vingt-onze ans sans avoir connu notre époque heureuse, et sans avoir même imaginé qu’un pauvre hère condamné à le traduire écrirait, en marge de son travail besogneux, le récit de son année bizarre – ne me parle pas particulièrement.

Tout en traduisant, un peu à la va-vite, l’avouerai-je, quelques triolets mal fichus, je repensai, non sans lever les yeux à chaque fois que passait un matou, invariablement suivi d’un poursuivant, aux journées de naguère, à l’époque où chaque moment sentait la sueur, la précarité, le goudron sale. Le dimanche, le temps adopte un cours bizarre, le paysage se dénature étrangement. Et, dans mes souvenirs, j’ai revu le visage de Chloé et me suis rappelé combien les sensations de sueur froide, de nervosité, de goudron brûlant et nocif, s’accompagnaient d’un frisson permanent de bonheur. Délaissant dorénavant le roquet, j’ai arrêté de traduire les triolets pesants d’Allen Curnow pour tenter de retrouver, en moi, ce frisson, et, face à l’échec lamentable, ai mis sur la platine le disque du Strada Sextet que je pourrais écouter vingt fois d’affilée sans m’en lasser. The ruins of old cities stand piled against one another in a tangled mass of verdure that is hardly penetrable except where the tracks wind in and out.Le frisson n’est pas venu, mais les visions, c’est déjà ça.

lundi, 05 décembre 2011

3511 / Allons au lit avec notre bougeoir

Octave tombait le lundi, cette fois-ci.

Alors il dut s’aliter.

Ah ah.

David Markson rapporte, à la page 163, un propos de Raymond Chandler distinguant les écrivains qui écrivent des histoires de ceux qui écrivent de l’écriture. Le narrateur de Chet Baker pense à son art a pour projet de réconcilier la sphère Finnegans et la sphère Hire. Barthes déjà a approfondi la question des textes lisibles et des textes scriptibles. Dans Travers, et ailleurs, Renaud Camus insiste beaucoup sur le recoupement d’une forme avant-gardiste et de récits permettant l’identification. David Markson rapporte, à la page 65, une hypothèse de lecture qui fait de wake un verbe et de Finnegans un sujet pluriel.

Seule hypothèse valable.

Ha ha.

dimanche, 04 décembre 2011

3411 / Un surnom infini

 

Le bassiste était surnommé Chichon. De cela, je m’en souviens parfaitement. Mes correspondants peuvent m’étourdir de leurs demandes savantes, je n’oublierai jamais que le bassiste avait un surnom, et que ce surnom était Chichon.

Un beau jour, j’en aurai assez qu’on m’écrive sans arrêt pour me demander des détails sur Chizuko Mifune ou sur Ōtori Keisuke, et je n’accepterai, comme projet de travail en collaboration, que de réécouter les symphonies de Mahler, peut-être dans toutes les versions possibles ou archivées. Mais Mahler, ça, tout de même, oui, non ?

Bien entendu, Chichon n’a jamais joué les symphonies de Mahler à la guitare basse, même pas pour rigoler, même pas en se prenant pour Uri Caine. No pararon los irritados combatientes hasta que D. Marcos no derramó sangre á raudales, rasguñado por la poetisa. Mais tout de même, voilà un surnom auquel se raccrocher : Chichon. Un sacré surnom, non ?

Dans le même temps (et déjà la ligne de démarcation dénote une distance de plus en plus grande entre les différents protagonistes de cette sombre affaire, de cette « année bizarre » si vous voulez), l’Autre avait commencé, achevée sa relecture de Wittgenstein’s Mistress, à lire Reader’s Block, qui l’avait happé, tout autant. Il devint alors évident que, si le texte qu’ils écrivaient ensemble n’avançait pas, c’est que certains (lui, l’Autre, en premier lieu) se laissaient happer par des lectures qui les empêchaient d’écrire, ou plutôt, les empêchaient de trouver assez de temps pour écrire. Etait-ce cela, le fin mot ? être trop lecteur empêche d’être protagoniste… ?

L’Autre, surtout, écrivit à Numance et à Manuel pour leur proposer un travail différent des précédents : écrire une glose de chacun des paragraphes du livre de David Markson. Manuel refusa par retour de courrier. Scipio, cum aversum suum videret exercitum, pronuntiavit pro hoste sibi futurum, quisquis in castra redisset. Numance ne répondit jamais.

L’Autre, comme toujours velléitaire, s’ouvrit un petit bocal de graisserons, se fit quelques tartines de pain grillé, fuma à sa fenêtre, reprit le livre, passa à autre chose. On n’entendit plus jamais parler de son projet.

On dit que Numance n’a pas répondu car il était déjà mort, à ce moment-là.

 

samedi, 03 décembre 2011

3311 / L’Aube des temps

Le mot âne n’étant pas très éloigné du mot âme, je ne peux m’empêcher d’avoir une approche wittgensteinienne de la question. Ainsi, soul en anglais, a sole pour homophone – et sole est un signifiant ambigu, tantôt adjectif, tantôt substantif. L’âme, est-ce être bête comme ses pieds, têtu comme un âne. (Dans la phrase qui précède, a-t-on noté l’importance des circonflexes ? Of this we, as the latines, hes almost no use. La langue anglaise ignore les diacritiques, pas le turc.) Le héros de Gide, anti-héros après Bartleby, n’est pas censé avoir traduit les nouvelles fantastiques de Gautier, et pourtant moi, je continue de reprendre les vers d’Eugeniusz Żytomirski ou Bedri Rahmi Eyüboğlu.

Le truc, aussi, c’est que je n’ai pas retrouvé  mon exemplaire du Voyage autour de ma chambre, lu en 1993 à Talence dans le fauteuil décoloré du studio, ni la page à laquelle Vila-Matas – ou plutôt, son narrateur fuligineux – définit le nombre 32 comme le nombre « de la Faux ». Enfant, je n’ai pas lu Le 35 mai d’Erich Kästner, roman que m’avait fortement conseillé ma sœur, mais je revois très précisément l’exemplaire et la couverture. Nous qui avons des mois de plus de 31 jours, nous avons renoncé au fétichisme de l’ « irrégularité régularisée » (même si nous vivons encore parfois dans des maisons de pierre), mais pas au décompte. Pas tout à fait. Si quelqu’un a fait le voyage jusqu’au 32, il n’a pas fait machine arrière pour en faire le récit. C’est pourtant cela, le sens de l’expression « année bizarre ». Croyez-vous vraiment que j’aie employé cette expression par hasard, au débotté ? Croyez-vous que j’aie (et même que j’ai) inscrit le titre Une année de 398 jours en tête de cet ouvrage au décrochez-moi-ça ? Imaginez-vous que tout cela se compose à la va-comme-je-te-pousse ?

(Il poursuivit ainsi, poussivement, péniblement, lassant les rares lecteurs.)

En turc, on dit « bête comme la plante des pieds ». Mais l’expression française une jolie plante se traduit au moyen d’une autre image : une agréable sérénade. The toes were slender and delicate, and terminated by perfectly formed nails, pure and transparent as agates. Et ne me dites pas que vous n’avez jamais lu les textes bouleversants qu’il a écrits sur la culture japonaise. (Ce qui le fit penser qu’il n’avait toujours pas écrit la recension promise sur ce livre de Ryoko Sekiguchi, dont pourtant il pensait le plus grand bien.)

Nous n’avons pas vraiment renoncé au fétichisme.

L’Aube et le Suédois tombèrent au bas du bois.

Dans une toge.

vendredi, 02 décembre 2011

3211 / Qui m'

Je deviens fou à ne pas savoir qui m'écrit.

 

(Une notule pour Nathan.)

C'est l'anniversaire de Pierre.

 

 Trois phrases d'un côté, cinq de l'autre, sorties toutes d'un jet, et au milieu de ce bleu, une autre phrase, en petites capitales d'imprimerie, dans une autre police, lettres noires et non plus bleues, dont on ne sait que faire, qu'on ne saurait comprendre, dont l'ironie souveraine ne peut ici avoir de sens, à moins de décider soudain que tout le texte se déballonne de l'intérieur, et tu ne me feras pas croire ça, again again again man !

 

Il n'a pas suffi de photographier des ânes, à Aulnay, Pouillon, Saint-Aignan, au jardin des Prébendes ou en manifestation, au zoo de Pescheray ou sur le site troglodytique des Goupillières, ni même, plus récemment, sur le parking de Jardiland.

jeudi, 01 décembre 2011

3111 / Le Lapin sous le prunier

Dans tous ses états, elle était, la pauvre femme. On va se laisser passer l’heure… le sablier, ça n’est pas rien… la seconde du rendez-vous elle-même est importante… Des foutaises. Mais bon. Elle était dans tous ses états. J’aurais voulu la calmer, la secouer, la calmer ou la secouer, je ne sais, toujours est-il qu’elle faisait pâle figure, un sacré tableau.

C’est quand elle a fait brûler le cadre que je me suis énervé.

Ce n’était plus possible.

Joachim Wtewael, Festin chez EmmaüsOn avait fait la sieste sous un prunier, c’était l’hiver – mais quoi ?

Pénible. Pas moyen de se reposer, toujours cette injonction, le lapin d’Alice, en retard, en retard, j’entendais la voix de Guy Piérauld, en retard en retard en retard. Pffff. Pénible. Kano pensively lifted a plum upon the point of a toothpick and began nibbling at its wrinkled skin. Pourtant, je finis par me rendre à l’évidence et par l’accompagner, non sans ramasser les feuilles de prunier et les déposer dans les conteneurs spéciaux prévus à cet effet.

Roger Dorsinville m’ennuyait ; René Barjavel encore plus ; même mon idole, Flann O’Brien, je n’arrivais pas à me plonger dans son univers dense et loufoque. J’avais passé toute la nuit précédente à traduire des poèmes de Bedri Rahmi Eyüboğlu, sans rien savoir du turc, bien sûr, mais juste comme ça, par science immanente. (Ce n’est pas donné à tout le monde. Je raconterai un jour ce qui m’est arrivé. Barjavel peut pâlir.) J’avais appris l’existence de ce peintre et écrivain turc par le biais d’un texte méconnu du majoral Sylvain Toulze. J’avais voulu traduire aussitôt tout ce qui m’était tombé sous la main. Et Marie, devant ces lilas, avait ménagé une large plate-bande, où elle s'amusait à cultiver elle-même quelques rosiers, des giroflées et des résédas. Et j’étais satisfait du résultat.

Mais, quand elle a commencé à faire cramer les cadres, là, j’ai explosé. Dans la ligne de tir. Trop de fers au feu. Et le centenaire de Pompidou, dont tout le monde se contrefout. Alors, voilà, je l’accompagne à son rendez-vous.

Pas moyen autrement.

mercredi, 30 novembre 2011

3011 / Galet (traduit du turc)

Berdri Rahmi Eyuboğlu, Han Kahvesi, 1973 Tandis que je pense à toi, en moi un galet se réchauffe, et un oiseau se pose au rebord de mon cœur.

Un coquelicot soudain fleurit, un coquelicot saigne, subtil coquelicot.

 

Tandis qu’à toi je pense, et m’interroge, un prunier se redresse et commence à tourner, pareil à un derviche.

En en tournant sur lui-même, il se délie, il se dénoue, il se défait. Il diminue, rapetisse, et sa sève encore laiteuse devient une prune d’un bleu si noir

Que le bleu de la prune à chaque fois me brûle les lèvres.

 

Tandis que je pense à toi, en moi un galet se réchauffe.

 

(Oui, c'est un poème de Bedri Rahmi Eyüboğlu que j'ai traduit, avec toute une fournée d'autres textes tous plus beaux les uns que les autres. Oui, je deviens fou à ne plus savoir qui m'écrit. J'attends la nuit. A street in Constantinople is a picture which one ought to see once—not oftener. L'année va être plus folle et plus longue que toutes les autres. J'ai trouvé les messages de la narratrice, mais pas dans les couloirs de la National Gallery. En fait, à Istanbul. Et il y avait ce tableau du peintre et poète turc aussi. Je deviens fou.)

mardi, 29 novembre 2011

2911 / « Toucher du doigt le paradis »

Nous cherchons des pistes aussi dans la littérature. Je relis Wittgenstein’s Mistress ; la narratrice a quelques fulgurances qui en disent long sur la situation qui est la nôtre. Mieux que Vivaldi, je me suis aperçu que ce sont les Symphonies de Schnittke qui se prêtent le mieux à cette (re)lecture.

 

Un adolescent, qui se prénomme Anicet et qui vit du côté de Saint-Samson ou de Saint-Pair, dans le Calvados – je crois qu’il a une maison dans chacun de ces deux villages, peut-être du fait de parents divorcés ? –, m’écrit souvent pour me demander des détails sur Narayan Apte, dont je ne parviens pas – quoique cette information soit devenue aussi importante pour moi que pour le pauvre Anicet – à déterminer le rôle précis dans l’assassinat du Mahatma. Paix des pâtis semés d'animaux

 

Je tiens à préciser que j’ai mis très longtemps à m’apercevoir que Numance était certainement un pseudonyme, et qu’il s’agissait aussi du nom d’un des personnages de ce très beau roman de Giono dont le titre m’échappe. Le jour où la coïncidence (en est-ce bien une ?) m’a frappé, j’ai écouté, en boucle, le quatuor à cordes de Frederick May dans la version du Aeolian Quartet.

lundi, 28 novembre 2011

2811 / Après octane

Hier, par exemple, pour le 8ème jour (que l’on appelle octane), nous avons fait, mes parents et moi, toute une promenade le long de la côte Atlantique, de port en port, de dune en dune, de village de pêcheurs en village de pêcheurs, ce avec, pour tout carburant, à peine quelques kilos de feuilles de troène pourries. Pourtant, le troène n’est pas ce qu’il y a de mieux. Et ma mère, qui prétend tenir un compte précis selon l’ancien calendrier, disait que ce jour d’octane coïncidait avec un dimanche. There she stood, trying to soothe herself with the scent of flowers and the fading, beautiful evening.  Dans une crique, nous avons pique-niqué. Il faisait beau. Nous étions heureux. Aujourd’hui, malheureusement, il a fallu reprendre le collier – expression qui me rappelle notre voisin septuagénaire, Claude, récitant quasiment sans erreur les vingt premiers vers du Chien et le loup. Et aujourd’hui, malheureusement, le vin de Chinon était froid dans la bouteille, au point que j’ai failli le renvoyer en cuisine, mais bon, j’étais trop absorbé par la conversation, qui tournait autour de l’apprentissage du français par les Russes et la poésie russe (et l’absurdité de l’apprentissage systématique d’une langue étrangère par le biais de la littérature). Le temps passe, il faut s’y remettre.

samedi, 26 novembre 2011

2611 / Sans acolytes ?

René Magritte, La Flèche de Zénon (1964).Au septième jour, ce fut Delphine. Jamais le brouillard ne s’est vraiment levé, les nuages gris sont restés à quelques dizaines de mètres peut-être au-dessus de nos têtes, ni protecteurs (pourtant) ni nourriciers. It is a settled fact that man naturally chews his food.Le retour de la place René-Coty, avant dix heures pourtant, a pris près d’un quart d’heure, fichus travaux du tramway.

C’est dans une telle atmosphère, deux jours après avoir interrogé Marc sur ce que devenait Zeno Bianu, que j’ai fini de lire le Don Juan de Peter Handke, et commencé Le théorème du Surmâle. Il y a des conflagrations frappantes ; celle-là n’était pas mal. Il y a, entre autres, le rapport entre la substance jouissive selon Lacan, la puissance, et l’évidence des déplacements dans le texte de Handke.

Il a bien fallu, aussi, répondre à Manuel. J’avais été, de prime abord, tenté, de lui balancer brutalement un mail très bref, avec une vanne à deux balles (genre : « Sorry, the Siksika make me sick »), mais je n’en ai pas eu le courage, et puis, est-ce que je connais l’état psychologique de ce congénère éloigné ? Et déjà, tiens tiens, un peu de duvet était revenu sur le crâne du malade du cancer.

Donc, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai pondu quelques paragraphes un peu improvisés sur les relations entre les maires de Minneapolis au dix-neuvième siècle (singulièrement le crypto-mafieux Albert Alonzo Ames) et l’œuvre obscure, ou plutôt oubliée, de Wallace Wattles. Curieusement, c’est le seul roman de cet écrivain, Hellfire Harrison, que lisait le mobster pendant ses démêlés judiciaires ; son biographe est formel, alors qu’on aurait pu s’attendre à ce qu’il lise l’opus magnum, The Science of Being Well. (Ici, le narrateur commet un anachronisme assez flagrant, qui a dû dérouter Manuel, à moins que ce dernier ait su déjà depuis longtemps que les digressions de son correspondant n’avaient aucune espèce de fiabilité.) Après avoir écrit cet assez long mail, non sans l’enregistrer régulièrement de peur de perdre les précieux paragraphes, je suis allé me recoucher, en lisant, toujours, l’essai de Paul Audi.

Auf der Straße neben dem Wagen aber stand Abel Hradscheck selbst. On a du mal à comprendre comment, sans acolytes, les homes de cette époque maudite ont pu survivre. Regardaient-ils avec joie le ciel bas et lourd ? Se délectaient-ils, tout simplement, des lamentations si posées et émouvantes d’un Du Bellay ? Derrière moi, dans la file d’attente qui s’allongeait devant la porte encore fermée de la salle de classe, se trouvait celui que nous surnommons Joachim Beylet. Avec des gens comme ça, pas d’acolytes, de confrérie imaginable – autant se flinguer illico. On a du mal à comprendre comment survivre. Pour lui, Numance dans l’Illinois et Manuel je ne sais plus où (en Italie, je crois), était-ce tout ?

vendredi, 25 novembre 2011

2511 / Aubade

Voici donc, après avoir sué sang et eau, ma traduction d'un poème d'Eugeniusz Żytomirski :


AUBADE


Vous vous levez avant le coq

tout de même s'il chante avant trois heures vingt - :

Votre train prend le large

Un peuplier féroce se dresse au loin, là-bas

et votre train déraille, en pensée, seulement

Ce n'est pas vous qui chantez

Vous ne vous levez plus avant le chant du coq


Viendra, malgré la brume

et malgré l'océan (qu'on n'entend pas gémir,

Les forêts sont

                      profondes), un temps pour tout,

pour rien,

pour le coq et l'oiseau

Le charbon et le train.


jeudi, 24 novembre 2011

2411 / S’inventer des racines / 2445

En fait, non. Nous ne sommes qu’une poignée de survivants. Nous sommes enfermés. Nous n’osons pas sortir. Je n’arrête pas de relire Wittgenstein’s Mistress et Ryoko Sekiguchi. Manuel me harcèle à son tour. Heureusement que nous avons des acolytes, quelque part, sans quoi je deviendrais fou.

Je noue des liens, ou alors nous gelons sur pied. Sous la présidence de Zaldua, la Colombie s’est inventé des racines. Tentative similaire, ici.

mercredi, 23 novembre 2011

2311 / Imposture

Depuis que nous avons mis au point le système révolutionnaire qui permet de produire une énergie entièrement non polluante – puisqu'il n'y a ni rejet ni dépôts usagés – à partir de la matière végétale en putréfaction, le monde a rajeuni, se régénère, ne cesse de voir se résorber les vieilles tensions, les conflits, les douleurs. Il aura fallu des décennies pour vaincre les puissants lobbys conjugués de l'énergie atomique et du pétrole, mais la ténacité d'un petit groupe de chercheurs français, italiens et japonais aura fini par payer. Lors de la dernière mise au point du processus LeafPower™, nous avons obtenu l'équivalent énergétique de 100 KW, à partir de la putréfaction accélérée d'un kilogramme de feuilles de néflier.

 

On s'est aperçu que la feuille de néflier avait le taux de G.E.P. (générativité énergétique potentielle) le plus élevé. C'est un homme de trente-sept ans qui se promenait en ville avec son fils, un dimanche d'octobre, qui nous a soufflé l'idée de la putréfaction végétale. Si cette légende, comme toute légende, est globalement juste, elle néglige plusieurs éléments sur lesquels il faudra un jour revenir en détail. Nous lui avons élevé des statues. Tous les dépôts de carburant portent, pour sigle commun, le dessin stylisé de son profil, désormais reconnu de tous. Pourtant, il n'a rien trouvé, rien inventé, rien mis au point.

Il avait seulement acheté un pavillon, avec deux cognassiers, deux néfliers, et, non loin, un square arboré.

Imposture.

 

mardi, 22 novembre 2011

2211 / Atermoiements de la morue

Valse hésitation entre utopie et dystopie.

Un livre qui m’a beaucoup marqué : Wittgenstein’s Mistress de David Markson. Il faut en faire la remarque. Ce n’est pas rien.

Donc j’hésite.

La chatte, elle, après une longue séance d’autoléchage sur la chaise blanche, est retournée sur le sofa, pour y dormir.

 

Comme je m’ennuie dans mon palais, je me repasse La Terre, le très beau film de Zahari Zhandov. Perhaps that was why they were there because it was a place where some fellows wrote things for cod. But all the same it was queer what Athy said and the way he said it. It was not a cod because they had run away. He looked with the others across the playground and began to feel afraid. Pour tenter de me convaincre de l’urgence de la tâche qu’il me confie, Numance me relance quotidiennement. Aujourd’hui, il a mis en pièce jointe de son message électronique une photographie de lui, prise, si je ne m’abuse, avec un léger contrejour. Il ressemble un peu à l’apôtre qui, vêtu d’un manteau ocre, se trouve le plus à gauche dans La Cène de Carl Abrahams (le tableau peint en 1965).

Gonzague, quand nous étions en CE1, avait écrit, un matin, je ne sais plus quelle imbécillité, à même la paroi du préfabriqué, près de la porte d’entrée de la salle de classe, avec un marqueur qui puait. Ce n’était pas une parodie, ni un canular ; ni blague ni plaisanterie. Juste un ou deux mots écrits avec un marqueur vert.

lundi, 21 novembre 2011

2111 / Le dernier mot de Coriolan

Ici, pas d’italiques permis dans les titres. Numance me relance, mais je ne comprends à peu près rien à ses histoires albanaises. Toute la nuit j’ai eu dans la cervelle d’infernaux bourdonnements, et m’en suis beaucoup voulu de ne pas avoir poursuivi l’écriture du grand texte fluvial, plutôt que de commencer un énième immense projet, ou que de raconter des blagues de lépreux. Toute la nuit a vrombi. Les abeilles se décidèrent à sortir pour se défendre, et Gribouille assista à un combat furieux où chacun cherchait à percer un ennemi de son dard ou à lui manger la tête. Ma cervelle farcie d’insomniaques ardeurs, je ne me suis pas relevé non plus. Je dois tenir le coup. Mes ennemis sont nombreux. Les gratte-papier, les pisse-copie, les tire-jus me guettent. Jamais personne n’a porté le chapeau de feutre à larges bords et le col fourré de même couleur brune avec autant de platitude que le professeur Panerai, brossé par Carlo Ademollo. Dans mes nuits d’insomnie, je préfère revoir Alam Ara, avec l’inquiétante Zubeida.

dimanche, 20 novembre 2011

2011 / 2011

Comme cela fait plusieurs jours que je n’écris pas, et comme je ne lis guère non plus, accaparé par diverses tâches et par ma famille, ce n’est pas un hasard si je choisis la date d’aujourd’hui pour tenter de fixer quelques ébauches, après avoir commencé (avant-hier : hier soir, je suis rentré trop tard du dîner pour pouvoir lire au lit) le petit livre que Ryoko Sekiguchi consacre au tremblement de terre, au tsunami et à l’accident nucléaire de Fukushima. Au cours de l’année qui vient, je vais traduire un des livres de Verna Aardema, et apprendre le polonais, notamment pour pouvoir traduire – en anglais, en français et en allemand – les poèmes d’Eugeniusz Żytomirski.

Deux de mes amis ne cessent de m’écrire, en ce moment, pour me faire relire des pages de leur thèse. Numance travaille sur les rois d’Albanie, et, dans cette perspective, s’est beaucoup arraché les cheveux pour déterminer l’importance du père du roi Zog Ier, Jamel Pacha (qu’en albanais on doit orthographier Xhemal Zogolli) ; Manuel fait porter ses recherches sur la nation Siksika, et notamment sur la figure complexe du chef Aatsista-Mahkan (dont la belle tête est parvenue jusqu’à nous grâce à une photographie sépia d’Edward S. Curtis)

Drôle de vie, année bizarre à l’horizon.