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mardi, 31 janvier 2006

Miné

Je ne pensais pas céder un soir à la tentation de ce calembour, mais voilà – le mal est fait.

 

Des jours comme ça…

 

Le matin, une belle baffe ailleurs sur le réseau, & tout le jour un végétatif qui a posé ses crottes dans les commentaires de ce carnétoile, sans compter  le Vidal qui médicalement propose son terrorisme intellectuel.

 

À l’université, journée désastreuse. Au premier chef, lutte contre des ragots diffamants (histoire compliquée, dont on n’a pas vu le bout). Puis, dans l'ordre et en beauté...:

Une sombre histoire de devoir statutairement inscrit dans le livret et qu’un collègue n’a pas fait faire à ses étudiants ; c’est moi qui rattrape le coup et organise tout (téléphonages, entrevues, course après les salles).

Un T.D. de 45 étudiants placé dans une salle ne comptant que dix-huit places.

Enfin, une collègue qui me fait une scène à propos d’une prétendue confusion entre les deux centres de recherche. Il se trouve qu’elle affabule, comme d’habitude d’ailleurs.

 

Heureusement, les miens sont là. Je rêvasse en douceur en regardant mon fils. Et, ce matin, tout de même, j’ai consacré deux heures et demie à recevoir des étudiants, à qui je donnais des conseils individualisés sur leur travail : cela, c’est un vrai bonheur. (D'ailleurs, tous les entretiens que j'ai eus avec des étudiants aujourd'hui ont illuminé ma journée.)

 

Journée quand même affreuse. Je vais virer

[tiens, c’est le 31 janvier : le temps idéal pour cesser de remettre tout au lendemain et tenir ses promesses]

le Net de mon existence :

c’est-à-dire (bémol) préprogrammer une note par jour, et basta pour l’instant !

Pagli d'Ananda Devi

La note qui suit a été écrite en janvier 2002 et publiée sur le site Exigence Littérature. Je la publie dans ce carnet à l'occasion de la parution d'un nouveau roman, non encore lu, d'Ananda Devi.

 

Ce récit brûlant qui se transforme en roman torrentiel, pluie diluvienne autant que lexicale, est avant tout l’histoire d’une affabulation. On pourrait insister ici sur la figure féminine marginale, caractéristique des derniers romans d’Ananda Devi et si représentative de ce que Gilbert et Gubar nomment la folle du grenier (‘the madwoman in the attic’, la femme claustrée et contrainte au silence, version féministe de la “folle du logis”). Mais d’autres l’auront fait, sans doute.

Claustrée, Daya, que tous et toutes nomment “la Pagli” (la Folle), l’est assurément. Dans la première partie, elle ne parvient à nouer une histoire d’amour puissante, idyllique et métaphysique, avec Zil, le pêcheur, qu’en se sauvant de la demeure matrimoniale, “maison de sucre glace” ou, en créole, “gato lamarye”. Dans la deuxième partie, une fois sa relation extra-conjugale et surtout hors-normes éventée, confiée aux rumeurs et aux “mofines” (les commères), elle se voit enfermée dans un poulailler d’où, provoquant rageusement un déluge de pluie, elle attend le retour de Zil. La première page de l’antépénultième chapitre se charge d’ajouter une pierre à l’édifice littéraire des femmes claustrées : “Je suis l’emmurée vivante. […] Je suis entombée, embourbée, incarcérée en moi-même.” (p. 147)


En quoi, donc, la Pagli est-elle une affabulatrice ? C’est une narratrice dont l’idylle semble si magique, et surtout si abstraite, que le lecteur ne manque pas de trouver un deuxième sens au surnom, et au titre du roman : désireuse de s’inventer sa propre histoire en toute liberté, Daya/Pagli est une absolue fiction, car tout, dans ses propos et ses aventures, est fantasmatique. Jamais vraisemblable, quoique toujours saisissante, c’est une “figure”, un “antipersonnage” au sens où l’entend Xavier Garnier dans son récent essai (L’Eclat de la figure. Berne : Peter Lang, 2001).

Le comble de la supercherie intervient au moment où Zil, le pêcheur, projection des fantasmes de la narratrice, et surtout de ses frustrations, prend la parole. Ou plutôt : lorsque Daya fait parler Zil, car, au regard d’une polyphonie bien factice, Zil parle comme Daya, d’une même voix, à l’unisson. Ainsi, Zil, dont le récit soulignait l’attachement à la réalité et le refus des propos métaphysiques chers à la Pagli (voir en particulier pp. 71-72), livre lui aussi des propos emphatiques et abstraits : “Sans le don que tu m’as fait de toi, je ne serais qu’un homme à peu près, un homme à demi qui ne sait pas ce que c’est que d’être homme.” (p. 145).


En ce sens, à l’instar d’une silhouette dans un théâtre d’ombres, Zil est une pure projection d’un récit monologique, clos puisque voué la claustration. Zil, “île” promise, est l’appel du large, de l’extérieur, du Dehors, mais il n’est saisi par le texte qu’au mépris de sa particularité. Toutes les tentatives pour le “dire” (et même pour le faire parler) sont confinées au système intériorisé de la narratrice. Ananda Devi réalise ainsi une prouesse, en prenant à revers des décennies de production romanesque “phallogocentrique” et en faisant du sujet masculin un objet de discours, objet de passion certes mais principalement objet passif, silencieux. Si l’on suit les analyses d’Annie Anzieu, le phallogocentrisme consiste à “ramener tout système de compréhension au sexe masculin” (La femme sans qualité. Paris : Dunod, 1989, p. 74). A l’inverse, Devi fait émaner tout le système d’expression du sexe féminin : du sexe, c’est-à-dire de l’espace intime de Daya.

Annie Anzieu écrit plus loin dans son essai éclairant : “L’écriture féminine remplace pour la femme la gestation, ou la continue. Elle apparaît souvent comme le résultat d’une sublimation de la relation à un être aimé.” (La femme sans qualité, p. 88) Comment mieux expliquer le discours ventriloque mis en place par Daya, mais aussi l’épigraphe de Pagli : “Tout roman est un acte d’amour” (p. 9).


Récit d’une affabulation tout autant que d’un affolement, Pagli se nourrit d’une irrationalité toute théâtrale. Symptomatiquement, d’ailleurs, au “Nous” collectif et anonyme des “autres”, signal de l’exclusion bien-pensante (p. 130), s’oppose le Nous des amants, Je sublimé et porté en quelque sorte à la puissance deux, fausse extériorité : “Cette chose qui m’espace sous ma peau, qui la détend et la respire et y glisse de l’intérieur, c’est toi, Zil.” (p. 79).
Pour dire l’intériorité blessée de sa narratrice, Ananda Devi n’a d’autre recours que de construire un roman expressionniste, dans lequel les couleurs, pour prendre un exemple marquant, témoignent d’une crise brutale de la représentation. Ainsi, lorsque Zil s’adresse à Daya pour raconter leur rencontre : “Tu étais enveloppée de gris. Tu contredisais les couleurs qui t’entouraient.” (p. 143)


Les couleurs sont ce que la voix narrative en dit, sans symbolisme convenu et sans entre-deux. Le “noir véritable” est “un noir qui aveugle comme des larmes de sang et qui est l’annihilation de toute lumière” (p. 51). Même les adjectifs et substantifs usuels peinent à décrire les couleurs : “Le ciel est devenu couleur de violence. Cette teinte violette est rare et reconnaissable entre toutes.” (p. 122) La violence n’a pas de couleur connue, et, en même temps, elle se voit assigner une place particulière dans le spectre coloré : le violet, qui allitère si bien avec elle. La teinte violette est d’ailleurs reprise en fin de roman pour décrire un ciel nocturne : “La nuit se dilate et strie le violet du ciel.” (p. 150)

Affabulation expressionniste, Pagli est, tout autant qu’un roman ou qu’un acte d’amour, un cri, une longue imprécation, savant mélange de violence et de mélancolie. Plus réussi formellement que le roman précédent d’Ananda Devi (Moi, l’interdite. Paris : Dapper, 2000), il constitue une porte d’entrée privilégiée dans l’univers particulier de la jeune romancière mauricienne.


DEVI, Ananda. Pagli. Paris : Gallimard, 2001, 168 pp.

CHAPTER THE FIRST

 

Inverted commas would help. Are inverted commas quotation marks? I never know. I said I never know. I said I never knew. I said I never knew or know whether inverted commas are the same as quotation marks. But they’re not. I know or knew they’re not. Whatever. Whether. I wrote whether inverted commas are the same as quotation marks. Inverted commas would help. (Or quotation marks.) Italics would help. (Or inverted commas.)

 

Notes astérisquées du billet précédent

* C’est cela, lire cinq ou six livres en même temps, écrire, travailler : les pavés n’avancent pas tout seul. (Ce que dénie l’expérience de mai 68.)

** C’est une de mes vieilles blagues, qui sent fort saumâtrement son professeur de littérature. Serais-je sous l’influence, non de la cocaïne du traducteur Rimini (voir Ière partie du roman), mais du chapitre tennistique (III, 3) ?

*** Une Suze à minuit !? Oh, c’est une Suze métaphorique. L’iris de Suze, disons… celle qui m’a tapé dans l’œil…

**** Tu ferais mieux d’utiliser, la tienne, de gomme, eh scribouilleur à la noix*****.

***** Note pour le typographe. N’intervertissez pas gomme et noix, s’il vous plaît.

Alan : Pauls :: Le : Passé

Dimanche, minuit.

C’est bien, que l’accès au WiFi soit indisponible, et d’avoir eu la flemme de descendre débrancher puis rebrancher la Livebox. [Solécisme que/de : on s’en fout ; continue.] Je pianote en haut, libéré du lien à la Toile, persuadé d’être détaché de l’œil de l’araignée.

J’ai avancé un grand coup, ce soir, dans un livre commencé jeudi 19*, acheté pourtant (sur la foi de critiques, mais surtout de la recommandation d’Enrique Vila-Matas) il y a trois mois, Le Passé du jeune romancier argentin Alan Pauls. J’ai déjà évoqué ici ma lecture de Wasabi. Je jette quelques bribes ici, aux deux tiers du roman (j’en suis à la page 471) ; jamais après, sinon, je n’écris ces billets.

Ça ne vaut pas tout le bien que l’on en dit. Je préférais ses deux textes brefs, nettement plus insurrectionnels, en un sens. Ce Passé-là en fait trop, s’attarde, s’enfle comme la grenouille de la fable, et même quand l’emphase est réussie… eh bien, le bœuf n’est pas le plus bel animal qui soit, tout de même. (J’ai belle gueule, de la ramener, avec mes métaphores dans le filet**)

Demain midi, je compte déjeuner au Cap-Ouest. Rien à voir ? Ce n’est pas sûr.

Page 471 : j’en suis donc au long chapitre (III, 4) qui se veut un décrochage dans l’histoire de Rimini, en revenant sur la gestation d’une série d’œuvres du peintre mondialement connu (et fictif, bien entendu), Jeremy Riltse. Pour l’instant, j’ai préféré la première partie à la seconde, et la seconde à, par exemple, ce long chapitre vraiment ampoulé et qui appuie trop sur le pastiche. (Non, je préfèrerais une Suze, merci…***)

Il semblerait (toujours se méfier des traductions) que Pauls laisse aller son goût immodéré pour une période quasi proustienne, qui se décline parfois en longs balancements homériques assez savoureux. L’histoire me désarçonne : ce personnage qui va d’abandon en trahison, en se laissant aller à la déshérence depuis la brisure du couple idéal qu’il forma douze ans avec Sofia, s’enfonce, un peu comme le protagoniste du Voyage vertical de Vila-Matas, mas s’enfonce d’une façon dont l’auteur ne garde pas la maîtrise.

(Je ne picole pas, mais j’ai l’impression d’écrire n’importe quoi. Si vous y tenez, appelez la police.)

Je ne sais où ce radeau m’emmène. Enfin, j’ai embarqué il y a dix jours, je ne me déplais pas sur ces planches parfois râpeuses, et, même avec des réserves sur certains aspects de ce roman, j’ai des réserves de viande boucanée ; l’écrivain ne me laisse pas seul sur ce maudit rafiot. D’ici trois jours, la terminaison probable aura peut-être apporté son lot d’épiphanies, et, si j’ai la sève, on mangera tous ensemble la gommette****.

lundi, 30 janvier 2006

Tridentition de Neptune

Aboli bibelot, dynamite asonore,

Je dors la nuit en oubliant mon râtelier

Dans un verre glacé. Balayant l'atelier,

Tu mettrais l'univers entier, qui déshonore

 

Une étoile oubliée au fond de ton cellier.

Ici se pâmeraient de goulus frugivores

Et de galants amants nullement spordivores

(Divorcés de leur temps, si Serre-Chevalier

 

N'a, pour eux, point d'attraits, non plus que La Mongie).

Voici, dans le cellier, le feu d'une bougie

Qui, éclairant le ciel-de-lit, se désarçonne

 

À n'avoir, du coussin, vu les bûchers ardents,

Comme, en mon cauchemar, coiffée à la garçonne,

L'ange tend un filet où se prennent mes dents.

Osanore encore

Osanore est cette béance entre la page 1222 (O.S.) et la page 1223 (OSCABRION) du Robert culturel (tome III). Pourtant, le Littré, à la page 2948, fait suivre l'adjectif (sans la citation de Corbière) de deux autres termes tout aussi absent du Grand Blanc, OSAR et OSCABRELLE.

Eric Meunié, 7 : Meure ciné I

[443]

Tous les nombres sont beaux. Tous sont tressés de merveilles.

Du 16, puissance qui clôt le recueil, au 919, palindrome, qui l’ouvre, comment ne pas lire, surinscrire un sens ?

919 est un nombre extraordinaire de beauté. J’y vois, par-delà le palindrome, mon fétiche 91 multiplié par dix, auquel encore s’ajoute 9.

Tous les nombres sont beaux.

Les mots aussi, mais moins : il leur faut la parole, et le travail si incroyablement vain d’un écrivain.

Eric Meunié, 6 : E, crime nié

[443 : où l’on songe à Perec, et puis non…]

Même avec sa phraséologie, le premier fragment 405 est d’une densité d’analyse, d’une limpidité aphoristique qui fait scintiller, comme un diamant entrevu, la double antithèse entre, d’une part, préoccupation et affranchissement, d’autre part prouesses et surprises. J’essaie de m’affranchir, ce qui n’est pas affranchir, et de me surprendre, ce qui est bien différent du rapport que j’entretiens avec vous, pâles solaires silencieux lecteurs.

(E)ric M(e)unié, 5 : Ricin ému

[333]

Le fragment 594 dit à merveille la sotte absorption dans laquelle choit l’auteur d’un carnétoile au cours d’une conversation. Pourtant, aujourd’hui dimanche, des amis sont venus déjeuner et pas une seule seconde je n’ai eu de pensée pour mes frétillements électroniques… ni pour les textes de Poésie complète.

Ce soir, je me rattrape.

Eric Meunié, 4 : Cire ni émeu

 

[457 : je n’ai pas fait exprès !]

 

Petit détail paratextuel sans aucune pertinence pour l’analyse du fragment – l’Eric batifolant et folâtre du fragment 457 ne serait-il pas le préfacier de Poésie complète, l’illustre Chevillard, dont je lis en parallèle le petit texte qu’il vient de consacrer à Gaston Chaissac ? Ou est-ce le prénom de l’écrivain, peut-être pas le je du fragment 457, qui se dédouble par ce sortilège vieux comme le monde ?

Ce n’est pas le fragment 754 qui offre la réponse.

Eric Meunié, 3 : Ire, une cime

 

[454 ou 545 : 91 blancs]

 

Deux fragments, dans ma lecture non achevée du recueil, m’ont agacé par leur côté facile. Est-ce une tentative de provocation ?

Ainsi du troisième fragment 422 : banalisation du viol ou platitude d’écrivain peu inspiré ? Le jeu de mots sur couvreur, bien falot, n’est plus à découvrir.

Ou du deuxième fragment 380 : on n’est jamais très loin du racolage, avec ce genre de petite chute prévisible et sans grande force ; du raccolage ? (N’y a-t-il pas une opération de bibliophilie, ou d’entretien technique des livres qui se nomme le recollement ?)

 

Eric Meunié (s), 2 : Murène sciée

[788]

Au pluriel. Pluriel, l’auteur se diffracte en tant de fragments. Son recueil n’est pas – le système compris puis absorbé par le lecteur – cet appauvrissement, ce chemin vers la brièveté ni le dépouillement. Ce dépouillement n’est qu’affaire de forme, ou plutôt d’organisation dans le volume. La passion des nombres, qui simplement donne sa structure au livre, forge des extases pour un arithméticien maniaque et amateur tel que moi, qui me surprends à admirer qu’il y ait deux fragments intitulés 393, trois intitulés 131, mais un seul fragment 262. J’ai dû me constituer (sans du tout m’y contraindre, le caractère machinal de ma maniaquerie faisant l’essentiel du travail) un ordre de lecture qui échappe à la catégorisation comptable qui, fruste, a présidé à la composition du recueil.

Os à ronger

De nombreux malheurs s'abattent sur moi : je n'ai pas le Robert culturel sous la main, et je brûlais d'écrire un billet sur l'adjectif osanore, découvert hier grâce à Livy.

L'épuisant désir de ces choses...

Ernst Reijseger

Samedi, 17 h 30.

Je viens d’écrire une brève note relative aux canapultes, ces curieux monstres lexicaux, et j’écoute le Double Trio (clarinettes de Sclavis, Angster et Di Donato ; cordes de Feldman, Reijseger et Dresser).

Je me souviens d’avoir vu, écouté et applaudi Reijseger, lors des Rencontres Internationales de Violoncelles de Beauvais (était-ce en 1999 ?). Je le connaissais déjà, pour ce disque du Double Trio, et pour le disque Rara Avis, où il joue avec Han Bennink et Michael Moore (pas le porc vulgaire, mais l’autre, le vrai : le grand saxophoniste) au sein de la formation Clusone 3.

À Beauvais, il avait sidéré et, je crois bien, décontenancé le public – la moindre de ses algarades extramusicales n’étant sans doute pas son geste d’aller fouiller dans la terre d’une affreuse et gigantesque plante en pot qui se tenait là, sagement, dans un coin de la scène du théâtre. D’un archet drolatique, il touilla le terreau d’un geste magistral, faussement gauche.

C’est aussi un remarquable musicien… mais vous ne trouverez pas, sur la Toile, l’anecdote de l’archet touilleur.

Rêve parti

Mon fils était allé se coucher dans un lit immense, de trois mètres sur trois, qui se trouvait à l'endroit de la cage d'escalier. Puis, m'informait posément C. tandis que j'observais ce grand lit défait occupant tout le palier, il s'était recouché tout seul dans sa chambre, laissant la porte ouverte. Il y avait ses chaussons juste devant.

Je regardais, inquiet, ce grand lit, me demandant où était l'escalier.

Puis le réveil sonna, me plongeant dans le gouffre de la journée.

CHAPTER TOGETHER

Whatever the weather let’s spend the day together. A day out together.
The weather and they say the weather.
They wither saying the weather is like. Saying what is the weather like. What is the weather like? Is it likely that they said what is the weather like? And did they like the weather?
Did they wither saying? Did they wither saying the weather. They said whatever the weather let’s spend the day out altogether. All together.
Is all together altogether the same? Is all together altogether the same as altogether? Italics would help.

Italics would help. Inverted commas would help. Italics or inverted commas would most certainly help.

De l’art balistique des canapultes

Samedi, 17 h 30.

Mon fils, lorsqu’il joue avec son château fort (modèle réduit), persiste à dire canapulte, même lorsque nous le reprenons gentiment ; cela nous amuse, mais je pense que, dans son esprit, le mot “catapulte” n’a pas de sens étymologique identifiable, d’où cet apparentement probable à une série de mots mieux connus (canne à pêche, canard, que sais-je…)

De même, l’autre jour, il disait faire des trèfles au lieu de faire des tresses. Cela me passionne, car c’est justement sur ce genre de matériau verbal que Leiris a fondé les quatre volumes de La Règle du jeu, et Biély son Kotik Letaïev, un des livres qui m’ont le plus impressionné.

……………

En écoute : « Muhu » (Ernst Reijseger). Album Green Dolphy Suite, par le Double Trio (Enja Records, 1995)

dimanche, 29 janvier 2006

Diary, 11 juin 2002 (derniers extraits)

[...]

Vers cinq heures.

 

 

La journée pourrait s’écouler ainsi, à vaquer au quotidien oisivement et à écrire, reprenant le vieux lien entre écriture et oisiveté, entre texte et paresse. Pourtant, qu’il faut de volonté et d’énergie pour écrire un roman, même court. Paradoxes toujours.

 

A., de nouveau à plat ventre, pleurote. Joyeux dès que je lui lance une grimace. Attrape ! Attrape sa tortue-tambour, qui tinte du grelot. Essaie d’attraper en fait le socle violet de la pyramide de soucoupes (je me comprends). La pyramide de soucoupes est au premier étage de la maison (je me comprends), laissant le socle seul, au rez-de-chaussée, dans le parc.

 

Il fait exprès de s’espalaser, de s’affaler de tout son long sur le ventre, pour que j’aille m’occuper de lui. Rien que de très normal. A. est un enfant très sage. S’il ne l’était pas, vous croyez que, pendant qu’il joue, à onze mois, son père aurait le temps d’écrire autant ?

 

 

 

 

Des voitures s’arrêtent, se garent, repartent. Je guette C. d’une oreille, son retour du travail, du collège où elle enseigne le français. Collège dit sensible, et ce n’est pas un vain mot ; c’est même un euphémisme.

 

Les jours où C. travaille, vers l’heure du retour, je guette son retour. A., lui, se penchant puis se redressant, continue de balancer les inserts ronds (le rose et le jaune) à travers les barreaux du parc, tout ça d’un air canaille.

 

 Cela avance vite, un journal, mine de rien, cela avance.

 

Mine de rien, se pose alors la question du style.

A Boy and a Bicycle

C’est le titre d’un excellent court métrage (de 25 minutes environ) que Ridley Scott tourna en 1965. Je ne connais pas tellement les films de Ridley Scott, à l’exception de cette navrante idiotie qui a fait date (Alien) et de Thelma et Louise, que j’avais bien aimé. (Mes souvenirs en sont vagues.) Mais celui-ci donne furieusement envie d’en voir plus !

 

Tout est beau : plans d’une grande originalité, noir et blanc à la fois terne et lumineux, longs aplats de lumière pour détailler le décor, alternance de point de vue interne et de vision extérieure, voix off du seul personnage, collusion des images de la scène finale dans la bicoque du clochard et de celles qui ouvrent le film (chambre de l’adolescent)…

 

Pour résumer à grands traits l’intrigue innarrable d’A Boy and a Bicycle, je vois un lycéen qui s’éveille lentement en écoutant les bruits domestiques, part en bicyclette puis sèche les cours avant d’errer le long de la jetée, puis de pénétrer dans un lieu imprécis, bicoque de vagabond où il retrouve des objets familiers – ou qui lui paraissent tels.

 

Le soleil est cendreux, l’océan morose. Les rayons de la bicyclette sont le cercle où se perd la parole déglinguée de l’oisif.

16:30 Publié dans Tographe | Lien permanent | Commentaires (3)

Diary, 11 juin 2002 (autres extraits)

Il faudrait utiliser la maniabilité merveilleuse de cet outil pour travailler. En même temps, de façon hachée, soit je prends des notes (c’est du travail), soit j’écris (c’est du fragment).

A. joue avec ses cubes, le jaune avec insert rond (pommier) et le rose avec insert rond (cochon). Il emboîte très bien ces inserts ronds (les plus faciles du lot : il y a des formes plus biscornues, tarabiscotées, des canards en forme de canard etc.)

Il faudrait aussi que j’en profite pour lancer des chantiers d’écriture plus ambitieux, mon « roman » en anglais par exemple. Ou Mar Yann. Il faudrait…

A. joue avec son bavoir « À nous l’an 2000 » et sa tortue-tambour. Par quel hasard un enfant né en juillet 2001 se retrouve-t-il avec un pareil rossignol, vieux tissu célébrant l’an 2000 et bradé sans doute en supermarché (c’est C. qui avait acheté ce bavoir) ?

 

[...]

 

A., qui s’était rétamé à plat ventre, s’est rassis tout seul. Le dictionnaire de Word2000 ne refuse pas rétamer, qui doit avoir un sens concret, technique, que j’ignore mais devine.

A. geignote. (Refusé !)

Je suis allé lui redonner ses cubes.

Temps de chien (Nganang)

 Temps de chien s'inscrit dans une tradition africaine clairement balisée : il y est question d'un quartier populaire et misérable, Madagascar, situé dans les faubourgs de Yaoundé, et de la vie de ses habitants. Les thématiques habituelles du roman suburbain s'y trouvent : misère, alcoolisme, mélodrames hauts en couleur, corruption politique. C'est, par ailleurs, un conte philosophique ; on y trouve un narrateur candide et observateur, dont le regard s'affine progressivement jusqu'à devenir cynique. Pris entre ces deux traditions (réalisme social, conte philosophique), Nganang ne tranche jamais, ce qui fait la force de son livre.
   En donnant la parole à un chien, Nganang prenait de nombreux risques, mais le roman évite les écueils en ne sombrant jamais ni dans l'anthropomorphisme, ni dans des jeux linguistiques faciles. Tout en accordant une grande importance à la palabre, Nganang ne multiplie pas les “indigénismes”. Tout, dans l'écriture, est question de dosage : à cet égard, ce livre est un modèle.
   Bref, Temps de chien, qui avait tout, a priori, pour être un roman raté, est un roman merveilleusement réussi.


 

Le narrateur est un être à part, à l'identité indéterminée ; il erre et déambule dans les “sous-quartiers” ; il vit dans un monde où la violence politique fait incessamment irruption… Autant le dire, et malgré les différences majeures séparant ces deux livres, Temps de chien fait penser à La Route de la faim de Ben Okri. Certes, il manque la dimension imaginaire et épique, si caractéristique du romancier nigérian, mais Nganang développe la même approche des questions politiques. Ainsi, dans le premier chapitre, la scène du suicidaire appelle la comparaison : même regard pseudo-objectif, même mythification. Mimi Minor rappelle Madame Koto. Mboudjak est, comme Azaro, partagé entre l'identification au “Nous” de la foule et l'aventure en solitaire : “Mes aboiements embaumaient le chaos des hommes. Je ne savais plus ce que je disais. J'étais pris dans le mouvement, moi aussi.” (p. 64). Ainsi, le texte, vertueux et voltairien, tombe incidemment dans le délire, dans la parole folle, les “étiennements bancals” (p. 71). Le discours policé de Mboudjak, chien philosophe et observateur cynique, est sans cesse gagné par une langue subversive et envahissante.
   Le discours canin se développe alors dans l'interstice périlleux qui sépare, d'un cheveu, la raison de l'exubérance. Romancier, le chien Mboudjak voudrait se garder des mots, notamment de ceux de Panthère, un vieillard palabreur et hâbleur. Pari-paradoxe difficile à tenir :


Je recherchais dans la viande du monde la dureté de l'os, la partie la plus sûre du festin de la vie, et il faisait danser ses hallucinations dans la rue. Réaliste, il me fallait être: réaliste. Et il inventait visiblement la réalité des choses selon sa convenance! Un manipulateur du réel, le petit vieux était. Mais voilà: bia boya alors? Avec ce petit vieux, oui, surtout avec lui, la cour du bar de mon maître devenait une natte de paroles, un entrecroisement de commentaires, un bouillonnement d'emphases, une explosion continuelle de superlatifs, un perpétuel défi de grandeur, oui: une somme de mille folies s'entrechoquant. (p. 110)


 

Réalisme garder : c'est le mot d'ordre. Mais, quand le matériau vire au désordre, ‘on va faire comment, alors?’ (c'est la traduction, proposée en note dans le roman, de “bia boya alors?”).
   Se méfier des discours ne signifie pas, pour autant, abandonner le style. Au contraire. Nganang invente une palette étonnante de variations stylistiques, de l'usage immodéré et savoureux des notes (qui deviennent par instants partie intégrante du récit, cf p. 78) à la construction d'échos secrets :
Des rires fusèrent ci et là. Parfois une voix admiratrice crissait. Je n'y prêtais pas attention. Je me voyais nu dans la rue. Ma maîtresse, elle, devait être aux nues. Elle avait sa vengeance sur tous ceux-là qui jamais n'avaient vu en elle rien d'autre qu'une vendeuse de beignets, me disais-je. (p. 103)
 

   Temps de chien pose, comme tous les grands romans africains, la question de la fiabilité des signifiants. Perdu, au début du livre II, dans les sous-quartiers, Mboudjak cherche son maître, Massa Yo. Un coq lui apprend alors qu'il y a “des milliers de Massa Yo dans Yaoundé, et que lui seul en connaissait déjà six” (p. 189).
   De façon plus intéressante, lors d'une altercation entre une femme et un vendeur d'arachides, les mots du lexique sont réduits (ou élevés?) à un sens performatif, sans aucun rapport avec leur signifié :


“ — Toi, tu es une bordelle de ton état, dit le vendeur d'arachides.
­— Energumène, dit la femme en sevrant son gosse pour mieux répondre.
— Bordelle !  dit encore le vendeur d'arachides.
— Abracadabra !  dit la femme.
— Bordelle ! ” insista le vendeur d'arachides.
Et l'autre sortit le mot du siècle : “Anticonstitutionnellement ! ” (p. 221)


 

Le mot du siècle n'est pas seulement le plus long du dictionnaire : il prend un tout autre écho dans un contexte de dictature…!
   Nganang multiplie ainsi les scènes à mi-chemin du burlesque et de la satire politique, comme lors de la tentative de suicide d'une femme sous un bus à l'arrêt (pp. 204-206), ou du retournement de situation invraisemblable qui permet à un homme pourchassé par tous de devenir “le miraculé du marché” (pp. 228-229). Le roman se termine pourtant sur une note forte, puisque c'est l'assassinat de Takou, gamin des rues et fils du Docta, par le Commissaire, qui donne le signal de l'émeute, “main de rage” (p. 293) et “rumeur régicide de la rue” (p. 295). La dimension mythique, que l'on croyait bannie du récit, prend alors le relais pour s'imposer et donner a posteriori tout leur sens à plusieurs scènes-clefs du livre. Ainsi, les personnages, miteux ou pathétiques, sont transfigurés le temps de l'émeute, en particulier le Docta, devenu père “soudain avec la mort de ce gamin qui lui avait été jadis abandonné” (p. 286).


 

    Temps de chien est un grand roman critique, tant du point de vue de la satire politique — toujours judicieuse, jamais appuyée —  que de la liberté laissée au lecteur : de nombreuses pistes restent ouvertes, et c'est au lecteur, in fine, d'opter pour le point de vue “réaliste” — maintes fois réaffirmé, quoique de façon ambiguë —  ou pour une lecture plus idéologique. En des temps où le roman contemporain s'abîme souvent dans un collage superficiel saluant “la fin des idéologies”, c'est faire œuvre salutaire que de proposer, comme Nganang, un livre de cette trempe, qui n'est ni un pamphlet ni une belle coquille vide.

 

 

NGANANG, Patrice. Temps de chien. Paris, Le Serpent à plumes, 2001, 304 pp.

(Article originalement publié en 2001 sur le site Exigence Littérature.)

A Novella Fuck You

Je viens de retrouver, dans les fichiers de notre antépénultième ordinateur, ou plutôt sur une disquette, le texte d’un bref roman amorcé puis avorté, inspiré par les écrits les moins abordables de Gertrude Stein. Cette novella, qui s’intitule A Novella Fuck You, fut écrite en quelques jours de désoeuvrement, en janvier 2003. (Je constate avec amusement, d’ailleurs, que la date de dernière modification du fichier est le 29 janvier 2003 ; cela ne s’invente pas.)

 

Je publierai les brefs chapitres de cette novella, chaque matin à sept heures, puis, si l’humeur m’en reprend, en écrirai la suite.

 

 

Propos de garçonnet, 21

Le château de Fleur d'Amande a été construit par Winnicott puis Louis XIV, et le château de Fleur de Yaourt par un bandicoot lapin et par Marco Polo.

samedi, 28 janvier 2006

Mon inculture une fois encore prise en faute

J'avais trouvé si beau le pseudonyme Lidoire Martin, qu'arbore sobrement l'auteur du carnétoile Atours de Tours, que je n'avais pas pensé à en vérifier les possibles significations. Eh bien ! Saint Lidoire fut évêque dans ces parages dans les mêmes eaux que le plus célèbre saint Martin.

Lidoire est un prénom exceptionnel, d'autant que s'y entendent la Loire, le doigt de Dieu, le lit si cher à mon coeur (va te coucher, Guillaume).

Eric Meunié 1 : Eric Meunié

J’ai commencé ma lecture (je ne suis pas très prolixe en ce moment : seulement cinq livres en même temps) de Poésie complète, que viennent de publier les éditions Exils.


Ce n’est pas très bien écrit, mais le principe est saisissant.


Ainsi, comment traduire, en anglais ou en n’importe quelle autre langue, la première phrase du fragment 528 :

« Si je continue de cette façon, je vais me briser en deux irrémédiablement (avec diable au beau milieu). » (p. 24)

 

 Eric Meunié. Poésie complète. Paris : Exils, 2006.